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1-2 Ramassage chez les animaux (Maurizio)

Révision de 4 septembre 2017 à 18:41 par Michel Chauvet (discussion | contributions)

Alimentation primitive
Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale (1932)
Ramassage d'aliments


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CHAPITRE II

LE RAMASSAGE CHEZ LES ANIMAUXSOMMEIL HIVERNAL CHEZ LES ANIMAUXET CHEZ L'HOMME

§ 1. Comment expliquer l'instinct de ramassage chez les animaux ? -

§ 2. Sommeil hivernal et sommeil. famélique. Sommeil faméliquechez l'homme.

§ 3. Greniers des animaux. Leur pillage par l'homme.

§ 4. Identité habituelle des espèces ramassées par l'homme et parles animaux.

§ 1. - L'étude de la nourriture primitive de l'homme est unpoint important pour la connaissance des grandes relations d'interdépendancequi unissent les organismes. Il faudrait arriverà connaitre ce que fut la nourriture initiale commune à l'hommeet aux animaux. Comme documents on peut utiliser d'abord lesno~breux renseignements consignés dans les trois premiers volumesde la (( Vie des animaux » de Brehm sur ce que rasssemhlentdans leurs greniers les animaux qui en établissent.

A un point de '-'Ue général, certaines considérations tendent àexpliquer les impulsions auxquelles obéissent les animaux etl'homme dans le choix des aliments qu'ils recherchent et la mystérieusepréférence qui va à certaines plantes pendant que d'autressont dédaignées. Il semble que, dans le choix de leurs aliments,les animaux obéissent à des impulsions conformément aux loisde la physiologie alimentaire, c'est-à-dire en accord a"ec la Paleurbiologique des aliments, en t'ant que .faisant continuer la vie(L. Berczeller, Bioch. Ztschr. 129, 1922,. 217). La déterminationdes espèces végétales qui servaient à l'alimentation primitive del'homme peut ainsi être facilitée par la connaissance des habitudescommunes à l'homme et aux animaux, par l'étude, actuellement

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fort en vogue, des traits communs et des traits distinctifs existantentre les sociétés humaines et les sociétés animales l chezles animaux sociaux). Citons : Fr. Alverdes, Tiersoziologie,Bd. 1. der Forsch. z. Vôlkerpsych. u.. Soziol, Leipzig, 1925 enparticulier Jg.1. H.i-4. Dans son ouvrage bien connu sur les tempspréhistoriques, Lord Avebury (Prehistoric times, 7· Aufl., London,1914, 578 et suiv.) donne un aperçu comparatif de la façon dontl'homme et les animaux assurent leur alimentation. De leur côtéles botanistes ont étudié le rôle des animaux ramasseurs de grainesdans la propagation des espèces végétales (1).

L'homme et l'animal obéissent donc probablement aux mêmesimpulsions dans la recherche de leurs aliments. Mais il reste extrêmementdifficile de déterminer exactement les limites danslesquelles s'applique la notion même de l'instinct.Si, laissant de côté les considérations théoriques qui viennentd'être indiquées en passant, ou s'en tient aux faits, les difïicultésrestent considérables parce que les observations sur l'instinct derécolte chez les animaux offrent encore beaucoup de lacunes.Nous sommes mal renseignés sur ce que récoltent les mammifèreset plus mal encore sur les animaux moins élevés, môme ence qui concerne les nombreux oiseaux confiants qui passent l'hiverchez nous. Insistons dès maintenant sur le fait que beaucoupd'animaux s'assemblent en troupes pour la recherche de leurnourriture et que beaucoup d'autres circonstances sont communesà l'homme et aux animaux.

§ 2. - Dès que l'homme sut allumer du feu, il lui devint possiblede se créer des établissements stables dans les zones tempéréeset tempérées-froides. Mais les animaux doivent se passerdu secours du feu. Beaucoup de mammifères s'en passent facilementet se sont adaptées au froid. Ce qui leur est fatal dansl'hiver, c'est le manque de~:nourriture. La ·constitution de provisionset parfois le sommeil itic·crnal leur aident à passerl'hiver.

