Aidinono (Pharmacopée malagasy)

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Ahibitsika
Rakoto, Boiteau, Mouton, Eléments de pharmacopée malagasy
Ail
Figure 14 : Aidinono : Euphorbia hirta L. En haut à gauche : cyathium. A gauche : feuille. A droite : port de la plante.

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Notice 14 - AIDINONO (Betsim., Merina, Betsil., etc)



Nom scientifique : Euphorbia hirta Linné et E. hirta var. procumbens (DC) N.E. Brown (Euphorbiacées).

(Synonymes : E. pilulifera L., E. capitata Lamk., E. gemella Lag., E. globulifera Kunth, E. nodiflora Steud., E. obliterata Jacq., E. ophtalmica Pers., E. procumbens DC., E. verticil!ata Vell., Tithymalus dulcis Sloane, T. botryoides Burm., Anesula esculenta Rumph., A. americana Plumier, etc.).


Noms malagasy : Aidinono est le nom couramment utilisé dans toute l'Ile (de aiditra = qu'on emploie comme ingrédient, et nono = sein ; allusion aux propriétés galactogènes). Ce nom est signalé par Bernier (manuscrit in herb. Paris) sur un échantillon n° 251, récolté à Sainte-Marie en 1834 ; repris par Bojer, Dandouau, Heckel, etc. Autour de Tananarive, on emploie aussi Zanraobera (corruption du nom créole « Jean-Robert »).

Tsimmamena (tandroy), d'après une note de Decorse (in herb. Paris) sur un échantillon récolté à Imanomba (juin 1900).

Description

Plante herbacée, rampante, riche en latex, à tiges de 10-15 centimètres, simples ou ramifiées, renflées aux noeuds, légèrement tachetées de pourpre et recouvertes à leur extrémité supérieure de poils jaunes, recourbés, pluricellulaires. Feuilles opposées, très inégales à la base et asymétriques,


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incurvées d'un côté, arrondies de l'autre, finement dentées sur les bords. Limbe parsemé de taches brunes rugueuses, pourvu de poils de deux sortes : les uns courts, incolores, incurvés, épais à la base, les autres plus longs, effilés, pluricellulaires, de couleur jaune, groupés en touffes sur les nervures, le pétiole et près du bord supérieur ; nervures secondaires très visibles, donnant à la feuille un aspect plissé, bulleux (surtout sur les feuilles jeunes) ; veinules tertiaires translucides par transparence. Cyathium (ensemble des fleurs mâles réduites à une étamine et de la fleur femelle unique) petit, très velu, de couleur jaune, à glandes peu visibles. Ces cyathiums densément groupés en cymes très courtement pédicellées à l'aisselle des feuilles supérieures. Le fruit est une petite capsule tricoque, brune, renfermant généralement trois graines ; celles-ci oblongues, rougeâtres, souvent plissées transversalement.

La variété procumbens ne diffère du type que par son port, les tiges étant plus couchées sur le sol, tout au moins à leur base.

Répartition géographique

Herbe rudérale poussant sur les chemins, talus, vieux murs et escaliers, entre les pierres du ballast des chemins de fer, mais aussi sur les terrains cultivés, les sols nus, sableux, etc. Très commune dans toute l'Ile. Probablement originaire d'Afrique, cette espèce est aujourd'hui répandue dans tous les pays tropicaux et subtropicaux du monde entier.

Bibliographie botanique

Linné, Species Plantarum (1762), p. 454 ; J. Costantin et J. Gallaud : « Note sur quelques Euphorbes nouvelles ou peu connues de la région du sud-ouest de Madagascar », rapportées par M. Geay, in Bull. Museum Nat. Hist. Nat. (Paris), 1905 ; H. Poisson : « Note sur les plantes à caoutchouc et à latex du sud et du sud-ouest de Madagascar », in Revue Générale de Botanique (Paris), XXI (1909) ; M. Denis : Les Euphorbiées des îles australes d'Afrique, in Rev. Gén. Bot., XXXIV (1922), p. 34-36.

Anatomie : structure interne de la tige ; dessin d'une coupe vue au microscope, publié par M. Denis, loc. cit., fig. 6.

