Arnica (Cazin 1868)

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Armoise
Cazin, Traité des plantes médicinales, 1868
Arrête-bœuf
PLANCHE V : 1. Aristoloche clématite. 2. Aristoloche ronde. 3. Armoise. 4. Arnica. 5. Arrête-bœuf.


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Nom accepté : Arnica montana


ARNIQUE ou ARNICA. Arnica montana. L.

Doronicum plantaginis folio alterum. Bauh, T. — Doronicum arnica. Desf. — Ptarmica montana. Carth. — Arnica. Schr. — Arnica seu doronicum germanicum. Off., Murr. — Alisma. Matth.

Arnique de montagne, — bétoine de montagne, — bétoine des Vosges, — herbe-aux-prêcheurs, — doronic d'Allemagne, — plantain des Alpes, — tabac des Savoyards, — tabac des Vosges, — tabac des montagnes, — quinquina des pauvres, — herbe aux chutes, — herbe à éternuer.

Synanthérées, tribu des Corymbifères. — Syngé. polyg. superf.


L'arnica (Pl. V), plante vivace, qui aime les lieux élevés, froids et ombragés, croît abondamment sur les montagnes du centre et du midi de la France, dans le Lyonnais, sur les Alpes, les Cévennes, les Vosges, les Pyrénées, etc. De tous les animaux qui habitent les montagnes où croît l'arnica, les chèvres seules le recherchent et s'en nourrissent.

Description. — racine fibreuse, brune en dehors, blanchâtre en dedans, rampant obliquement à une petite profondeur dans le sol, jetant de nombreuses fibres. — Tige cylindrique, pubescente, de la hauteur de 30 à 45 centimètres, simple ou donnant en haut deux rameaux à fleurs, indépendamment de la fleur terminale. — Feuilles sessiles, ovales, entières, nervées comme celles du plantain, le plus souvent au nombre de quatre, formant une rosette couchée au bas de la tige ; deux autres feuilles caulinaires opposées, plus petites et lancéolées. — Fleurs grandes, d'un jaune doré, radiées, belles, terminales ; la principale accompagnée de deux autres plus petites (juillet) ; involucre évasé, composé d'écaillés velues, lancéolées ; fleurons du disque réguliers, hermaphrodites, à cinq dents ; demi-fleurons de la circonférence femelles et très-grands, à trois dents. — Fruits (akènes) ovales, légèrement comprimés, noirâtres, pubescents, surmontés d'une aigrette sessile et plumeuse.

Parties usitées. — La racine, les feuilles et les fleurs ; le plus souvent ces dernières, (qu’on falsifie quelquefois avec celles d'aunée, moins foncées, moins aromatiques.)

[Culture.. — L'arnica, très-abondant à l'état sauvage, est très-difficile à cultiver, il demande une exposition élevée, abritée et ombragée, la terre de bruyère rocailleuse ; on le propage par graines qu'on sème au printemps ou même en automne après leur maturité ; on repique les jeunes plants à l'automne, à l'exposition du nord-est de préférence ; on peut aussi multiplier abondamment les pieds par drageons ou par éclats des racines, que l'on replante dans la terre de bruyère mélangée d'un peu de bonne terre de jardin.]

Récolte. — On récolte les fleurs au mois de juillet, les racines en septembre. On les monde et on les fait sécher à l'étuve.

Propriétés physiques et chimiques. — Les fleurs d'arnica sont peu odorantes quand elles sont desséchées ; fraîches, surtout quand on les écrase, elles ont une odeur aromatique particulière, assez forte pour déterminer l'éternuement. Leur saveur est chaude, âcre et amère. Lassaigne et Chevallier en ont retiré une résine odorante, une matière amère nauséabonde et vomitive (cylisine), de l’acide gallique, une matière colorante jaune, de l'alliumine, de la gomme, et enfin des sels à bases de potasse et de chaux. Weber y a trouvé une huile bleue, et Bucholz de la saponine. Toutes les parties de la plante cèdent leurs principes actifs à l'eau bouillante et à l'alcool. Suivant Dorvault, la composition chimique des diverses parties de l'arnica est mal dé terminée. Tout fait présumer, dit-il, qu'elles contiennent un principe particulier. [Bucholz assure avoir trouvé de la saponaire dans l’arnica et Wéber une huile bleue ; en 1851, Bastick en a extrait un alcaloïde mal défini qu'il a nommé arnicine ; sa saveur


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est amère ; il forme, dit-il, avec l’acide chlorhydrique un sel cristallisé en étoiles ; Pfaff a trouvé dans la racine : huile volatile 1.5, résine 6.0, matières extractives 32.0, gomme 9.0, liqueur 51.2.]

