Digitale (Cazin 1868)

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Dictame
Cazin, Traité des plantes médicinales, 1868
Doradille
PLANCHE XVII : 1. Dentelaire. 2. Digitale. 3. Doradille. 4. Douce-amère. 5. Ellébore blanc.


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Digitale pourprée

Nom accepté : Digitalis purpurea


DIGITALE POURPRÉE. Digitalis purpurea. L.

Digitalis purpurea folio aspero. G. Bauh. — Digitalis purpurea. Tourn.

SCROPHULARIACÉES. — DIGITALÉES. Fam. nat. — DIDYNAMIE ANGIOSPERMIE. L.

Gant de Notre-Dame, — dé de Notre-Dame,— grande digitale, — gantelet, — gantelée, — gantellier, — doigtier, — gandio.


Cette plante bisannuelle (Pl. XVII) croît spontanément dans les bois des environs de Paris (Meudon, Saint-Germain), et surtout dans la Normandie et la Bretagne. On la rencontre aussi dans la forêt de Cressy et dans les bois montueux de la Picardie. Elle se plaît dans les terrains secs, sablonneux, siliceux, élevés. On la cultive dans les jardins comme plante d'ornement et pour l'usage médical. Elle se sème d'elle-même. Fuschius[1] est le premier qui ait donné à cette plante le nom de digitale, et en ait exposé les véritables caractères.

Description. — Racines fusiformes, brun-rougeâtre, fibreuses. — Tige droite, herbacée, simple, velue, cylindrique, de 60 à 80 centimètres. — Feuilles grandes, alternes, ovales ou lancéolées, vertes et un peu ridées en dessus, blanchâtres et cotonneuses en dessous, dentées en leurs bords ; les inférieures pétiolées, les supérieures presque sessiles. — Fleurs d'un rose purpurin, épi terminal penché d'un côté de la tige, à pédoncules courts et pubescents, à leurrette d'une bractée ovale-aiguë (juin-août). - Corolle campanulée ou tubuleuse, ressemblant à un dé à coudre (d'où le nom de digitale), quatre divisions au limbe, parsemée de taches roussâtres et comme tigrées à l'intérieur. — Calice à cinq folioles lancéolées. — Quatre étamines didynames, plus courtes que la corolle. — Anthère bilobée. — Style à stigmate bifide. — Fruit : capsule supérieure, ovale-aiguë, enveloppée par le calice à deux loges polyspermes.

Parties usitées. — Les feuilles, les semences ; — autrefois les racines; - quelques auteurs ont proposé les fleurs.

[Culture. — La digitale sauvage suffit grandement aux besoins de la médecine ; on la cultive dans les jardins d'agrément, on la multiplie par graines semées vers la fin de l'hiver et que l'on repique en juin ; la plante ne demande ensuite aucun soin et elle se ressème d'elle-même.]

Récolte. - La récolte doit se faire en juin ou en septembre : la première est préférable. Il faut cueillir les feuilles lorsque les fleurs commencent à se montrer. La plante qui croît sur les lieux élevés et qui a reçu l'influence du soleil est plus active. Les feuilles, disposées en guirlandes, doivent être séchées promptement dans une étuve, ensuite conservées en lieu sec, sinon elles noircissent et se détériorent ; il en est de même de leur poudre, qu'on doit tenir soigneusement dans un flacon bien bouché et à l'abri de la lumière. Quand on pulvérise les feuilles, on doit s'arrêter aux deux tiers environ ; jusque-là il y a augmentation dans l'intensité de la nuance verte ; ensuite, il y a, au contraire, dégradation de teinte, de sorte que la dernière poudre obtenue est la plus pâle de toutes.

Les feuilles vertes ont moins d'efficacité que les feuilles sèches, bien que celles-ci perdent tout à fait leur odeur vireuse par la dessiccation. Leurs vertus diminuent par la vétusté ; il est bon de les renouveler tous les ans. La dessiccation leur fait perdre de trois quarts à quatre cinquièmes de leur poids.

Il y a un grand choix à faire dans la digitale par rapport aux provenances. Celle que l'on récolte en Suisse est regardée comme la plus active. Quand on la cultive, il faut se rapprocher le plus possible des conditions de terrain, d'exposition, etc., qui lui conviennent sous le rapport de ses vertus.

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  1. De histor. stirp. commentarii, etc., traduit en français par Ch. de l'Ecluse.


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On trouve quelquefois dans les magasins d'herboristerie, par erreur ou par fraude, des feuilles de grande consoude ou de bouillon blanc parmi celles de digitale. Ces feuilles étant velues sur les deux faces et d'une saveur mucilagineuse, en seront facilement distinguées. [Mais ce sont surtout celles de la conyze squarreuse qui s'y trouvent frauduleusement mélangées. Elles se distinguent en ce qu'elles sont rudes au toucher, presque entières, non dentées, et qu'elles présentent une odeur sèche lorsqu'on les froisse.]

