Aconit (Cazin 1868)
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Nom accepté : Aconitum napellus
Aconitum cœruleum, seu Napellus primus. Bauh. — Napellus. Dod.
Napel, — capuchon, — coqueluchon, — tue-loup bleu, — pistolets, — madriélets, capuce ou capuchon de moine, — fève-de-loup, — thore.
RENONCULACÉES. — HELLEBORÉES. Fam. nat. — POLYANDRIE TRIGYNIE. L.
L'aconit napel (Pl. I), plante vivace, croît dans toute l'Europe, particulièrement dans les lieux ombragés et humides des montagnes du Dauphiné,
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de la Provence, du Languedoc, de l'Auvergne, du Jura, des Pyrénées, des Vosges, des Alpes. On la rencontre dans la forêt de Crécy, dans toute la ligne de Villers-Coterets à Meaux, dans les environs de Verviers. Je l'ai vue sur les remparts de Lille. Elle est cultivée dans les jardins, ce qui est très imprudent.
Description. — Racine épaisse, fibreuse, noirâtre, épaisse, napiforme, à rhizomes latéraux, courts, terminés chacun par trois racines pivotantes. — Tige droite, simple, glabre, cylindrique, haute d'environ un mètre. — Feuilles alternes, pétiolées jusqu'à la base en sept ou huit lobes allongés, profondément incisés en lanières étroites. — Fleurs violettes, bleues, grandes, disposées en épi terminal (de juillet en septembre). — Calice pétaloïde, irrégulier, formé de cinq sépales inégaux, pubescents en dedans ; un supérieur en capuchon, deux latéraux plans, inégalement arrondis, deux inférieurs plus petits, ovales, entiers. — Corolle formée de deux pétales irréguliers, à long onglet, canaliculés, terminés supérieurement par une sorte de petit capuchon creux, recourbé à son sommet, offrant à son ouverture une petite languette roulée en dessus ; ces deux pétales sont cachés sous le sépale supérieur. — Étamines au nombre de trente environ, égales, beaucoup plus courtes que le calice, à filets serrés les uns contre les autres. — Ovaire à trois carpelles surmontés de trois filets. — Fruit formé de trois (rarement de cinq) follicules glabres, oblongs, à bec aigu, divergents dans leur jeunesse. — Semences anguleuses, noires, chagrinées.
[Culture. — Cette plante vient dans tous les terrains et à toutes les expositions, et préfère les sols pierreux plutôt secs qu’humides ; on la propage soit de graines semées après leur maturité à mi-ombre, soit par division des touffes à l’automne ; elle se ressème d'elle-même.
Les A. spicatum, macrostachium, neubergense, variétés du napellus, et les A. variegatum, rostratum, paniculatum, stœrkanium, intermedium, espèces ou variétés de l’A. cammarum, sont souvent substituées au napellus. L’A. anthora est le type d'une première section des aconits, le cammarum celui d'une seconde et l’A. lycoctonum celui d'une troisième.]
Parties usitées. — Les feuilles et les racines.
Récolte. — On récolte cette plante dans le mois de juin. Après l'avoir mondée et disposée en guirlandes, on l'expose au séchoir. Elle perd de ses vertus par la dessiccation ; toutefois, desséchée avec soin et ayant conservé une belle couleur verte, elle garde ses propriétés âcres et narcotiques pendant longtemps. Elle est plus active dans le Midi que dans le Nord, à l'état sauvage qu'à celui de culture, recueillie dans les pays montagneux que dans les contrées basses et humides. L'aconit des montagnes de la Suisse doit être préféré. [La racine d’aconit doit être récoltée à l'automne, on la lave pour la débarrasser de la terre et on la fait sécher à l'étuve ; on la conserve dans un endroit sec et à l'obscurité. Il est peu de plantes sur les propriétés desquelles la culture, le climat, le choix des espèces aient plus d’influence que l'aconit ; il faut toujours repousser les espèces cultivées. D’après Schroff, de Vienne, qui a fait de belles recherches sur les aconits en 1862, ils devraient être classés par rang d’activité dans l’ordre suivant : 1° l’Aconitum ferox ; 2° l’A. napellus et ses sous-espèces ou variétés ; 3° l’A. neomontanum, l’A. tauricum et l’A. variabile ; 4° les Aconitum variegatum, cammarum, paniculatum et anthora. Les jeunes pousses de l’A. lycoctonum sont inoffensives ; Linné dit qu'elles sont mangées par les Lapons. Les racines, au contraire, se rapprochent par leur activité de celles de l’A. ferox Wallich qui croît sur l'Hymalaya, dont on trouve la racine dans le commerce ; elle renferme en moyenne deux fois plus de principe actif que l'aconit napel.]
Propriétés chimiques. — Steinacher, Braconnot, Pallas, Peschier, Geiger et Hesse, ont publié leurs analyses sur divers aconits. [Brandes en isola le principe actif, il le nomme aconitine, mais c'est Hesse qui, en 1833, l'obtint à l'état de pureté plus grande ; elle a été étudiée par Geiger, Berthemot, Stahlsmidt, Morson, Planta, Liégeois, E. Hottot, etc. Selon Stahlsmidt, l’aconitine peut être représentée par C60 H47 O14 Az. D’après les recherches récentes de Morson, l’aconitine est mélangée quelquefois avec une substance étrangère moins active qu’il désigne sous le nom de napelline ; quand à l’aconelline, découverte par G. et H. Smith et qui présenterait tous les caractères de la nicotine, son existence nous paraît très-douteuse.
Plusieurs procédés ont été proposés pour préparer l’aconitine ; celle du commerce est généralement impure ; elle agit, d’après E. Hottot et Liégeois, dix fois moins que lorsqu’elle est pure et obtenue par le procédé suivant, qu'ils ont indiqué : faire macérer
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pendant huit jours la poudre de racine d’aconit dans de l’alcool à 80° centésimaux ; on déplace l’alcool par l’eau, on distille les liqueurs alcooliques au bain-marie, on ajoute au résidu une quantité suffisante de chaux éteinte, on agite de temps en temps, on filtre et on précipite par un léger excès d’acide sulfurique, on évapore en consistance sirupeuse, on ajoute à la liqueur deux ou trois fois son poids d’eau, on laisse reposer et on enlève l’huile verte qui surnage et qui se solidifie à +20 degrés, on filtre sur un papier mouillé et on traite les liqueurs par l’ammoniaque ; à ébullition l’aconitine se précipite avec de la résine, le précipité est lavé à l’eau d’abord, puis avec de l’éther pur exempt d’alcool et d’eau ; par évaporation de la solution éthérée on obtient de l’aconitine impure, on la purifie en la dissolvant dans de l’acide sulfurique dilué et on précipite à chaud par l'ammoniaque ; il se précipite de l'aconitine que l'on fait dessécher et que l'on reprend par l'éther; on fait évaporer une seconde fois, on sulfatise et on précipite de nouveau par l'ammoniaque ajouté goutte à goutte, en ayant le soin de séparer les premières parties qui sont colorées ; on lave alors le précipité blanc à l'eau distillée et on fait sécher. 10 kilogr. de racine d'aconit ne donnent pas plus de 4 à 6 gr. d'aconitine.
L’aconitine ainsi obtenue est pulvérulente, blanche, incristallisable, légère, très-amère, elle contient 20 pour 100 d’eau qu’elle perd à 85 degrés et devient anhydre ; elle est peu soluble dans l’eau froide, très-soluble dans l’alcool, l’éther et le chloroforme ; elle bleuit le tournesol rougi, forme avec les acides des sels incristallisables ; l’acide sulfurique la colore en rouge, puis en violet ; le tannin et l’iodure ioduré de potassium la précipitent de ses dissolutions.]
A L’INTERIEUR. — Extrait alcoolique (2 sur 7 d'alcool à 21 degrés), 2 centigr. à 25 centigr. en pilules. |
A L’EXTERIEUR. — Extrait, de 2 à 4 gr. |
[Les préparations pharmaceutiques de l’aconit sont très-variables dans leur composition et dans leurs effets ; les plus fidèles sont l’extrait alcoolique et l’alcoolature ; l'extrait alcoolique de la racine est le plus actif, puis vient l'extrait alcoolique du suc, enfin l'extrait aqueux, celui du Codex, qui l'est très-peu ; selon M. Hirtz, l’action de l’extrait de racine d’aconit est à celle de l’extrait des feuilles :: 25 : 1.]
