Couma guianensis (Aublet)
- Aublet, 1775. Histoire des Plantes de la Guiane Françoise. 2 : 40-47. (Jean Baptiste Christian Fusée-Aublet) Voir sur BHL
- Nom accepté : Couma guianensis
C'est un arbre dont le tronc s'élève a plus de trente pieds dans les forêts, il a environ deux pieds de diamètre. son écorce est grise, épaisse, & rend abondamment, par incision, un suc laiteux qui se fige, se durcit en peu de temps.
Sa tête est branchue, fort rameuse. Les rameaux sont triangulaires, & portent à chaque nœud trois feuilles, du centre desquelles sortent deux, trois ou quatre bourgeons ; & à mesure qu'ils se multiplient & s'allongent, les feuilles inférieures tombent ; ce qui forme des nœuds à l'endroit où elles étoient attachées.
Ces feuilles sont ovales, pointues, d'un beau vert en dessus, un peu moins vertes en dessous, & lisses : elles ont un court pédicule creusé en gouttiere en dessus, & convexe en dessous. lorsqu'on les déchire, elles rendent un suc laiteux.
Les fruits sortent de l'aisselle des feuilles qui tombent ; ils naissent plusieurs ensemble, portés chacun sur un long pédoncule ; ils sont arrondis, comprimés a leur sommet, & de la grosseur d'une noix garnie de son brou. Leur peau est fine & roussâtre. La chair est de la même couleur, fondante, & un peu pâteuse, d'un goût fort agréable. Avant sa maturité il est rempli d'un suc âcre & laiteux ; il contient trois, quatre ou cinq pépins ronds & un peu applatis.
Les Nègres portent le fruit de cet arbre dans les marchés de Caïenne, & les Créoles en ornent leurs desserts, les mettant au nombre des bons fruits du pays.
II y a de ces arbres dans l'île de Caïenne, & dans la terre ferme.
On les trouvé à Aroura, & dans les forêts qui s'étendent de la crique des Galibis jusqu'à Sinémari.
II y est nommé COUMA par les Galibis, & POIRIER par les Francais.
Je n'ai jamais vu cet arbre en fleur.
Le suc laiteux du Coumier m'ayant paru, lorsqu'il est figé, être une résine qui a beaucoup de rapport à l'ambre gris, je priai M. Rouelle de vouloir bien en faire l'analyse, & de la comparer à celle de l'ambre. Voici cette analyse comparée.
1° Cette résine est d'un gris blanchâtre, un peu plus colorée à l'extérieur, que dans l'intérieur. Elle est assez légère, peu compacte, s'ecrase facilement, nage sur l'eau, & ne ressemble à aucune de nos résines connues, soit intérieurement, soit extérieurement.
2° Quoiqu'elle ne soit pas absolument dépourvue d'odeur, on ne peut cependant pas la regarder comme aromatique.
3° La seule substance à laquelle on peut la comparer, c'est l'ambre gris, dont elle diffère toutefois par son odeur, par sa couleur, qui est un peu plus blanchâtre, & par un peu plus de légèreté.
4° Un morceau de cette résine, présenté à l'action d'une bougie allumée, se liquéfie & s'enflamme un peu. La portion, qui se fond, est d'un brun foncé & transparent. Cette même portion ainsi fondue se ramollit par la mastication, comme fait le mastic.
5° L'ambre gris se liquéfie & s'enflamme un peu plus facilement à la bougie, prend un corps résineux, & est un peu moins liant que la nouvelle résine par la mastication.
6° Cette résine étant réduite en poudre, & traitée avec de l'eau distillée par la digestion & l’ébullition dans un petit matras, il s'est manifesté, dans cette ébullition, une légère odeur qui n'étoit point désagréable. L'eau s'est légèrement colorée, & est devenue un peu amère. La résine s'est ramollie, s'est réunie en petites masses, qui se sont précipitées au fond de l'eau. Maniée entre les doigts, elle s'est un peu ramollie & a pris un peu de corps. Par la mastication, elle a produit le même effet que le mastic. L'eau séparée de la résine & filtrée, avoit un léger goût d'amertume ; évaporée, elle a terni à peine le verre.
7° L'ambre gris traité de même avec l’eau distillée, l'a légèrement colorée, comme la nouvelle Résine. Il s'est plus ramolli qu'elle par l’ébullition & a toujours nagé sur l'eau, qui, séparée de l'ambre, filtrée & mise à évaporer, n'a presque point terni la capsule.