Propriétés physiques et chimiques. — La digitale, d'une odeur vireuse à l'état frais, d'une saveur amère et désagréable, contient, d'après Widling, une huile volatile, une matière concrète, floconneuse, volatile, une matière grasse, de la digitaline, de l'extractif, de l'acide gallique, une matière colorante rouge soluble dans l'eau, du gluten, de la chlorophylle, de l'albumine, du sucre, du mucilage[1]. — Brault et Poggiale ont trouvé dans la même plante de la chlorophylle, une résine, une matière grasse, de l'amidon, du ligneux, de la gomme, du tannin, des sels de chaux et de potasse, une huile volatile, de l'oxalate de potasse[2]. — Morin y a rencontré trois principes distincts : 1° un principe amer (digitaline) ; 2° un acide, fixe (acide digitalique) ; 3° un acide volatil (acide antirrhinique)[3].

[D'après Radig, la digitale contient : digitaline, 8.6 ; chlorophylle, 6.0 ; matières extractives, l4.7 ; albumine, 9,0 ; acide acétique, 11.0 ; oxyde de fer, 3.7 ; potasse, 3.2 ; fibre, 43.5.

Outre la digitaline, la digitale contient l’acide digitalique, découvert par Morin, qui cristallise en aiguilles blanches fusibles, d'une odeur et d'une saveur spéciales ; l’acide digitoléique, isolé et étudié par Kosmann, qui cristallise en aiguilles radiées de couleur verte, d'une odeur aromatique, d'une saveur amère, peu solubles dans l'eau ; très-solubles dans l'alcool et l'éther ; d'ailleurs, la composition de la digitale est extrêmement complexe ; on y a trouvé récemment divers principes immédiats dont un devrait être considéré comme un glycoside, et un autre serait un principe volatil.

L'étude chimique, physiologique et thérapeutique des divers principes immédiats extraits de la digitale est bien loin d'être complète ; parmi les substances qu'on a retirées de cette plante, quelques-unes pourraient bien être le résultat de dédoublements ou de transformations chimiques ; voici, d'ailleurs, quels sont les corps trouvés dans la digitale par Homolle et Quevenne : digitaline, digitalose, digitalin, digitalide, acide digitalique, acide antirrhinique, acide digitoléique, acide lannique, amidon (?), sucre, pectine, chlorophylle, huile volatile, sels.]

(Kosmann a retiré de la digitale une matière grasse particulière, la digitoléine, paraissant être une combinaison de glycérine avec l'acide digitoléique.

En distillant des feuilles sèches de la plante que nous étudions, on obtient une huile empyreumatique, poison énergique, la pyrodigitaline.)

Le principe actif de la digitale est la DIGITALINE. (Voyez plus bas.)

Les meilleurs dissolvants des principes actifs de la digitale sont l'eau et surtout l'alcool. L'éther rectifié ne se charge guère que de la chlorophylle.

Selon Falken (in Dorvault), la digitale dont l'infusé ne se trouble pas dans l'espace de quinze minutes par un soluté de ferrocyanate de potasse, ne possède pas les qualités requises.

Substances incompatibles. — Les sels de fer, de plomb, d'argent, les décoctés astringents.


DIGITALINE. — La digitaline (C8 O18 H8) (Walz), (C54 H45 O30) (Kosmann), a été isolée à l'état de pureté par Homolle et Quevenne. Elle se présente sous la forme d'une poudre blanche, amorphe, inodore, d'une saveur excessivement amère, sensible surtout à l'arrière-gorge. A peine soluble dans l'eau froide, un peu plus soluble dans l'eau bouillante, elle se dissout en toute proportion dans l'alcool faible ou concentré ; l'éther pur eni dissout à peine. Elle est neutre aux papiers réactifs. (Chauffée, elle se décolore à 100 degrés et se décompose à 200 degrés.) L'acide chlorhydrique concentré lui communique une couleur vert-émeraude. L'acide sulfurique concentré la colore en rouge-hyacinthe et la dissout. Ce soluté, étendu d'eau, verdit. L'acide azotique la jaunit. L'ammoniaque et la soude caustique la colorent en jaune brun. (La digitaline n'est pas un alcaloïde ; Kossmann l'assimile à un glycoside, se décomposant en sucre de raisin et un alcaloïde, la digitaléritine) (C50 H25 O10).

[Suivant Grandeau et Lefort, les digitalines du commerce varient beaucoup dans leur

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  1. Journal de pharmacie, 1834, t. XX, p. 98.
  2. Ibid., t. XXI, p. 133.
  3. Journal de chimie et de pharmacie, n° 4, 1845.


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nature et leur composition. Lefort a vu, en effet, que la digitaline dite française est insoluble dans l'eau, tandis que celle qui est désignée sous le nom d'allemande se dissout ; il a constaté, en outre, que les vapeurs d'acide chlorhydrique coloraient en vert foncé la digitaline insoluble, et en brun la digitaline soluble : de plus, dans le premier cas l'odeur de la digitaline est exaltée, elle l'est moins dans le second.

