Ciguë (Cazin 1868)

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Cazin, Traité des plantes médicinales, 1868
Ciste hélianthème
PLANCHE XIV : 1. Chausse-trappe. 2. Chélidoine. 3. Chicorée sauvage. 4. Ciguë (grande). 5. Ciguë (petite).


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Ciguë tachetée

Nom accepté : Conium maculatum


CIGUË. Conium maculatum. L.

Cicuta major. Bauh., T. — Cicuta major vulgaris. Clus.

Grande ciguë, — ciguë commune, — ciguë tachetée, — ciguë officinale.

OMBELLIFÈRES. — SMYRNIÉES. Fam. nat. — PENTANDRIE DIGYNIE. L.


La grande ciguë (Pl. XIV) se rencontre dans les lieux frais, dans les terrains gras et incultes, le long des masures et des haies, dans les décombres, autour des villages et des habitations.

Description. — Racine bisannuelle, persistante, blanche, pivotante, épaisse, de la grosseur du petit doigt, longue de 20 à 25 centimètres, presque pas ramifiée. - Tige droite, fistuleuse, épaisse, glabre, légèrement striée, de la hauteur de 1 à 2 mètres, d'un vert clair, parsemée, surtout à la partie inférieure, de taches d'un pourpre violacé ou d'un brun noirâtre. — Feuilles alternes, grandes, un peu molles, deux ou trois fois ailées ; les folioles petites, pinnatifides, aiguës, d'un vert sombre, un peu luisantes, assez semblables à celles du persil sauvage. — Fleurs blanches, petites, en ombelles terminales, nombreuses, de dix à douze rayons, munies d'un involucre à quatre ou cinq folioles rabattues ; [les ombellules sont munies d'involucelles formées de deux ou trois petites folioles, aiguës, soudées à la base] (juin-août). —- Calice très-court, à cinq dents. - Corolle à cinq pétales inégaux, en coeur, réfléchis en dessus. — Cinq étamines saillantes. — Ovaire simple, surmonté de deux styles courts, persistants. — Fruit court, ovale, presque globuleux, comprimé par les côtés, composé de deux akènes convexes extérieurement, relevés de cinq côles légèrement crénelées, tuberculeuses, et offrant sur leur face commissurale un sillon longitudinal. Au moment de la maturité, ces fruits se détachent l'un de l'autre de bas en haut, et restent suspendus par le sommet, à l'extrémité d'une anse filiforme nommée carpophore.

Parties usitées. — Feuilles, fruits.

[Culture. — La ciguë officinale est tellement abondante à l'état sauvage, qu'il est inutile de la cultiver, aussi ne la trouve-t-on que dans les jardins botaniques ; elle préfère les terres fraîches et substantielles ; on sème les graines au commencement du printemps et on repique les jeunes plantes en mai à 1 mètre de distance.

Récolte. — La ciguë se récolte ordinairement en mai et juin, avant que la floraison soit passée. On ne doit récolter les fruits ou akènes que lorsqu'ils sont en pleine maturité. Il faut les renouveler chaque année, ou au moins tous les deux ans, et les conserver, lorsqu'ils sont bien secs, dans des vases parfaitement bien fermés, On emploie autant que possible la ciguë verte. Pour la bien conserver, il faut la faire sécher à l'étuve et à l'abri du contact de la lumière. La dessiccation lui enlève beaucoup de son poids ; elle devient cassante, mais elle conserve son odeur.

La ciguë perd de son activité à mesure qu'on s'éloigne des contrées méridionales ; elle est inerte dans les régions les plus reculées du nord.

On prend souvent la grande ciguë pour de l'asperge sauvage, du fenouil, du persil, du cerfeuil, et plus particulièrement pour du panais. Les caractères botaniques de ces plantes les distinguent de la ciguë : l'ignorance seule peut se tromper, soit dans la récolte, soit dans le choix après la dessiccation.

Les fruits de ciguë se sont quelquefois trouvés mélangés à ceux d'anis ; on les distingue par leur compression, et en ce qu'ils sont légèrement arqués et moins verts que ceux d'anis.

[Voici quels sont les caractères distinctifs de quelques plantes que l'on peut confondre avec la ciguë officinale :


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Noms Ciguë officinale,
Conium maculatum. L.
Ciguë vireuse, ciguë d'eau.
Cicuta virosa. L.
Phellandrie, Ciguë aquatique.
Phellandrum aquaticum. L.
Petite ciguë.
Æthusa cynapium. L.
Odeur Fétide De persil Aromatique Nauséeuse
Racine Suc blanc Suc jaune Suc incolore Suc incolore
Tige Maculée de pourpre Sans taches Sans taches Violette à la base
Involucre Un involucre Pas d'involucre Pas d'involucre Pas d'involucre, un involucelle unilatéral
Fruits Globuleux, striés, crénelés Ovoïdes, stries lisses Allongés sans stries Globules, stries lisses
Durée Bisannuelle Vivace Vivace Annuelle
Habitation Lieux stériles Bord des eaux Dans l'eau Les lieux cultivés


Propriétés chimiques. — Toute la plante répand, surtout quand on la froisse, une odeur fétide, musquée ou de cuivre, qu'on a comparée à celle de l'urine de chat. D'après Brandes, la grande ciguë contient une substance particulière alcaloïde qu'il nomma Cicutine, une huile très-odorante, de l'albumine, de la résine, une matière colorante et des sels. L'éther et l'alcool s'emparent de ses principes actifs.

En 1832, Geiger isola le principe alcalin de cette plante, et lui donna le nom de Conéine. Depuis, cette substance, étudiée par Henry, Ottigosa, Boutron et Christison, a reçu les noms de Conine, Coniine et enfin de Conicine. Suivant Liébig, la conicine est composée de : carbone; 66.91 ; hydrogène, 12 ; oxygène, 8.28 ; azote, 12.80. [Elle est représentée par C16 H16 Az.] Elle est liquide, huileuse, jaunâtre, [plus légère que l'air, sa densité est de 0.89, elle bout à 170 degrés], sa saveur est âcre, son odeur forte, rappelant celle de la ciguë et du tabac ; peu soluble dans l'eau, très-soluble dans l'alcool et l'éther ; neutralise les acides, et forme des sels cristallisables qui s'altèrent facilement. Au contact de l'air, la conicine donne naissance à de l'ammoniaque et à un matière résineuse, suivant Geiger. Ce principe est éminemment volatil et décomposable. [Sous l'influence de l'acide chlorhydrique, elle prend une teinte pourpre, qui passe bientôt au bleu.] Geiger, Chrislison et Liébig ont constaté que les feuilles sèches de ciguë, et quelques extraits de cette plante, ne contenaient pas de conicine. Ces préparations, en effet, soumises à l'action de la chaleur, perdent leur conicine, qui se transforme en ammoniaque et en matière résineuse. Cette décomposition se produit aussitôt que l'extrait est arrivé à la consistance de sirop bien cuit. Les extraits bien préparés, même ceux qui sont évaporés dans le vide, perdent aussi, au bout de quelque temps, toute leur conicine, et par conséquent leurs propriétés actives. Stoerck, qui, le premier parmi les médecins modernes, a appelé l'attention sur les vertus thérapeutiques de la ciguë, préparait lui-même les extraits de cette plante à l'aide d'une douce chaleur et les administrait à l'état récent ; ce qui explique les avantages qu'il en retirait et que nous n'avons pu obtenir avec nos préparations inertes ou peu actives.

Bien que toutes les parties de la ciguë aient fourni de la conicine, c'est cependant dans les fruits qu'on l'a trouvée en plus grande quantité. (Von Planta et A. Kekulé ont fait observer que la cicutine du commerce était un mélange de deux alcaloïdes homologues, la cicutine et la méthylcicutine. — T. Wertheim a en outre obtenu par la distillation des fleurs fraîches, un principe cristallisable, soluble dans l'eau, l'éther et l'alcoo], qu'il a dénommé la conhydrine)[1].

Substances incompatibles. — Le chlore, l'iode et les iodures, le tannin.


PRÉPARATIONS PHARMACEUTIQUES ET DOSES.


A L'INTÉRIEUR. — Infusion (feuilles), (ciguë, 8 gr. ; eau, 250 gr.) ; on y joint avec avantage 8 gr. de fruits de coriandre (30 à 30 gr. deux ou trois fois par jour.)
Extrait aqueux, 5 centigr. à 1 gr. et plus, progressivement (infidèle).
Extrait de suc non dépuré, même dose.
Extrait de suc dépuré, même dose.
Extrait alcoolique, même dose.
Teinture alcoolique, 50 centigr. à 1 g. 50 centigr. et plus, progressivement, en potion.
Alccolature, même dose.
Teinture éthérée (inusitée), même dose.
Poudre (feuilles), 5 à 10 centigr. et plus, progressivement jusqu'à 4 gr., en potion, pilules, etc.