Il est toujours prudent de ne commencer l’usage de cette plante que par des quantités très-faibles, surtout si on ne connaît pas le degré d'activité de la préparation. On peut arriver, pour l’extrait aqueux, à la dose de 20 centigr. par jour et même davantage. (Quardi en a donné jusqu'à 15 centigr. et Borda jusqu'à 30 centigr. en vingt-quatre heures dans les maladies inflammatoires. La poudre de la racine peut se donner, dans la plupart des cas, à la même dose que l'extrait. On peut aussi, à l'exemple de Stoerk, donner l'extrait en poudre en le triturant avec une grande quantité de sucre. L'extrait préparé à grand feu est souvent carboné, noir et peu actif ou même inerte[1]. Préparé au bain
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- ↑ Le principe actif des renonculacées en général, et en particulier de l'aconit, se détruit par la chaleur et même par la simple dessiccation, les renouculacées fraîches, par exemple, dont quelques-unes sont de violents poisons pour les bestiaux, peuvent, à l'état sec, être mangées par eux sans danger.
Il est donc de tonte nécessité que l'extrait de cette plante soit préparé à une basse température. Grandval (Bulletin de thérapeutique, 1851, p. 399) a fait connaître, il y a six ou sept ans, un appareil qui permet l'évaporation à siccité dans le vide, non-seulement de l'extrait d'aconit, de celui de ciguë, mais de tous les extraits. Maldan, de l’hôpital de Reims, qui, sous la direction d'Andral, avait expérimenté l'extrait d'aconit dans des cas très-nombreux, à des doses élevées, et avec des résultats presque négatifs, a constaté l'action énergique des extraits d'aconit et de ciguë préparés à l'aide de l'appareil de Grandval. Celui de Berjot, qui évapore aussi dans le vide, produit les mêmes effets.
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de sable ou à la vapeur il est moins noir et conserve une partie de son principe actif. Stoerk se servait de l’extrait préparé avec le suc récent non dépuré de la plante fraîche, évaporé au soleil : cette préparation doit être préférée. Connue le principe de l'aconit se dissout dans l'alcool, la teinture et l'extrait alcoolique sont les préparations les plus énergiques, celles qu'on doit préférer, et qui demandent le plus de circonspection dans les premières doses à administrer. L’extrait aqueux se trouve, par rapport à l’extrait alcoolique, dans le rapport de 1 à 4, mais encore faut-il que la préparation de l’extrait alcoolique soit accompagnée de quelques précautions, et Schroff donne la préférence au procédé de Pach, pharmacien à Vienne : la plante est coupée en morceaux, contusée et mise à infuser avec partie égale en poids d'alcool à 36 degrés ; on l'abandonne ainsi, pendant trois jours, à la température ordinaire, en la remuant de temps en temps; puis on exprime, on filtre et on évapore au bain-marie, jusqu'à consistance d'extrait.
Dès la plus haute antiquité, l'aconit napel a été mis au nombre des poisons les plus violents. Les poètes l'ont fait naître de l'écume de Cerbère et ont prétendu que Médée en fabriquait ses poisons :
Hujus in exitum miscet Medea quod olim | |
Attulerat secum scythis aconitum ab oris. | |
(Ovide.) |
Les lois de plusieurs peuples anciens prescrivaient l'aconit comme la ciguë pour infliger la peine de mort. Les Scythes et les Gaulois s'en servaient pour empoisonner les flèches. On assure même que plusieurs peuplades sauvages se servent encore aujourd’hui pour cet usage de l’aconitun ferox, dont la force toxique est plus terrible que celle de nos espèces européennes. C'est le bish ou biskh des Indiens.
(ACTION PHYSIOLOGIQUE. — Sur les animaux : Entre les mains de Wepfer, Courtois, Sproegel, Viborg, Hillefeld, Ehrar, Brodie, Orfila, Pereira, Fleming, Eades, Schroff, Hirtz, l’aconit administré à dose toxique a produit des effets dont la concordance, jointe à l’autorité des observateurs, assure la réalité. Les chiens, les chats, les loups et les rats, éprouvent des vomissements, du hoquet, de la dyspnée, avec ralentissement de la respiration et de la circulation; puis l’insensibilité générale et spéciale (organe des sens) apparaît, la paralysie la suit de près. Tous les phénomènes susmentionnés augmentent d'intensité, et l'animal, après quelques convulsions, meurt par les progrès de la paralysie et l'asphyxie, qui en est la conséquence.
Les lésions cadavériques se rapportaient, dans plusieurs cas, à une gastroentérite générale; on a trouvé le sang très-fluide. Brodie a rencontré le poumon gorgé de sang, mais pas d'inflammation dans l'estomac, ni dans les intestins. Les expériences tentées par Rayer[1] confirment ces résultats. Les mêmes accidents surviennent lorsqu’on met le suc ou l'extrait de la plante en contact soit avec la membrane interne du rectum, soit avec le tissu cellulaire, ou quand on l'injecte dans les veines.
Sur l’homme : A. Effets locaux. L’application simple et la friction ne déterminent aucun effet sur la peau recouverte par l'épiderme, si on en excepte toutefois les endroits où cette membrane est très-mince ; il se pro-
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- ↑ Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, t. Ier, p. 293.
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duit alors, surtout si on opère par friction, des démangeaisons accompagnées d'un sentiment de chaleur et de tension.)
La plante fraîche, mise sur la langue, y détermine un sentiment d'ardeur et de douleur, qui s'étend jusqu'au gosier et qui engourdit ces parties. La racine mâchée parait d’abord douce ; mais à cette douceur insidieuse succède bientôt dans l'intérieur de la bouche un sentiment d'ardeur et de torpeur, suivi d'une sorte de tremblement et de froid, et accompagné d'une excrétion abondante de salive. Ces phénomènes se dissipent avec assez de promptitude ; cependant Brodie assure que l’engourdissement ne disparaît qu'au bout de deux à trois heures. Ce médecin a sans doute employé l'aconit suisse, car la racine prise dans mon jardin, et que j'ai mâchée pendant une ou deux secondes, ne m'a laissé, après une excrétion salivaire assez abondante, qu'un léger engourdissement dont la durée, avec diminution graduelle, n'a été que de quinze à vingt minutes.
(La substance avalée produit, à son passage dans le pharynx, l'œsophage et l'estomac, la même impression pénible. On observe alors quelques nausées, des borborygmes, puis l'effet dynamique ne tarde pas à se faire sentir. Le contact de cette plante sur les muqueuses digestives produit donc des phénomènes d'irritation. Elle agit de la même façon sur la conjonctive et sur la pituitaire, déterminant en plus l'augmentation de leurs sécrétions particulières (larmoiement, éternuement).
(B. Effets généraux. L'aconit, comme toutes les plantes vénéneuses, a des effets gradués, selon les doses.
A dose modérée (de 50 centigr. à 1 gr. 50 centigr. d’alcoolature), phénomène de non-tolérance de la part de l’estomac ; puis, au bout d’une demi-heure environ, sensation de picotement, de fourmillement, qui, des lèvres, de la langue, s’étend au cou, à la face et graduellement à toutes les parties du corps (Hirtz) ; la sensibilité cutanée devient obtuse, l'action musculaire difficile ; la respiration, laborieuse, diminue de rapidité (de 18 inspirations par minute, nombre normal, à 13 ou 14) ; le pouls éprouve d'abord une certaine accélération, et descend de 75 à 66 et à 56, suivant les doses employées, et cela au bout d'une heure environ après l'ingestion du médicament. A ce moment, les sens perdent leur activité et la netteté de leurs impressions. Le sujet éprouve un sentiment de lourdeur et une grande propension au sommeil, sans que pour cela il perde connaissance ; les extrémités sont le siège d’un froid marqué et d’un frissonnement très-désagréable ; puis, après trois ou quatre heures de cet état, peu à peu les choses rentrent dans l'ordre ; le picotement persiste assez longtemps.
A dose toxique, les phénomènes que nous venons d'esquisser s'exagèrent, prenant une gravité et une marche proportionnelles à la quantité de poison ingérée, au mode d'administration (dose toxique prise graduellement ou d'un seul coup), et aussi à la susceptibilité individuelle.
Pâleur, peau froide, sueurs générales, céphalalgie compressive, vertiges ; nausées, vomituritions, vomissements ; prostration extrême, pouls filiforme, quelquefois irrégulier, tantôt très-lent (de 36 à 40 plus.), tantôt plus accéléré (90). Respiration difficile, inégale, suspirieuse. Voix éteinte ; dans ces cas, la vie peut encore être conservée ; dans les cas plus graves, perte des sens, forte dilatation des pupilles, paralysie des extrémités, puis immobilité complète, qui n’est troublée que par de légères convulsions ; pouls imperceptible ; respiration rare et entrecoupée. Mort, tantôt par syncope, tantôt par asphyxie.)