Étude chimique

En raison de sa réputation très ancienne comme espèce médicinale, l’Euphorbia hirta a fait l'objet de premières tentatives d'étude chimique au XIXe siècle. Zunz, dès 1898, y signale la présence d'un alcaloïde. J.S. Hill in Pharm. Journ. (London), 110 (1909), p. r62, reconnaît la présence de résine, d'une substance cireuse, de tanins, de sucres, mais ne


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parvient à isoler aucun corps pur. Power et Browning, Pharm. Journ., 36 (1913), p. 506, confirment la présence d'alcaloïde et isolent l'acide gallique, la quercétine, le triacontane, l'alcool cérylique, les acides mélissique, palmitique, oléique, linoléique, ainsi qu'un stérol auquel ils donnent le nom d’euphostérol. Sternon (1942) pense avoir isolé un glucoside cardioactif ainsi que l'euphorbastérol. F.P. Hallet et L.M. Parks, dans une série de travaux (Journ. American Pharm. Assoc., Scient. Edit., 40 (1951), n° 1, p. 56-57 ; n° 7, p. 474 ; 42 (1953), n° 10, p. 607-609),isolent un principe conservant une activité antiasthmatique dont ils ne peuvent établir la structure et reconnaissent la présence d'inositol.

R. Pernet (Mémoires Inst. Scient. Madag., ser. B, VIII (1957), p. 58-59) a trouvé dans la plante récoltée autour de Tananarive : 1,0 p. 100 d'huile et matières grasses, 0,4 p. 100 de stérols, 2,6 p. 100 de résines, 1,7 p. 100 de sucres réducteurs, des anthocyanes et un saponoside.

Depuis lors, la même plante, appelée en Amérique latine « Hierba de la golondrina » (herbe aux hirondelles), a fait l'objet d'une thèse de E. Blando (Escuela Nacional de Ciencias Quimicas de la Universidad Nacional Autonoma de Mexico) en 1958. Nous n'en connaissons pas la teneur.

T. Takemoto et M. Inagaki (Université d'Osaka, Japon) y ont identifié deux triterpènes, le taraxérol et la taraxérone (Yakugaki Zashi, 78 (1958), p. 294-295, en japonais).

H. Estrada (Mexico) y trouvait de son côté deux autres triterpènes : la béta-amyrine et la friedeline, du béta-sitostérol et de l'hentriacontane (Boletin Institut Quimica Univ. Nac. Auton. Mexico, II (1959), p. 15-21, en espagnol).

M.M. N. Tandon et N. Ram, en Inde, dosaient dans la poudre de feuilles : 1,88 p. 100 de sucres totaux (dont 0,36 p. 100 de sucres réducteurs et 1,52 p. 100 de sucres non-réducteurs), 2,54 p. 100 de pectines; 4,68 p. 100 d'hémicelluloses, 1,53 p. 100 de polysaccharides non-cellulosiques, 4,85 p. 100 de cellulose et 11,5 p. 100 de lignine (Agra Univ. Journ. of Research, 12, 1re partie (1963), p. 47-58).

D.R. Gupta et S.K. Garg (Indian Journ. of applied Chemistry, 28 (1965), p. 113) étudiaient les acides libres de la plante, parmi lesquels notamment l'acide ellagique, et dans une étude ultérieure (Bull of the Chem. Soc. of Japan, 39 (1966), n° 11, p. 2532-2534) confirmaient la présence dans les tiges d'alcool myricique, de taraxérol, de friedeline, de béta-sitostérol et d'hentriacontane.

Dans une étude récente que nous citons plus loin (voir partie physiologique), P. Blanc et coll. ont récemment confirmé la présence d'alcaloïde par chromatographie (un spot colorable au Dragendorf; Rf= 0,60), mais ont signalé que sa proportion est faible.


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Il semble, en définitive, que les alcaloïdes, bien qu'en faible quantité, jouent un rôle pharmacologique important, les stérols et triterpènes abondants pouvant avoir une certaine activité synergique. Cependant l'alcaloïde en cause n'a pas encore été isolé et on ignore sa nature.

Propriétés pharmacologiques, indications thérapeutiques

C'est tout d'abord le soulagement apporté dans les crises d'asthme qui a attiré l'attention. La décoction de Jean-Robert passait pour le meilleur traitement de cette affection à l'île Maurice au XIXe siècle : « Quelques verres de cette tisane amènent parfois un soulagement immédiat ; un litre suffit dans certains cas. Il semble que l'on est à tout jamais guéri. Si des accès ultérieurs surviennent, ils sont moins pénibles et il est facile de les arrêter en recourant de nouveau à l'usage de ce médicament « qui donne de l'air », pour me servir de l'expression de plusieurs malades qui l'ont employé » (Dr Tison, dans Le Conseiller Médical, 15 juillet 1884, cité par le Dr C. Daruty de Grandpré).

Un pharmacien de Mahébourg, M. de Gaye, en préparait alors un elixir et des pilules qui connurent une grande popularité auprès des asthmatiques.