Substances incompatibles. — Les sels de fer, de zinc, de plomb, les acides minéraux.

PRÉPARATIONS PHARMACEUTIQUES ET DOSES.


A l’INTERIEUR. — Infusion et décoction (fleurs), 8 et à 30 gr. par kilogramme d'eau bouillante.
[La tisane de fleurs d’arnica doit être filtrée avec soin, pour séparer les fines aigrettes, qui, sans cela, s’arrêtent dans la gorge et déterminent des nausées et des vomissements.
Infusion des feuilles, 15 à 30 gr. par kilogramme d’eau.
Teinture alcoolique (1 de racine sur 5 d'al cool), 1 à 20 gr. en potion.
Décoction des racines, 4 à 15 gr. par kilogramme d’eau.
Racine en poudre, 60 centigr. à 4 gr. progressivement, en bols, pilules, etc.
Fleurs en poudre, 30 centigr. à 2 gr. (peut être portée à une dose plus élevée, comme fleur), en électuaire, bols, pilules, etc.
Eau distillée, 50 à 100 gr. en potion (quelques fois, surtout dans les paralysies où ce mode d’administration est préférable, la dose peut être portée progressivement à 12

et 16 gr.
Teinture alcoolique (1 de racine sur 5 d’alcool), 1 à 20 gr. en potion.
Teinture éthérée (1 de fleurs sur 4 d'éther), 1 à 10 gr. en potion.
[Teinture avec les fleurs fraîches ou alcoolature, parties égales de fleurs fraîches et d’alcool à 86 degrés.]
Extrait aqueux (1 sur 5 d’eau), 50 centigr. à 4 gr. en potion, pilules.
Extrait alcoolique (1 de fleurs sur 8 d’alcool et 1 d’eau), 50 centigr. à 4 gr. en potion, etc., surtout quand on les écrase.
(Sirop vineux (Alliot) : fleurs sèches, 40 gr. ; sucre blanc, 750 gr. ; vin de Madère, 500 gr. F.S.A. sirop à froid : 30 gr. représentent 1 gr. de fleurs d’arnica.)
A L’EXTERIEUR. — Feuilles et fleurs en cataplasme ; en poudre, comme sternutatoire.


Les effets primitifs de l'arnique, administrée à une assez forte dose, ont lieu sur les voies digestives, qu'elle irrite plus ou moins ; les effets secondaires se produisent par une excitation sur le cerveau et le système nerveux. Les premiers se manifestent assez promptement par un sentiment de pesanteur, de l'anxiété dans la région épigastrique, de la cardialgie, des démangeaisons à la peau, des nausées, des vomissements, des coliques, des évacuations alvines, une hypersécrétion salivaire, des sueurs froides ; les seconds par des étourdissements, de la céphalalgie, des tremblements et des mouvements convulsifs dans les membres, des secousses analogues aux commotions électriques, avec difficultés de locomotion, un sentiment de constriction au diaphragme, une dyspnée plus ou moins intense, le délire, de l'abaissement dans la vitesse du pouls, qui devient plus plein, etc.

Le nombre et l'intensité de ces symptômes sont proportionnés à la dose ingérée. A grande dose, l'arnica produit des accidents, des hémorrhagies, des déjections sanguinolentes, un trouble extrême dans l'innervation, des sueurs froides et même la mort. (C'est évidemment un excitant du système cérébro-spinal.)

La doctrine du controstimulisme considère l'arnique comme un puissant byposthénisant. Les médecins français, qui ont adopté quelques points de cette doctrine avec réserve, la regardent au contraire comme un excitant énergique. Son action immédiate sur l’estomac la rapproche de l'ipécacuanha, de l'asaret, du poligala, de l'asclépiade, de la bétoine, des euphorbes, etc., et ses effets secondaires sur les centres nerveux offrent de l'analogie avec la noix vomique. C’est ce que tendrait à prouver une observation intéressante publiée par Turck, de Plombières[1].

(Un fait récent[2] semblerait vouloir faire établir un antagonisme entre l'arnica et l'opium. Ce dernier aurait pu servir de contre-poison dans un empoisonnement par la teinture d'arnica, prise par erreur. Cela demande d'autant plus d'être contrôlé que je n'ai pas reconnu dans la description des phénomènes d'intoxication des symptômes analogues à ceux que nous venons d'énumérer. Rappelons-nous cependant que déjà Stoll tempérait l'action de cette plante par l'administration des opiacés.)