Parmi ces préparations, les deux meilleures sont l'extrait de suc non dépuré, auquel Stoerck ajoutait la poudre, et l'alcoolature. Les alcoolatures sont préférables aux teintures, parce que les premières se préparent avec la plante fraîche et les secondes avec la plante sèche.
A L'EXTÉRIEUR. — Décoction, 30 à 60 gr. par kilogramme d'eau, pour lotions, fomentations, et même pour bains dans les affections cancéreuses, etc.
Feuilles contuses, 10 à 15 gr. par kilogramme de cataplasme, ou appliquées seules. On les mélange aussi avec la pulpe de carotte, pour le cancer ulcéré des mamelles, et quelquefois, dans le même cas, avec la poudre de charbon.

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  1. Chem. Gaz., 1857, p. 106


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Pommade (1 partie de suc sur 4 d'axonge), pour frictions, onctions, emplâtres, etc.
Huile (ciguë fraîche, 500 ; huile d'olives, 1000), sur un feu doux jusqu'à évaporation de l'eau, en embrocations.
Emplâtre de ciguë (Codex), comme fondant sur les tumeurs de différente nature ; sur la poitrine dans la bronchite chronique, etc.
Cigarettes de ciguë.

CONICINE. — Formule de Fronmueller : conicine, 3 ou 4 gouttes ; alcool rectifié, 1 gr. ; eau distillée, 20 gr. ; macérez et faites dissoudre. — 15 à 20 gouttes dans une tasse d'eau édulcorée, trois fois par jour.

Préparations de ciguë de Devay et Guillermond.

Comme la conicine réside presque tout entière dans les fruits de la ciguë, et que le reste de la plante en est très-pauvre, Devay et Guillermond[1] en ont conclu que ces fruits doivent désormais remplacer toutes les préparations jusqu'ici employées en médecine. Voici les préparations qu'ils proposent :
A L'INTÉRIEUR. — Pilules cicutées n° 1. — Prenez 1 gr. de fruits de ciguë récemment pulvérisés ; faites avec quantité suffisante de sucre et de sirop une masse que vous diviserez en 100 pilules, et que vous recouvrirez de sucre à la manière des dragées, du poids de 10 centigr. ; 2 pilules le premier jour, et l'on va jusqu'à 10, 15, 20, en augmentant d'une chaque jour. Alors il convient d'employer les suivantes :
Pilules cicutées n° 2. — Prenez 5 gr. de fruits de ciguë récemment pulvérisés ; incorporez-les avec suffisante quantité de gomme et de sucre, pour faire une masse qu'on divisera en 100 pilules, et qu'on recouvrira d'une enveloppe de sucre. Chaque pilule pèsera 25 centigr., et contiendra 5 centigr. de poudre de fruits de ciguë.
Sirop de conicine. — Epuisez 10 gr. de fruits de ciguë par 6 d'alcool à 28 degrés, soit 60 gr., pour former une teinture que vous ajouterez à 3,000 gr. de sirop aromatisé ad libitum. — 30 gr. de ce sirop représentent 10 centigr. de fruits de ciguë ou 1 milligr. de conicine.
Voici la quantité proportionnelle de conicine que renferment les médicaments internes dont nous venons de transcrire la formule : 1 gr. de poudre de fruits donne 1 centigr. de conicine ; 10 centigr. donnent 1 milligr.;

5 centigr. (poids des pilules n" 2) donnent 1/2 milligramme.
A L'EXTÉRIEUR. — Baume de conicine. — Après avoir épuisé les fruits de ciguë par l'alcool et avoir séparé, autant que possible, la conicine au moyen de l'éther et de la potasse caustique, on prend : éther cicuté provenant, par exemple, de l'épuisement de 100 gr. de fruits ; axonge récente bien lavée, 200 gr. On commence par faire évaporer l'éther cicuté à l'air libre, c'est-à-dire en le versant peu à peu dans une assiette et aussitôt que la plus grande partie de celui-ci aura été éliminée, et que la conicine commencera à paraître sur l'assiette sous forme de petites gouttelettes jaunes, se séparant du reste du véhicule, on y incorpore l'axonge peu à peu, en remuant continuellement pour faire évaporer le reste de l'éther. On obtient ainsi une pommade ou baume semi-fluide, qui constitue un médicament très-actif et d'un emploi très-commode.
Liqueur de conicine pour injections. - On prend : alcool de ciguë, 100 gr.; eau de chaux, 900 gr. Filtrez au bout de quelques instants.
Dans cette préparation, on doit préférer l'eau de chaux à l'eau ordinaire, parce que la conicine, étant dégagée par la chaux de sa combinaison saline, reste à l'état libre en dissolution dans l'eau.

Mode d'administration très-simple de la graine de ciguë.

Sauvan a proposé, pour remplacer les pilules-dragées ou granules de Devay et Guillermond, de faire prendre aux malades le fruit de ciguë tel qu'on le récolte, ou de le transformer en dragées, en le recouvrant d'une légère couche de sucre, pour faciliter la déglutition. On commence par quatre chaque jour, et l'on augmente progressivement d'un fruit jusqu'à vingt-cinq, trente ou trente-cinq. Ce mode d'administration est aussi simple que rationnel ; il doit Être préféré aux granules. Le fruit nu doit être préféré au fruit enrobé, parce que, suivant la remarque de Deschamp, d'Avallon[2], il est prudent de ne pas s'exposer à détruire, à déchirer les enveloppes naturelles de la graine, lorsqu'on ne veut pas l'employer promptement, puisqu'elles empêchent l'oxygène de l'air d'agir sur les principes organiques qui ont été déposés dans le fruit pendant la vie du végétal.


Nous devons faire remarquer qu'il est de la plus grande importance de ne pas confondre les préparations désignées par Devay et Guillermond sous le nom de conicine, et qui ne sont, en résumé, que des préparations faites avec les fruits de ciguë, avec la conicine ou cicutine proprement dite, qui est un principe immédiat extrêmement vénéneux.

La ciguë, à laquelle la mort de Socrate a donné une célébrité historique, est un poison narcotico-âcre d'autant plus actif, que la plante a crû dans un climat plus chaud.

Cette plante produit des effets divers chez les animaux. Les chèvres et les

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  1. Recherches nouvelles sur le principe actif de la ciguë (conicine). Lyon, 1852.
  2. Bulletin général de thérapeutique, t. XLIV, p. 313.


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moutons peuvent, dit-on, la manger impunément. Les étourneaux se nourrissent de ses semences. Le lapin est empoisonné immédiatement par quelques centigrammes d'extrait de ciguë bien préparé. Les boeufs, les loups, les chiens et la plupart des carnivores éprouvent tous les symptômes d'un empoisonnement grave et succombent à son action si la dose absorbée est suffisante pour donner la mort : 30 à 60 gr. suffisent pour amener ce résultat, si toutefois ils ne vomissent pas le poison ; s'ils le vomissent, la mort peut ne pas avoir lieu. Matthiole rapporte que des ânes ayant brouté de cette plante, tombèrent dans un tel état léthargique qu'on les crut morts, et qu'ils n'en sortirent que lorsqu'on voulut les écorcher. Le cheval est incommodé par la ciguë, mais pas dangereusement. Julia-Fontenelle[1] rapporte qu'un cheval atteint du farcin en fut guéri en quinze jours environ, après avoir mangé avec avidité de la ciguë. Moiroud en a fait manger 1,730 gr. à un cheval de trait sans qu'il en parût sensiblement incommodé.

La grande ciguë en poudre est peu énergique. Chez un chien qui en avait pris 30 gr., la mort n'est venue qu'au bout de trois jours ; 500 gr. de suc exprimé de racine fraîche, mêlée à 30 gr. de racine en substance, n'ont pas amené la mort : cette partie de la plante est donc aussi bien peu délétère. Cependant Vicat rapporte le cas d'un vigneron italien qui alla se coucher, après avoir mangé à son souper et avec sa femme une racine de grande ciguë : tous deux se réveillèrent au milieu de la nuit entièrement fous, se mirent à courir par toute la maison, dans des accès de fureur, se heurtèrent contre les murs, de manière à en être tout meurtris et ensanglantés. Ils se rétablirent sous l'influence d'un traitement convenable. Le suc des feuillesest beaucoup plus actif[2].

