Froment et formes ou espèces voisines (Candolle, 1882)

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Noms acceptés :

  • I. Triticum aestivum L. subsp. aestivum (blé tendre).
  • II. Triticum turgidum L. subsp. turgidum (blé poulard)
  • III. Triticum turgidum L. subsp. durum (Desf.) Husn. (blé dur)
  • IV. Triticum turgidum L. subsp. polonicum (L.) A. et D. Löve (blé de Galice)


Châtaignier
Alphonse de Candolle, Origine des plantes cultivées, 1882
Epeautre et formes ou espèces voisines

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Froment et formes ou espèces voisines.

Les innombrables races de blé proprement dit, dont les grains se détachent naturellement à maturité de leur enveloppe, ont été classées par Vilmorin 2 en quatre groupes, qui constituent suivant les auteurs des espèces distinctes ou des modifications du froment ordinaire. Je suis obligé de les distinguer pour l'étude de leur histoire, mais celle-ci, comme on le verra, appuie l'opinion d'une espèce unique 3.

I. Froment ordinaire. — Triticum vulgare, Villars. — Triticum hybernum et Tr. æstivum, Linné.

D'après les expériences de l'abbé Rozier et, plus tard, de Tessier, la distinction des blés d'automne et de mars n'a pas d'importance. « Tous les froments, dit ce dernier agronome 4, suivant les pays, sont ou de mars ou d'automne. Ils passent tous, avec le temps, à l'état de blé d'automne ou de blé de mars, comme je m'en suis assuré. Il ne s'agit que de les y accoutumer peu à peu, en semant graduellement plus tard qu'on ne le fait les blés d'automne et plus tôt les blés de mars ». Le fait est que, dans le nombre immense des races de blé que l'on cultive, quelques-unes souffrent davantage des froids de l'hiver, et alors l'habitude s'est établie de les semer au printemps 5. Pour la question d'origine, nous n'avons guère à nous occuper de ces distinctions, d'autant plus que la plupart des races obtenues remontent à des temps très reculés.

La culture du froment peut être qualifiée de préhistorique dans l'ancien monde. De très vieux monuments de l'Egypte, antérieurs à l'invasion des Pasteurs, et les livres hébreux montrent cette culture déjà établie, et, quand les Egyptiens ou les Grecs ont parlé de son origine, c'est en l'attribuant à des personnages fabuleux, Isis, Cérès, et Triptolème 6. En Europe, les

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2. L. Vilmorin, Essai d'un catalogue méthodique et synonymique des froments, Paris, 1850.

3. Les meilleures figures de ces formes principales de froment se trouvent dans Metzger, Europäische Cerealien, in-folio, Heidelberg, 1824 ; et dans Host, Gramineæ, in-fol., vol. 3.

4. Tessier, Dict. d'agric., 6, p. 198.

5. Loiseleur-Deslongchamps, Considérations sur les céréales, 1 vol. in-8°, p. 219.

6. Ces points d'érudition ont été traités d'une manière très savante et très judicieuse par quatre auteurs : Link, Ueber die ältere Geschichte der Getreide Arten, dans Abhandl. der Berlin. Akad., 1816, vol. 17, p. 122 ; 1826, p. 67, et dans Die Urwelt und das Alterthum, deuxième édit., Berlin, 1834, p. 399 ; Reynier, Economie des Celtes et des Germains, 1818,


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plus anciens lacustres de la Suisse occidentale cultivaient un blé à petits grains que M. Heer 1 a décrit attentivement et figuré sous le nom de Triticum vulgare antiquorum. D'après un ensemble de divers faits, les premiers lacustres de Hohenhausen étaient au moins contemporains de la guerre de Troie et peut-être plus anciens. La culture de leur blé s'est maintenue en Suisse jusqu'à la conquête romaine, d'après des échantillons trouvés à Buchs. M. Regazzoni l'a découvert également dans les débris des lacustres de Varèze et M. Sordelli dans ceux de Lagozza, en Lombardie 2. Unger a trouvé la même forme dans une brique de la pyramide de Dashur, en Egypte, qui date, selon lui, de l'année 3359 avant Jésus-Ghrist (Unger, Bot. Streifzüge, VII ; Ein Ziegel, etc., p. 9). Une autre variété (Triticum vulgare compactum muticum, Heer) était moins commune en Suisse, dans le premier âge de la pierre, mais on l'a trouvée plus souvent chez des lacustres moins anciens de la Suisse occidentale et d'Italie 3. Enfin une troisième variété intermédiaire a été trouvée à Aggte-lek, en Hongrie, cultivée lors de l'âge de pierre 4. Aucune n'est identique avec les blés cultivés de nos jours. On leur a substitué des formes plus avantageuses.

