Alafy (Pharmacopée malagasy)
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Sommaire
Noms scientifiques : Alafia Perrieri Jumelle, A. pauciflora Radlkofer et A. Thouarsii Roemer et Schultes (Apocynacées).
- Noms acceptés : Alafia perrieri, Alafia pauciflora, Alafia thouarsii
Le genre Alafia, créé en 1809 par Dupetit-Thouars, compte à l'heure actuelle à Madagascar 11 espèces décrites. Il a fait l'objet de deux révisions auxquelles pourront se reporter les lecteurs désirant plus de détails :
- Marcel Pichon : Classification des Apocynacées, XI : genre Alafia, in Mémoires Inst. Scient. Madag., sér. B, II (1949), p. 45-62 ;
- M. Pichon : Classification des Apocynacées, XXXIX : Révision du genre Alafia, Thouars, in Bulletin du Jardin Botanique de l'Etat (Bruxelles), 24 (1954), n° 3, p. 129-222.
Les trois espèces mentionnées ci-dessus ont seules été mentionnées comme médicinales jusqu'ici, à notre connaissance.
Alafia perrieri
Alafia perrieri Jumelle in Annales Musée Colonial (Marseille), 1907, p. 347 (synonyme : Alafia (?) lutea Boivin ex Pichon, loc. cit., 1949, p. 51).
Noms malgaches : Alafy d'après Heckel, Plantes Utiles de Madagascar (1910), p. 20 et 317 ; Rikiatra ou Tsivahabahatra (Tsimihety) d'après
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Le Mignon, à Ambarivato au nord de Befandriana (cité par Pichon, loc. cit., 1954, sans référence à l'auteur).
Description
Liane vigoureuse pouvant atteindre le sommet des plus grands arbres et 20 centimètres de diamètre à la base, à écorce noire, à bois dense ; fournissant un latex abondant, vert et glauque, à aspect d'eau savonneuse, devenant plus épais et plus blanc vers le bas des tiges, contenant une saponine et moussant beaucoup lorsqu'on l'agite avec de l'eau (pouvoir aphrogène), hémolytique vis-à-vis des globules rouges in-vitro.
Rameaux étalés, glabres ; feuilles opposées, pétiolées ; pétioles glabres de 2 à 10 millimètres de long ; limbe des feuilles elliptique ou ovale, de dimensions très variables, le plus souvent 7 à 14 centimètres de long et 3 à 6 centimètres de large, glabre, rétréci en coin à la base vers le pétiole, pourvu ou non d'un acumen au sommet.
Inflorescences terminales en cymes pluriflores (20 à 150 fleurs par inflorescence), à pédoncule commun bref, mais bien marqué (0,5 à 13 millimètres de long), à pédicelles de 3,5 à 7,5 millimètres couverts d'une pubescence dense et épaisse. Fleurs parfumées, à odeur suave. Boutons floraux à tête digitiforme ; sépales de 1,3 à 2,6 millimètres de long, pubescents au dehors, pubescents au-dedans au moins au sommet. Corolle un peu charnue, rarement d'un blanc pur, le plus souvent jaunâtre, à tube, de 3,5 à 5,8 millimètres de long, dépourvu d'indûment interne, tout au moins au-dessus des étamines, à lobes de 3,4 à 6,5 millimètres de long et 1,05 à 2,95 millimètres de large ; pubescents à l'extérieur jusqu'au sommet, tout au moins le long d'une bande qui marque la limite de recouvrement des lobes, ciliés sur les bords.
Fruits en grands follicules jumeaux (appelés tandroky en malagasy), atteignant 18,5 à 37,5 centimètres de long et 0,4 à 0,6 centimètre de diamètre - donc beaucoup plus grands que chez le Tandrokory (voir ce nom), - glabres, de couleur noire à maturité, souvent parsemés de petites lenticelles claires, renfermant de nombreuses graines pourvues d'une longue aigrette de soies d'un blanc jaunâtre.
Répartition géographique : Sambirano et île de Nosy-Be ; côte Ouest dans tout le Boina, l'Ambongo, le Firingalava et le massif de Manongarivo ; pays tsimihety et Ankaizinana jusque vers 1.000 mètres d'altitude, aux environs de Befandriana-Nord.