(Consultez, pour plus amples détails, Fleming, An inquiry into the physiol. and med. properties of the aconit. Lond., 1843 ; Lombe Atthill a publié, in Dublin quarterly Journ. of med. sc, Aug. 1861, une observation très-détaillée et qui reproduit bien le tableau de tous les symptômes propres à l'empoisonnement par l'aconit.)
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(Lorsque l’on a pratiqué l’autopsie d’individus ayant succombé, on a trouvé le ventre ballonné, la face tuméfiée, les extrémités plus ou moins cyanosées ; le tube digestif enflammé ; les vaisseaux veineux, les poumons et les vaisseaux des membranes du cerveau gorgés de sang ; les grandes cavités séreuses ont quelquefois été rencontrées le siège d'épanchement. Nous ne connaissons pas d’empoisonnement criminel par l'aconit ; c'est toujours par mégarde ou par erreur que pareil accident a eu lieu.)
[D'après E. Hottot (1)[1], le tannin[2], et surtout l'iodure ioduré de potassium, en solution très-étendue, peuvent être regardés comme les contrepoisons de l'aconit. On commencera le traitement en favorisant les vomissements à l’aide de boissons huileuses ou mucilagineuses ; on pratiquera des frictions excitantes pour rappeler la chaleur à la peau. Les Rasoriens, qui regardent l’aconit comme hyposthénisant vasculaire, conseillent, avec juste raison, les stimulants diffusibles à l'intérieur ; tandis qu'Orfila conseille d'abord les éméto-cathartiques et les antiphlogistiques.]
(Des expériences sur les animaux ont montré l'action favorable de l'aconit comme antidote de l'empoisonnement par la strychnine. La connaissance des actions physiologiques des deux poisons la faisait assez pressentir. Une observation, publiée dans l’Amer. med. times (1862), relate l’heureux emploi de la teinture de noix vomique contre l’empoisonnement par l'aconit.
(Garrod[3] a tenté diverses expériences pour prouver que le charbon animal, purifié ou non, possédait une action neutralisante dans le cas d'ingestion de l'aconit. Il est bien entendu que le poison ne doit pas encore être absorbé ; c’est probablement en s'opposant à l'absorption que ce moyen réussit. Le charbon végétal reste sans effet.
Nous croyons, en raison des applications thérapeutiques qui en découleront naturellement, devoir insister sur certains points de l'action physiologique de la plante qui nous occupe.
Le professeur Fouquier, Schroff, Turnbull, lui attribuent un effet diurétique ; Schrolf l’accuse de déterminer des démangeaisons à la peau, suivies de désquamation ; Turnbull la regarde comme diaphorétique.
Suivant Schroff, l'aconit paraît encore avoir, ainsi que Bichat en avait déjà fait la remarque, une action élective et spéciale sur le trijumeau, laquelle se produit par des sensations subjectives particulières, le plus souvent douloureuses, dans toutes les parties animées par les rameaux sensitifs de ce nerf.
Il résulte de ce qui précède, que l'aconit agit en déprimant fortement l'activité du coeur et des gros vaisseaux, soit immédiatement, soit à la suite d'une légère accélération dans les mouvements de l'organe central de la circulation. Il possède sur les centres nerveux une action évidente interprétée de diverses façons. Eades[4] lui attribue la spécialité de paralyser les nerfs du sentiment ; si, vers la fin de la vie, il se manifeste quelques phénomènes convulsifs, c’est à l'anémie cérébrale qu'il faut en rapporter la cause.)
L'action de l'aconit est essentiellement asthénique. C'est donc à tort qu'on a regardé cette, plante comme analogue à l'opium. L'action de ces deux substances est si différente, que l'une peut être détruite par l'autre. La première, en effet, est antiphlogistique; tandis que l'autre est évidemment stimulante du système sanguin. « Le véritable antidote de l'aconit a été, dit Giacomini, indiqué par Lémery. Ce grand observateur avait remarqué que l'aconit tue en produisant des phénomènes analogues à ceux de
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- ↑ Thèses de la Faculté de Paris, 1863.
- ↑ Matthiole conseillait déjà comme contre-poison la décoction de pelures de glands de chêne dans du vin.
- ↑ Bulletin thérapeutique, 28 février 1858.
- ↑ Some obs. on the action of Aconit. (Dublin, Journ. of med., 18/|5, t. XXVII, p. 55.)
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la vipère, Il a, en conséquence, proposé les remèdes opiacés et ammoniacaux, tels que la thériaque et le sel volatil de corne de cerf. Les anciens préconisaient le vin pour corriger les effets de l’aconit, ainsi que cela nous est laissé écrit par Macrobe, par Pline et par Celse. Les Italiens ne se sont pas éloignés de ces préceptes en prescrivant les éthers, l'alcool et l'opium, d'après la connaissance de la vertu controstimulante de l'aconit. »
Un fait, publié récemment par la revue thérapeutique du Midi (1854), vient à l’appui de cette manière de voir. Il s'agit d'une malade qui avait avalé une cuillerée à café de teinture d'aconit. Après trois heures de l'emploi de divers moyens, qui apportent un peu de soulagement, teinture d'opium, 20 gouttes de temps en temps. Dès que la malade eut pris ce dernier médicament, elle se trouva beaucoup mieux ; les symptômes se calmèrent. En quelques heures tout paraissait rentré dans l'ordre, et le lendemain il ne restait aucune trace de cet accident.
(Depuis qu'on a étudié avec soin l'antagonisme des substances toxiques, il a été publié bon nombre de faits tendant à établir solidement celui qui existe entre l'aconit et l'opium.)
Pour Teissier[1], dont les expérimentations sur les effects de l'aconit sont très-nombreuses, le caractère essentiel de cette plante est d'agir sur la peau. Il a, dit ce médecin, une propriété éliminatrice spéciale sur celle membrane, qui le rend utile comme médication principale ou comme simple élément de la médication dans toutes les maladies où la perturbation de l’activité cutanée joue un grand rôle…. L’aconit n’est point, selon l'opinion de Teissier, un médicament franchement antiphlogistique ; seulement, dans un assez grand nombre de maladies, il diminue la fréquence du pouls en calmant les douleurs qui produisent la fièvre, ou bien en favorisant l'élimination du principe morbide qui l'entretient.
Suivant Trousseau et Pidoux, l'aconit exerce seulement sur l'économie une action stupéfiante en vertu de laquelle il peut calmer les douleurs névralgiques et rhumatismales : « Cette propriété, toutefois, disent ces auteurs, il la possède à un moindre degré que d'autres substances dont l'emploi est en quelque sorte trivial. Sans doute aussi il peut provoquer des sueurs, en modifiant certaines autres sécrétions ; mais, en cela, il n'a rien qui le distingue de la ciguë, de la jusquiame, de scille, etc., etc. »
C'est faire à l'aconit une part trop restreinte. Si les plantes narcotiques ou stupéliantes ont des propriétés qui leur sont communes, chacune d'elles en possède qui lui est propre. L'une ne saurait être substituée à l'autre d'une manière absolue. L'aconit a guéri des névralgies et des rhumatismes contre lesquels on avait inutilement employé l'opium, la jusquiame et la belladone. L’aconit combat efficacement les douleurs phlegmasiques, parce qu'il agit non-seulement contre les douleurs comme tous les stupéfiants, mais aussi contre l'élément fébrile par une propriété qui lui est particulière ; tandis que l'opium, par son action excitante sur le système sanguin, augmente la fièvre et peut ainsi aggraver la maladie dont il ne fait qu'engourdir momentanément un des symptômes.
Il résulte de l’expérimentation physiologique et des faits thérapeutiques bien observés, que l’aconit est un remède antiphlogistique dont l'action dans les maladies à caractère hypersthénique ne saurait être contestée. Cependant, nous ne dirons point avec les homœopathes qu'il peut, dans tous les cas d'inflammations aiguës ou de congestions sanguines, remplacer efficacement la saignée. La raison et la dignité professionnelle ont fait justice de la thérapeutique lilliputienne d'Hahnemann, que le crédule amour du merveilleux accueille encore, et que le charlatanisme sait si bien exploiter. Même à dose allopathique, l'aconit ne saurait être substitué d'une manière
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- ↑ Gazette médicale de Lyon, 1850.
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absolue aux émissions sanguines, reconnues depuis un temps immémorial comme les meilleurs moyens de combattre les inflammations à marche aiguë et franche, surtout chez les sujets bien constitués et vigoureux. Ici, l'action thérapeutique est directe, promptement efficace. Par l'aconit, elle n'est qu'indirecte, plus ou moins dilficile à calculer, plus ou moins lente ou irrégulière, soumise aux idiosyncrasies, etc.