Pour les Chinois, qui cultivaient le froment 2700 ans avant notre ère, c'était un don du ciel Dans la cérémonie annuelle du semis de cinq graines instituée alors par l'empereur Shen-Nung ou Chin-Nong, le froment est une des espèces, les autres étant le Riz, le Sorgho, le Setaria italica et le Soja.

L'existence de noms différents pour le blé dans les langues les plus anciennes confirme la notion d'une très grande antiquité de culture. Il y a des noms chinois Mai, sanscrits Sumana et Gôdhûma, hébreu Chittah, égyptien Br, guanche Yrichen, sans parler de plusieurs noms dans les langues dérivées du sanscrit primitif ni d'un nom basque Ogaia ou Okhaya, qui remonte peut-être aux Ibères 6, et de plusieurs noms finlandais, tartare, turc, etc. 7, qui viennent probablement de noms touraniens. Cette prodigieuse diversité s'expliquerait par une vaste habitation s'il s'agissait d'une plante sauvage très commune, mais le blé est dans des conditions tout opposées. On a de la

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p. 417 ; Dureau de La Malle, Ann. des sc. nat., vol. 9, 1826 ; et Loiseleur Deslongchamps, Considérations sur les céréales, 1812, partie 1, p. 52.

1. O. Heer, Pflanzen des Pfahlbauten, p. 13, pl. 1, fig. 14-18.

2. Sordelli, Sulle piante della torbiera di Lagozza, p. 31.

3. Heer, l. c. Sordelli, l. c.

4. Nyary, cité par Sordelli, l. c.

5. Bretschneider, Study and value of Chinese botanical works, p. 7 et 8.

6. Bretschneider, l. c. ; Ad. Pictet, Les origines indo-européennes, ed. 2, vol. 1, p. 328 ; Rosenmüller, Biblische Naturgesch, 1, p. 77 ; Pickering, Chronol. arrangement, p. 78 ; Webb et Berthelot, Canaries, part. Ethnographie, p. 187 ; d'Abadie, Notes mss. sur les noms basques ; de Charencey, Recherches sur les noms basques, dans Actes Soc. philolog., 1er mars 1869.

7. Nemnich, Lexicon, p. 1492.


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peine à constater sa présence à l'état sauvage dans quelques points de l'Asie occidentale, comme nous allons le voir. S'il avait été très répandu avant d'être mis en culture, il en serait resté des descendants, çà et là, dans des pays éloignés. Les noms multiples des langues anciennes doivent donc tenir plutôt à l'ancienneté extrême de la culture dans les régions tempérées d'Asie, d'Europe et d'Afrique, ancienneté plus grande que celle des langues réputées les plus anciennes.

Quelle était la patrie de l'espèce, avant sa mise en culture, dans l'immense zone qui s'étend de la Chine aux îles Canaries ? On ne peut répondre à cette question que par deux moyens : 1° l'opinion des auteurs de l'antiquité ; 2° la présence plus ou moins démontrée, du blé à l'état sauvage, dans tel ou tel pays.

D'après le plus ancien de tous les historiens, Bérose, prêtre de Chaldée, dont Hérodote a conservé des fragments, on voyait dans la Mésopotamie, entre le Tigre et l'Euphrate, le froment sauvage (Frumentum agreste) 1. Les versets de la Bible sur l'abondance du blé dans le pays de Canaan, en Egypte, etc., ne prouvent rien, si ce n'est qu'on cultivait la plante et qu'elle produisait beaucoup. Strabon 2, né cinquante ans avant Jésus-Christ, dit que, d'après Aristobulus, dans le pays des Musicani (au bord de l'Indus par 25° lat.), il croissait spontanément un grain très semblable au froment. Il dit aussi 3 qu'en Hircanie (le Mazanderan actuel) le blé qui tombe des épis se semait de lui-même. Cela se voit un peu partout aujourd'hui, et l'auteur ne précise pas le point important de savoir si ces semis accidentels continuaient sur place de génération en génération. D'après l'Odyssée 4 le blé croissait en Sicile sans le secours de l'homme. Que peut signifier ce mot d'un poète et encore d'un poète dont l'existence est contestée ? Diodore de Sicile, au commencement de l'ère chrétienne, dit la même chose et mérite plus de confiance, puisqu'il était Sicilien. Cependant il peut bien s'être abusé sur la qualité spontanée, le blé étant cultivé généralement alors en Sicile. Un autre passage de Diodore 5 mentionne la tradition qu'Osiris trouva le blé et l'orge croissant au hasard parmi les autres plantes, à Nisa, et Dureau de La Malle a prouvé que cette ville était en Palestine. De tous ces témoignages, il me paraît que ceux de Bérose et Strabon, pour la Mésopotamie et l'Inde occidentale, sont les seuls ayant quelque valeur.