La conicine pure tue un petit cochon d'Inde à la dose de 1 goutte ; 50 centigr. d'extrait de semences font rapidement périr un lapin, et la conicine impure tue un chien à dose moitié moindre. « Chez tous les animaux empoisonnés, on a observé comme symptôme initial la paralysie du train postérieur, à laquelle succède l'émission involontaire des urines. L'animal semble, avec ses pattes de devant, traîner comme un poids incommode la partie postérieure qui est presque inerte ; puis, peu de temps après, surviennent les convulsions. Celles-ci ressemblent beaucoup à celles occasionnées par les poisons tétaniques ; il existe de l'opisthotonos et une raideur extrême des membres convulsés. On peut dire seulement que les mouvements cloniques ou de relâchement l'emportent sur les mouvements toniques. Les inspirations deviennent plus fréquentes et gênées ; les animaux ouvrent la gueule et semblent vouloir avaler l'air qui manque à leurs poumons ; enfin, ils périssent asphyxiés. Chez tous, on trouve des lésions anatomiques identiques : les poumons sont complètement dégorgés de sang et blanchâtres ; le cœur est distendu par de volumineux caillots ; le foie et le réseau veineux intestinal sont gorgés de sang. » (Devay et Guillermond.)

Christison s'est assuré, par des expériences sur des animaux, que la ciguë rend le sang déliquescent ; de là des hémorrhagies par le nez et sous la peau chez les sujets empoisonnés mortellement par cette plante.

Chez l'homme, l'empoisonnement par la grande ciguë présente les symptômes suivants : sécheresse à la gorge, soif ardente, vives douleurs à l'épigastre, éructations, vomissements, anxiétés précordiales, douleurs de tête, obscurcissement de la vue, vertiges, incertitude de la marche, entrecoupement de la respiration, défaillance, assoupissement, sorte d'ivresse ou exaltation nerveuse avec délire, tremblement dans les membres, convulsions, mais jamais de véritables attaques d'épiiepsie ; quelquefois petitesse et extrême ralentissement du pouls, stupeur, refroidissement général, prostra-

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  1. Compte rendu des travaux de l'Ecole vétérinaire de Lyon.
  2. Devergie, Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, t. V, p. 284.


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tion, perte des sens, paralysie, syncopes, teinte bleuâtre de la face, mort.

Agasson cite un cas dans lequel toutes les parties supérieures du corps étaient en convulsion, tandis que les membres inférieurs étaient, au contraire, paralysés. Des maladies du système nerveux, telles que la folie, la paralysie, et notamment la paraplégie, ont été quelquefois observées après cet empoisonnement, et sont restées, dans quelques cas, incurables.

Les symptômes varient, du reste, suivant le tempérament et les dispositions particulières du sujet.

Comme dans l'empoisonnement par l'opium, le vomissement doit être provoqué le plus promptement possible pour prévenir les suites. On a employé avec avantage, comme contre-poisons, une solution de tannin, une décoction de noix de galle, une solution d'iodure de potassium ioduré. Le café fort, les drastiques, etc., ont été aussi proposés. Le traitement antiphlogistique, comme la saignée, les sangsues, l'eau de gomme, les acides, etc., constitue le traitement indiqué par Orfila, par Devergie et la plupart des médecins français. Les anciens employaient le vin. A leur exemple, Giacomini et l'école italienne, considérant cet empoisonnement comme éminemment hyposthénisant, prescrivent les stimulants, l'opium, l'éther, etc., et se comportent absolument comme dans l'empoisonnement par la belladone. (Voyez l'art. BelladoneBELLADONE.)

(On a cru observer que l'addition de l'opium à la ciguë fait perdre à celle-ci toutes ses propriétés. Macartan se demande si on ne pourrait pas l'employer dans l'empoisonnement par cette ombellifère ? Comme nous venons de le voir, Giacomini donnait déjà ce conseil, d'une façon plus générale toutefois.)

A petites doses, les effets physiologiques de la ciguë chez l'homme varient et sont moins caractérisés que ceux de l'opium, de la belladone, de la jusquiame, ou du datura stramonium. Elle ne cause d'abord que quelques vertiges, de la céphalalgie, de l'obscurcissement dans la vue, des nausées, de l'anxiété. Les sécrétions cutanées ou urinaires augmentent, mais rarement en même temps. A doses un peu plus élevées, ces symptômes deviennent plus intenses : il survient de l'agitation, des tintements d'oreilles, des éblouissements, un agacement de tout le système nerveux, ou un affaissement très-prononcé tenant évidemment à l'action sédative spéciale de la plante sur la moelle épinière. Elle procure le sommeil en calmant l'irritation qui cause l'insomnie. Comme tous les stupéfiants, la ciguë affaiblit les fonctions digestives, diminue l'appétit et cause quelquefois des coliques et la diarrhée.

L'usage thérapeutique de la ciguë remonte à une haute antiquité. Hippocrate l'employait dans certaines affections de l'utérus. Pline la vante contre les ulcères cacoèthes et les tumeurs. Arétée regardait l'emploi extérieur de cette plante comme propre à éteindre les désirs amoureux ; et cette opinion s'était si généralement répandue, qu'un Père de l'Eglise, saint Jérôme, rapporte, dans une de ses épîtres, que les prêtres égyptiens se réduisaient à l'impuissance en buvant tous les jours un peu de ciguë, ou une préparation dans laquelle l'action vénéneuse de cette plante était mitigée. Avicenne la recommande, en topique, pour résoudre les tumeurs des testicules et des mamelles, et pour prévenir l'engorgement laiteux. Plus tard, Ambroise Paré, Ettmuller, Lémery, etc., l'employèrent de la même manière contre les tumeurs squirreuses et les obstructions des viscères. Réneaulme osa, le premier, l'administrer à l'intérieur contre les squirres du foie, de la rate, etc. Depuis, d'autres auteurs l'ont conseillée à diverses époques dans ces maladies, et l'ont considérée comme calmante, résolutive, désobstruante, propre à combattre les chutes du rectum, les douleurs des yeux, la goutte, le rhumatisme, l'érysipèle, divers exanthèmes, etc. Mais il était réservé à


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Stoerck[1], qui a tant fait pour généraliser l'emploi de nos plantes vireuses, de nous faire connaître avec plus de précision les vertus et le mode d'administration de la ciguë. S'il la vanta avec exagération contre le cancer, nous reconnaissons aujourd'hui que ses détracteurs l'ont trop dépréciée : en thérapeutique, nous nous tenons rarement dans les limites d'une rigoureuse observation des faits. Le cancer, a dit l'école anatomique, est incurable de sa nature ; donc, Stoerck n'a pu guérir que des tumeurs ressemblant au cancer, mais qui n'étaient et ne pouvaient être de véritables cancers. Cependant, Quarin, Locher, Palucci, Liber, Collin, et une foule d'autres médecins[2], sont venus confirmer par leur propre expérience les succès obtenus par l'illustre archiâtre de Vienne. D'un autre côté, Andry, dans la thèse qu'il soutint, en 1763, à la Faculté de Paris, dans laquelle il rendit compte des résultats de ses essais sur cette plante, en conclut qu'elle est un remède insuffisant contre le cancer. Dehaen n'a jamais obtenu la guérison d'un cancer ni d'un squirre par le moyen de la ciguë. Gesner, Schmucker, Farr, ne lui ont reconnu aucun avantage. Henry Lange cite des cas d'affections cancéreuses où la ciguë a été nuisible. Alibert dit avoir traité plus de cent cancéreux par ce moyen, et ne lui avoir trouvé que peu d'efficacité. D'autres auteurs, moins exclusifs, observateurs moins prévenus, ou ayant employé de meilleures préparations du médicament, ont accordé à la ciguë un certain degré d'action contre les affections cancéreuses. Forthergill dit qu'il n'a jamais guéri de cancer avec l'extrait de ciguë ; mais que ce moyen a souvent diminué les douleurs, qu'il a arrêté les progrès de l'ulcère et amélioré la suppuration sous le rapport de l'odeur, de la couleur et de la consistance. Cullen avoue que la ciguë calme les douleurs, qu'elle a guéri des ulcères survenus à des tumeurs squirrheuses, quelquefois même des ulcères approchant de la nature du cancer. Suivant Desbois, de Rochefort, quand le cancer est nouveau, et quand il n'est pas trop ulcéré, elle en arrête les progrès et calme les douleurs ; mais quand il a acquis un certain volume, qu'il est ancien, la ciguë réussit moins. Gruelman[3] rapporte deux observations constatant les propriétés sédatives de la ciguë dans l'ulcère carcinomateux.