Grandeau a observé que la digitaline prenait une belle coloration pourpre au contact de l'acide sulfurique et de la vapeur de brome ; il a constaté que la digitaline Homolle et Quevenne était soluble seulement en partie dans l'éther et le chloroforme et peu soluble dans l'eau, tandis que la digitaline de Merck se dissout. Walz ne considère comme digitaline pure que celle qui, étant dissoute par l'éther, et le liquide étant évaporé est soluble dans l'eau.] (Cet auteur a signalé dans la digitaline brute de la digitalicrine et de la digitalosine.)

L'amertume de la digitaline s'étend à 2,000 parties d'eau (10 kilogr. d'eau pour 5 centigr. de digitaline), ce qui en constitue l'épreuve.

Par suite d'un défaut de mode opératoire, d'une purification incomplète, elle contient quelquefois de l'acide tannique. Il suffit, pour en constater la présence, du contact d'un soluté d'un persel de fer (Dorvault). Un deuxième traitement de la digitaline par la litharge, comme dans le procédé d'extraction, en élimine aisément l'acide tannique[1].

Il ressort des expériences de Homolle et Quevenne : 1° que l'extrait aqueux de digitale, le suc de cette plante fraîche, n'offrent aucun avantage pour l'extraction de la digitaline ; que ces produits, au contraire, sont inférieurs sous ce rapport aux feuilles de la plante sèche ; 2° que les racines n'ont donné qu'une faible proportion de digitaline ; 3° que les semences n'ont pas fourni une proportion de digitaline telle, que, pour cette raison, on doive leur accorder la préférence dans les usages thérapeutiques. Il ne saurait y avoir avantage à les utiliser pour l'extraction de la digitaline, à cause de leur faible proportion, de leur volume exigu et de la difficulté de les récolter.


PREPARATIONS PHARMACEUTIQUES ET DOSES.


DIGITALE. — A L'INTÉRIEUR. — Infusion des feuilles, 50 centigr. à 2 gr. par kilogramme d'eau bouillante.
Infusion de poudre de feuilles, 10 centigr. à 1 gr. dans 500 gr. d'eau bouillante (une demi-heure d'infusion).
Poudre, 5 à 60 centigr., progressivement (préparation la plus usitée).
Suc exprimé, 2 à 8 gr.
Sirop d'infusion (1 gr. de feuilles sur 500 gr. d'eau bouillante et 1,000 gr. de sucre), 15 à 60 gr.
Sirop d'alcoolature (2 d'alcoolature ou teinture de suc sur 7 d'eau et 15 de sucre), 15 à 100 gr.
[Extrait aqueux par lixiviation, 2 à 20 centigrammes.]
Extrait aqueux (opéré par évaporation avec le suc dépuré), 2 à 30 centigr.
Extrait alcoolique (1 de feuilles sur 4 d'alcool), parties égales de feuilles fraîches et d'alcool à 86° C. Laisser macérer huit jours et filtrer.
Suc épaissi ou extrait de suc non dépuré, 2 à 50 centigr.
Teinture alcoolique (1 de feuilles sur 5 d'alcool à 80 degrés), 16 centigr. à 1 gr. Six parties de teinture représentent un peu moins d'une partie de digitale.
Teinture éthérée, dose 1 à 5 centigr.
Alcoolature, 25 centigr. à 2 gr.
A L'EXTÉRIEUR. — Poudre en frictions (macérée dans la salive ou dans l'eau, ou par la méthode endermique).

Teinture, 2 à 15 gr., en frictions.
Feuilles en décoction, cataplasmes, fomentations, bains, etc.
Pommade (digitale fraîche, 1 partie ; axonge, 2 parties ; faire cuire à un feu doux,jusqu'à consomption de l'humidité). — Poudre de digitale, 4 gr. ; axonge, 30 gr.
Il est un choix à faire dans l'usage interne des préparations de digitale. Suivant Homolle et Quevenne[2], on doit rejeter l'extrait aqueux et même l'extrait alcoolique, comme offrant trop de chances d'altération pendant leur évaporation, attendu que la chaleur est au nombre des choses que redoutent le plus les préparations de digitale. La teinture éthérée proportionnellement assez peu chargée de principe actif, variant d'ailleurs suivant le degré de l'éther, est tout aussi incertaine dans ses effets. La teinture alcoolique, qui offre, ainsi que la teinture éthérée et l'alcoolature, le plus de chance de conservation, n'a de garantie qu'autant que le préparateur est vigilant et soigneux ; et l'on n'en a aucune si elle provient d'une source inconnue. L'alcoolsture a contre elle de ne pas offrir de dosage fractionnel certain entre l'alcool et la plante, celle-ci renfermant des quantités inégales d'eau de végétation. On doit donner la préférence à la poudre, bien qu'elle n'offre pas les chances de bonne conservation des teintures et des alcoolatures ; mais elle a pour elle un avantage très-grand, c'est qu'on est sans cesse à même d'en vérifier la qualité ; elle est d'ailleurs considérée par la plupart des thérapeutistes

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  1. Lepage, Compte-rendu des travaux de la Société impériale de médecine de Toulouse, 1856.
  2. Mémoire sur la digitaline et la digitale, 1854, p. 107.