Les cinq espèces de graines de la cérémonie instituée par l'empereur Chin-Nong sont regardées par les érudits chinois

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1. G. Syncelli, Chronogr., fol. 1652, p. 28.

2. Strabon, ed. 1707, vol. 2, p. 1017.

3. Ibid., vol. 1, p. 124, et 2, p. 776.

4. Odyssée, 1. 9, v. 109.

5. Diodore, traduction de Terasson, 2, p. 186, 190.


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comme natives de leur pays 1, et le Dr Bretschneider ajoute que les communications de la Chine avec l'Asie occidentale datent seulement de l'ambassade de Chang-kien, dans le deuxième siècle avant Jésus-Christ. Il faudrait cependant une assertion plus positive pour croire le blé indigène en Chine, car une plante qui était cultivée dans l'Asie occidentale deux ou trois mille ans avant l'époque de Chin-Nong et dont les graines sont si faciles à transporter a pu s'introduire dans le nord de la Chine, par des voyageurs isolés et inconnus, de la même manière que des noyaux d'abricot et de pêche ont probablement passé de Chine en Perse, dans les temps préhistoriques.

Les botanistes ont constaté que le froment n'existe pas aujourd'hui en Sicile à l'état sauvage 2. Quelquefois il s'échappe hors des cultures, mais on ne l'a pas vu persister indéfiniment 3. La plante que les habitants appellent froment sauvage, Frumentu sarvaggiu, qui couvre des districts non cultivés, est l' Ægilops ovata, selon le témoignage de M. Inzenga 4.

Un zélé collecteur, M. Balansa, croyait avoir trouvé le blé, au mont Sipyle, de l'Asie Mineure, « dans des circonstances où il était impossible de ne pas le croire spontané 5 » mais la plante qu'il a rapportée est un Epeautre, le Triticum monococcum, d'après un botaniste très exact qui l'a examinée 6. Avant lui, Olivier 7, étant sur la rive droite de l'Euphrate, au nord-ouest d'Anah, pays impropre à la culture, « trouva dans une sorte de ravin le froment, l'orge et l'epeautre, » et il ajoute : « que nous avions déjà vus plusieurs fois en Mésopotamie. »

D'après Linné 8, Heintzelmann avait trouvé le blé dans le pays des Baschkirs, mais personne n'a confirmé cette assertion, et aucun botaniste moderne n'a vu l'espèce vraiment spontanée autour du Caucase ou dans le nord de la Perse. M. de Bunge 9, dont l'attention avait été provoquée sur ce point, déclare qu'il n'a vu aucun indice faisant croire que les céréales soient originaires de ces pays. Il ne paraît même pas que le blé ait une tendance, dans ces régions, à lever accidentellement hors des cultures. Je n'ai découvert aucune mention de spontanéité dans l'Inde septentrionale, la Chine ou la Mongolie.

En résumé, il est remarquable que deux assertions aient été données de l'indigénat en Mésopotamie, à un intervalle de vingt-trois siècles, l'une jadis par Bérose et l'autre de nos jours par

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1. Bretschneider, l. c., p. 15.

2. Parlatore, Fl. ital., 1, p. 46 et 508. Son assertion est d'autant plus digne d'attention qu'il était Sicilien.

3. Strobl, dans Flora, 1880, p. 348.

4. Inzenga, Annal. agricult. sicil.

5. Bull. de la Soc. bot. de France, 1854, p. 108.

6. J. Gay, Bull. Soc. bot. de France, 1860, p. 30.

7. Olivier, Voy. dans l' Empire othoman (1807), vol. 3, p. 460.

8 Linné, Sp. plant., ed. 2, vol. 1, p. 127.

9. Bunge, Bull. Soc. bot. France, 1860, p. 29.


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Olivier. La région de l'Euphrate étant à peu près au milieu de la zone de culture qui s'étendait autrefois de la Chine aux îles Canaries, il est infiniment probable qu'elle a été le point principal de l'habitation dans des temps préhistoriques très anciens. Peut-être cette habitation s'étendait-elle vers la Syrie, vu la ressemblance du climat ; mais à l'est et à l'ouest de l'Asie occidentale le blé n'a probablement jamais été que cultivé, antérieurement, il est vrai, à toute civilisation connue.

