Comment recueillir et citer les noms populaires ?

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De nombreux botanistes, agronomes ou voyageurs ont recueilli des noms populaires. Mais souvent sans formation linguistique et sans instruments de travail, ils ont commis de nombreuses erreurs. Le texte suivant a pour objectif de donner quelques règles pratiques, illustrées par de nombreux exemples. Quand on reproduit une source écrite, il faut bien sûr donner la forme telle qu'imprimée, suivie entre crochets de la forme canonique et des commentaires appropriés.

Forme des noms

Il convient de privilégier la forme canonique, c'est-à-dire celle qui est habituellement consignée dans les dictionnaires. Encore faut-il qu'il existe au moins un dictionnaire et qu'il soit bon.

En principe, on retient le nom au singulier et au nominatif. Si seul le pluriel est usité, il faut le signaler. Si la langue connaît un pluriel, on peut l'ignorer si ce pluriel se forme toujours de la même façon, ou le mentionner dans les autres cas, surtout s'il se place ailleurs dans l'ordre alphabétique. Pour les langues à déclinaisons, il peut être utile de préciser les formes de l'accusatif ou du génitif si celles-ci ne sont pas dérivées régulièrement.

Exemples :

  • roumain : sg. non articulé vînătă ou vânătă, aubergine ; sg. articulé vînăta ou vânăta ; pl. non articulé vinete ; pl. articulé vinetele.
  • roumain : sg. non articulé pătlăgea ou pătlăgică, aubergine ou tomate ; sg. articulé pătlăgeaua ou pătlăgica ; pl. non articulé pătlăgele ; pl. articulé pătlăgelele.
  • roumain : sg. non articulé varză, chou ; sg. articulé varza ; pl. non articulé verze ; pl. articulé verzele.


Les langues bantoues distinguent des classes nominales, qui servent à former le pluriel, mais aussi (pour les plantes) à distinguer la plante et son produit. Ces noms se forment dans une classe en ajoutant au nom de base des préfixes différents, ce qui est fâcheux pour le lexicographe, car les diverses formes d'un nom se retrouvent éparpillées dans le dictionnaire.

Exemple :

  • swahili : aubergine (plante) sg. mbiringani, pl. mibiringani ; aubergine (fruit) sg. biringani, pl. mabiringani.


De même, le nom doit être sans article. Inutile de préfixer al- devant les noms arabes. Quand l'article est postposé, il peut modifier le nom, auquel cas il faut mentionner la forme définie.

Exemple : albanais lakër, chou, lakra, le chou.


En arabe, on donne habituellement la forme du "singulier collectif", sachant que le singulier d'unité se forme par addition de la terminaison -a.

Transcription des noms

Il faut s'initier au système phonologique de chaque langue, qui se traduit ou non dans le système d'écriture. Pour cela, il convient de chercher les meilleures grammaires (et les plus récentes). Par exemple, on ne peut noter des noms dans les langues à tons (chinois, vietnamien) sans avoir des notions de ces tons (que l'on peut maintenant écrire facilement avec les outils disponibles sur Internet). On ne peut noter les langues indiennes sans savoir qu'elles ont des systèmes de consonnes complexes (quatre types différents de p ou de t en hindi).

Il faut aussi choisir une norme de transcription ou de translittération correcte. Les normes anciennes différaient suivant que l'on était Anglais, Français, Espagnol, Néerlandais... Par exemple, le a bref du hindi se prononce un peu comme le [ʌ] de l'anglais, ce que les Anglais ont noté u alors que les Français le notaient e ou a. C'est pourquoi les Anglais écrivent Punjab et les Français Pendjab.

Pour cela, il faut vérifier les noms dans les dictionnaires les plus récents, et qui donnent les formes translittérées des mots. Il n'existe hélas de bons dictionnaires que pour un nombre réduit de langues.

Certaines langues comme le turc ont changé de système d'écriture. Il en résulte qu'un nom en turc ottoman s'écrit en caratères arabes et se transcrit en conséquence, alors qu'un nom en turc contemporain s'écrit suivant la norme utilisée par les Turcs. Le même nom peut donc apparaître sous deux formes différentes.

Situations de diglossie

Dans toutes les langues, il existe plusieurs niveaux de langue. On parle de diglossie quand ces niveaux de langue correspondent à des variantes de la même langue (cas de l'arabe, du norvégien et du grec moderne) ou à des langues différentes (cas des pays créolophones). En situation de diglossie, une fraction importante des locuteurs maîtrise les deux formes de langue et passe de l'une à l'autre en fonction des situations. Il en résulte que les deux formes de langue influent constamment l'une sur l'autre et que les emprunts sont systématiques. On a alors affaire à des noms "siamois" qu'il est difficile de séparer.

La question du choix des noms et de leur forme écrite devient souvent un enjeu politique sensible. Doit-on écrire un créole en suivant les conventions graphiques de la langue locale de grande communication (anglais, français...), ou bien doit-on adopter une norme autonome (et plus phonétique) ? De façon pragmatique, on peut considérer que ces noms existent de toute façon avec un double statut, créole et français régional (ou anglais régional), et qu'il convient de signaler les deux formes. Cela facilite d'ailleurs la recherche et la compréhension du sens des noms. Par exemple, il est utile de savoir que le créole de la Guadeloupe et de la Martinique bwa correspond au français bois (avec la même prononciation), et que bwi correspond à buis.

Sens des noms

L'étude du sens des noms relève de la sémantique (pour les linguistes) ou de la taxinomie populaire (pour les ethnobotanistes). Une taxinomie populaire forme un système plus ou moins cohérent (au niveau d'un groupe de locuteurs), mais qui n'a aucune raison de décalquer la taxinomie scientifique. Il faut bien sûr chercher à identifier soigneusement les plantes qui portent un nom populaire, mais dans le même temps se garder d'assimiler hâtivement ces noms à des noms de taxons.

Dans le cas des arbres fruitiers, de nombreuses langues distinguent le nom de l'arbre (assimilable au nom du taxon) et le nom du fruit. Il convient de bien le signaler.

exemples :

  • français : cerisier m. / cerise f.
  • allemand : Kirshbaum m. / Kirsche f.
  • espagnol : cerezo m. / cereza f.
  • italien : ciliegio m. / ciliegia f.

L'usage de l'anglais est différent, puisque cherry est le nom du fruit, mais aussi celui du taxon. Quand on veut préciser que l'on parle de l'arbre, on dit cherry tree (ou bush, vine selon le cas)

En créole (francisé) de la Réunion, on a :

  • Psidium guajava L. : pied de goyave (arbre) / goyave (fruit)
  • Psidium littorale Raddi : pied de goyavier (arbre) / goyavier (fruit)

Dans les langues à classes nominales comme les langues bantoues (voir Noms des plantes en swahili), les noms de l'arbre et du fruit relèvent de classes différentes.

Dans certains cas, une forme de nom désigne la plante et une autre le produit.

exemples :

  • allemand d'Autriche : Sprossenkohl (la plante chou de Bruxelles, litt. "chou à pousses" / Kohlsprossen (le produit, "pousses de chou")
  • italien : broccolo m. sg., cavolo broccolo m. sg. (la plante brocoli) / broccoli m. pl., broccoletti m. pl. (le produit, à savoir les jets coupés)
  • français : pois m. sg. (la plante) / petits pois m. pl. le produit immature d'un groupe de cultivars particulier).

Dans ce dernier cas, on constate une tendance de nombreux Français à appeler l'espèce "petit pois".