Les bains de ciguë ont été employés avec succès par Hoffmann dans le cancer des mamelles, et par Hufeland dans le cancer utérin et dans les scrofules, « Bien souvent je me suis contenté du cataplasme de farine de graine de lin seule, dit Hallé, mêlée avec le saindoux, mais couvert de la poudre de ciguë[4].» Trousseau et Pidoux, aujourd'hui moins incrédules que lors de la première publication de leur ouvrage sur le compte de la ciguë, ont employé avec avantage des cataplasmes analogues (trois quarts de poudre de ciguë et un quart de farine de graine de lin, ou bien, comme moins coûteux, un cataplasme de graine de lin avec une couche de bouillie faite avec de la poudre de ciguë et de l'eau de graine de lin très-épaisse). Chez une vieille dame de soixante et onze ans, l'usage de ces cataplasmes arrêta les progrès d'une tumeur au sein, dont Cloquet et Bérard avaient constaté le caractère cancéreux et dont l'ulcération leur semblait imminente. La ciguë ne fut point employée intérieurement. Mais, concurremment, on fit sur la partie des frictions, deux fois le jour, avec la pommade d'iodure dé plomb, et des lotions avec la teinture d'iode ; on donna à l'in-

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  1. Libellus quò demonstratur : cicutam non solum, usu interno, tutissimè exhiberi, sed et simul remedium valdè utile in multis morbis, etc., 1760-1761.
  2. Marteau de Grandvillier (Ancien Journal de médecine, t. XIV, p. 121), Decôtes fils (ibid., t. XVI, p. 35), Porte (ibid., t. XVII, p. 346), Larranture (ibid., t. XX, p. 502), Renard (ibid., t. XXIII, p. 411), Masars de Caselles (ibid., t. XXXIV, p. 255), Lemoine (ibid., t. XXXVII, p. 129), Boissonnat (ibid., t. LXX, p. 449).
  3. De usu cicutæ, thèse inaugurale.
  4. Bayle, Bibliothèque de thérapeutique, t. III.


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térieur l'acide arsénieux à la dose de 25 décimilligr. (un vingtième de grain) jusqu'à 1 centigr. (un cinquième de grain). « Quoique dans un traitement aussi complexe, disent Trousseau et Pidoux, il semble difficile de savoir au juste quelle est la substance qui a le plus utilement agi, nous dirons qu'en variant le traitement accessoire, qui a aussi de l'importance, et en nous contentant de l'emploi extérieur de la ciguë, nous obtenions des effets évidemment utiles. »

La ciguë fraîche pilée et mêlée avec autant de pulpe de carotte, m'a été utile dans le cancer ulcéré des mamelles. J'ajoute quelquefois à ce topique une certaine quantité de charbon en poudre. J'obtiens ainsi un effet à la fois calmant, résolutif et antiseptique.

Il avait été constaté que les expérimentations faites à Vienne réussissaient mieux que celles faites partout ailleurs. On crut dès lors que l'extrait de ciguë préparé par Stoerck lui-même devait réussir en France comme en Allemagne. Antoine Petit s'en procura et n'en retira cependant aucun avantage. Les praticiens disposés en faveur du médicament en tirèrent la conséquence que, sans doute, cet extrait ne se conservait pas. Mais la plupart furent d'avis que Stoerck, dans son enthousiasme, avait pris de simples engorgements glandulaires ou lymphatiques pour des tumeurs squirrheuses ou cancéreuses. « On ne peut point ignorer, dit Pinel, les heureux effets que Stoerck a retirés de l'usage interne de la ciguë, et en supposant même un peu de partialité de sa part en faveur de ce remède, les faits ont été si multipliés, qu'on ne peut qu'être porté à renouveler des essais de ce genre. »

La découverte du principe actif de la ciguë, la conicine, est heureusement venue expliquer ces opinions si diamétralement opposées chez des médecins dont le mérite scientifique et la bonne foi ne pouvaient être contestés. On sait maintenant que ce principe très-volatil se dissipait par l'ébullition et se conservait dans l'extrait préparé avec tant de précautions par Stoerck. On sait aussi pourquoi cet extrait ne réussissait plus ailleurs : il avait perdu dans le voyage ou par la vétusté son principe actif. Aujourd'hui, les préparations de Devay et Guillermond peuvent, avec beaucoup plus d'efficacité, remplacer tous les modes d'administration de la ciguë. On lit dans l'ouvrage de ces auteurs que la plupart des tumeurs où ces préparations ont triomphé présentaient des caractères assignés au cancer.

Le traitement des affections cancéreuses de la matrice est plus compliqué que celui des tumeurs. « S'il y a des douleurs excessives, si la sensibilité est trop exagérée, dit Devay, ont fait pratiquer matin et soir des injections selon la formule indiquée (voyez Préparations et Doses) : il est rare de n'en pas obtenir d'amendement. En même temps, la malade prend des pilules n° 2, une le matin et une le soir, en augmentant d'une tous les deux jours, jusqu'à 10 ou 12. Le baume de conicine joue un rôle très-important et est appliqué de deux manières : 1° en frictions à la région ovarique et au pli de l'aine ; 2° localement, en introduisant, au moyen du spéculum, des bourdonnets de charpie enduits de la pommade. Il est bon de les laisser à demeure en retirant doucement le spéculum, tandis qu'avec une tige on refoule les plumasseaux. S'il existe une ulcération trop large, on se borne seulement à l'enduire légèrement avec le baume. Dans tous les cas, ce mode de pansement ne peut être employé que rarement, deux ou trois fois par semaine au plus ; une absorption trop considérable de la substance, soit par les surfaces ulcérées, soit par le vagin, serait à craindre. Dans l'intervalle, on se trouvera bien de pratiquer des cautérisations, soit avec le chlorure d'or, soit avec l'acide malique.

Les effets physiologiques que Devay a observés chez les malades soumis à ces nouvelles préparations sont de trois sortes : 1° céphalalgie, lourdeurs de tête ; 2° coliques ; 3° tremblement léger de tout le corps et surtout des


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membres supérieurs. Ce dernier phénomène n'a été observé que deux fois chez les malades qui étaient arrivés à prendre 6 ou 8 pilules du n° 2 ; il dénote le premier indice de l'intoxication, et il est prudent alors d'abaisser la dose de plusieurs pilules, sauf à remonter ensuite. La céphalalgie et les coliques sont des symptômes plus fréquemment observés, surtout dès les premières doses du médicament, lorsqu'on est arrivé à la dose de 8 à 10 pilules du n° 1. La céphalalgie est gravative ; les coliques sont souvent accompagnées de diarrhée et d'envies d'uriner. Ces symptômes n'ont jamais paru à Devay assez graves pour enrayer le traitement : les malades finissent par s'y accoutumer : arrivés à la dose de 15 à 20 pilules du n° 1, ou 4 du n° 2, ils n'éprouvent plus aucun de ces symptômes.

Suivant Devay, le traitement ne nécessite aucun régime particulier : des aliments substantiels et analeptiques conviennent. Les bains généraux peuvent être employés avec avantage ; indépendamment de leur effet habituel sur les fonctions de la peau, ils ont une action locale sur la production pathologique, et favorisent la désagrégation de ses éléments. Tunfried[1] accompagne le traitement du cancer d'un régime ombelliféré. Les repas se composent exclusivement de panais, de carottes, de cerfeuil, de céleri et de persil. L'angélique, l'anis, le fenouil, le cumin, le carvi, servent à assaisonner les sauces. Le cancer, au rapport du médecin que nous venons de citer, est inconnu dans toute la race mongole, où l'on fait un très-grand usage des ombellifères qui produisent le sagapenum, l'opoponax, le galbanum, la myrrhe, et surtout l'assa-foetida.