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  1. Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, 1853, t. I, p. 571.
  2. The Lancet, décembre 1864.


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L'arnica, considéré sous le rapport de ses effets thérapeutiques, a été l'objet d'essais multipliés, dont les résultats laissent encore beaucoup à désirer. « On doit considérer l'arnique, dit Gilibert, comme tonique et apéritive donnée à petite dose, et comme émétique, purgative, diurétique, sudorifique et emménagogue, donnée à plus grande dose. »

Cette plante a été employée contre les accidents résultant de chutes, de commotions, de contusions, d'extravasions sanguines, etc. ; contre les fièvres muqueuses et putrides, les fièvres intermittentes, la dysenterie, les catarrhes chroniques, l'asthme humide, l'œdème, certaines paralysies, l'amaurose, la chorée, le rhumatisme, et une foule d'autres maladies que l'on est étonné de rencontrer sur la même ligne, tant elles sont dissemblables sous le rapport des indications curatives qu'elles présentent. « Les auteurs les plus dignes de foi, dit Biett, émettent souvent les opinions les plus opposées sur la même substance ; louée par les uns avec exagération, elle est repoussée avec dédain par les autres : c'est ce qui a eu lieu pour l'arnique. Introduite et préconisée depuis plus d’un siècle par Fehr, cette plante ne tarda point à acquérir une grande réputation en Allemagne ; mais on lui contesta bientôt les propriétés merveilleuses qu'on lui avait accordées[1]. »

Si l'on a célébré sans réserve les vertus de l'arnica , la raison et l'expérience nous disent qu'on l'a rejeté sans examen : Periculosum est credere et non credere.

L'arnique est douée de propriétés réelles. Il s'agit seulement de bien préciser les cas où son emploi thérapeutique peut être utile et ceux où il peut nuire. C'est par son application empirique ou irrationnelle que cette plante énergique est tombée dans le discrédit.

Il eût fallu, dans tous les cas, tenir compte, comme sources d’indications diverses et souvent opposées, de la complexité des éléments morbides résultant du tempérament du malade, de la prédominance de tel ou tel appareil d’organes, des périodes de la maladie, des accidents qui la modifient, de l'influence du climat, et de celle des épidémies et des endémies, etc. ; toutes choses auxquelles la thérapeutique est subordonnée et qui expliquent comment l'arnica a pu être utile ou nuisible dans la même maladie, selon les circonstances, l'opportunité ou l'inopportunité de son administration ; comment les opinions contraires, émises avec bonne foi de part et d'autre sur les propriétés de cette plante, peuvent se concilier sous l'œil scrutateur du praticien judicieux et exercé.

Les propriétés vulnéraires de l’arnaque ont été célébrées avec enthousiasme. Meissner[2] l'a recommandée comme telle dans les chutes, les contusions avec ecchymoses, les collections de sang caillé, etc. Il l'appelle panacea lapsorum, d'où lui est venu le nom d'herbe aux chutes. On l'emploie en cette qualité a l'extérieur et surtout à l'intérieur. Comment constater les effets de cette plante dans les chutes, les contusions, etc. ? Ne sait-on pas que la nature dissipe souvent les suites de ces accidents sans le secours de l'art ? Et d’ailleurs, dans ces cas , ne vaut-il pas mieux avoir recours à la saignée et aux anli- phlogistiques qu'à ces prétendus vulnéraires, qui n'ont souvent d'autre action que celle qu'ils exercent sur l'imagination des malades ? Toutefois, nous devons dire que dans certains cas, qu'il est nécessaire de distinguer, l'arnica a pu être utile.

« Quand, à la suite d'une chute sur la tête, dit Desbois, de Rochefort, on craint un amas de sang ou de sérosité, on peut employer ce remède avec confiance, après une ou deux saignées, si elles sont nécessaires ; il convient même quand les dépôts séreux ou purulents sont formés. On en fait beau-

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  1. Dictionnaire des sciences médicales, t II, p. 302.
  2. De arnica dissertatio. Prague, 1736.


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coup usage à l'Hôtel-Dieu , et presque toujours avec succès, quand il n'y a pas fracture ni nécessité de trépaner. » Il est probable que l'arnica était employé ici à dose nauséeuse ou laxative, et qu'il agissait alors comme révulsif, à la manière de l'émétique en lavage, que Desault donnait avec plus d'avantage en pareil cas, et dont on a toujours depuis reconnu l'efficacité.