Les animaux et l'homme font donc face au manque de nourriturepar des moyens remarquablement analogues. Dans la constitutionde leurs provisions pour l'hiver, dans le choix des planteset leur nethoyage, les animaux apportent beaucoup d'attention.D'autre part, le sommeil hivernal de beaucoup d'animaux a pouréquivalent le sommeil hivernal de populations entières chez lespaysans affamés de la Russie et de la Russie blanche, ainsi que

(1) BRAUN-BLANQUET (Jos.), L'oligine des flores du Massif Central de France,(Annales Soc. Linnéenne de Lyon, Nouv. série, T. 72, 1925, p. 3 et suiv.)

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le régime d'économie de forces pratiqué par des paysans italiensen hiver et à la floraison des céréales (Mosso, Niceforo, etc.). Lesanimaux qui s'endorment pendant l'hiver n'ont d'ailleurs pastous le sommeil également prolongé et également profo.nd. Lesanimaux d'une même espèce offrent aussi entre eux, à ce pointde vue, de très grandes différences, en particulier selon les conditionslocales (1).

L'homme et l'animal obéissent donc en ce qui concerne le sommeilhivernal à des causes physiologiques. Mais le sommeil hivernalet l'instinct d'accumuler des provisions pour l'hiver nes'excluent pas et il y a aussi des animaux qui n'ont pas de sommeirhivernalet ne constituent pas non plus de greniers. Notrelièvre, notre lapin, ne font pas de provisions. Beaucoup d'espècesde rats et de souris tiennent aussi cette précaution pour superflue.D'autres, comme l'ours et le blaireau, ne dorment pas d'unemanière continue. Ils se réveillent de temps à autre quand ildégèle. Signalons comme ayant u~ véritable sommeil hivernal toutesnos chauves-souris.

§ 3. - Aux· animaux qui constituent des greniers appartientun campagnol (Arvicola subterraneus). Dans le logis d'un de ces animaux,Dehne trouva plus d'une livre de racines, toutes soigneusementnettoyées et séparées par espèces. Le rat fouisseur de laSibérie et du Kamtschatka rassemble dans sa demeure de grandesquantités de racines. On lui a attribué pour cette raison l'honorablenom de Ar. icola oeconomus (2). On a peine à comprendrecomment un petit animal, dans une contrée si pauvre en végétation,peut en rassembler de si grandes quantités. Les racines sontsoigneusement nettoyées et coupées en morceaux longs d'un pouce.Avec diverses racines (parmi lesquelles il en est de toxiques) desgenres Aconitum, Anthrisrus et Polygonum, l'animal recueilleaussi celles des Sanguisorba. Le lièvre siffieur ( Lagomys ogotonaaussi nommé Lagomys alpinus) est même une ressource pour leshabitants des contrées pauvres du fait des provisions qu'il accumule.Les terriers sont beaucoup trop petits pour que l'animalpuisse y rentrer ses provisions de foin, mais il les engrange audehors, dans des fentes de rochers, où elles sont à l'abri de l'hu-

{1) V. le résumé par W. Ko'BELT, Die Verbreitung der Tierwelt, GemiiszigteZone, Leipzig, 1902 p. 422 et sui v. - Sur le sommeil hivernal voir aussi le livre(un-peu chargé de discussions) de MoRGULIS (Sergius), Hunger und UnterniihrungE. biolog. u. soziolog. Studie, Berlin, 1923, pp. 15 et sui v.

{2) Previsions de racines et de foin de ces rongeurs signalées par Pallas dès lexvme siècle (Sibirische Reise, III, 196, 377) ainsi que la recherche qui en estfaite.