Stoerck, et la plupart des auteurs que nous avons cités, ont obtenu des avantages incontestables de l'usage de la ciguë dans diverses espèces d'engorgements, tels que les tumeurs lymphatiques, glandulaires, hypertrophiques, dans celles qui, sans offrir les véritables caractères du cancer, font craindre une dégénérescence cancéreuse. Récamier a retiré de grands avantages de cette plante dans le traitement des tumeurs chroniques de l'utérus ; mais il dit que son action a été entièrement nulle sur le squirrhe et le cancer de cet organe. Hanin a vu produire en peu de jours, par l'application externe de la pulpe fraîche de ciguë, la résolution d'une tumeur lymphatique placée au genou. Ce médecin a fait résoudre par le même moyen des engorgements douloureux au sein, aux testicules, aux glandes inguinales et cervicales. J'ai fréquemment employé la ciguë fraîche en cataplasme sur les engorgements des mamelles, sur les tumeurs scrofuleuses, l'engorgement chronique des testicules, le gonflement articulaire rhumatismal chronique, l'hygroma, l'hydarthrose, divers engorgements lymphatiques, etc. Je me sers de l'emplâtre de ciguë, et mieux encore de la plante fraîche pilée, que l'on peut toujours se procurer facilement à la campagne. J'en ai souvent obtenu des effets résolutifs évidents. J'employais quelquefois, en même temps, à 1'intérieur, l'extrait de suc de ciguë seul ou mêlé au calomel. Ce traitement m'a réussi dans les engorgements blancs de l'utérus, en y joignant toutefois les grands bains de ciguë fraîche, pendant lesquels les malades faisaient des injections avec la même infusion dans le vagin. Chez une femme âgée de trente-deux ans, d'un tempérament lymphatique, les bains de ciguë ont suffi seuls pour opérer la résolution d'un engorgement chronique, datant de plusieurs années, indolore par lui-même, mais douloureux par son poids, uniforme, sans induration, de la forme et du volume d'un œuf de poule un peu aplati, occupant la partie inférieure et latérale gauche de l'utérus. Ces bains ont été continués pendant tout l'été de 1847. On faisait infuser toute la plante, fleurs et graines, à la dose de dix à douze poignées pour chaque bain, dans lequel la malade restait une heure chaque jour. La guérison, que mon honorable confrère M. le docteur Gros a pu constater, comme il avait

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  1. Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, t. III, p. 652.


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constaté la lésion avant le traitement, ne s'est point démentie : depuis huit ans qu'elle a eu lieu, la malade a continué de jouir d'une bonne santé. Il est à remarquer qu'un état chloro-anémique, qui accompagnait l'affection locale, s'est dissipé en même temps que cette dernière, après avoir résisté à l'emploi des ferrugineux.

C'est surtout par l'emploi des semences de cette plante que l'on a obtenu récemment de véritables succès.

Les faits rapportés par Stoerck, par Marteau de Granvilliers, par Muteau de Roquemont, par Dupuis de la Porcherie, par Lemoine, par Collin, par Locher, par Van Rotterdam, par Hufeland, etc., attestent que l'usage interne de la ciguë dissipe les tumeurs scrofuleuses, et que s'il ne les guérit pas toujours, il améliore l'état général. Baudeloque a employé ce médicament avec succès à l'hôpital contre les scrofules chez les enfants. Il commençait par la dose de 10 centigr. d'extrait alcoolique, matin et soir, et augmentait chaque semaine de 20 centigr. Lorsqu'il survenait quelques vertiges, ou des éblouissements, il suspendait et purgeait les malades. Au bout de quinze jours, on en recommençait l'usage à la dose de 50 centigr. à l gr., suivant la quantité que l'on donnait au moment de la cessation. Sur sept filles traitées par la ciguë, cinq en ont pris graduellement jusqu'à 3 gr. et demi par jour. — Vincent Duval prescrit la ciguë contre les engorgements et les sous-phlogoses de l'appareil lymphatico-glandulaire qui ont de la tendance à passer à l'état d'induration. — Bayle[1] dit que sur quarante-trois cas de scrofules traités par la ciguë, il y a eu trente-quatre guérisons, quatre améliorations et cinq insuccès. Ces cas offraient, comme caractères non douteux, des tumeurs indolentes, des ganglions dans diverses régions, des gonflements et même des caries des os, des ulcères fistuleux de formes diverses, etc. On a attribué la résolution des engorgements glanduleux, des tumeurs lymphatiques, etc., à l'augmentation des sécrétions urinaire et cutanée, et à un certain degré de réaction fébrile, causée à la longue par l'action de la ciguë. (Sans chercher à se rendre compte du mode d'action du médicament, Bazin emploie la ciguë de deux manières. S'il désire obtenir un effet résolutif, c'est-à-dire la fonte des engorgements ganglionnaires, il a recours à de petites doses (alcoolature de 50 centigr. à 4 gr. par jour ; poudre de semences, de 10 centigr. à SO centigr.) ; par ce moyen, il a pu voir disparaître des écrouelles, non-seulement inflammatoires ou hypertrophiques, mais encore des ganglions farcis de tubercules. Dans le cas où Bazin cherche à obtenir l'inflammation suppuratoire, il arrive au but par de hautes doses. Débutant par 1 gr. d'alcoolature par jour, il fait augmenter de 1 gr. jusqu'à 12 à 15 gr. ; à peine a-t-il observé quelques troubles du côté de la vue. Outre que l'administration de ce médicament est facile, Bazin le préfère à l'huile de foie de morue, à l'iode, à l'iodure de fer, etc.) — Seidel[2] dit avoir obtenu de bons effets dans la photophobie scrofuleuse, de l'emploi du mélange de 2 gr. d'extrait de ciguë avec pareille quantité de sucre, dans 15 gr. d'eau distillée, donné à la dose de 8, 10 gouttes selon l'âge, et dans les cas rebelles, jusqu'à 20 et 25 gouttes progressivement.

(Laboulbène a vu, sous l'influence de la ciguë intus et extra, s'amender notablement les symptômes douloureux des engorgements mono-articulaires chez les scrofuleux)[3].

On a traité la phthisie pulmonaire par la ciguë. Quarin cite des cas de guérison, que l'absence d'examen stéthoscopique rend tout au moins problématique. Cependant l'observation rapportée par Baume est très-remarquable. Il y avait toux sèche, oppression, engorgements du cou, irrégularité de la

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  1. Bibliothèque de thérapeutique, 1835.
  2. Revue de thérapeutique medico-chirurgicale, t. III, p. 596.
  3. Bulletin de thérapeutique, 1862, 15 octobre.


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menstruation, amaigrissement, fièvre lente, crachats de mauvaise nature, etc. Baume fit administrer l'extrait de ciguë à la dose de 10 centigr. d'abord, et la porta jusqu'à celle de 8 gr., répétée deux fois par jour ! Au bout de neuf mois, la guérison était obtenue. On n'avait employé avec ce traitement que le laitage et un régime végétal. — Alibert conseille l'inspiration de vapeurs de ciguë dans la phthisie pulmonaire, et vante la plante elle-même administrée à l'intérieur dans la phthisie scrofuleuse et nerveuse. Je me suis très-bien trouvé de ce moyen. Il a presque constamment soulagé les phthisiques et guéri le catarrhe pulmonaire chronique. Je me sers de décoction de ciguë fraîche faite à vase clos. Trousseau fait recouvrir toute la poitrine avec un emplâtre de ciguë, qu'on renouvelle tous les quatre ou cinq jours. « Ce moyen si simple, dit-il, calme la toux et rend l'expectoration plus facile, en même temps qu'il tempère les douleurs de poitrine, si communes chez les phthisiques. » — Parola[1] cite un cas de phthisie pulmonaire avancée, dans lequel la poudre de semences de ciguë, donnée à la dose d'abord de 5 centigr., puis de 15 et 20 centigr., et successivement de 30, de 40, et même de 1 gr. 20 centigr., a apporté un soulagement notable dans les symptômes, et surtout dans la fièvre, la toux et l'expectoration.

Le même auteur rapporte deux faits de maladie du cœur (hypertrophie, altération valvulaire) très-avancée, et un fait d'excitation cardiaco-vasculaire chez une chlorotique, dans lesquels la ciguë s'est montrée efficace.

La ciguë a eu sa part d'éloges contre quelques affections nerveuses. On l'a recommandée dans l'épilepsie. Sauvage cite un cas de guérison assez remarquable. Elle a sans doute, dans cette désolante maladie, des effets sédatifs analogues à ceux que produit la belladone, mais à un moindre degré. — Kluyskens a pu, au moyen de l'extrait de ciguë, dissiper des convulsions et des spasmes habituels, non-seulement de la face, mais de plusieurs parties du corps. Il regarde ce remède comme une sorte de spécifique dans toutes les affections musculaires purement spasmodiques, à moins qu'une périodicité régulière n'atteste, dit-il, la présence d'une fièvre latente, qui ne demande que du quinquina pour se guérir. Forthergill, en Angleterre, Hartenkeil, en Allemagne, considèrent la ciguë comme un remède calmant très-utile dans le traitement des névralgies. Chaussier et Dumeril ont depuis constaté son heureuse influence dans les névralgies faciales. Son extrait réussit assez bien, d'après Guersant, dans les sciatiques opiniâtres, non compliquées d'embarras gastrique[2]. Hufeland prescrit des cataplasmes de ciguë autour du cou dans la dysphagie spasmodique. Neligan[3] a employé la ciguë, non-seulement dans les névralgies, mais encore dans les affections douloureuses en général, particulièrement dans les rhumatismes subaigus ou chroniques, et dans la gangrène sénile. Il en obtenait presque toujours de bons résultats. « Mais peut-être pourrait-on, dit avec raison Martin Lauzer[4], en dire autant et mieux de l'opium et de la belladone, narcotiques mieux appropriés au phénomène douleur. »

Dans les névralgies j'ai administré tantôt la poudre, tantôt le suc de ciguë. Je commençai l'usage du suc à la dose de 10 à 15 gouttes, et j'augmentais graduellement jusqu'à celle de 40 et même 50 gouttes. J'en ai retiré des avantages réels et appréciables dans ce genre d'affection. Cependant je lui préfère, comme le médecin que je viens de citer, la belladone ou l'opium, dont l'efficacité contre les douleurs nerveuses est mieux connue et plus certaine.