8° La nouvelle résine n'est pas totalement soluble dans l’esprit-de-vin. La partie, qui s'y dissout, demande une grande quantité de ce dissolvant. Les premières dissolutions ou teintures sont légèrement ambrées, les suivantes sont à peine colorées. L'esprit-de-vin à la fin ne paroît point changer de couleur : cependant il tient un peu de résine en dissolution, puisqu'il blanchit avec l'eau.
Toutes ces teintures, qui ont été filtrées chaque fois qu'elles ont été faites, ont déposé peu à peu, par le refroidissement & le repos, une matière blanche résineuse qui a pris un arrangement salin. Cette matière, qui est très-blanche, est en même temps très-légère & très-volumineuse.
Si on la fait chauffer un peu dans une petite capsule de verre, elle se liquéfie & devient transparente. Mise sur les charbons, elle répand une odeur légèrement aromatique. Elle est très-cassante & se réduit en poudre, quand on la frotte entre les doigts.
J'ai dit que la nouvelle résine n'étoit pas totalement soluble dans l'esprit-de-vin. La portion qui reste est assez grise & un peu salie par les ordures. Cette portion, qui paroît insoluble dans l'esprit-de-vin, s'y dissout tant qu'il est bouillant : mais l’esprit-de-vin étant refroidi, elle se depose totalement sous la forme de cette matière blanchâtre dont il est parlé ci-dessus ; ce qui démontre que cette résine est composée de deux substances résineuses : celle qui est blanche est en moindre quantité, que celle qui reste dissoute dans l'esprit-de-vin.
Les teintures ci-dessus laissent, après l'évaporation, une résine qui se ramollit facilement par la mastication, comme fait le mastic.
9° La teinture de l'ambre gris, lorsqu'elle est bien chargée, dépose une matière blanche, comme la nouvelle résine.
10° L'espèce de depôt que fait la teinture ou dissolution de cette résine, ne lui est pas plus particulier qu'à l'ambre gris. Plusieurs autres résines présentent la même chose. C'est une crystallisation qui se voit bien dans les teintures composées ou vernis, où il se forme des crystaux très-grands & très-beaux. La plûpart des résines ont en effet des rapports différens avec l'esprit-de-vin, en raison de leur solubilité, suivant toute apparence. Mais, outre ces rapports du plus au moins, des différentes résines avec l'esprit-de-vin, il y a encore plusieurs Résines qui contiennent deux sortes de substances résineuses (D. II. A. I. Obs. 171. 405.), dont l'une est a peine soluble dans l'esprit-de-vin ; & celle qui l'est moins que l'autre, se sépare souvent par la crystallisation ou se précipite aux parois ou au fond des vaisseaux.
11° La nouvelle résine, ayant été soumise à la distillation, a donné d'abord un phlegme insipide, ensuite un esprit acide, une huile pesante, jaune & d'une odeur assez agréable. Le résidu, qui a resté dans la cornue, est une matière charbonneuse, en tout semblable au Caput mortuum des substances résineuses : en un mot, elle fournit les mêmes produits exactement que l'ambre gris a donnés à M. Geoffroy, ainsi qu’a M. Hermann & Grimm, dans les Ephémérides des Curieux de la Nature, excepte un sel volatil concret, assez semblable à celui du succin que ces deux Auteurs ont également tiré de l'ambre gris, & que nous n'avons pas pu obtenir de la trop petite quantité de notre résine que nous avons pu analyser.
Quoique la nouvelle résine n'ait pas exactement tous les rapports possibles avec l'ambre gris, & ne présente pas précisement les mêmes phénomènes, elle paroît néanmoins lui être analogue à beaucoup d'égards ; 1° par les deux matières très distinctes qui la composent, 2° par la manière de se dissoudre & de se précipiter dans l'esprit-de-vin ; 3° par son odeur qui approche beaucoup de celle de l'ambre gris ; & si cette odeur est moins forte, on sait aussi qu'on trouve fréquemment de l'ambre qui n'en a point du tout. Il est même à présumer que celui qui en est chargé l'a reçue artificiellement, & la tient de quelque préparation particulière.
On trouve encore un quatrième rapport entre la nouvelle résine & l'ambre gris, dans l'égale facilité qu'ils ont l’un & l'autre à prendre l'odeur du musc, & dans l'identité de celle que cette substance animale développe dans ces deux matières résineuses.