Si après une chute le malade se trouve, par l'effet de la commotion, dans un état d'anéantissement se rapprochant de la stupeur, avec pâleur, petitesse du pouls, etc., l'arnica, non à titre de vulnéraire, mais comme excitant, peut être avantageux. Une fois la réaction obtenue, il faut avoir recours à une médication opposée, c'est-à-dire aux antiphlogistiques et principalement à la saignée.

Roseinsten conseille sagement, dans les chutes graves, de faire précéder l'emploi de l'arnica de celui de la saignée. Inconsidérément administrée, cette plante peut occasionner les accidents les plus graves, ainsi que nous en avons rapporté un exemple en parlant de son action physiologique et toxicologique, et comme l’a vu Alibert[1] à l'hôpital Saint-Louis, chez un homme qu'on avait gorgé d'une décoction de fleurs d'arnique après une chute ; il éprouva des vomissements opiniâtres, des vertiges, des convulsions, et on ne parvint à calmer ces symptômes alarmants qu'au bout de quelques jours. Un fait semblable s'est présenté à mon observation l'année dernière, chez le nommé Duminy, emballeur de la douane, âgé de 69 ans, lequel après une chute de 5 à 6 mètres de hauteur, dans la vase du port, sans autre accident qu'un sentiment de brisement général, avait pris le soir même 30 gram. de fleurs d'arnica en décoction dans deux verres d'eau. Il éprouva immédiatement des symptômes tellement graves qu'il se crut atteint du choléra, qui alors régnait à Boulogne. Des efforts de vomissement, une anxiété extrême, un sentiment de constriction vers le diaphragme, de la pâleur, une sueur froide, un pouls petit et fréquent, des mouvements convulsifs dans les membres, alternant avec le tremblement de tout le corps, tels étaient les effets de cet empoisonnement. Je prescrivis l'ingestion d'une grande quantité d'eau tiède , 10 centigr. d'extrait gommeux d'opium dans une solution mucilagineuse, à prendre par cuillerées plus ou moins rapprochées suivant l'intensité des symptômes ; de plus, un bain tiède général, suivi de frictions répétées sur toute l'étendue du tronc , et notamment sur la région rachidienne, avec la teinture alcoolique de belladone. Ces moyens calmèrent peu à peu les symptômes. Le malade néanmoins ne put être considéré comme hors de danger qu'après trois jours de soins continuels.

L'arnica a été employé avec succès dans les fièvres muqueuses, adynamiques, putrides, par Stoll. Cet habile observateur affirme, avec la bonne foi qui le caractérise, que les effets de l'arnica ont surpassé son attente, et qu'aucun autre moyen ne lui a procuré autant de succès dans ces maladies, à raison de l'excitation prompte et durable que cette plante imprime aux organes. Il en faisait usage lorsque les viscères étaient exempts d'inflammation, le pouls à l'état à peu près normal et les forces abattues. Colin[2] a beaucoup employé l'arnica dans les fièvres putrides, et en a obtenu des résultats avantageux. J.-P. Franck approuve son emploi dans la diarrhée symptomatique du typhus.

C’est surtout dans cette forme de fièvre typhoïde, caractérisée par l'enduit fuligineux de la langue, la prostration des forces, le délire obscur, le pouls faible, petit, accéléré ou à l'état normal, que l'arnica convient. Je l'ai vu employer avec succès dans les hôpitaux de l'armée, pendant la campagne de 1809, en Allemagne, contre la fièvre putride qui sévissait alors d'une manière générale. Depuis, je l'ai souvent mis en usage dans les mêmes cas, en

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  1. Dictionnaire des sciences médicales, t. II, p. 304.
  2. Arnicœ in febribus et aliis morbis putridis, etc. Vienne, 1775.


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l'associant, le plus souvent, à la racine de valériane et à celle d'angélique. Je fais verser la décoction bouillante de fleurs d'arnica et de racine de valériane, faite à vase clos, sur la racine d'angélique ; j'édulcore avec le sirop d'écorce d'orange, et quelquefois j'ajoute un peu de vin blanc. Le malade prend de cette tisane à doses modérées, mais fréquemment répétées. Administré de cette manière, l'arnica détermine rarement le vomissement et la douleur gastrique, et il n'en est pas moins efficace, quoi qu'en disent les médecins qui regardent ces manifestations comme favorables à l'excitation générale que l'on veut produire. Cette excitation est même plus durable quand elle est obtenue plus graduellement et sans douleur ; car il est bien évident que la douleur, surtout quand elle a son siège dans les organes digestifs, épuise les forces au lieu de les relever. Je pense néanmoins que l'arnica réussit moins en infusion légère, comme le recommandent quelques médecins[1], que lorsqu'il est administré en décoction rapprochée. Mais c'est toujours progressivement et à petites doses fréquemment répétées que cette décoction doit être mise en contact avec la muqueuse gastrique : il faut toujours en surveiller l'effet.