Les anciens, ainsi que nous l'avons dit au commencement de cet article,

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  1. Gaz. med. Sarda, Janvier 1853.
  2. Dictionnaire des sciences médicales, t. VIII.
  3. Revue médico-chirurgicale, t. III, p. 398.
  4. Ibid.


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considérant la ciguë comme une plante froide, l'employaient comme anti-aphrodisiaque. On la prescrit encore dans le priapisme, le satyriasis et la nymphomanie, bien que Stoerck ait observé qu'elle produisait l'effet contraire, et que Bergius parle d'un cas d'impuissance guéri par la ciguë. Quoi qu'il en soit, cette plante a été quelquefois utile dans les affections douloureuses des organes génito-urinaires.

Schlesinger[1] obtint les résultats les plus heureux de l'emploi de la ciguë unie au tartre stibié, dans une épidémie de coqueluche qui régna à Varsovie en 1781. Il donnait une mixture composée de 5 centigr. d'émétique, de 10 centigr. d'extrait de ciguë, de 60 gr. d'eau et de 15 gr. de sirop de framboise, à prendre en deux jours. Butter se trouvait bien de l'extrait de ciguë dissous dans l'eau. Armstrong, Hamilton, Odier, prétendent également en avoir obtenu beaucoup de succès contre la même maladie. (J.-P. Franck et Lettsom sont peu favorables à ce mode de traitement à cause de son peu d'efficacité et du danger qui y est attaché.) J'ai donné la poudre de feuilles de ciguë dans la coqueluche, à la dose de 2 à 5 centigr., trois ou quatre fois par jour. J'augmentais ou je diminuais cette dose, suivant l'âge des enfants. Elle m'a réussi quelquefois, mais je lui préfère la poudre de racine de belladone, dont l'effet m'a paru plus constant et plus spécial. Il en est de même dans les toux nerveuses ou spasmodiques des adultes, contre lesquels l'opium, la jusquiame ou la belladone sont bien plus généralemenl et plus efficacement employés. Lorsque ceux-ci ne soulagent point, ou que l'idiosyncrasie les repousse, on peut en venir à la ciguë.

La ciguë a été employée avec avantage dans quelques maladies cutanées. C'est dans les dartres invétérées et la teigne qu'a été dirigé, au XVIe siècle, par Jean Wier, le premier emploi de la ciguë. Stoerck, Collin, Quarin, Hufeland, confirmèrent par de nouvelles expériences ce qui avait été dit de l'efficacité de cette plante contre les dartres. Murray cite un cas de teigne rebelle qui céda à l'emploi de la ciguë sous diverses formes. Lespine, médecin du Prytanée de La Flèche, a publié un cas de guérison analogue, et dit avoir réussi dans plusieurs autres ; seulement, à la fin, il substituait aux cataplasmes de ciguë, un mélange d'oxyde blanc de mercure et de pommade rosat. Alibert a essayé des cataplasmes de ciguë sur huit sujets affectés de teigne, dont quatre étaient atteints de teigne faveuse, et quatre de teigne granulée. Trois de ces derniers ont été parfaitement guéris, les autres ont eu des récidives. Fontonetti[2] a constaté les bons effets des bains de ciguë dans les dermites aiguës et chroniques. Il a guéri, par ce moyen, des impétigo, des lichens, des érysipèles, etc. Fontonetti regarde ces bains comme résolutifs, dessiccatifs, calmants et contro-stimulants par excellence. Bayle dit que onze dartres rebelles traitées par la ciguë ont été toutes guéries sans exception. « Il est étonnant, d'après cela, dit avec raison Martin Lauzer, que l'on ait abandonné l'usage d'un aussi bon médicament. Dans les derniers temps on a beaucoup vanté l'aconit comme antidartreux. Cette substance a, comme la ciguë, la propriété de porter beaucoup à la peau. La similitude d'action physiologique peut faire supposer de la similitude d'action thérapeutique à certains égards. Ce sont des expériences comparatives qu'il conviendrait de faire dans les hôpitaux où l'on traite les maladies de la peau[3]. — Valentin[4] rapporte l'observation d'un cas de catarrhe invétéré de la vessie, paraissant entretenu par un principe dartreux, et qui fut complètement guéri par l'extrait de ciguë. Le fait suivant m'a paru devoir être cité comme analogue au point de vue de la cause présumée du mal et de l'efficacité du

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  1. Bibliothèque médicale, t. XLVIII, p. 378.
  2. Gazette médicale, 1837, p. 426.
  3. Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, t. III, p. 597.
  4. Annales de médecine de Montpellier, 1808.


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médicament. La domestique de M. Bimont, de Saint-Pierre-lès-Calais, âgée de cinquante-quatre ans, tempérament nerveux, constitution grêle, était presque tous les jours prise de vomissements avec douleur à l'épigastre deux ou trois heures après l'ingestion des aliments. Cette affection datait de quinze mois environ, et avait succédé à la disparition d'un eczéma chronique que la malade portait depuis plusieurs années à la partie interne et supérieure de la cuisse droite. La guérison de l'eczéma avait été obtenue au moyen de compresses imbibées d'une solution de pierre divine. L'extrait gommeux d'opium, à doses graduellement augmentées, la vésication à l'épigastre, le régime adoucissant, les bains, etc., n'avaient procuré qu'un soulagement à peine sensible. La malade dépérissait chaque jour, et pourtant la région épigastrique ne présentait au toucher aucun signe d'engorgement. Nous étions au mois de juin 1818 ; la ciguë était dans toute sa vigueur. J'en fis administrer le suc exprimé, d'abord à la dose de 10 gouttes ; j'augmentai de 2 gouttes chaque jour, et j'arrivai ainsi, sans produire d'accidents toxiques, jusqu'à 70 gouttes au bout d'un mois ; des cataplasmes de pulpe de ciguë étaient appliqués à froid tous les soirs sur la région épigastrique. La malade, dont l'état s'était graduellement amélioré à mesure que les doses du médicament s'élevaient, n'avait plus de vomissements, les douleurs étaient dissipées, la digestion s'opérait facilement sous l'influence d'un régime doux, dont le lait et les fécules formaient la base. Le rétablissement était complet après deux mois de traitement. La ciguë fut donnée à dose décroissante pendant les vingt derniers jours. L'eczéma reparut à l'entrée de l'automne, mais avec moins de prurit, d'irritation et d'exsudation.

La ciguë s'est montrée efficace dans le traitement des ulcères. Bayle rapporte que sur vingt-trois malades qui prirent de la ciguë, dix-sept furent guéris, deux furent notablement soulagés, et quatre restèrent sans amendement. La plupart de ces ulcères étaient très-anciens, et avaient résisté à un grand nombre de remèdes ; beaucoup étaient de nature atonique.