II. Gros blé, Petanielle ou Poulard. — Triticum turgidum et Tr. compositum, Linné.

Parmi les noms vulgaires, très nombreux, des formes de cette catégorie, on remarque celui de Blé d'Egypte. Il paraît qu'on le cultive beaucoup actuellement dans ce pays et dans toute la région du Nil. A.-P. de Candolle 1 dit avoir reconnu ce blé parmi des graines tirées des cercueils de momies anciennes, mais il n'avait pas vu les épis. Unger 2 pense qu'il était cultivé par les anciens Egyptiens et n'en donne cependant aucune preuve basée sur des dessins ou des échantillons retrouvés. Le fait qu'on n'a pu attribuer à cette espèce aucun nom hébreu ou araméen 3 me paraît significatif. Il prouve au moins que les formes si étonnantes, à épis rameux, appelées communément Blé de miracle, Blé d'abondance, n'existaient pas encore dans les temps anciens, car elles n'auraient pas échappé à la connaissance des Israélites. On ne connaît pas davantage un nom sanscrit ou même des noms indiens modernes, et je ne découvre aucun nom persan. Les noms arabes que Delile 4 attribue à l'espèce concernent peut-être d'autres formes de blé. Il n'existe pas de nom berbère 5. De cet ensemble il me paraît découler que les plantes réunies sous le nom de Triticum turgidum, et surtout leurs variétés à épis rameux, ne sont pas anciennes dans l'Afrique septentrionale ou dans l'Asie occidentale.

M. Oswald Heer 6, dans son mémoire si curieux sur les plantes des lacustres de l'âge de pierre en Suisse, attribue au Tr. turgidum deux épis non ramifiés, l'un à barbes, l'autre à peu près sans barbes, dont il a publié des figures. Plus tard, dans une exploration des palafittes de Robenhausen, M. Messicommer ne l'a pas rencontré, quoique les provisions de grains y fussent très abondantes 7. MM. Strœbel et Pigorini disent avoir trouvé « le blé à grano grosso duro » (Tr. turgidum) dans les palafittes

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1. De Candolle, Physiol. bot., 2, p. 696.

2. Unger, die Pflanzen d. alten Egyptens, p. 31.

3. Voir Rosenmüller, Bibl. Naturgesch., et Löw, Aramæische Pflanzennamen, 1881.

4. Delile, Plantes cult. en Egypte, p. 3 ; Floræ Ægypt. illustr., p. 5.

5. Dict français-berbère, publié par le gouvernement.

6. Heer, Pflanzen d. Pfahlbauten, p. 5, flg. 4 ; p. 52, fig. 20.

7. Messicommer, dans Flora, 1869, p. 320.


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du Parmesan 1. Du reste, M. Heer 2 regarde cette forme comme une race du froment ordinaire, et M. Sordelli paraît incliner vers la même opinion.

Fraas soupçonne que le Krithanias de Théophraste était le Triticum turgidum, mais ceci est absolument incertain. D'après M. de Heldreich 3, le Gros blé est d'introduction moderne en Grèce. Pline 4 a parlé brièvement d'un blé à épis rameux, donnant cent grains, qui devait être notre Blé de miracle.

Ainsi les documents historiques et linguistiques concourent à faire regarder les formes du Triticum turgidum comme des modifications du froment ordinaire, obtenues dans les cultures. La forme à épis rameux ne remonte peut-être pas beaucoup plus haut que l'époque de Pline.

Ces déductions seraient mises à néant si l'on découvrait le Triticum turgidum à l'état sauvage, ce qui n'est pas encore arrivé d'une manière certaine. Malgré C. Koch 5, personne n'admet qu'il croisse, hors des cultures, à Constantinople et dans l'Asie Mineure. L'herbier de M. Boissier, si riche en plantes d'Orient, n'en possède pas. Il est indiqué comme spontané en Egypte par MM. Schweinfurth et Ascherson, mais c'est par suite d'une erreur typographique 6.