Il n'en est pas moins vrai que l'aconit a produit d'heureux effets dans quelques maladies inflammatoires. Il est même des circonstances où il doit être préféré à la saignée. Marbot[1], chirurgien de la marine, vit éclater dans son équipage une dysenterie qui résista, au bout d'un certain temps, aux vomitifs et aux purgatifs. Son caractère inflammatoire semblait indiquer les évacuations sanguines; mais ces moyens sont inefficaces dans les pays intertropicaux, Marbot eut recours à l'aconit napel, et dès lors il sauva tous ses malades. Il faisait prendre, par cuillerées dans les vingt-quatre heures, une solution de 10 centigr. d’extrait alcoolique de cette plante dans 100 gr. d'eau. « L'aconit, dit Marbot, n'a d'autre effet sur les selles que d'y supprimer l'exhalation sanguine, et de diminuer la réaction fébrile, ce qui est l'indication principale au début des dysenteries graves. Les selles restent muqueuses, glaireuses : on les attaque alors par l'ipécacuanha et le calomel, qui complètent la guérison. »
J'ai pu me convaincre de l'efficacité de l'extrait alcoolique d'aconit dans la dysenterie essentiellement inflammatoire qui a régné à Boulogne-sur-Mer, durant l'automne de 1854, immédiatement après l'épidémie de choléra, dont les ravages avaient laissé dans la population un état moral dépressif ou un trouble nerveux qui, dans la plupart des cas, contre-indiquait la saignée. Je dois dire aussi que ce médicament ne m'a pas réussi chez les sujets faibles, lymphatiques, débilités par des affections antérieures, tandis que l'opium s'est alors montré d'une efficacité remarquable.
Roy, de Lyon[2], a essayé, à plusieurs reprises, cette médication contre la dysenterie dans les cas seulement où il soupçonnait un éréthisme sanguin dans le dernier intestin, et il a obtenu le même succès. Ce médecin a reconnu, avec Teissier, que l'aconit produit de la détente et une moiteur salutaire à la première période des fièvres éruptives (rougeole, variole, scarlatine, miliaire, urticaire, etc.), alors que le système capillaire sanguin se trouve surexcité, la peau chaude et un peu sèche. Suivant Teissier, l'alcoolature d'aconit serait un remède avantageux dans la courbature, l'érysipèle de la face, l'angine, le catarrhe pulmonaire aigu, la grippe, la coqueluche, les rhumatismes articulaire et musculaire, la goutte, etc.
Lombard, de Genève[3], regarde l’aconit comme une sorte de spécifique contre le rhumatisme articulaire aigu. Il donne l'extrait alcoolique, à la dose de 1 à 2 centigr. 1/2, toutes les deux heures. Il le répète progressivement à 30 et même à 45 centigr. par jour. Gintrac[4] a publié trois observations de rhumatismes aigus dans lesquels il a donné avec succès l'extrait d'aconit napel. Ajoutons à ces témoignages ceux de Double, Pereira, Borson, Turnbull, Fleming, etc.
« Dans les rhumatismes bénins apyrétiques ou accompagnés seulement d’une fièvre légère, dit Teissier, l'alcoolature d'aconit, administrée dès le début, peut supprimer complètement les douleurs en trois ou quatre jours, et abréger par conséquent la durée de la maladie. L'observation nous a appris, au contraire, que dans les rhumatismes intenses, accompagnés d’un mouvement fébrile très-prononcé, la même substance pouvait bien modérer les accidents, mais qu'elle n'était pas susceptible d'arrêter brusquement la
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- ↑ Revue de thérapeutique médico chirurgicale, 1853, p. 66.
- ↑ Revue de thérapeutique médico chirurgicale, 1853, p. 66.
- ↑ Gazette médicale de Paris, août 1834.
- ↑ Journal de médecine de bordeaux, 1835.
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maladie dans sa marche. » Il est alors rationnel d’avoir recours d’abord à l’antiphlogistique direct, à la saignée, afin de mitiger promptement les symptôme, l’angioténie général, la fièvre, et de rendre ainsi l’organisme plus accessible à l'action de l'aconit.
L'extrait de suc non dépuré de celte plante, administré à doses graduellement augmentées jusqu'à celle de 40 centigr. par jour, a complètement répondu à mon attente dans trois cas de rhumatismes aigus très-intenses, dans lesquels la saignée, indiquée par l'état pléthorique et la vigueur des sujets, avait été préalablement pratiquée. Dans un quatrième cas, qui s’est offert à mon observation en novembre 1853, chez une femme de trente-cinq ans, lymphatique, délicate et affaiblie par un allaitement prolongé, l’aconit, administré seul dès le début et continué à dose graduellement augmentée, ayant complétement échoué, l'extrait gommeux d'opium, à la dose de 5 centigr., de trois heures en trois heures, calma immédiatement les douleurs, produisit une sueur générale et soutenue, qui amena la guérison en quelques jours.
Ce résultat vient justifier l'opinion émise plus haut sur les effets opposés de l'aconit et de l'opium. Il s'explique par l'état du malade. En pathologie, il n'y a rien d'absolu; en dehors des lois générales, il y a toujours des exceptions. Si, en effet, les maladies s'offrent de prime-abord aux yeux du médecin avec leurs caractères identiques chez tous les malades, un examen plus approfondi y fait bientôt découvrir les influences physiologiques individuelles, la diversité des causes, les circonstances accidentelles, qui, au fond, les modifient, les différencient, les changent même parfois de nature. De là une source d'indications et de contre-indications, que le praticien consciencieux doit saisir avec la sagacité de l'expérience au milieu d'une clientèle qui lui laisse à peine le temps de la réflexion, et qui échappent au médecin routinier, dont toute la clinique consiste à désigner une maladie par son nom, et à lui opposer dans tous les cas le même remède.
L'aconit agit moins efficacement dans le rhumatisme chronique. Cependant, Barthez le considère comme un antigoutteux des plus puissants ; il a guéri, au moyen de son extrait, des affections goutteuses associées à la syphilis. Murray dit que l'aconit longtemps continué peut résoudre les tophus arthritiques. Collin, Odhelius, Ludwig, Andrew, Nysten, en font également l'éloge dans le traitement de ces affections. Royer-Collard se loue beaucoup de l'extrait d'aconit, qu'il a employé sur lui-même pour combattre la goutte. « Rosenstein, dit Bodart, a guéri en quinze jours, au moyen de cette plante, une dame qui, depuis dix mois, était retenue au lit par un rhumatisme causé par le froid, dont elle avait été saisie à la suite d'une couche. Ribes, avec le même remède, a guéri une demoiselle depuis longtemps atteinte d'un rhumatisme très-douloureux qui lui rendait le bras immobile, et dont les muscles étaient d'une dureté extraordinaire.
C'est surtout dans les névralgies que l'aconit napel s'est montré d'une grande efficacité. Bergius a constaté les bons effets de l'aconit dans le traitement de la sciatique. Vogel calma, au moyen de ce médicament, une migraine qui avait résisté pendant onze ans à tous les remèdes. Wildberg. Hufeland, Prus, etc., ont employé avec succès le même moyen dans diflérentes espèces de névralgies, et notamment dans les névralgies faciales. Burger[1] en a éprouvé les bons effets dans la céphalalgie nerveuse. Il prescrivait les pilules d'extrait frais, à la dose de 2 centigr., toutes les deux heures. Costes[2] fait prendre une pilule contenant 5 centigr. d'extrait alcoolique d'aconit, toutes les trois heures, dans les névralgies simples, où la douleur est l'élément dominant. Fleming[3] a traité quarante-quatre
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- ↑ Bouchardat, Annuaire de thérapeutique, 1842.
- ↑ Mémoires etc., 1847.
- ↑ Bouchardat, Annuaire de thérapeutique, 1847.
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névralgies par la teinture d'aconit; dix-spet ont guéri radicalement, treize n'ont obtenu qu'un soulagement momentané. Sur quarante-deux cas de douleurs dentaires traitées par le même médicament, soit en frictions sur les gencives, soit en l'introduisant dans la cavité de la dent malade, il y a eu vingt-sept guérisons immédiates, sept soulagements, et neuf résultats nuls. Dans la migraine, ce médicament lui a procuré dix cas de guérison sur quinze. Malgaigne[1] a employé l’extrait d'aconit contre la névralgie du col utérin. N'ayant retiré aucun avantage de l'aconit indigène, il se servit de l'aconit provenant des montagnes de la Suisse, qu'il tenait de Koreff. Il le fit administrer à la dose de 5 à 10 centigr. dans 125 gr. de julep gommeux, à prendre par cuillerée à bouche de deux heures en deux heures. Trois femmes en traitement pour des engorgements du col utérin avec névralgie ont pris cette potion ; l’une d’elles avait des douleurs dans le ventre et dans le sein droit. Ces douleurs ont cessé immédiatement. Dans les autres cas, la névralgie a perdu seulement de son intensité. Eades[2] a guéri plusieurs névralgies en appliquant sur la partie malade des linges imbibés d'un liquide préparé avec 16 gr. de teinture d'aconit et 120 gr. d'eau de rose. La plante appliquée fraîche m’a quelquefois réussi pour apaiser des douleurs que rien ne pouvait calmer ; mais continuée, cette application peut rubéfier la peau.