Il y a des Auteurs, & Geoffroy entre autres, qui ont prétendu, que l'ambre gris étoit un bitume minéral, qui, coulant du sein de la terre dans la mer, s'y condensoit peu à peu, & formoit ces pains & ces masses plus ou moins solides, plus ou moins considérables que nous lui voyons. On sait pourtant, & Geoffroy nous le répéte, qu'on y trouve souvent enfermés, non-seulement de petits coquillages & des pierres, mais encore des os d'animaux, des becs & des ongles d'oiseaux, bien plus, des rayons de cire d'abeilles encore chargés de leur miel, & enfin d'autres substances qui indiquent visiblement que l'état de fluidité ou de molesse étoit l'état primitif de l'ambre gris. Mais si l'ambre gris sortoit fluide du sein de la terre, & qu'il fut transporté de-là, comme on le dit, dans la mer, comment trouveroit-on enfermés des rayons d'abeilles, & comment les eaux de la mer n'en auroient-elles pas dissous le miel ? Il nous semble dont que tous ces corps étrangers que l'ambre-gris entraîne avec lui ; tout, en un mot, jusqu'à la forme de ses pains plus ou moins arrondis, annoncent une matière d'origine végétale, & qui, lorsqu'elle étoit encore fluide ou molle, a découlé à terre & au pied de l'arbre qui l'a produite.
De ce que l'ambre gris, trouvé dans la mer, ou celui que les flots ont jetté sur la côte, ne ressemble pas parfaitement à la nouvelle résine dont il est ici question, on n'en doit pas cependant conclure que celle-ci n'est point sa congénere. Il est à présumer que les eaux de la mer, ou l'ambre gris a séjourné souvent très-long-temps, & les transports considérables qu'il a soufferts sur les flots, puisqu'on en a trouvé sur les côtes d'Angleterre, d'Écosse & même de la Norwège, ont pu opérer quelque changement, & être la seule cause de cette différence.
Rumphius, dans son Herbier d'Amboine, fait mention d'un genre d'arbres connus sous le nom générique de Canarium ou Canari, dont il donne une description très-détaillée, & dont il fait plusieurs espèces. Ces arbres, dit-il, donnent deux Résines, l'une blanchâtre, qui découle du haut du tronc & des grosses branches, où on la trouve sous la forme d'une matière séche & aride comme de la chaux ou du camphre en grains, & l'autre qui sort du bas du tronc & du pied de l’arbre ; celle-ci est plus ou moins glutineuse & grasse, plus ou moins grise, noire & colorée. Lorsque cette matière résineuse a coulé & s'est imbibée dans la terre, elle y prend une odeur d'ambre gris, souvent très-caractérisée.
Cet Auteur fait mention, entr'autres, de deux espèces de ces arbres, qu'il appelle Nanarium minimum sive oleosum, en langue Malaise ou du pays, Nanari minjac ; & Canarium odoriferum, en Malais Camacoan. Ce sont ces deux arbres qui, non-seulement donnent une Résine dont l'odeur approche beaucoup de celle de l'ambre gris, mais qui est telle, qu'on a cru souvent que c’étoit-là véritablement la source & l'origine de cette résine.
Cet arbre, dit-il, en parlant du Nanari, s'élève droit & fort haut. Il n'est pas commun, même dans les lieux ou on le trouve. Il aime les terreins pierreux, élevés, & le voisinage de la mer. Il croît à Amboine, mais sur-tout à Manipa, Kelanga & à Bonoa : l'huile & la Résine qui en découlent dans ces derniers endroits, sont plus abondantes & plus odorantes qu'à Amboine.
Cette résine prend sur-tout l'odeur & la ressemblance de l'ambre, lorsquelle a découlé à terre, qu’elle s'y est imbibée ou quelle en a été recouverte. On découvrit, en 1681, un petit terrein à Manipa, auprès d'un lieu appellé Luhu, qui avoit singulièrement cette odeur. On le nomma Terre d'Ambre. Les habitans ont cru long-tems que c’étoit l'odeur propre de cette terre, & cela d'autant plus, qu'ils ne voyoient point d'arbres autour qui eussent pu lui communiquer cette propriété & que le terrein qui répandoit une telle odeur, étoit d'un très-petit espace. Le Propriétaire s'étoit persuadé qu'il possedoit-là une source d'ambre ; mais on s'est apperçu dans la suite, à force de recherches & en creusant, que cette odeur étoit superficielle & étrangère au sol, & que la terre la contractoit du voisinage & auprès du Canari odoriférant, & sur-tout du Nanari, dont on trouva plusieurs arbres dans cette Isle.