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midité, et plus souvent encore sur le sol nu. Il dispose alors sonfoin en tas réguliers ayant 15 à 30 centimètres de large sur 12 à18 de hauteur et les abrite de la pluie avec des larges feuilles. Mais,quand le fourrage devient rare, les Mongols conduisent les troupeauxde moutons dans les endroits où les Lagomys sont nombreuxet les laissent sortir le foin du sol en grattant. Dans les temps dedisette ils procèdent à cette opération eux-mêmes et nourrissentleurs chevaux avec ce foin. Comme rongeur qui dort l'hiver etfait pourtant des provisions, il faut citer le Hamster (Criretusfrumentarius). Les vieux mâles surtout, qui se désintéressentd'avoir une postérité, et dont tout le temps se trouve disponible,l'été, pour la récolte, se conduisent en types accomplis d'avaresavides de gain. La femelle n'a de loisirs pour faire ses provisionsqu'à partir de l'époque oii elle a sevré les petits de sa dernièreportée. Elle ramasse alors ce qu'elle trouve et l'emmagasine .commeelle peut. Les vieux mâles et les célibataires, au contraire, fontleurs provisions avec méthode, même avec une espèce de pédanterie,et amassent bien plus qu'ils ne pourraient consommer dansl'hiver le plus prolongé. Le Hamster ne rassemble dans sa cachetteque des graines de céréales, des pois et des haricots, rarement desracines ou des raves, jamais aucun échantillon de la nourritureanimale dont, pourtant, il use quelquefois. On y découvre souventplus d'un quart d'hectolitre de graines de céréales, ou de céréaleset de légumineuses mélangées.

La marmotte des steppes ou bobac (Arctomys bobac) qui rassemblepour l'hiver de considérables provisions de foin est, dit-on,un animal si avisé, qu'il ménage dès l'automne la végétation auvoisinage de ses cachettes. Le petit Hamster du nord de la Chine( Crice'talns griseus M. Edw.) travaille activement à ses provisionset les Chinois le nomment à cause de cela << le Rat qui fait desgreniers )), Parmi les rongeurs des forêts d'Europe; l'écureuil faitdes provisions, les met ça et là dans des cachettes, mais n'est pasparticulièrement soigneux et passe même pour ne pas toujoursretrouver lui-même ses greniers. L'écureuil à abajoues de la Sibérieet de l'Amérique du nord (Tamias striatus), qui ne s'endortpas, semble faire des provisions d'une certaine importance et lescache avec aussi peu de soin que notre écureuil. Les souris hibernanteset les loirs du sud de l'Europe font également des greniers.Dans le groupe des carnassiers, les chiens sont également portésà cacher les aliments qu'ils ne consomment pas immédiatement.Cependant seul le renard des glaces pousse cet instinct jusqu'à laconstitution de véritables provisions d'biver. D'ailleurs il y est

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forcé par la rigueur du climat. Il paraît que dans ces contréesplusieurs animaux peuvent s'associer pour faire en commun leursréserves. L'expérience leur a appris à ne pas toucher à leurs provisionsavant que la plus extrême disette ne les y force (1).

On a beaucoup discuté sur le rôle des abajoues des Hamsters.On sait que le Gopher d'Amérique ( Geomys bursarius) s'en sertcomme moyen d'épargner sa peine. Il établit un trou vertical enhaut de son grenier souterrain et y déverse le contenu de sesabajoues.

Un animal qui recueille plus d'aliments qu'il ne lui en faut pourl'apaisement immédiat de sa faim du moment manifeste par làqu'il est arrivé à un haut degré de prévoyance de l'avenir. Beaucoupd'animaux ramassent plus qu'ils ne peuvent consommerdans le temps de disette, d'autres sont inconscients, sinon stupides,et ressemblent à ces peuples sauvages qui font bombance en casd'abondance, comme si ce temps ne devait pas finir.