D'après Teissier, les névralgies récentes cèdent surtout à l'aconit ; dans les névralgies invétérées, il calme seulement la douleur. Les faits que j'ai observés confirment cette opinion,
Arran[3] a employé avec succès l'extrait d'aconit à haute dose dans le traitement des névralgies faciales périodiques, lesquelles sont quelquefois rebelles au sulfate de quinine. Dans le cas le plus remarquable, chez un homme de cinquante-trois ans, qui avait été atteint à trois reprises différentes d’une névralgie faciale sus-orbitaire, les douleurs étaient parfaitement réglées dans leur retour, et tellement intenses que le malade restait immobile, l'oeil droit à demi fermé et larmoyant : des irradiations douloureuses se répandaient avec élancements dans toute la tête et notamment dans la face et les dents. L'extrait d'aconit, donné dès le premier jonr, à la dose de 8 pilules de 5 centigr., une de trois heures en trois heures, dans les vingt-quatre heures, et ensuite augmentée graduellement jusqu'à 12 pilules, fil disparaître les accès dans l'espace de cinq jours[4].
Un cas semblable s'est offert tout récemment à mon observation chez une dame écossaise. Mme Fordyce, âgée de soixante-trois ans, d'une constitution grêle, d'un tempérament nerveux, ayant été, à diverses époques, atteinte de névralgie. Prise au mois d’avril 1855 d’une violente douleur sus-orbitaire du côté droit, elle réclama mes soins. Celte névralgie commençait périodiquement tous les jours à midi, augmentait peu à peu d'intensité, devenait intolérable vers cinq heures, et ne cessait que dans la nuit. J’avais inutilement administré le sulfate de quinine (qui, dans les attaques précédentes, avait guéri Mme Fordyce), le valérianate de quinine, le cyanure de potassium, la belladone à l’intérieur et à l'extérieur, l'hydrochlorate de morphine, lorsqu'au bout de douze jours, me rappelant les heureux effets obtenus par Aran, j'eus recours à l'extrait d'aconit. J'en fis prendre d'abord 2 centigr. 1/2 en pilules, de deux heures en deux heures, dans l'intermission. Le soulagement fut peu sensible. Le lendemain je portai la dose à
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- ↑ Journal de médecine et de chirurgie pratique, 1848, p. 641.
- ↑ Abeille médicale, octobre 1845.
- ↑ Bulletin de thérapeutique, 1854, p. 84.
- ↑ Il est, à remarquer que l’extrait d’aconit de la pharmacie de l'hôpital, où a été recueillie cette observation. était faible. Dans d'autres cas, il ne faudrait débuter, suivant l'avis judicieux du rédacteur du bulletin général de thérapeutique, que par la dose de 10 centigrammes, et n'aller beaucoup au delà que graduellement.
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3 centigr. par pilule ; l’accès diminua de moitié, tant en intensité qu’en durée. Le troisième jour les pilules furent de 4 centigr., toujours répétées cinq fois ; l’accès lut à peu près le même que la veille. La dose fut le quatrième jour de 6 centigr. pour chaque pilule (5 pilules) : l’accès lut remplacé par un état d’affaissement et de somnolence avec pesanteur de tète. Le cinquième jour, après une dose semblable à celle de la veille, la guérison était complète. Mme Fordyce, qui depuis a fait un voyage à Paris, n'a eu aucun indice de retour de sa névralgie.
(Debout[1] fait remarquer que les névralgies faciales sont de deux espèces : les unes symptomatiques de l’anémie, durant toute la journée et exaspérées par le froid, obéissent de préférence à l’opium ; les autres, plus essentielles, dues à une sorte de congestion, s’exagèrent par la chaleur, prédominent pendant la nuit ; elles cèdent à l’aconit.)
Imbert-Gourbeyre rapporte, dans son remarquable mémoire sur l’aconit, une observation sur les bons effets de cette renonculacée dans un cas de névralgie du coeur. Copland, dans son Dictionnary of pract. med., se Ioue beaucoup de l'efficacité de l'aconit dans la même affection. Les résultats thérapeutiques signalés par le médecin anglais semblent se trouver confirmés par l'observation précédente[2].
L'aconit a joui d'une grande réputation dans le traitement de la phthisie. Busch[3] prétend qu'on peut arrêter la phthisie pulmonaire en combattant l'état nerveux au début de la maladie. Cette opinion est conforme à celle de Double, qui donnait l'aconit dans certains cas de phthisie pulmonaire lorsque la maladie était encore bornée aux spasmes nerveux. Harel du Tancrel a publié une série d'observations tendant à prouver l'utilité de l'aconit associé à de faibles doses de sulfure de chaux, contre cette maladie. Mais Portal n’en a obtenu aucun-avantage. Trousseau et Pidoux l'ont aussi administré sans succès. « Nous serions heureux, disent ces derniers, de pouvoir ajouter foi à de semblables résultats; mais des essais tentés par nous dans les phthisies dont les signes n'étaient point équivoques, nous ont convaincus de l'inutilité de ce moyen. »
Ces dissidences trouvent leur explication dans les circonstances diverses où se trouve le malade, dans l'état des organes, dans l'élément morbide concomitant, lors de l'administration du médicament. L'aconit ne doit être admis ni rejeté dans tous les cas. Roy de Lyon[4] pensait que les propriétés sédatives de cette plante pourraient être utilisées lorsqu'un système est surexcité ; et, se rappelant les éloges donnés à l'aconit dans la phthisie, il l'a administré dans tous les cas de tuberculisation aigue, où le système capillaire sanguin est développé, où il y a coloration de la face, dans certaines hémoptysies actives. Il en a retiré des avantages contre la complication phlegmasique. Mais l'aconit paraît sans influence sur le fond même du mal, la production tuberculeuse. Voilà ce qu'on peut appeler de l'éclectisme pratique.
Je partage d'autant plus l'opinion du médecin distingué que je viens de citer, que j'ai moi-même employé avec succès, depuis plus de vingt ans, les préparations d'aconit dans l'inflammation chronique des poumons, maladie très-rare dans nos grandes cités, mais assez fréquente à la campagne, où, comme l'a remarqué notre savant et honorable confrère Munaret , sur dix cas de phthisie pulmonaire, sept proviennent de rhume négligé. Dans ces cas, où la fréquence du pouls, la chaleur de la peau, l'état fébrile sont permanents, et donnent à l'affection les caractères plus ou moins prononcés de l'acuité, bien que, par la durée, elle soit considérée comme chronique, j'ai toujours eu à me louer de l'emploi de l'extrait de suc d'aconit ou de la
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- ↑ Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, t. I, p. 584.
- ↑ Moniteur des hôpitaux et Bulletin général de thérapeutique, 1855.
- ↑ Recherches sur la nature et le traitement de la phthisie. Strasbourg, an IV.
- ↑ Revue de thérapeutique médico chirurgicale, 1863.
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teinture alcoolique de cette plante. Sous leur influence, le pouls se ralentissait, la toux diminuait considérablement, les douleurs se calmaient, le sommeil revenait, et le malade se trouvant dans des conditions favorables à l'action des révulsifs, j'employais alors avec avantage les vésicatoires, les cautères, les frictions stibiées, etc. Je parvenais ainsi à suspendre la marche de la maladie, et quelquefois même à la guérir.
J'ai eu beaucoup à me louer de l'aconit dans le traitement de la coqueluche qui a régné à Boulogne avec une grande intensité pendant l'été de 1855. La poudre des feuilles était administrée comme la belladone à dose proportionnée à l'âge ; elle me réussissait souvent dans des cas opiniâtres où cette dernière avait échoué. J'ai aussi employé dans cette aflection, souvent si redoutable par ses complications ou ses suites, l'extrait alcoolique et la teinture d'aconit, administrés avec prudence et en commençant par des doses très-minimes (1 milligram. à 1 cent.).
(C'est surtout dans les affections nerveuses des voies respiratoires qu'on pourra sérieusement compter sur les effets de l'aconit ; il a une action non douteuse dans lasthme, où je l'ai vu calmer considérablement les accès et éloigner leur retour.)