A la même époque. J.-H. Maiden, dans ses « Common Plants of Australia » (1889), p. 183, en dit aussi le plus grand bien et la baptise: « l'herbe antiasthmatique du Queensland ».

La seconde indication, universellement reconnue de la plante, est de calmer les spasmes intestinaux dus à la dysenterie amibienne ou à des diarrhées profuses, tout en régularisant les fonctions intestinales. Le Dr. H. Poisson a publié une étude à ce sujet, sous le titre : « L'Euphorbe Jean-Robert, plante médicinale », dans les 6e et 7e Rapports Annuels de la Société des Amis du Parc Botanique et Zoologique de Tananarive, un vol. in-4°, Tananarive, 1945 (étude qui figure aux pages 45-50 de ce rapport). Il considérait cette médication comme la meilleure et la mieux tolérée par les malades. Il en faisait d'ailleurs lui-même usage et, après son retour en France en 1954, il continua à en faire venir régulièrement de Tananarive.

La troisième propriété pharmacologique, le pouvoir galactogène de la plante, bien qu'il soit fort anciennement connu en Afrique et à Madagascar (comme le nom d’Aidinono en témoigne), fut longtemps tenu pour une légende sans fondement par les Européens. Ce n'est que tout récemment que P. Blanc, P. Bertrand, G. de Saqui-Sannes et R. Lescure (de la Faculté de Médecine de Toulouse), partant des observations empiriques


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faites en Afrique, ont expérimenté l'action de la poudre de plante stabilisée suivant la méthode de Perrot et Goris. Cette poudre, administrée au Cobaye femelle impubère à raison de 50 milligrammes par jour, provoque dès le cinquième jour un accroissement mensurable des glandes mammaires et dès le septième ou le huitième jour une sécrétion de type lactescent ou rappelant le colostrum.

On sait que beaucoup de plantes prétendues galactogènes n'agissent que très indirectement sur la lactation, soit par leur action apéritive, soit par la médiation de la thyroïde, un excès de thyroxine accroissant la lactation chez les nourrices. Mais il s'agit ici d'une véritable action galactogène, en ce sens qu'elle passe par la sécrétion de prolactine, hormone spécifique de la lactation. En effet, on a pu constater histologiquement un accroissement des cellules éosinophiles prolactinogènes du lobe antérieur de l'hypophyse chez les animaux traités (Service du professeur J. Broussy).

Ces travaux ont paru dans les Annales de Biologie Clinique (Paris), 21 (1963), n° 10-12, p. 829-840, et confirment le grand intérêt pharmacologique que présente Euphorbia hirta.

Posologie, formes pharmaceutiques

Le Dr Clément Daruty de Grandpré, dans ses « Plantes Médicinales de l'île Maurice », 2e édition, 1911, p. 20, recommande vivement pour le traitement de l'asthme la préparation suivante :

« Prenez du Jean-Robert séché à l'ombre : 30 grammes ; Eau : un litre et demi. Faites bouillir jusqu'à réduction d'un litre ; passez et ajoutez 30 grammes de rhum ou d'eau-de-vie.

Dose : un petit verre à vin trois fois par jour. Cette décoction fait cesser l'asthme le plus obstiné, ainsi que la toux et toutes les irritations des bronches ».

Chez certains malades, la décoction d’E. hirta peut cependant provoquer un peu d'irritation de la muqueuse stomacale. Il est alors préférable de recourir à l'extrait d’aidinono qu'on additionne de suc de réglisse ou d'acide para-amino-benzoïque. Dans ces conditions, la drogue est bien tolérée par tous les malades. La dose d'extrait est de 0,5 à 1,5 gramme par jour pour un adulte.

Pour le traitement de la dysenterie amibienne, on prépare une décoction à raison de 60 grammes de plante sèche par litre d'eau. Il n'est pas nécessaire de concentrer. On administre cette quantité dans la journée, associée à une diète légère, à base de riz.


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Spécialités à base d’Euphorbia hirta

E. hirta sert de base à plusieurs spécialités pharmaceutiques préparées en Europe et en Amérique. On peut citer notamment :

  • une spécialité française : le Glothyl, des Laboratoires Coirre, employée dans le traitement de l'asthme, des toux spasmodiques, des laryngites chroniques ;
  • une spécialité monégasque : le Socamibe, des Laboratoires Soca, préconisée dans les séquelles de dysenterie amibienne et l'amibiase chronique ;
  • un brevet américain (U.S. Patent Nr 3.117.910 du 14 janvier 1964) visant l'emploi des extraits d’E. hirta (appelée E. pilulifera L.) associés à divers autres produits médicamenteux.