Murray recommande l'arnica associé au camphre , lorsque la gangrène vient se joindre aux autres accidents typhoïdes. L'arnica ne convient pas aux tempéraments nerveux. On doit s'abstenir de son emploi dans les fièvres caractérisées par l'excitation cérébrale et l'ataxie ; mais il peut être utile dans l'état soporeux résultant d'une congestion passive vers le cerveau. C'est ainsi que je l'ai vu réussir dans la stupeur succédant au choléra épidémique, et que l'on peut avec raison attribuer à une réaction rendue incomplète, d'un côté, par l'insuffisance de l'innervation, de l'autre, par la coagulation et la stagnation du sang privé de sa partie séreuse. Dans ces cas, une impression brusque sur les organes, dont les actes fonctionnels s'anéantissent comme par une sorte de sidération, peut se transmettre aux centres nerveux, les faire réagir, et vaincre ainsi l'obstacle mécanique qui s'oppose au rétablissemet de la circulation.

Worms[2] a employé avec succès, contre ce qu’il appelle la période comateuse du choléra, des lotions composées d'infusion d'arnica, 100 gr. ; alcool camphré, 150 gram. ; ammoniaque, 15 à 20 gram. ; hydrochlorate d'ammoniaque, 45 gram. Reste à savoir la part que prend ici l'arnica. On a préconisé l'arnica dans les fièvres intermittentes. Stoll, qui l'appelait le quinquina des pauvres, employait les fleurs de cette plante dans les fièvres quartes ; il en composait un électuaire avec le sirop d'écorce d'orange, dont le malade prenait, gros comme une muscade, quatre fois par jour. Cette dose causait une sorte de révulsion sur les voies digestives, manifestée par de vives douleurs d'estomac, des sueurs froides, un pouls grand, plein, ralenti. Ces accidents, que l'on considérait comme nécessaires, se calmaient promptement par l'administration de l'opium, lorsqu'ils étaient portés à un trop haut degré d'intensité. Colin[3], Joseph Franck, Aaskow[4], Barbier d'Amiens, Double[5], Deiman, Voltelen, Kerckhoff, etc., ont également constaté les propriétés fébrifuges de la plante qui nous occupe. Les paysans

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  1. L’illustre nosographe Pinel donnait l'arnica à la dose de 5 gr. infusés dans un kilogramme d'eau contre les fièvres adynamiques ; on se contentait alors de grouper des symptômes, de créer, de classer et de diviser des entités morbides ; on mettait, pour ainsi dire, la nature en compartiments, que l'art de guérir, dédaigné, ne devait point déranger. On étudiait la médecine comme on étudie l’histoire naturelle ; mais on ne traitait point les malades. La thérapeutique de Pinel, toujours insuffisante ou nulle, était d'autant plus déplorable, qu'elle se présentait aux nombreux élèves de ce professeur sous l'apparence imposante du doute philosophique.
  2. Journal des connaissances médico-chirurgicales, août 1849.
  3. Annales médicales, t. III, p. 143.
  4. Soc. Hann. Collect.
  5. Journal général de médecine, t XXIV.


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danois, au rapport de Murray, se guérissent des fièvres intermittentes en prenant, deux heures avant l'accès, une infusion saturée de fleurs d'arnica. « Je ne proclamerai point, dit Chaumeton, avec la même confiance les succès de l'arnica dans le traitement des fièvres intermittentes, parce que les tentatives de Donald Monro, de Bergius, de Wauters, ont été, comme les miennes, trop souvent infructueuses. » Wauters, qui a expérimenté cette plante dans l'hôpital de Gand, et dont le zèle pour la recherche des succédanés du quinquina est connu, s'exprime en ces termes : Licet arnica hic aliis febrifugis fuerit adjuncta, equidem statuere valemus ab ea non multum boni in his febribus expectandum esse.