L'aconit a été proposé contre l'infection purulente par J.-P. Tessier, de Paris, en 1846. A son exemple, Chassaignac[1] a tenté non-seulement de guérir, mais encore de prévenir l'infection à l'aide de la teinture alcoolique d'aconit, qu'il donne à la dose progressive de 1 à 5 gr. Trente malades opérés par lui ont été soumis à ce traitement ; aucun d'eux n'a été atteint de l'infection purulente. Mais, ainsi que ce chirurgien en est convenu lui-même, ces faits ne sont pas assez nombreux ni assez concluants pour juger une question aussi difficile. Pour prévenir l'infection purulente dans les abcès de la région cervicale et l'abcès profond de la cuisse, Paul Guersant[2] donne avec avantage l'extrait de quinquina et la teinture alcoolique d'aconit. Le malade prend matin et soir une pilule de 20 centig, d'extrait mou de quinquina, et dans les vingt-quatre heures un julep contenant de 2 à 4 gr. d'alcoolature d'aconit. Cette dernière est donnée dès le début, c'est-à-dire aussitôt qu'il survient des frissons et des nausées. Chez deux petits malades qui prenaient ce médicament à la dose de 2 à 3 gr. depuis huit jours, on a remarqué des accidents de cécité ; mais le trouble de la vue disparut promptement. Ce n'est pas là un obstacle sérieux à l'administration de ce médicament.
(Isnard a résumé dans trois articles de l'Union médicale (4e trimestre, 1861, p. 23-43-64) l'état de la science sur cette question. Il est arrivé aux conclusions suivantes, reposant sur les faits publiés et sur ceux de sa propre pratique : « L'action prophylactique de l'aconit, quoique manquant encore de certitude, repose sur des faits assez encourageants, sur des probabilités assez grandes, pour qu'on y ait recours toutes les fois que cet accident est à craindre. Sa vertu curative plus positive lui donne le premier rang dans la médication, sans exclusion des autres moyens susceptibles de remplir des indications spéciales. » Tessier attribuait le succès de l'aconit à une action controstimulante et sudorifique ; mais, ainsi que le fait observer Isnard, comme ces deux classes d'agents n'ont donné que des résultats incertains, il faut bien reconnaître à l'aconit, sans faire abstraction de ses vertus éliminatives, une action spéciale, jusqu'alors inexpliquée, dont le résultat paraît être de soustraire l'organisme aux atteintes de l'infection purulente. O. Turchetti[3] rapporte deux cas remarquables de cette terrible maladie guéris par l'aconit associé au sulfate de quinine.)
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- ↑ Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 1852, p. 12.
- ↑ Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 1854, p. 69.
- ↑ Gazetta med. degli Stati Sardi et Union médicale de Bordeaux, février 1858.
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L'aconit a été aussi essayé contre diverses maladies qui se rapprochent de la diathèse purulente, telles que la fièvre puerpérale, le farcin.
La purulence puerpérale, qui n'est pas causée, comme on le croyait, par la phlébite, puisqu'on l'a rencontrée sans aucune lésion ni dans l'utérus ni dans les vaisseaux sanguins et lymphatiques, n'a pu être combattue efficacement par l'alcoolature d'aconit, que l'on avait proposée contre cette affection. Duhamel, de Boulogne-sur-Mer[1], ancien interne des hôpitaux de Paris, qui l'a vu plusieurs fois employer, dit que ce médicament n'a jamais paru avoir d'autre effet que celui d'augmenter les nausées et les vomissements. Depuis[2], trois malades atteintes de fièvre puerpérale ont été traitées, deux dans le service de P. Dubois, une dans le service de Grisolle, par la teinture d'aconit à la dose progressive de 1 à 8 gr, dans les vingt-quatre heures. Deux de ces malades ont succombé après un temps beaucoup plus long que celui que met habituellement la fièvre puerpérale pour arriver à une terminaison funeste. Dans un cas, la malade est sortie du service de Dubois avant sa mort, et l'autopsie n'a pu être faite ; dans l'autre, qui a été observé dans le service de Grisolle, l'autopsie a révélé toutes les lésions appartenant à la fièvre puerpérale , abcès multiples, pus dans les sinus utérins, etc. ; enfin, chez la troisième femme entrée dans le service de P. Dubois, la maladie, après avoir présenté tous les symptômes de l'infection purulente, et notamment de nombreux abcès qui se sont ouverts à l'extérieur, s'est terminée d'une manière heureuse, et la malade est sortie complètement guérie.
Une guérison sur trois cas de fièvre puerpérale, et un retard dans la terminaison si constamment funeste des deux autres, sont des résultats qui encouragent à de nouvelles tentatives.
Ce n'est point avec ces faits, bien certainement, que l'on portera un jugement définitif sur l'influence de l'aconit dans le traitement de la fièvre puerpérale. Le praticien non prévenu sait combien il est difficile de faire la part du remède et celle de la nature dans le traitement des maladies.
Decaisne[3] a employé l'aconit à l'hôpital militaire de Namur, chez des malades atteints de farcin, et cette médication a produit une amélioration tellement évidente, que si ces farcineux eussent été soumis à ce traitenient au début de la maladie, on eût pu espérer une guérison complète. Decaisne n'a pas employé dans ce cas l'alcoolature, mais bien l'extrait d'aconit à une dose d'abord minime, en augmentant progressivement jusqu'à 0,75 et même 2 gr. 25 centig. par jour.
L'observation suivante, recueillie dans ma pratique, et que je considère comme très-remarquable, trouve ici sa place :
Lefèvre, loueur de voitures, âgé de trente-huit ans, tempérament lymphatico-sanguin, taille moyenne, cheveux châtains, jouissant habituellement d'une bonne santé, se fit, le 3 décembre 1854, une petite écorchure entre l'ongle et l'extrémité du pouce de la main gauche, en débouchant l'égout d'une écurie où se trouvaient des chevaux morveux qu'il soignait lui-même depuis quelque temps. Cet égout, dans lequel il avait trempé la main, était rempli de l'urine de ces animaux.
Dès le 5 au matin, Lefèvre éprouva des frissons suivis de chaleur et de fièvre. En même temps le pouce blessé devint douloureux, s'enflamma, se tuméfia, prit une teinte rouge-brun qui s'étendit bientôt le long des vaisseaux radiaux jusqu'au tiers inférieur de l'avant-bras. La suppuration s'établit dans la petite plaie et autour de l'ongle, qu'elle détacha. Deux ou trois jours après (le 7 ou le 8), une tumeur du volume d'un œuf
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- ↑ Considérations sur les fièvres puerpérales. Thèse inaugurale. Paris, 1850.
- ↑ Gazette des hôpitaux, 1853.
- ↑ Archives belges de médecine militaire, 1852.
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de pigeon se montra au point où se terminait, à l'avant-bras, la traînée phlegmasique de la peau. Cette tumeur offrait déjà de la fluctuation. On en remit l'ouverture au lendemain. La fièvre continuait ; elle était accompagnée de soif, d'anorexie, de nausées, d'irritation gastrique.
Le lendemain (le 8 ou le 9), l'abcès que l'on se proposait d'ouvrir avait disparu ; mais une douleur assez vive s'était fait sentir pendant la nuit dans tout le pied gauche, que l'on trouva enflé jusqu'au-dessus des malléoles, et offrant sur le dos une rougeur érysipélateuse très prononcée. Le docteur qui avait été appelé au début de la maladie, fit appliquer quinze sangsues sur cette dernière partie ; les piqûres saignèrent abondamment ; l’inflammation et la douleur se calmèrent. On mit des cataplasmes émollients.
Au bout de trois ou quatre jours (vers le 12 ou le 13), la tumeur présentait de la fluctuation dans une assez grande étendue sur le dos du pied. Le docteur…… l’ouvrit largement et donna issue à une grande quantité de pus sanguinolent, épais, semblable à de la lie de vin. La fièvre diminua considérablement et le malade put goûter quelques instants de repos ; cependant l'appétit était presque nul, et les symptômes d'irritation gastrique persistaient. La suppuration était abondante et fétide. Vers la fin du mois, on s'aperçut qu'une nouvelle collection purulente, du volume d'un petit œuf de poule, s'était formée sans travail inflammatoire sensible à la partie inférieure et interne de la jambe droite. Ouverte à l'instant même, il en sortit un caillot de sang noir et du pus semblable à celui de l'abcès du pied, mais plus fluide. La plaie se cicatrisa en quelques jours. Plusieurs autres abcès peu volumineux se formèrent successivement sur diverses régions du corps ; ils furent ouverts ou se terminèrent par délitescence.