On a signalé en passant que !'.homme, à l'occasion, s'emparepour son propre usage des provisions d'hiver des animaux. Onpeut considérer ce fait comme très général dans les méthodesprimitives d'acquisition de la nourriture. Nous avons sur ce pointdes renseignements relatifs à l'Asie et à l' Am~rique. Ils méritentqu'on s'y arrête. Dans l'Asie septentrionale, les Itelmes extraientdes greniers de la souris les bulbes du l.ilium Mar lagon (bulbes deSarana). Mais ils considèrent cette opération comme une espèced'échange commercial et mettent à la place, dans les terriers, lesfruits du Pinns Cembra (noix Zirbel), des aiguilles de sapin brisées,des vieux chiffons et laissent de plus, sans les prendre, untiers des bulbes. Dans toute cette opération ils emploient pournommer les choses des mots étrangers, parce qu'ils croient queles souris comprennent la langue des I telmes. Melvin R. Gilmorea rencontré une coutume analogue chez les Indiens Dakotas. LesDakotas mangent avec passion des fruits souterrains nommés« haricots de terre » qui sont peut-être les racines souterrainesbulbeuses du Çlycine Apios L. La récolte de ces parties comestiblespar les hommes eux-mêmes serait un travail extrêmementpénible parce que la plante pousse à l'état sauvage et très clairsemée.Une sorte de rat des.champs s'en charge et y réussit mieuxque l'homme. Les Indiens pillent dolic les greniers de la souris ets'en approprient le contenu. C'est ce que l'homme blanc pourraitfaire lui-même. Mais l'Indien fait plus. D'abord il se conduit à (1) Voir aussi BoAs (R •• T.), Tierische Schiidlinge u. Nützlinge (Berli:1 l~lll) etALVERDES (F.), Tiersoziologie, Leipzig, 1925.

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l'égard de la nation des souris de la fa<:on la plus polie et la traiteà tous points de vue avec toutes sortes d'égards. De plus, il laissetoujours à l'industrieux animal une partie de sa récolte. Mais cen'est pas encore faire assez pour lui. Il remplit les greniers de maisou do substances analogues. Aussi les souris ne souffrent pas dela disette et peuvent à nouveau être mises à contribution l'annéesuivante. L'auteur qui nous transmet ces renseignements parled'un é-tat de symbiose entre l'animal et l'homme (1).

§~.-Nous avons, dans ce qui précède, énuméré divers exemplesde cas dans lesquels l'animal et l'homme ont presque la même alimentation.A tous deux sont communs le choix de la nourriture,l'usage de fruits, de graines et de bulbes, tels qu'ils existent chezbeaucoup de peuples primitifs, sans s'approprier le bien d'autrui.D'autres documents nous sont fournis par les survivances de ces habitudes anciennes chez les peuples civilisés, particulièrementlorsque la disette les force à recourir à une alimentation qui est celle des animaux : (< mauvaises herbes », feuilles, foin, couches cambiales et bourgeons des arbres. D'autre part, la vie communede certains animaux et de l'homme a profité à ces animaux. Ils ont trouvé des aliments dans les déchets de la table de l'hommeet aussi ont profité de ce que l'homme possède des méthodes inconnues des animaux pour l'utilisation des substances végétales. Là où l'homme, par exemple, pratique pour lui-même la fermentation acide des plantes alimentaires, (choucroute) il la pratique aussi pour son bétail.

La connaissance de l'instinct de récolte chez les animaux contribue donc beaucoup à nous faire comprendre ce qu'a été chez l'homme le ramassage des substances alimentaires, spontanément produites par la nature. On est conduit, à ce propos, à douterpour le moins, que la civilisation ait apporté à l'homme l'équivalentde ce qu'il a perdu avec l'instinct, physiologiquement sisi'1r, des animaux. Car il est certain que, dans la connaissance desvitamines par exemple, les animaux ont précédé l'homme.

(1) BvnAN (H. D.), Polarvolker, Leipzig (Quelle u. Meier) 1909, 51 et UMSCHA u(Francfort) 29, 1925, 1020.