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comme la meilleure des préparations pharmaceutiques de cette plante. Relativement à la fixité, nous aurons plus bas à la comparer à la digitaline.
L'infusion de 50 centigr. à 1 gr. de poudre de digitale pendant une heure dans suffisante quantité d'eau bouillante m'a semblé une préparation active ; mais elle est plus difficilement supportée par l'estomac que la poudre, la teinture et l'extrait aqueux préparé par évaporation douce avec le suc. Quelquefois après avoir donné inutilement la teinture, j'ai obtenu de prompts résultats de la poudre chez le même malade, et tout à fait dans les mêmes circonstances. En général, j'ai reconnu que la poudre de digitale fraîchement récoltée, et le suc exprimé frais non dépuré ou épaissi à la chaleur solaire, modérée et soutenue, avaient nn effet plus certain et plus constant que toutes les autres préparations pharmaceutiques.

DIGITALINE. — Granules de digitaline (Homolle et Quevenne). Digitaline 500 gr., sucre blanc 24 kilogr. 500 gr. pour cinq cent mille granules, que l'on prépare à la manière des anis de Verdun. Chaque granule renferme 1 milligr. de digitaline et équivaut à environ 10 centigr. de digitale pour l'action thérapeutique.
Le dosage et l'emploi de la digitaline exigent beaucoup de prudence. Suivant Homolle et Quevenne, 4 milligr. de digitaline répondent pour l'énergie d'action à 4 centigr. de poudre de digitale préparée avec le plus grand soin et prise en nature. C'est donc une énergie centuple de la préparation jusqu'ici réputée la plus active et la plus constante dans ses effets. De là ressort la nécessité d'un dosage sûr et facile. La forme de granules paraît aux auteurs le mieux répondre à cette nécessité, puisque le dosage se borne, pour le pharmacien comme pour le malade, à compter le nombre de granules (milligr. de digitaline) que l'on veut administrer. Ces granules étant d'ailleurs d'une solubilité complète, l'on n'a point à redouter qu'ils résistent, comme cela a lieu pour certaines pilules composées, à

l'action dissolvante de l'estomac. Ils offrent un autre avantage non moins précieux, c'est de constituer un médicament toujours identique et parfaitement inaltérable, dans lequel la saveur amère intense de la digitaline est entièrement dissimulée.
Homolle et Quevenne conseillent la marche suivante pour la progression du dosage.
Débuter par deux ou trois granules par jour, chez les adultes, et augmenter successivement jusqu'à cinq ou six ; mais ne dépasser cette dose qu'avec une grande circonspection et en mettant au moins trois jours d'intervalle entre chaque augmentation à partir de six granules ; s'arrêter et même suspendre l'emploi du médicament pendant quelques jours dès que le malade accuse la plus légère tendance aux nausées, à des tiraillements d'estomac, ou à un sentiment de prostration générale un peu marquée.

Sirop de digitaline (digitaline dissoute dans un peu d'alcool, 10 centigr. ; sucre, 2 kilogr. ; contient 1 milligr. de digitaline par 20 gr. de sirop), 2 à 5 cuillerées par jour, pur, ou, mieux, dans un verre d'infusion appropriée.
Potion de digitaline (digitaline, 5 milligr. ; eau distillée de laitue, 100 gr. ; sirop de fleurs d'oranger, 25 gr.), à prendre par cuillerées dans les 24 heures.
Pour éviter autant que possible les accidents qui pourraient résulter de l'emploi de la digitaline pure, Dorvault propose de faire avec cette substance comme avec l'acide cyanhydrique, de l'étendre au moyen d'un corps inerte. Le corps le plus convenable lui paraît être la lactine pulvérisée, et les proportions, celles du mélange indiqué par Homolle et Quevenne pour les granules, c'est-à-dire 1 partie de digitaline pure et 49 parties de lactine. Dorvault propose pour ce mélange le nom de digitaline médicinale.

A L'EXTÉRIEUR. — Pommade, digitaline dissoute dans quelques gouttes d'alcool à 22°.5 C., axonge balsamique, 10 gr.