La ciguë a été recommandée dans les reliquats de maladies vénériennes, tels qu'ulcères, tumeurs, exostoses. Zeller la considère comme un excellent topique dans les ulcères syphilitiques. Hunter, Quarin, Cullen, Swediaur, l'ont vue réussir, donnée à l'intérieur dans les cas où le mercure avait échoué. Darrieu[1] l'a employée avec succès. Cazenave s'est bien trouvé de la ciguë associée au mercure. Kluyskens pense qu'elle favorise l'effet de ce dernier dans le traitement des ulcères vénériens. Hanin cite le cas d'un montagnard suisse qui était couvert d'ulcères vénériens, et que l'usage extérieur de la ciguë a guéri complètement. La ciguë, dit Samuel Cooper, peut être regardée comme un remède excellent dans les cas d'ulcères scrofuleux avec irritation et douleurs ; elle pourra même compléter la guérison de beaucoup d'ulcères dans lesquels, après que l'on est parvenu à détruire l'action syphilitique à l'aide du mercure, la plaie ne marche pas d'une manière favorable vers la cicatrisation. Cette plante est également utile pour combattre plusieurs ulcères invétérés de mauvais caractère, particulièrement quelques-uns de ceux que l'on rencontre de temps en temps sur la langue. Pearson fait observer, relativement à la ciguë, que l'on en peut réellement prescrire avec un évident succès la poudre et l'extrait dans les cas d'ulcères irritables et rongeants, soit qu'ils tiennent à l'action présente du virus vénérien, soit qu'ils subsistent encore après l'emploi d'un traitement mercuriel régulier. Pearson établit en principe que la ciguë est presque un spécifique contre les ulcères syphilitiques qui attaquent les orteils dans leur point de jonction avec le pied, lesquels se gangrènent quelquefois. — Giovani Pellegrini[2] a employé la grande ciguë avec le plus grand succès dans le traitement de la

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  1. Journa1 de médecine de Corvisart, t. IV, p. 207.
  2. Journal analytique, janvier 1828, p. 157.


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gale. Il fait laver cinq ou six fois les parties couvertes de boutons avec le suc exprimé des feuilles de cette plante. Il a fait quelquefois usage des feuilles pulvérisées, d'autres-fois de l'extrait et de la décoction (le suc doit être préféré) : dans tous les cas il a réussi à guérir promptement la maladie.

On a encore eu recours à la ciguë dans beaucoup d'autres maladies. Dans une épidémie de dysenterie où le ténesme et les douleurs à l'anus étaient insupportables, de Roussel[1] a mis en usage avec succès les vapeurs de ciguë bouillie dans le lait et reçues à l'anus, et les cataplasmes ou les emplâtres de la même plante appliqués sur l'hypogastre. Bientôt les symptômes se calmaient, les déjections diminuaient sensiblement à mesure que les spasmes de l'intestin cédaient à ce traitement. — La ciguë a été employée avec succès à l'hôpital des Enfants contre l'ascite due, soit à la péritonite subaiguë, soit à un engorgement des glandes mésentériques, ou la présence de tumeurs nombreuses quelconques dans la cavité abdominale. Dans l'un comme dans l'autre cas, Trousseau[2] a observé que les ascites se résolvaient souvent par l'emploi longtemps continué des cataplasmes de ciguë sur le ventre. Trousseau recommande cette médication externe dans toutes les péritonites subaiguës de l'enfance ou de l'âge adulte, et lui associe l'usage interne du calomel à doses fractionnées. Georges Haffner[3] employait avec avantage la ciguë dans les hydropisies des articulations. — Le hasard, qui souvent rend de grands services en médecine, a fait récemment découvrir dans la ciguë une propriété ténifuge. Un pâtre, présentant tous les symptômes d'une affection vermineuse, et à qui l'on fit manger des feuilles de ciguë bouillies avec du pain au lieu de feuilles de valériane, qui calmaient habituellement ses douleurs, eut bientôt des convulsions violentes, des coliques déchirantes, des sueurs profuses, des vomissements, des selles nombreuses, en un mot, une sorte d'empoisonnement. Ces accidents se calmèrent au moyen du vinaigre et du café, et, après quelques heures, le malade évacua un tænia armé, long de cent palmes, et, de plus, un certain nombre de fragments. Le malade fut guéri. Mattucci, témoin de ce fait, donna trois grains (15 centigr.) de ciguë par jour, avec autant de valériane, à un enfant de cinq ans, atteint du ver solitaire et chez lequel toute espèce de médication avait échoué. Au bout de quelques jours, le malade éprouva des douleurs intestinales ; on lui administra un peu d'huile de ricin, qui provoqua l'expulsion d'un tænia long de dix palmes, avec plusieurs fragments, parmi lesquels on trouva la tête. Ce nouveau tænifuge, employé avec prudence, mérite toute l'attention des praticiens. Giacomini avait déjà administrée la ciguë avec un avantage remarquable contre l'helmintiase.

(Nous l'avons vu (page 307), la médecine vétérinaire emploie la ciguë ; Gobier, Northwod l'ont préconisée contre le farcin du cheval. Doses, de 16 à 32 gr. de poudre en électuaire ou mieux en bols pour les grands animaux, au début; plus tard on peut aller jusqu'à 64 et 130 gr.

A l'extérieur, les cataplasmes faits avec la plante fraîche, pilée, conviennent beaucoup dans le traitement des phlegmons chroniques des mamelles) (Delafond et Lassaigne.)

(La CICUTINE, dont nous nous sommes déjà occupé en même temps que de la ciguë (307), est douée comme poison d'une effrayante énergie, soit qu'elle soit administrée à l'intérieur, soit qu'elle soit appliquée sur une surface absorbante (muqueuse, derme dénudé) : 1 goutte versée sur la conjonctivite d'un lapin le tue en dix minutes ; 10 centigr. saturés d'acide chlorhydrique,

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  1. Observations sur la dysenterie qui a régné en 4779 dans la ville de Caen et ses environs. Caen, 1780.
  2. Journal des connaissances médico-chirurgicales, mars 1851.
  3. Dissert. de hydr. articul., p. 20.


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injectés dans le tissu cellulaire d'un chien, l'ont fait périr en deux ou trois secondes, après des convulsions et des mouvements de rotation.

Le premier effet est une irritation locale suivie de congestion ; puis, comme phénomènes secondaires, apparaissent la paralysie des muscles respiratoires de la poitrine et de l'abdomen, en dernier lieu du diaphragme, d'où la mort par asphyxie. C'est par épuisement de l'énergie des fonctions de la moelle que la cicutine agit. (Christison.) (C'est en effet un modificateur des centres nerveux. En dernière analyse, ainsi qu'il résulte de travaux récents et spécialement de ceux de Lemattre[1], le principe actif de la ciguë paralyse les terminaisons des nerfs moteurs.)

Cet alcaloïde est peu usité en France. En Allemagne et en Angleterre, il n'en est pas de même. Fronmueller l'a substitué à la ciguë dans tous les cas où cette plante était indiquée. D'après la connaissance de l'action sédative sur les agents de la respiration, on peut déjà penser que les maladies qui frappent les organes qui concourent à cette fonction ont dû être combattues par la conicine. Je citerai la coqueluche (Fronmueller, Sprengler), l'asthme même avec emphysème, l'angine de poitrine (Erlenmeyer), les bronchites chroniques. De là à son emploi dans les affections purement nerveuses il n'y avait pas loin. Œsterlen[2] dit qu'on l'a essayée en Angleterre contre le tétanos et l'hydrophobie, mais sans succès. Les névralgies sont souvent heureusement influencées par l'administration de la conine.

Comme la ciguë, on l'emploie contre les scrofules, et particulièrement contre la forme éréthique de cet état diathésique. Wertheim l'a administrée avec succès dans les fièvres intermittentes.

A l'extérieur, elle remplace avantageusement l'extrait de ciguë en solution étendue (au 100me) ; elle forme un collyre efficace dans les ophthalmies scrofuleuses photophobiques, surtout celles qui s'accompagnent de blépharospasme. Dans le même cas, on prend quelquefois l'huile d'amandes douces pour véhicule, et on pratique des frictions autour de l'oeil malade. Reil a préconisé contre l'odontalgie, l'application dans la dent cariée de quelques gouttes d'une solution alcoolique de conine[3]. On l'a quelquefois injectée sous la peau (tétanos, angine de poitrine, etc.) ; Erlenmeyer fait usage de la solution de 5 centigr. dans 8 gr. d'eau ; 20 centigr. de ce mélange contiennent l/30 de grain. N'y aurait-il pas témérité à suivre cet exemple ?)

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  1. Du mode d'action physioloqique des alcaloïdes. Paris, 1865. Thèse inaugurale.
  2. Manuel de matière médicale, 1845, p. 782.
  3. Répertoire de pharmacie, 1858.


Ciguë des jardins

Nom accepté : Aethusa cynapium


PETITE CIGUË, ÉTHUSE, CIGUË DES JARDINS, FAUX PERSIL, ACHE DES CHIENS. — Æthusa cynapium, L. Cicuta minor, petroselino similis, Bauh., Tourn. — (Pl. XIV.) OMBELLIFÈRES. — SESÉLINÉES. — Cette espèce croît dans les lieux cultivés, le long des murs, dans les jardins, parmi le persil, auquel elle ressemble beaucoup, ce qui a donné lieu à de funestes méprises. Elle accompagne aussi le cerfeuil, dont il est facile de la distinguer.