Rumphius (Rumphius, p. 164 & 165) présume aussi, qu'il croît à l'Isle Maurice des arbres qui donnent une résine semblable, ayant l'odeur de l'ambre gris. « Ces arbres, écrivoit un jour le Facteur Hollandois à ses supérieurs, sont très-considérables. Ils viennent sur le rivage & poussent leurs racines principalement du côté de la mer. Il en transude une gomme odorante, qui, découlant dans la mer & s'y mêlant avec le cailloutage, les coquillages, &c. forme de l'ambre ». En un mot, ce Facteur prétendoit avoir trouvé la véritable origine de l'ambre. Cela n'empèche pas cependant Rumphius de croire, que l'ambre gris naturel, c'est-à-dire, celui qu'on pêche & qu'on trouve sur les bords de la mer, est une production ou comme un excrément (projectum) de cet élément.
Toutes les espèces de ce genre d'arbres donnent deux sortes de résines, mais elles n'ont pas toutes la même odeur, ni les mêmes propriétés. Il y en a qui ont l'odeur, la ténacité & le gluten de la gomme Elemi, & qui forment comme des pains ou stalactites pendues aux branches & au tronc des arbres d'où elles ont découlé. Telle est une espèce semblable, qu'on trouve à l'Isle de France.
M. Aublet a trouvé, en effet, à l'Isle de France & à l'Isle de Bourbon, deux espèces d'arbres du même genre, & qu'il dit être l’Amyris de Linnaeus. Ces arbres viennent en haute futaie & ont jusqu'à trois pieds & plus de diamètre : ils donnent l’un, une Résine qui, dans la première espèce, a l'odeur du citron & plus agréable encore ; odeur quelle conserve même dans la terre ou elle s'imbibe à mesure qu'elle y découle de l'arbre : l'autre donne une Résine, dont l'odeur approche de celle de l'Elemi. Ces Résines qui sont, en perçant l'écorce, d'une consistance molle, bitumineuse & de couleur blanchâtre, se dessèchent ensuite, forment de grosses masses sèches, friables, & se dissolvent entièrement dans l'esprit-de-vin. Dans les ouragans, ces Résines sont entrainées par les eaux dans les ravines, les rivières & dans la mer, ou elles deviennent encore plus compactes, plus sèches, plus friables, jaunes comme de la poix-résine, & d'un parfum plus radouci. On prend celle que la mer rejette à la côte, pour la brûler dans les églises.
Feu M. de la Bourdonnaye en faisoit amasser à Madagascar, à Bourbon & à l'Isle de France. Il en fit entrer dans le goudron qu'il composa pour calfater & radouber l'Escadre avec laquelle il fut prendre Madras.
Il y a des espèces dont la Résine a une odeur très-vive, très-pénétrante, qui porte à la tête & qui incommode, tandis que dans d'autres, au contraire, l'odeur est douce & très-suave : en un mot, il y a à cet égard beaucoup de variétés, ainsi que pour la couleur qui est plus ou moins blanche, plus ou moins grise, enfin plus ou moins noire, suivant l’âge & l'espece différente des individus ; en sorte que si l’ambre gris doit véritablement son origine à quelqu'une des especes de ce genre d'arbres, il ne sera pas dès-lors difficile de trouver la source de l'ambre noir qui est plus mauvais, & que Geoffroy prétend n'être tel, qu’à cause de la vase dont il est imprégné, ou avec laquelle il a été allongé.
Geoffroy nous a donné une analyse de l'ambre gris. Il a trouvé qu'en le traitant par l'esprit-de-vin, il y avoit une matière noire & tenace comme de la poix, qui étoit insoluble dans ce menstrue. Il a observé le depôt blanc qui se précipite par le refroidissement & le repos, & qui, en se desséchant, prend une apparence de terre foliée brillante, assez semblable au blanc de Baleine.
Par la distillation, l'ambre gris lui a donné d'abord un phlegme insipide, un esprit acide, une huile jaune très odorante, avec une petite portion de sel acide volatil assez semblable à celui du succin. Ce qui reste dans la cornue est, dit-il, une matière noire luisante & bitumineuse ; mais il paroît qu'à cet égard M. Geoffroy n'a pas poussé la distillation jusqu'à la fin.