III. Blé dur. — Triticum durum, Desfontaines.

Cultivé depuis longtemps en Barbarie, dans le midi de la Suisse et quelquefois ailleurs, il n'a jamais été trouvé à l'état sauvage.

Dans les différentes provinces d'Espagne, il ne porte pas moins d'une quinzaine de noms 7, et aucun ne dérive du nom arabe Quemah, usité en Algérie 8 et en Egypte 9. L'absence de noms dans plusieurs autres pays et surtout de noms originaux est bien frappante. C'est un indice de plus en faveur d'une dérivation du froment ordinaire, obtenue en Espagne et dans le nord de l'Afrique, à une époque inconnue, peut-être depuis l'ère chrétienne.

IV. Blé de Pologne. — Triticum polonicum, Linné.

Cet autre blé dur, à grains encore plus allongés, cultivé surtout dans l'Europe orientale, n'a pas été trouvé sauvage.

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1. Cités d'après Sordelli, Notizie sull. Lagozza, p. 32.

2. Heer, l. c., p. 50.

3. Heldreich, Die Nutzpflanzen Griechenlands, p. 5.

4. Pline, Hist., 1. 18, c. 10.

5. Koch, Linnæa, 21, p. 427.

6. Lettre de M. Ascherson, en 1881.

7. Dictionn. manuscrit des noms vulgaires.

8. Debeaux, Catal. des plantes de Boghar, p. 110.

9. D'après Dclile, l. c., le blé se nomme Qamh, et un blé corné, rouge, Qamh-ahmar.


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Il a, en allemand, un nom original, Ganer, Gommer, Gümmer 1, et en d'autres langues des noms qui ne se rattachent qu'à des personnes ou à des pays desquels on avait tiré les semences. On ne peut douter que ce ne soit une forme obtenue dans les cultures, probablement dans l'Europe orientale, à une époque inconnue, peut-être assez moderne.


Conclusion sur l'unité spécifique de ces races principales.

Nous venons de montrer que l'histoire et les noms vulgaires des grandes races de froments sont en faveur d'une dérivation, contemporaine de l'homme, probablement pas très ancienne, de la forme du blé ordinaire, peut-être du blé à petits grains cultivés jadis par les Egyptiens et par les lacustres de Suisse et d'Italie. M. Alefeld 2 était arrivé à l'unité spécifique des Triticum vulgare, turgidum et durum au moyen de l'observation attentive de leurs formes cultivées dans des conditions semblables. Les expériences de M. Henri Vilmorin 3 sur les fécondations artificielles de ces blés conduisent au même résultat. Quoique l'auteur n'ait pas encore vu les produits de plusieurs générations, il s'est assuré que les formes principales les plus distinctes se croisent sans peine et donnent des produits fertiles. Si la fécondation est prise pour une mesure du degré intime d'affinité qui motive le groupement d'individus en une seule espèce, on ne peut pas hésiter dans le cas actuel, surtout avec l'appui des considérations historiques dont j'ai parlé.


Sur les prétendus Blés de momie.

Avant de terminer cet article, je crois convenable de dire que jamais une graine quelconque sortie d'un cercueil de l'ancienne Egypte et semée par des horticulteurs scrupuleux n'a germé. Ce n'est pas que la chose soit impossible, car les graines se conservent d'autant mieux qu'elles sont plus à l'abri de l'air et des variations de température ou d'humidité, et les monuments égyptiens présentent assurément ces conditions ; mais, en fait, les essais de semis de ces anciennes graines n'ont jamais réussi. L'expérience dont on a le plus parlé est celle du comte de Sterberg, à Prague 4. Il avait reçu des graines de blé qu'un voyageur, digne de foi, assurait provenir d'un cercueil de momie. Deux de ces graines ont levé, disait-on ; mais je me suis assuré qu'en Allemagne les personnes bien informées croient à quelque supercherie, soit des Arabes, qui glissent quelquefois des graines

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1. Nemnich, Lexicon, p. 1488.

2. Alefeld, Botanische Zeitung, 1865, p. 9.

3. H. Vilmorin, Bulletin de la Société botanique de France, 1881, p. 356.

4. Journal Flora, 1835, p. 4.


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modernes dans les tombeaux (même du Maïs, plante américaine !), soit des employés de l'honorable comte de Sternberg. Les graines répandues dans le commerce sous le nom de Blé de momie n'ont été accompagnées d'aucune preuve quant à l'ancienneté d'origine.