Gilibert a trouvé que, dans les fièvres intermittentes et rémittentes, l'arnica diminue seulement l'intensité des accès et augmente les sueurs critiques. Je n'ai pas été beaucoup plus heureux que ce praticien. Toutefois, je dois dire que dans un cas de fièvre double-tierce par récidive, avec œdématie des extrémités inférieures, gonflement de la rate, débilité, sans irritation gastrique, observé, en novembre 1851, chez un cultivateur qui avait été atteint de fièvre tierce négligée pendant le printemps et une partie de l'été, j'ai obtenu une grande amélioration par l'emploi de la poudre de fleurs d'arnica à la manière de Stoll. L’œdème se dissipa, l'engorgement splénique diminua de près de moitié dans l'espace de dix jours, le stade de froid fut beaucoup moin» intense, la sueur plus abondante ; mais l'accès ne fut entièrement coupé qu'à l'aide d'un vin concentré d'absinthe et d'écorce de saule, dont l'usage, continué pendant quinze jours, rétablit complètement le malade.

(L'arnicine représente peut-être le principe amer antipériodique de l'arnique ; il serait, ce nous semble, utile d'entreprendre des expérimentations à ce sujet.)

Comme excitant de l'action nerveuse cérébro-spinale, l'arnica a été préconisé dans les paralysies. Quand ces maladies sont susceptibles de guérison, ce médicament agit à la manière des préparations de noix vomique. Les malades éprouvent des douleurs dans les yeux, des fourmillements dans les membres, des tiraillements, une chaleur vive, et ces effets sont presque toujours d'un heureux présage.

L'arnica, d'après J.-C. Franck, est surtout utile si la maladie est ancienne, si elle est l'effet d'une seconde attaque d'apoplexie, si le malade est épuisé, si le pouls est mou et la face pâle. Colin dit qu'il faut attendre qu'il n'y ait plus de fièvre ou qu'elle soit bien diminuée, et joindre alors le nitre à l'arnica. Rogery[1] cite le cas très-remarquable d'une jeune femme qui, à la suite d'une fièvre mal jugée, éprouvait une sorte d'engourdissement et un état d'impuissance dans les membres inférieurs. Ce médecin lui prescrivit la décoction de fleurs d'arnica et l'extrait de ces mêmes fleurs, qu'on faisait dissoudre dans l'eau de menthe édulcorée avec le sucre. Comme il n'avait pas obtenu tout le succès désiré, il donna les fleurs pulvérisées de cette plante dans suffisante quantité de miel, et bientôt la malade éprouva des fourmillements et des douleurs auxquelles succéda la restitution complète du mouvement et de la sensibilité. Korubeck vante l'usage de l'arnica dans les paralysies d'origine mercurielle. « Il va sans dire, ajoute avec raison Martin Lauzer[2], que cette plante ne conviendrait que dans les paralysies nerveuses, de nature asthénique, quel qu'en fût le siège. »

Thielmann a donné avec succès, dans le tremblement des doreurs[3], l’infusion d’arnica : 12 gr. dans 200 gr. d'eau ; — une cuillerée à bouche toutes les heures.

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  1. Recueil périodique de la Société médicale de Paris.
  2. Journal des connaissances médico-chirurgicales, 2e série, t. II, p. 123.
  3. Journal de médecine et de chirurgie pratiques, t. XVII, p. 26.


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Les rétentions d'urine par atonie de la vessie, chez les vieillards, ont été efficacement combattues par l'arnica. Kluyskens en a obtenu le succès le plus complet chez trois malades dont l'inertie de la vessie durait depuis quatre-vingts à cent jours. Remer[1] s'est bien trouvé du même médicament dans des cas analogues.

Colin prétend avoir guéri plusieurs amauroses au moyen de l'administration des fleurs d'arnica. Murray, Scarpa, ont obtenu de grands succès de la teinture d'arnica dans les amauroses légères et nerveuses. Suivant Schmucker, il échoue constamment dans l'amaurose arrivée peu à peu à son plus haut degré d'intensité. Il est bien difficile, pour une maladie dont le diagnostic était alors entouré de tant d'obscurité, d'avoir des données exactes sur l'efficacité d'un traitement.

Escolar[2] a publié trois faits tendant à prouver les propriétés de l’arnica contre l'héméralopie ; mais comme ce médicament a été employé concurremment avec d'autres moyens, tels que les frictions mercurièlles camphrées et belladonées, la valériane, l'oxyde de zinc, etc., il n'est pas possible d'en distinguer ici les effets.