[Il est extrêmement important que le médecin sache que les digitalines du commerce sont rarement pures ; c'est d'ailleurs un principe mal défini, et beaucoup de praticiens préfèrent encore aujourd'hui avoir recours à la poudre de digitale. En effet, de l'avis de Homolle et Quevenne, la digitaline a contenu pendant longtemps du digitalin et de la digitalose, et nous venons de voir qu'encore aujourd'hui les dissolvants que l'on faisait agir sur les diverses digitalines produisaient des effets différents ; d'ailleurs, les différents prix de la digitaline, établis par la concurrence, sont un indice pour se mettre en garde contre leur pureté.]

(EFFETS PHYSIOLOGIQUES ET TOXIQUES. — A. Sur les animaux. Il ressort des expériences de physiologistes nombreux[1], que la digitale, ainsi que la digitaline, plus souvent employée dans ce cas, portent leur action spéciale sur le cœur. Aussi, Claude Bernard a-t-il rangé la plante et son principe actif parmi les poisons du cœur, à côté de l'upas antiar, du corwal, du venin du crapaud, de l'ellébore vert, du tanghinia venenifera et de l'inée ou onage.

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  1. Traube, Ann. de la Charité, t. II, p. 56 ; Stannius, Wierorth's arch., 1851 ; Black, Edimb. Journ. 1859 ; Homolle et Quevenne, Sandras et Bouchardat (1845), Bouley et Reynal, Cl. Bernard, etc. ; Dybkonski et Pelikan, in Comptes-rendus de la Société de biologie, 1866.


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En effet, une dose fortement toxique foudroie un animal, quant aux battements de son cœeur, qui sont anéantis ; tandis que la sensibilité, la myotilité générale, la respiration persistent encore pendant un temps variable. L'irritabilité du cœur se perd tellement vite, que Stannius, dans ses expériences sur les chats, l'a vu cesser immédiatement de répondre aux excitations galvaniques. Le ventricule du cœur s'arrête toujours en état de forte contraction ; il reste complètement vide et pâle, tandis que, la fonction respiratoire survivant à celle de la circulation, les oreillettes sont distendues et gorgées de sang oxygéné. En dernier ressort, cette extinction de la vitalité du cœur s'expliquerait par l'action du poison soit sur les nerfs régulateurs (Traube), soit sur les nerfs musculo-moteurs (Stannius), soit enfin sans l'intermédiaire du système cérébro-spinal (Dybkonski et Pelikan). La fibre cardiaque est lésée dans sa fonction, mais non dans sa structure et sa composition chimique (Lemattre).

A dose plus ménagée, l'effet est plus graduel et l'on peut suivre les phases de l'intoxication. Laissons parler Bouchardat et Sandras :

« 5 centigr. ont été dissous dans très-peu d'alcool et dans 60 gr. d'eau distillée. Cette solution a été injectée dans l'estomac par l'œsophage ouvert, et ce conduit a été lié au-dessous de l'ouverture. Avant l'expérience, les pulsations du coeur étaient à 128 par minute. Deux heures après, il y avait seulement 58 pulsations ; le chien faisait beaucoup d'efforts pour vomir et aller à la selle ; il semblait très-affaissé sur lui-même. L'agonie a duré trois heures ; elle avait commencé deux heures après l'empoisonnement.

Le lendemain matin, rigidité cadavérique extrême. Le coeur était gros et plein de sang, surtout dans les oreillettes ; la vessie est pleine d'urine ; le rectum contient une matière jaune verdâtre, liquide ; le reste des intestins, une bouillie mucilagineuse, rougeâtre, dont la provenance s'explique par l'état de toute la muqueuse.

L'œsophage est sain, excepté au niveau de la plaie et de la ligature. L'estomac est manifestement enflammé dans son grand cul-de-sac. Là il est rouge vif, couvert d'une exsudation sanguine, que l'on rencontre dans le parcours de l'intestin jusqu'au cœcum.

1 centigr. de digitaline a été dissous dans 60 gr. de liquide très-légèrement alcoolisé ; cette dose a été injectée dans la veine jugulaire externe d'un chien.

Les battements du cœur, avant l'expérience, étaient de 120 par minute.

Aussitôt que l'injection fut faite, le chien, mis en liberté, eut une évacuation alvine abondante ; puis il se mit à vomir, à deux ou trois reprises, un peu de matière mousseuse ; puis il se promena en chancelant comme un homme ivre. Les envies de vomir se renouvelèrent à plusieurs reprises. Au bout de quatre ou cinq minutes, les pulsations du cœur étaient dures, inégales pour la force et la fréquence, et réduites à 36 seulement pour une minute.

Les signes de vertiges, de malaise, d'envies de vomir, continuèrent. Au bout de dix minutes, les pulsations étaient revenues à plus de 100. L'animal paraissait fort malade, et, au bout de quatre heures et demie, il est mort après avoir eu une agonie prolongée pendant deux heures.