Propriétés médicinales
Pendant la guerre 1939-1945, en raison de la rareté des médicaments, un ingénieur des services agricoles, M. Le Mignon, prit l'initiative de récolter les espèces employées aux environs de Befandriana-Nord et de
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Bealanana en médecine populaire, en précisant, avec le concours de médecins et d'infirmiers malagasy, les emplois de ces plantes et leurs noms locaux.
Il envoya ce matériel à P. Boiteau en lui demandant de déterminer les plantes en cause et de préciser celles dont l'emploi paraissait justifié par ce qu'on savait de leur composition chimique. L'ensemble de ces observations fut réuni sous le titre de « Florule médicinale de l'Ankaizinana » ; mais les circonstances n'en permirent pas la publication. Les plantes furent incorporées à l'Herbier du Jardin Botanique de Tananarive et chacune d'elles, accompagnée de la notice la concernant, adressées au Muséum d'Histoire Naturelle à Paris.
C'est ainsi que le n° 194 de Le Mignon, dénommé Rikiatra ou Tsivahabahatra, devint le n° 5.279 de l'Herbier du Jardin Botanique de Tananarive. Reconnu pour être Alafia Perrieri, il portait la notice suivante : « Infusion des racines administrées contre la jaunisse et infusion des feuilles dans la rougeole et les fièvres éruptives, toutes deux à la dose d'une tasse à thé, matin, midi et soir, et en bains de vapeur ». C'est cette notice qu'a reproduit Pichon (loc. cit., 1954, p. 153) sans en préciser l'origine qu'il ignorait.
Alafia pauciflora
Alafia pauciflora Radlkofer in Abhandl. Naturw. Ver. Bremen, 8 (1883), p. 403.
Liane un peu moins vigoureuse que A. Perrieri. Elle s'en distingue par ses fleurs à corolle rouge vif carminé (sauf souvent à la base du tube d'un blanc rosé ou jaunâtre), par ses petites feuilles ne dépassant pas 5,7 centimètres de long et 2,5 centimètres de large ; par ses inflorescences qui ne comptent jamais plus de 11 à 15 fleurs.
Noms malagasy : Alafy d'après Heckel, loc. cit. ; Vahy (ce nom, commun à toutes les lianes, n'est pas très spécifique) d'après Razafindrakoto, garde des forêts, sur échantillon R.N. n° 4.651 provenant d'Antsalova (1952).
Cette espèce du Sambirano et de l'Ouest-Nord-Ouest (pays tsimihety) croît à des altitudes ne dépassant guère 250-300 mètres.
Elle est réputée beaucoup plus toxique que A. Perrieri, mais cependant utilisée en médecine populaire.
Alafia thouarsii
Alafia thouarsii Roemer et Schultes, Caroli Linne equitu Systema Vegetabilis (16e édit.), IV (1819), p. 436.
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(Synonymes : Echites rosea Chapelier, manuscrit in Herb. Mus. Paris, cité par M. Pichon, loc. cit., 1949 ; Mascarenhasia Curnowiana, auteur inconnu, in Gardener's Chronicle, XXII, n° 553 (1884), p. 146 ; Mascarenhasia Gerrardiana Baker ; Alafia madagascariensis A. Richard ex de Candolle).
Liane atteignant 8 mètres de haut, à latex abondant, poisseux, incolore, moussant lorsqu'on l'agite avec de l'eau. Se distinguant par ses fleurs à corolle rose vif ou pourpre clair (souvent d'un blanc rosé sur le tube) et son pistil rouge vif.
Espèce assez commune sur toute la côte Est, de Vohémar au Nord jusqu'à Vatomandry au Sud, remontant sur le versant oriental jusque vers 1200 mètres d'altitude. Se maintenant dans les savoka après disparition de la forêt.
Noms malagasy
Alafy : c'est de ce nom que Dupetit-Thouars, dans ses Genera Nova Madagascariensa (1809), p. 11, a tiré le nom du genre Alafia.
Vahimainty : c'est sous ce nom que la plante a été récoltée par Chapelier (1804) qui, dans sa lettre du 1er Thermidor An XII, reproduite par G. Fontoynont, in Bull. Acad. Malg. X (1912), p. 318, écrivait :
« N° 4 - Vahé-minetine, vulgo, Apocinée.