L'arnica a guéri, suivant Murray, le tremblement des membres ou de la langue, l'opisthotonos, les convulsions de la léte, le spasme cynique, les soubresauts des membres. Vitet prescrit le traitement suivant comme le plus efficace contre la chorée : « Fleurs de béotien de montagne (arnica) depuis 10 grains (50 centigr.) jusqu'à 30 (1 gr. 50 centigr.), à délayer dans une petite verrée d'infusion de fleurs de tilleul, à prendre le matin à jeun ; réitérez pareille dose sur les cinq heures du soir ; infusion de bétoine de montagne depuis 1 drachme (4 gr.) jusqu'à 2 (8 gr.), dans 1 livre (500 gr.) d'eau pour lavement, à administrer avant la première prise de bétoine. Ne soyez point étonné de voir les fleurs de béotien exciter, les premiers jours, un léger vomissement ; l’estomac se fait à l'action de ce remède, et le vomissement cesse ; alors augmentez par degrés presque insensibles, en boisson, la dose des fleurs de bétoine jusqu'à 1 drachme 1/2 (6 gr.) au plus par jour.... Toutes les méthodes proposées jusqu'à ce jour, dit Vitet, ne l'emportent point sur la bétoine de montagne. » C’est là un jugement trop absolu ; tout est relatif en médecine. Si aux désordres nerveux qui caractérisent les affections dont nous venons de parler se joint l’asthénie des organes, l'arnica pourra réussir ; mais s'il y a prédominance du système sanguin, congestion cérébrale, angioténie générale ou irritation phlegmasique occupant un organe ou un appareil fonctionnel important, ce médicament sera évidemment nuisible.

Nous nous dispenserons de retracer rénumération des diverses maladies de poitrine dans lesquelles Murray vante la vertu incisive et résolutive de l'arnica ; mais nous dirons, avec Roques, que les propriétés nauséeuses de ce végétal ont plusieurs fois triomphé de catarrhes opiniâtres. Dans ces circonstances, on mêle avec avantage une certaine dose de fleurs d'arnica aux fleurs pectorales, de manière à produire des effets nauséeux. On doit continuer ce moyen avec quelque persévérance. L'arnica n'a pas été moins heureux, selon le médecin que nous venons de citer, dans quelques cas de pneumonie où les forces vitales abattues font craindre que la crise ne soit importante, comme dans la pneumonie ataxique. On administre alors, dit Roques, l’infusion ou la décoction des fleurs avec l'extrait de quinquina ; cette composition excite le système général des forces, ranime l'action pulmonaire et favorise l'expectoration. Dans le catarrhe suffoquant, Hufeland, après la saignée et le vomitif, employait avec succès la décoction de racine d'arnica. J'ai guéri promptement un catarrhe pulmonaire chro-

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  1. Schubarth's Recepttaschenbuch. Berlin, 1828.
  2. Boletin de med. cir. y farm., 1852.


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nique, avec expectoration très-abondante, revenant périodiquement chaque automne depuis cinq ans, chez une dame âgée de soixante-douze ans, par l’administration simultanée de la poudre de fleurs d'arnica et de semence de phellandre aquatique, à doses graduellement augmentées jusqu'à celle de 2 gr. de chaque substance par jour.

« ... Lorsque nous voyons, de nos jours, Gintrac, de Bordeaux, prescrire le tartre stibié à haute dose (et alors il agit comme nauséeux) dans les catarrhes chroniques[1] ; le professeur Broussonnet, de Montpellier, donner l’infusion concentrée d’ipécacuana à haute dose également dans la pneumonie des vieillards et le catarrhe chronique[2] ; et, enfin, le professeur Cruveilhier donner de la tisane d'ipécacuanha dans les phlegmasies pulmonaires, nous ne pouvons nous empêcher de faire cette remarque, que l'on revient souvent de nos jours aux mêmes ordres de moyens que ceux qu'employaient les anciens. Qui ne voit que l'arnica produisait, par ses propriétés nauséeuses, des effets analogues à ceux que l'on obtient d'une manière seulement plus certaine de l'ipécacuanha ? Maintenant, ce dernier donne-t-il plus ou moins de ton que l'arnica aux capillaires bronchiques pour se débarrasser des mucosités ? C'est ce que l'expérience comparative pourrait seule décider[3]. »

Gentil, d'Amorbach[4], rapporte que dans une épidémie de coqueluche, qui a régné il y a quelques années dans sa localité, épidémie dans laquelle tous les moyens les plus vantés comme spécifiques ne produisirent aucun bon résultat, et ne laissèrent que trop souvent la maladie emporter les petits malades, il n'y eut qu'un seul moyen qui lui rendît de bons services : la racine d'arnica montana. Il prescrivait ordinairement celui-ci à la dose de 1/2 gros (2 gr.) à 1 gros (4 gr.) pour une décoction à ramener à 4 onces de colature ; cette dose devait être prise dans la journée.