Ainsi, 1 centigr. de digitaline, injecté dans les veines, est une dose suffisante pour donner la mort. »

Suivant Dybkonski et Pelikan, les contractions du cœur au début de l'expérience sont quelquefois accélérées, tantôt elles deviennent plus rares dès le commencement ; le passage à une complète paralysie du cœur n'apparaît pas par gradation régulière descendante du nombre des pulsations normales jusqu'à zéro, mais après que les contractions du cœur sont tombées de leur nombre normal à dix, quinze et même vingt pulsations par minute ; le rhythme des contractions est ordinairement régulier au commencement


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de l'intoxication, mais on y observe un changement notable après de trois à dix minutes.)

B. Chez l'homme, la digitale, mâchée et en contact avec la muqueuse buccale, produit des nausées, détermine l'excrétion d'une assez grande quantité de salive, un léger sentiment d'âcreté et de sécheresse dans le gosier, un faible soulèvement de cœur. Ingérée, cette plante a d'abord une action plus ou moins stimulante sur les organes digestifs, ensuite sur le système nerveux, sur divers organes sécréteurs, et même instantanément sur le système sanguin. Ses effets sur l'organisme sont, comme pour toutes les substances actives, subordonnés aux doses auxquelles on l'administre. A haute dose, elle irrite fortement la muqueuse gastro-intestinale à la manière des émétiques ou des éméto-cathartiques, stupéfie le système nerveux ou le jette dans l'ataxie, cause des nausées, des vomissements, des cardialgies, des vertiges, du délire, des troubles de la vue, des hallucinations, la faiblesse musculaire, la rareté et l'intermittence du pouls, la lenteur de la respiration, des syncopes, le froid général ou partiel, la cécité, la somnolence, un coma profond, et la mort.

On a noté souvent la diminution, quelquefois l'augmentation des urines, dans certains cas des déjections alvines, dans d'autres cas la constipation, quelquefois la dilatation des pupilles, d'autres fois leur contraction, le plus souvent leur état normal.

Il faut, pour combattre cet empoisonnement, exciter le vomissement le plus tôt possible. La substance toxique, en contact avec l'estomac, suffit souvent pour produire ce vomissement, et débarrasser ainsi le malade en lui faisant rejeter l'excès du poison récemment ingéré. On regarde comme contre-poison une solution de tannin ou une solution de noix de galle, une solution d'iodure de potassium ioduré. Giacomini, considérant la digitale comme éminemment hyposthénisante, recommande, d'après Rasori et Borda, l'eau de cannelle, le vin, l'alcool, etc. I1 est pourtant d'observation que les excitants, surtout au début, augmentent le mal, tandis que les antiphlogistiques et les opiacés, au contraire, le calment. Dans un cas ou un de mes malades avait pris 8 gr. de teinture alcoolique de digitale, l'emploi d'une décoction de graine de lin et d'une solution de 1S centigr. d'extrait gommeux d'opium dans 120 gr. d'eau distillée de laitue, prise par cuillerées à bouche dans l'espace de trois heures, a dissipé les accidents, tels que vomissement, tension épigastrique, cardialgie, vertiges, etc. Dans un autre cas, où des vomissements et une tension douloureuse du bas-ventre avaient été le résultat de l'ingestion de 6 gr. de teinture de digitale, le citrate de magnésie en limonade, prise en petite quantité fréquemment répétée, a dissipé les accidents dans l'espace de deux jours. On combat les coliques par des lavements émollients et même opiacés lorsque, toutefois, il n'y a point de congestion cérébrale. Dans ce dernier cas, on emploie rarement les émissions sanguines, à moins qu'il n'y ait indication bien précise. On met en usage le plus souvent les révulsifs, tels que les sinapismes, les lavements irritants, salés, purgatifs, etc.

Lorsque l'intoxication n'est pas suivie de mort, les vomissements peuvent persister plusieurs jours, et l'estomac rester ensuite réfractaire aux aliments, surtout s'ils sont solides. « Quand les phénomènes d'irritation ou d'intoxication causés par la digitale ou la digitaline ont été portés à un haut degré, ils peuvent persister longtemps, et il est possible que l'économie s'en ressente encore huit ou dix jours après l'accident ou même davantage[1].

(Aussi, quand, après l'emploi de ces divers moyens, on aura réussi à conju-

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  1. Homolle et Quevenne, Mémoire sur la digitaline et la digitale, p. 315.


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rer les premiers accidents, tout ne sera pas fini. Bouchardat cite[1] un cas où la mort arriva le septième jour ; il faut, à cause des dispositions aux syncopes dans lesquelles l'action élective de la digitale met le sujet, recommander le décubitus dorsal prolongé. Mazet, d'Andusi[2], rapporte un fait de mort subite le cinquième jour ; la malade, qui entrait en convalescence se levait pour uriner; elle mourut de syncope.)