« Autre belle liane de la famille des Apocinées à fleurs rouges, ayant pour fruit des follicules très longs, de la grosseur d'une plume d'oie, cylindriques, arqués et se réunissant par leur sommet, laissant échapper par une suture longitudinale des semences membraneuses et aigrettées. Dans les lieux pierreux et secs, très diffus, avec des jets sarmenteux fort courts, au lieu que dans les forêts et les grands bois ils atteignent le sommet des plus grands arbres et servent aux Malgaches à faire de bonnes harts[1] en les passant, à plusieurs reprises, sur la flamme du feu. Ils prétendent que la décoction de ses feuilles et sommités guérit la gonorrhée ».
« A transplanter dans un terrain un peu sec, au pied d'un arbre ».
« Etymologie : de Vahé, liane et Minetine, noir ; liane noire, ainsi nommée de la couleur noire de l'écorce de ses tiges sarmenteuses ». G. Fontoynont (note 5, en bas de page) ajoutait que : «Les Betsimisaraka l'emploient coupée et bouillie contre la diarrhée ».
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- ↑ Harts : liens flexibles pour attacher le bois, le foin. etc. (vieux français).
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Les échantillons de Chapelier existent toujours dans l'Herbier du Museum de Paris. La plante qu'il envoya vivante à l'île Maurice y prospéra. Bojer in Hortus Mauritianus, 1837, p. 207, note sa présence au Jardin des Pamplemousses et lui attribue le nom de Voalafy. A. de Candolle, Prodromus, VIII (1844), p. 415, signale un échantillon de la plante recueillie dans cette île par Dunant. De là, elle fut propagée à la Réunion, en Angleterre, en France, etc., tant comme espèce décorative que pour ses vertus médicinales.
Outre les noms cités ci-dessus, M. Pichon, loc. cit., 1954, rapporte encore, d'après divers collecteurs, les noms suivants : Felambaratra à Soanierana-Ivongo ; Fingimbahy (ce nom paraît erroné : il désigne habituellement un Landolphia, liane fournissant du caoutchouc, alors que les Alafia n'en donnent pas); helabaratra à Soanierana-Ivongo ; Vahavy, à Ampasimbe ; Vahivy, à Farahalana ; Vahizahy et Vahimankany.
Il faut encore y ajouter Felambarika noté par J. Bosser sur son échantillon n° 17 003 (1962), provenant de Fotsimavo, canton d'Ambodiriana (préfecture de Tamatave).
Il est difficile de se faire une idée exacte des propriétés des Alafy dans l'état actuel de notre information.
D'ailleurs le même doute plane sur les espèces africaines de ce genre : Alafia lucida Stapf, par exemple, qui est considéré par les uns comme l'une des espèces utilisées à la préparation des poisons de flèches, alors que d'autres auteurs signalent que ses feuilles cuites sont données à manger aux femmes qui viennent d'accoucher pour favoriser la montée du lait.
Ce qui est certain, c'est que les trois espèces propres à Madagascar citées ci-dessus sont pharmacodynamiquement actives : leurs extraits, même à très faible dose (quelques microgrammes) suffisent, lorsqu'ils sont ajoutés à la solution de Ringer, à accroître l'amplitude des battements du coeur de Grenouille en perfusion. On ignore cependant si cette activité est due à des alcaloïdes ou à des osides cardioactifs.
Seu1es les saponines d’A. Perrieri ont été quelque peu étudiées par P. Boiteau (travaux inédits). Elles ont fourni des génines qui, à en juger par leur spectre infra-rouge, sont plutôt du type stéroïde que triterpénique.
Une étude chimique et pharmacodynamique plus poussée des Alafy est souhaitable.
Observation
Ces plantes sont bien connues dans leurs régions d'origine (sinon à Tananarive). Outre leur réputation toxique ou médicinale, leurs belles
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fleurs odorantes n'ont pas manqué d'attirer l'attention. L'imagination populaire leur attribue souvent des vertus maléfiques. Une très mauvaise plaisanterie consisterait, par exemple, à offrir ces fleurs à un jeune couple : elles sont censées provoquer les disputes et un divorce ne tarderait pas à en résulter.