Description. — Racine petite, fusiforme, allongée, blanche, pivotante. — Tige de 45 à 60 centimètres au plus, droite, rameuse, striée, glabre, cannelée. — Feuilles toutes semblables ; d'un vert foncé en dessus, plus pâles en dessous, tripinnées, à folioles pointues el incisées. — Fleurs blanches, en ombelles planes, très-garnies, dépourvues d'involucres (juillet). — Involucelles de 1-5 folioles linéaires, unilatérales, triphylles, rabattues. — Calice à cinq dents, très-court. — Pétales inégaux, à bords obovés, fléchis en dedans. — Fruit diakène ovoïde, strié ou sillonné.

On distingue cette plante du persil aux caractères suivants : La petite ciguë exhale une odeur nauséeuse (celle du persil est agréable et connue) ; sa racine est petite, sa tige est ordinairement violette ou rougeâtre à la base, et couverte d'un enduit glauque ; ses feuilles sont d'un vert noirâtre, ses involucres partiels et caractéristiques ; ses fleurs blanches et non jaunâtres comme dans le persil. — Le cerfeuil se distingue de l'éthuse


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par son odeur aromatique, agréable, rappelant celle de l'anis, par ses feuilles trois fois ailées, par ses folioles élargies et courtes.

La petite ciguë a les mêmes propriétés que la grande ciguë. Son action toxique a été constatée par Vicat, par Hallé, Orfila, etc., et par les nombreux accidents auxquels elle a donné lieu. Bulliard rapporte plusieurs cas d'empoisonnement causé par cette plante ; il cite entre autres l'exemple d'un jeune garçon qui avait cru manger du persil : tout son corps s'enfla et se couvrit de taches livides, la respiration devint embarrassée, et bientôt après il expira.

Les symptômes les plus ordinaires de cet empoisonnement sont les suivants : chaleur à la gorge, soif, vomissements, déjections, respiration brève et enmême temps suspirieuse, petitesse et fréquence du pouls, douleurs de tête, vertiges, délire, engourdissement dans les membres, parfois la mort (Vicat).

Un fait communiqué à Virey prouve que la petite ciguë, employée à l'ntérieur, peut donner lieu à des accidents analogues à ceux que produit son ingestion[1].

La petite ciguë n'est point employée en médecine. Cependant tout porte à croire qu'elle produirait les mêmes effets thérapeutiques que la grande ciguë.

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  1. Bulletin de pharmacie et des sciences accessoires, 6e année, p. 340.


Ciguë aquatique

PLANCHE XV : 1. Ciguë vireuse. 2. Clématite. 3. Cochléaria. 4. Colchique. 5. Coloquinte.

Nom accepté : Cicuta virosa


CIGUË VIREUSE, CIGUË D'EAU, CICUTAIRE AQUATIQUE. — Cicuta virosa, L. — Sium palustre alterum foliis serratis, Tourn. — Cicutaria aquatica. Lam. - OMBELLIFÈRES. — AMMINÉES. — Cette plante (Pl. XV) porte aussi le nom de Ciguë aquatique. C'est sous ce nom qu'elle est désignée par Wepfer et par beaucoup d'autres auteurs. C'est ainsi que Chaumeton l'a nommée dans la Flore médicale. Le nom de ciguë aquatique a été aussi donné au phellandrium aquaticum. Cette confusion peut donner lieu à de graves erreuts contre lesquelles l'herboriste, le pharmacien et le médecin doivent se tenir en garde. — La ciguë vireuse croît dans les eaux stagnantes, sur le bord des ruisseaux, principalement dans le nord et l'est de la France. On ne la trouve ni dans le Péloponèse ni dans la Grèce, ce qui prouve que cette ciguë n'est pas celle qui fit périr Socrate.

Description. — Racine épaisse, napiforme, cylindrique, charnue, pivotante, remplie d'un suc jaunâtre, creuse en partie, garnie de fibres nombreuses. — Tige de 60 à 90 centimètres, droite, glabre, cylindrique, fistuleuse, striée, verte, dressée, rameuse. — Feuilles grandes, alternes, pétiolées, à pétiole cylindrique, creux, strié, à segments lancéolés, étroits, aigus, dentés : les inférieures très-longuement pétiolées. - Fleurs blanches, en ombelles lâches, à rayons nombreux presque égaux ; involucre nul ou à une seule foliole : involucelles de plusieurs folioles linéaires très-longues, égalant ou dépassant en longeur les ombellules (juillet-août). — Calice à cinq dents. — Corolle à cinq pétales presque égaux, ovoïdes, échancrés au sommet. — Fruit diakène, globuleux, court, arrondi, contracté sur le côté, à cinq petites côtes très-entières et non dentées ou tuberculeuses.

Propriétés physiques et chimiques. — La ciguë vireuse répand, surtout dans l'état frais, une odeur analogue à celle de l'ache, mais un peu plus piquante, plus nauséeuse. Sa saveur se rapproche un peu de celle du persil. Sa racine, plus âcre, plus active que les autres parties de la plante, contient une substance charnue, celluleuse, blanche, dont la saveur se rapproche de celle du panais, avec lequel on l'a souvent confondue. Outre le suc âcre, jaunâtre, que son écorce contient, Wepfer a remarqué sur les blessures des grandes tiges de petites agglomérations d'une matière bleuâtre, visqueuse, transparente, légèrement âcre. D'après Gadd la ciguë vireuse fournit par la distillation un principe volatil narcotique d'une odeur très-désagréable, très-pénétrante, et un résidu à peu près inerte. On a remarqué que cette plante communique aux eaux stagnantes dans lesquelles elle croît, un liquide gras et huileux qui paraît très-vénéneux. Je ne connais aucun travail chimique sérieux sur cette plante.

La ciguë vireuse est plus délétère que la grande ciguë. Trois bœufs ont


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péri en Suède pour en avoir mangé ; deux autres boeufs ont péri en Finlande pour avoir bu seulement l'eau chargée du liquide huileux émané de sa tige. Linné semble lui attribuer la grande mortalité qui eut lieu à Tornéo, en Laponie, parmi les bestiaux. Elle est toxique pour les chiens. Ses feuilles, bien que moins vireuses que sa racine fraîche, ont donné la mort à des oies. Boerhaave citait dans ses leçons l'histoire d'un jardinier qui éprouva des vertiges pour en avoir coupé une certaine quantité. Schenck, Riedlin, Wepfer et plusieurs autres observateurs, ont rapporté des exemples d'empoisonnement par la racine de cette plante, soit chez les adultes, soit chez des enfants. Les symptômes de cet empoisonnement sont les suivants : sécheresse de la gorge, soif ardente, douleurs à l'épigastre, éructations, vomissements, cardialgie, douleurs de tête, éblouissements, obscurcissement de la vue, vertiges, incertitude de la marche, respiration fréquente et entrecoupée, serrement tétanique des mâchoires, convulsions, assoupissement ou délire furieux, défaillances, froid des extrémités, mort. (Wepfer et Mertzdor.)

Les moyens à employer contre cet empoisonnement sont les mêmes que ceux qui sont indiqués à l'article Ciguë (grande).

Cette ciguë n'est plus employée en médecine, bien que quelques auteurs l'aient considérée comme plus efficace que la grande. Cependant elle perd presque toute son énergie par la dessiccation. Un malade auquel Bergius avait prescrit la décoction de cette ciguë (sans doute à l'état de dessiccation) pour un usage extérieur, en but 4 livres (2 kilogr.) dans l'espace de deux heures sans en éprouver aucun effet. Murray redoutait tellement ses propriétés toxiques, qu'il n'a jamais osé l'administrer à l'intérieur. Linné, au contraire, lui supposant plus d'énergie qu'à la grande ciguë, l'a substituée à cette dernière dans la pharmacopée danoise. Les habitants de la Sibérie guérissent, dit-on, les dartres syphilitiques, les névralgies sciatiques et les rhumatismes au moyen de frictions faites avec la racine de cette plante réduite en pulpe. On l'emploie de la même manière au Kamtschatka contre le lumbago. Je l'ai plusieurs fois appliquée fraîche comme calmante et résolutive au lieu de la grande ciguë, et j'en ai retiré les mêmes avantages. Je dirai, à ce sujet, avec Trousseau et Pidoux, « que fort souvent dans les campagnes on est forcé d'avoir recours aux succédanés d'une plante, soit à cause de la rareté, soit en raison de l’habitat qui, fréquemment, varie suivant les espèces. »


[La CICUTAIRE MACULÉE, C. maculata, L., se distingue de la précédente par ses feuilles à pétioles membraneux, bifides au sommet et à folioles dentelées, mucronées].