Stoll n'hésite point à accorder à l'arnique le titre de spécifique de la dysenterie. Il s'appuie sur des faits incontestables, et désigne avec sa saga cité habituelle les cas où elle lui a réussi. Dans la dysenterie, dit Hufeland, si la maladie prend un caractère putride, ce qu'on reconnaît à la faiblesse extrême et à l'odeur cadavéreuse des déjections, les meilleurs moyens à employer sont le vin et la racine d'arnica (15 décigr. de la poudre toutes les deux heures, ou 15 gr. bouillis dans assez d'eau pour obtenir 300 gr. de colature). On doit surtout l'opposer, dit Boques, à ces diarrhées énervantes, à ces flux dysentériques opiniâtres qui, dans la troisième période du typhus, menacent d'éteindre entièrement les forces de la vie. J'ai eu fréquemment occasion de constater les bons effets de l'arnica en pareilles circonstances.

Barthez a recommandé l'arnica dans le traitement de la goutte. Boques dit qu'on ne doit l'employer dans cette affection que pour favoriser les sueurs critiques, lorsque la nature parait choisir ce mode de solution.

Il est encore une foule de maladies contre lesquelles on a employé ou proposé l'arnica, sans en expliquer rationnellement l'action spéciale. Nous citerons l'ictère avec congestion, l'inflammation du foie avec pétéchics, les suppressions des règles et celles des lochies, la ménorrhagie avec rétention de caillots, les engorgements de la rate, la néphrite calculeuse, etc.

(C'est ainsi que Sébastien, cité par Bouchardat[5], croit devoir à l'emploi de l'alcoolature d'arnica l'immunité quant à la fièvre puerpérale de deux cent quatre-vingt-sept accouchées soumises à son observation.)

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  1. Journal des connaissances médico-chirurgicales, février 1840 et décembre 1847.
  2. Même journal, 1er février 1851.
  3. Martin Liuzer, Journal des connaissances médico-chirurgicales, 1862, p. 122.
  4. Journal de médecine de Bruxelles, janvier 1856.
  5. Annuaire de thérapeutique, 1861, p. 80.


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Liedbeck, d’Upsal[1], prescrit avec avantage, contre les varices des femmes enceintes, l’arnica à l'intérieur. Il fait infuser 1 gr. de fleurs d'arnica dans 250 gr. d'eau, et y ajoute quelques grammes d'alcool. Il fait prendre une cuillerée à bouche de cette infusion quatre fois par jour. L'effet ordinaire de cette médication est, dit-on, la diminution des douleurs qu'occasionnent les varices et la disparition graduelle de ces tumeurs. Il faut convenir que c'est là une propriété aussi merveilleuse qu'inexplicable.

L'arnica est mis en usage à l'extérieur comme résolutif, stimulant, anti septique, sternutaloire, etc. La fomentation résolutive de Rosas, contre les ecchymoses des paupières, est composée d'une infusion de fleurs d'arnica et de sommités de romarin dans le vin rouge. Hufeland prescrit, contre l'induration du tissu cellulaire des nouveau-nés, des fomentations avec l'infusion d'arnica. (Pendant mon internat à l'hôpital Sainte-Eugénie, dans le service de R. Marjolin, nous avons très-fréquemment obtenu avec rapidité (trois semaines environ) la résolution de cœphalamalomes volumineux par l'application bi-quotidienne d'un linge imbibé de teinture d'arnica.) Szerlecki vante la teinture alcoolique étendue de quatre fois son poids d'eau, en application sur les tumeurs hémorrhoïdales douloureuses. Cette teinture doit être préparée avec le suc fraîchement exprimé de la plante. J'ai appliqué avec avantage sur les ulcères sordides et gangréneux le mélange de parties égales de poudre de racine d'arnica et de camphre.

(Talley[2], a recours aux embrocations d’arnica dans les douleurs articulaires et musculaires.)

Les paysans des Vosges se servent des feuilles et des fleurs sèches d'arnica en guise de tabac.

L'extension que j'ai donnée à cet article est justifiée par le désir de réhabiliter une plante qui est loin de mériter la proscription dans laquelle elle languit depuis longtemps. Si les médecins allemands ont exagéré les propriétés de l'arnique, les médecins français l'ont trop dépréciée. Trousseau et Pidoux ne l'ont pas jugée digne de figurer dans leur excellent traité de thérapeutique et de matière médicale (5e édition).

(Actuellement, il se fait une réaction en sa faveur, et son emploi tend à se généraliser.)

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  1. Journal de médecine et de chirurgie pratique, 1846, p. 26.
  2. Bouchardat, Annuaire de thérapeutique, 1860, p. 80.