La plaie résultant de l'abcès situé sur le dos du pied gauche continua de suppurer, s'étendit en largeur et en profondeur, et devint bientôt un ulcère fétide et de mauvais caractère. Le pied lui-même était resté tuméfié, œdémateux, rouge-cuivre sur le dos et surtout autour de la plaie. La fièvre diminua peu à peu ; mais le malade, qui tenait constamment le lit, maigrissait et s'affaissait de plus en plus.
Tels sont les renseignements que j’ai pu recueillir sur les six premières semaines de la maladie de Lefèvre, auquel le docteur… prescrivit pour tout traitement des boissons délayantes ou acidulées, l’eau d’orge ou de gruau, le bouillon de veau, et plus tard celui de bœuf avec des fécules ; à l'extérieur, des cataplasmes émollients, des lotions d'eau de javelle étendue dans l'eau tiède, sur l'ulcère du pied.
Appelé le 17 janvier 1855, je trouve le malade dans l’état suivant : amaigrissement considérable, face cachectique, infiltrée, teint plombé, yeux ternes ; pouls faible, à 78 pulsations, non fébrile ; peau sèche, aride, rarement chaude ; langue épaisse, couverte d’un enduit blanchâtre ; inappétence, constipation souvent opiniâtre, point de soif ; sommeil pénible, souvent interrompu ; accablement moral, découragement causé par la perte, dans l’espace d’un an, de seize chevaux atteints de morve ou de farcin, et surtout par la crainte de laisser dans la misère sa femme et ses enfants.
Sur le dos du pied gauche se trouve un ulcère profond, traversant presque de part en part cette partie, entre le troisième et le quatrième os métatarsien, ayant 5 cent. de longueur sur 3 cent. de largeur, et se terminant en entonnoir vers la plante du pied. Les bords de cet ulcère sont taillés à pic, un peu renversés, indurés comme dans le chancre vénérien ; le fond est mamelonné, recouvert, dans des sillons irréguliers, d'une couche blanchâtre, membraniforme, épaisse. La suppuration, abondante, souvent sanieuse, exhale une odeur ‘'sui generis rendue insupportable par le réduit obscur et non aéré dans lequel Lefèvre est constamment couché, et qui forme un véritable foyer d'infection.
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Après avoir fait placer le malade dans une chambre spacieuse, je prescris le traitement suivant :
1° Frictions sur tout le corps avec une flanelle imbibée d’eau de savon tiède et d'eau-de-vie camphrée à parties égales.
2° Prendre chaque soir deux des pilules ainsi composées :
Aloès | 4 granules. |
Sulfate de quinine | 1 gramme 50 centigrammes. |
Extrait de jusquiame | 1 gramme. |
Extrait de genièvre | Q. S. |
M. F. pilules n° 30. |
3° Une cuillerée à café le matin, à midi et au soir, de la solution suivante :
Iodure de potassium | 12 grammes. |
Eau distillée | 180 grammes. |
4° Infusion de houblon mêlée avec un peu de vin de Bordeaux pour boisson.
5° Pansement de l’ulcère avec un plumasseau chargé d'onguent napolitain, et frictions journalières avec le même onguent sur toute la partie tuméfiée du pied ; lotions à chaque pansement, comme par le passé, avec l'eau de javelle étendue dans l'eau tiède.
6° Régime analeptique proportionné à l’appétit et aux forces digestives. Après huit jours de traitement, le malade se trouve un peu mieux ; le pouls est moins faible, le sommeil plus calme et plus prolongé. La constipation est facilement combattue à l’aide des pilules, lesquelles produisent chaque jour une selle copieuse et presque toujours concrète. Mais l'iodure de potassium ne pouvant être supporté à cause des nausées, des douleurs d'estomac, et des efforts de vomissements qu'il occasionne, est remplacé par l'huile de foie de morue, que le malade prend d'abord à la dose de deux cuillerées à bouche par jour, et ensuite de trois et de quatre, en augmentant graduellement.
L'ulcère est promptement modifié par l'action de l'onguent mercuriel ; ses bords s'affaissent, s'aplatissent et présentent l'aspect d'une plaie ordinaire ; mais la suppuration est toujours fétide, la détersion s'opère lentement, le gonflement œdémateux persiste. J'y oppose une fomentation composée d'infusion de fleurs de sureau et d'acétate de plomb liquide. J’introduis au fond de l'ulcère un plumasseau recouvert d'onguent de styrax saupoudré d'un mélange de poudre de quinquina, d'hydrochlorate d'ammoniaque et de camphre. Je continue l'application de l'onguent mercuriel sur les bords et à la surface. Ces pansements produisent un bon effet. Le malade affirme n'avoir jamais eu d'affection vénérienne[1]. L'état d'émaciation et de débilité éloigne d'ailleurs toute idée de traitement général par le mercure.
Les choses se passent ainsi jusqu'au 25 février, avec une amélioration progressive telle, que le malade, ayant repris ses forces, peut rester levé 6 à 8 heures par jour. Cependant, le 1er mars, un nouvel abcès survient à la partie inférieure interne de l'avant-bras droit, et ne présente pas plus de douleur qu'un abcès par congestion. Ouvert aussitôt, il donne issue à un pus séreux et sanguinolent. La plaie ne suppure que quatre ou cinq jours.
Vers le 20 mars, un engorgement dur se manifeste au mollet gauche, dont il envahit toute l'étendue en moins de huit jours. Cette tumeur, presque indolente, devient bientôt de la même couleur que celle du pied, semble faire corps avec les muscles, et présente, après une quinzaine de jours, sur divers points, des tubercules qui s'ouvrent spontanément, fournissent un pus roussâtre mêlé de sang, restent ouverts avec un décollement circulaire de la peau, et continuent de suppurer.
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- ↑ Je n'ai jamais vu l'ulcère farcineux du cheval. Malgré les dénégations du malade, je n'ai pu me défendre du soupçon de l'existence d'une syphilis latente se révélant occasionnellement dans la plaie en suppuration après l'ouverture de l'abcès farcineux.
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Du reste, l'état général du malade est beaucoup plus satisfaisant. Ses forces et son embonpoint reviennent rapidement ; il continue l’usage de l'huile de foie de morue à la dose de cinq à six cuillerées à bouche par jour, et celui des pilules seulement quand la constipation l'y oblige.
Nous sommes arrivés à la mi-juin : l'ulcère du pied, amené peu à peu à l'état de plaie simple, est presque guéri, et la tuméfaction de cette partie étant tout à fait dissipée, le malade prend un peu d'exercice ; mais il ne peut encore supporter la moindre fatigue sans éprouver un grand malaise. La tumeur du mollet, ne présentant aucune amélioration, vient attester la persistance de l’affection farcineuse chronique, ce qui m'engage à tenter l'emploi de l'aconit napel, préconisé comme propre à combattre la pyohémie.
Le 24 juin, je prescris 10 centig. d'extrait alcoolique de cette plante[1] en quatre pilules à prendre dans la journée. Dès le lendemain, je porte la dose à 12 centigrammes. Aucun effet physiologique appréciable n’ayant lieu, je fais prendre le quatrième jour 15 cent. toujours en quatre pilules. La nuit suivante une moiteur générale s'établit et dure environ quatre heures. Le malade fait observer que dans le cours de la maladie il n'a jamais éprouvé cette détente de la peau. Le remède est continué à la même dose, et produit le même effet jusqu'au 5 juillet, époque à laquelle la dose d'extrait est portée à 18 centig. par jour. Dès lors, la sueur commence vers minuit et dure jusqu'au matin. La même dose, continuée chaque jour, produit toujours le même effet. Aucun inconvénient d'ailleurs ne se fait remarquer sous le rapport de l'action toxique de l'aconit. La tumeur du mollet, examinée le 15 juillet, parait moins rouge et moins dure, mais non moins volumineuse.
Du 15 juillet au 1er septembre, la tumeur est beaucoup moins colorée, diminuée d'un tiers environ, et ramollie. Les petites plaies ne paraissent entretenues que par le décollement de la peau, au-dessous de laquelle je promène le nitrate d'argent pour en favoriser l'adhérence.
Les sueurs nocturnes ayant un peu diminué, et le malade ne s'en trouvant nullement affaibli, je donne l'extrait à la dose de 24 cent, en cinq pilules, dont une est prise dans la nuit. Il y a le lendemain un peu d'obscurcissement dans la vue et quelques vertiges. On continue néanmoins à la même dose du 1er septembre au 20 du même mois, et cet effet ne se reproduit que faiblement pendant trois ou quatre jours. Dans cet espace de temps, la tumeur s'est réduite au quart de son volume primitif, sa couleur rouge-cuivre a presque entièrement disparu, et les petites plaies de sa surface se sont cicatrisées.