A moindre dose, la digitale stimule l'estomac, augmente quelquefois, mais instantanément, l'action du coeur, et devient secondairement contro-stimulante. Lorsque l'estomac est dans des conditions normales, l'action sédative de la digitale, même à dose assez élevée, est le plus souvent primitive, directe, spéciale. Dans un essai fait. sur lui-même, Homolle[3] a vu son pouls baisser successivement, sous l'influence de la digitaline, de 72, 64 à 50, avec irrégularité, intermittence. Ce ralentissement du pouls s'est prolongé deux jours entiers après l'expérience. Il y a eu diminution de la sécrétion urinaire pendant l'expérience, et notable augmentation après la cessation du médicament.

A petite dose répétée (dose thérapeutique), la digitale diminue incontestablement la fréquence du pouls d'un quart, d'un tiers ou même de moitié, active les fonctions du système absorbant, et augmente la sécrétion urinaire. On l'a vue quelquefois, chez certains sujets, exciter la salivation et même la sueur.

Introduite à petite dose dans un estomac irrité, elle produit les mêmes effets que lorsqu'on l'introduit à dose élevée dans un estomac sain. L'effet direct de cette plante sur la circulation est donc d'autant plus facilement obtenu que l'estomac, qui en reçoit l'action primitive, est moins irrité. Broussais a le premier remarqué que lorsque l'irritation gastrique est prononcée, la sédation n'est point opérée, ce qui peut, jusqu'à un certain point, expliquer la diversité des opinions émises sur les effets de la digitale. Cependant, lorsqu'il n'existe point d'irritation gastrique antérieure, et qu'on n'élève point les doses au delà de 15 à 30 centigr. dans les vingt-quatre heures, l'excitation que cette substance détermine d'une manière fugace, et à diverses reprises, dans les premières voies, ne l'empêche pas de produire le ralentissement du pouls. J'ai rencontré des sujets chez lesquels je n'ai jamais pu produire la sédation par la digitale, administrée sous toutes les formes et avec toutes les précautions possibles. J'ai quelquefois même constaté une accélération soutenue du pouls par son usage, sans qu'il se manifestât la moindre irritation d'estomac. Orfila rapporte qu'ayant fait usage pendant un mois de la poudre de digitale, dont il avait graduellement augmenté la dose, son pouls n'a présenté aucune diminution dans le nombre de ses vibrations. Ces cas exceptionnels se rencontrent très-rarement ; quoiqu'il soit plus facile de les observer que de les expliquer, il n'est pas inutile d'en faire mention.

Quelquefois il y a intolérance complète de la digitale administrée même aux doses les plus minimes. Elle cause alors de l'irritation, de l'ardeur à l'estomac, le pyrosis, la dispepsie, etc. Il faut alors l'administrer avec prudence, en suspendre l'usage de temps en temps, ou même le proscrire. J'ai vu la digitale en poudre, donnée à la dose de 25 centigr. en trois prises dans la journée, à une jeune femme atteinte de palpitations par suite de chagrins domestiques, causer des vertiges, des étourdissements, suivis de vomissements, d'anxiété précordiale, et d'un ralentissement si prononcé dans la circulation, que le pouls ne donnait plus que 34 pulsations par minute. Ces accidents se dissipèrent peu à peu, et je pus de nouveau, et

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  1. Annuaire de thérapeutique, 1860, p. 133.
  2. Gazette des hôpitaux, 1864, n° 78.
  3. Mémoire sur la digitaline et la digitale, p. 178.


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sans inconvénient, employer le même médicament en teinture, à la dose de 3 gouttes, et en augmentant progressivement jusqu'à celle de 15 gouttes par jour. La sédation s'est manifestée par la cessation graduelle des palpitations.

Ce qui arrive quelquefois par 1'action de la digitale prise a une certaine dose et non toujours comme l'ont prétendu plusieurs auteurs, c'est une excitation du cœur et des vaisseaux sanguins, à laquelle succède un ralentissement, qui ne saurait être contesté. Ces changements physiologiques sont d'autant plus prononcés que la dose relative de la plante a été plus élevée et que l'on a persisté dans son usage. (La fibre cardiaque obéit ainsi à cette loi de physiologie générale qui veut que l'excitabilité d'un élément anatomique s'exagère avant de s'amoindrir ou de disparaître.) Sanders[1], dont les expériences sont connues, a vu la fièvre inflammatoire être le résultat immédiat de cette persistance. C'est là, quoi qu'en dise l'auteur, un fait tout à fait exceptionnel. Un cas à peu près semblable s'est offert à mon observation chez un jeune homme de quinze ans, atteint de palpitations telles qu'on en observe à l'âge de puberté, et qui ne reconnaissent le plus souvent d'autre cause que le développement naturel, le surcroît d'activité des organes contenus dans la poitrine. Il a suffi de six doses de 5 centigr. chacune, prises dans l'espace de quarante-huit heures, pour donner lieu à une fièvre violente, qu'une saignée de 400 gr. et l'usage des boissons émulsives et mucilagineuses ont promptement dissipée. Un ralentissement marqué dans la circulation a succédé immédiatement à l'excitation fébrile : de 105 pulsations le pouls était tombé à 65. L'état des voies digestives me le permettant, j'ai pu entretenir ce ralentissement en donnant au malade l'extrait aqueux de digitale à la dose légère de 2 centigr. trois fois par jour, et progressivement à celle de 10 centigr., que je n'ai point dépassée. Le malade, dont l'affection morale était grande, par la crainte d'un anévrisme, était guéri le trentième jour.