Malgré l'usage du médicament jusqu'au 20 octobre et la continuation des sueurs, même pendant le jour, le noyau central de l'engorgement n'a subi aucun changement. Je conseille le badigeonnage avec la teinture d'iode. Ce dernier moyen, continué pendant un mois, en le suspendant de temps en temps quand l'effet en est trop actif, amène la résolution complète de la tumeur. Lefèvre a repris ses occupations ordinaires, et paraît tout à fait rétabli.
Les faits relatés dans cette observation n'ont pas besoin de commentaires. Le lecteur en appréciera l'importance. Je dois seulement appeler son attention sur les résultats obtenus en dernier lieu par l'emploi de l'aconit, objet spécial de cet article.
« L’aconit, dit Richard[2], a été mis en usage pour guérir l'épilepsie, les convulsions et la paralysie, surtout celle qui est la suite des attaques d'apoplexie. Rappeler, médecin à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, l'a employé fréquemment dans cette dernière circonstance, et en a obtenu des succès souvent répétés. » Stoll indique ce remède dans la chorée. Bergius, Baldinger, Reinhold, ont guéri des fièvres intermittentes rebelles par l'aconit.
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- ↑ Cet extrait avait été préparé par M. Dausse, pharmacien, dont la spécialité est avantageusement connue.
- ↑ Dictionnaire de médecine en 21 volumes, t. I, p. 321.
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(Une application nouvelle de ce médicament a été faite en 1858 par Long, professeur à l’école de médecine à Liverpool ; il l’ordonne contre les accès le fièvre uréthrale, en teinture à la dose de 2 grammes immédiatement après le cathétérisme ; — sur trois cas il cite trois succès, — j'ai eu l'occasion de vérifier dernièrement celte assertion. Le résultat n’a pas été aussi satisfaisant que semblait me le faire espérer la relation des observations de Long ; je n’ai pu constater qu’une légère diminution dans l'intensité des phénomènes fébriles.
Signorini, en 1837, employait l’aconit contre la cystite chronique; Greding et Howschipp (1823-1825) contre l’incontinence d’urine. Le professeur Fouquier le mettait en usage contre les hydropysies. De Candolle dit qu’il est de temps immémorial employé en Suisse contre ces affections.) Greding l'a trouvé efficace dans les gonflements glandulaires. West, de Soulz, l'a proposé contre l'aménorrhée, comme si cette maladie ne devait pas offrir des différences selon les causes, l'état général du malade, celui de l'utérus, etc. (Marotte[1] préconise l'alcoolature d'aconit dans les métrorrhagies dont l'apparition coïncide avec l'état de congestion de la période menstruelle.)
Fritz l'a recommandé contre la syphilis constitutionnelle, et Bodart le considère comme un excellent succédané du gayac. J'ai calmé très-promptement, par l'extrait d'aconit, des céphalalgies syphilitiques et des douleurs ostéocopes très-intenses. Brera, Biett, Double, Trousseau et Pidoux, Cazenave et d'autres médecins, ont associé l'aconit au mercure et surtout au proto-iodure de mercure dans le traitement des syphilides et des ulcérations vénériennes de la peau. Mais, ainsi que l'ont fait remarquer Trousseau et Pidoux, il est difficile de décider si l'amélioration rapide que l'on a obtenue ne doit pas être exclusivement attribuée au mercure.
Cazenave prescrit l'aconit pour combattre le prurigo en général, et en particulier le prurit vulvaire ou prurigo pudendi, accident qui accompagne souvent la métrite chronique. Il fait prendre des pilules composées d'extrait alcoolique d'aconit et d'extrait de taraxacum, de chaque 1 gr. divisés en 40 pilules, dont le malade prend 1 ou 2 matin et soir. A l'extérieur, Cazenave emploie les émollients, les lotions avec une solution de bichlorure de mercure.
Grantham[2] recommande l'infusion de l'aconit napel, à l'extérieur, dans le traitement des ulcères gangreneux et phagédéniques qui surviennent chez les individus goutteux. Il faut user avec prudence de ce moyen.
Hanin a vu employer en Suisse la décoction de racine d'aconit dans du beurre (en friction) pour combattre des gales opiniâtres et pour détruire la vermine.
(L'ACONITINE offre dans son action les mêmes effets que l'aconit, et peut, comme alcaloïde, remplacer avantageusement les préparations de la plante elle-même. Dans les expériences sur les animaux, dans les cas d'empoisonnement, même tableau de symptômes, même marche de phénomènes, avec un degré d'intensité lié à l'énergie plus grande de l'agent. C'est à cause de l'impureté des produits qu'il employait, que Schroff a été amené à différencier l'action des deux poisons. Pour lui, l'alcaloïde serait narcotique ; l'aconit, narcotico-âcre.
Hottot et Liégeois, avec un produit complètement pur (voyez Préparations), ont obtenu des effets semblables, mais très-exagérés ; ainsi, une dose de 1 milligr. amène déjà des manifestations physiologiques ; à celle de 3 milligr., des phénomènes d'une grande intensité. Nous croyons devoir reproduire ici les conclusions du travail de Hottot et Liégeois[3] :
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- ↑ Bulletin général de thérapeutique, 1862.
- ↑ London med. Gaz., 1848.
- ↑ Journal de la physiologie de l'homme et des animaux, 1802.
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« L'aconitine est un poison narcotico-âcre, dont les propriétés irritantes se manifestent surtout sur les muqueuses. — L'absortion de l'aconitine par le tube digestif est plus rapide que l'absorption du curare et de la strychnine par la même voie, ce qui explique la rapidité de la mort des animaux chez lesquels les doses extrêmement petites d'aconitine ont été introduites dans l'estomac. — L'aconitine agit sur les centres nerveux, et successivement sur le bulbe, la moelle et le cerveau. — Les symptômes se traduisent dans l'ordre suivant : abolition de la respiration, de la sensibilité générale, de la sensibilité réflexe, des mouvements volontaires. — L'aconitine trouble les fonctions du coeur, en agissant sur la substance même de cet organe. — Les effets du poison sur les nerfs périphériques succèdent aux effets de poison sur les organes centraux. — L'excitabilité des filaments nerveux moteurs ou sensibles disparaît dans les fibres périphériques avant de disparaître dans les troncs nerveux. »
La question de l'influence directe de l'aconitine sur les mouvements de la pupille trouve ici sa place. Elle a été jusqu’à présent controversée; les uns (Schrotf), attestant qu’elle amenait la dilatation ; les autres, avec Fleming, admettant la contraction ; mettant à profit la propriété endosmotique de la cornée, Liégeois a péremptoirement démontré la réalité de la dernière opinion. Cela n’infirme en rien la possibilité d'une dilatation, observée comme nous l'avons avancé, dans la période ultime de l'empoisonnement ; encore, dans la plupart de ces cas, la pupille reste-t-elle impressionnable à la lumière vive.
L'aconitine participe des propriétés thérapeutiques de la plante, et a été employée dans les mêmes cas. Gubler[1] a présenté une véritable monographie sur son usage dans les affections congestives et douloureuses (névralgies, rhumatismes), et contre les fièvres intermittentes. Nous renvoyons à ce travail, renfermant des observations très-intéressantes, que l'étendue déjà considérable de cet article ne nous permet pas de reproduire.
Turnbull préconise l'aconitine, en frictions sur le front, dans les affections inflammatoires des membranes profondes de l'œil. Dans certains cas de surdité, le même observateur s’est bien trouvé de frictions sur la face et le derrière de l’oreille faites avec des gouttes alcooliques de vératrine, de delphine et d'aconiline ; d'autres fois il les introduit dans le conduit auditif ; dans ce cas, un des premiers effets est le rétablissement de la sécrétion cérumineuse, si elle a été supprimée.
Blanchet[2] a utilisé l'aconitine à l'intérieur sous forme de globules dans l'hypercousie et la paracousie. Il l’emploie dans ces cas si pénibles où les bruits bizarres prédominent, en injections dans l'oreille moyenne, à l'aide d'une sonde spéciale.
Pletzer, qui a tant contribué à la vulgarisation des injections médicamenteuses sous-cutanées, n'a obtenu aucun résultat avec l'aconitine à la dose d'un trentième à un vingtième de grain. En collyre dans les iridalgies, les inflammations douloureuses de l'œil et de ses annexes, l'aconitine a des effets marqués.
La médecine homéopathique, heureuse de trouver un médicament actif sous un petit volume, pouvant être globulisé, ordonne avec prodigalité l'aconitine dans le traitement des névroses, des maladies inflammatoires et des maladies fébriles en général).
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