J'ai cru devoir, dans ce cas, suspendre l'administration de la digitale quelques jours après l'émission sanguine, afin de m'assurer de la réalité de son action sur le cœur. Dès le troisième jour de cette suspension, le pouls était revenu à 80 pulsations : la reprise du médicament l'a ramené de nouveau à une variation de 60 à 65 battements.

On peut induire des faits que nous venons de citer : 1° que dans l'administration des médicaments énergiques en général, et de la digitale en particulier, il est important de varier les doses et de ne commencer que par les plus légères ; 2° qu'il est quelquefois utile de substituer une préparation à une autre ; 3° que l'on obtient le ralentissement du pouls sans excitation primitive appréciable, en commençant l'usage de la digitale par des doses très-légères qu'on n'augmente que peu à peu.

Il résulte des faits rapportés par Homolle et Quevenne :

« 1° Que l'accoutumance ne peut s'établir relativement à l'action de la digitale et de la digitaline sur la circulation. Il y a en cela avantage, puisque cette action restant la même sans s'affaiblir, on peut produire toujours la même somme d'effet pendant l'usage longtemps continué du médicament, sans augmentation de dose ;

« 2° Que l'irritation causée par les mêmes agents sur les organes digestifs ne paraît guère plus susceptible de s'émousser par l'usage.

« Cependant, disent Homolle et Quevenne, cet inconvénient, surtout en ce qui concerne les nausées, semble moins prononcé et plus facile à éviter avec la digitaline qu'avec la digitale : circonstance qui paraît dépendre de la sûreté du dosage et de l'absence de propriétés organoleptiques répulsives dans la première, surtout lorsqu'elle est sous forme de granules.

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  1. Essai sur la digitale pourprée, traduit de l'anglais par F.-G. Murat, 1812.


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(Nous verrons plus loin que ces nausées ont pu être attribuées, depuis la publication de la deuxième édition de cet ouvrage, à l'action nauséeuse de l'acide digitoléique.)

« 3° Mais, suivant certains auteurs, l'accoutumance peut s'établir pour l'action sur les centres nerveux (vertiges, éblouissements, etc., sans doute quand ces accidents sont légers), et l'on voit ordinairement ces inconvénients disparaître après quelques jours de l'usage de la digitale[1].

« Il est rationnel, cependant, disent ailleurs Homolle et Quevenne[2], de rendre l'usage du remède intermittent, par suite de cette considération que l'action de la digitale et de la digitaline persiste, s'accroît même après le temps de l'administration, et que dès lors il y a tout avantage à laisser des temps de repos au malade. »

La manière d'agir de la digitale, comme celle de beaucoup d'autres substances, laisse encore beaucoup de praticiens dans l'incertitude. Plusieurs médecins allemands ou anglais, tels que Joerg[3], Sanders, Hutchinson[4] admettent dans la digitale une propriété d'accélération primitive sur le centre circulatoire, qu'elle ne déprimerait que consécutivement. Suivant Rasori, la digitale ne diminue pas seulement la fréquence et la force des pulsations, mais elle produit encore sur la circulation toutes sortes d'irrégularités. Cet agent, dit ce médecin, mériterait plutôt d'être appelé perturbateur exclusif du système sanguin. La plupart des médecins français et anglais considèrent cette plante comme ayant une action sédative directe sur la circulation. Suivant le professeur Bouillaud[5], ce qui distingue surtout la digitale des autres plantes usitées en médecine, c'est la faculté, en quelque sorte spécifique, de narcotiser le coeur. La persistance de cet effet après la cessation de l'usage de la digitale a été constatée par presque tous les observateurs. Joret[6] a même rapporté des exemples de l'accroissement d'action en pareil cas. Sanders admet aussi implicitement cet accroissement lorsqu'en parlant du grand affaissement que peut produire l'administration trop prolongée du médicament, il dit : « Le pouls, loin de s'élever immédiatement quand l'emploi de la digitale a été suspendu, descend au contraire en peu de jours jusqu'à 50, 40, 30 et même plus bas[7]. »

Les auteurs qui admettent le ralentissement direct de la circulation se divisent en deux classes. « Les uns, disent Homolle et Quevenne[8], croient que la digitale, en diminuant le nombre des pulsations, ralentit le cours du sang dans les vaisseaux, et diminue ainsi la forcé d'impulsion comme le nombre des battements du cœur. Pour ceux-ci, la digitale est un régulateur et un ralentisseur de la circulation... D'autres, tout en admettant dans la digitale la même propriété de diminuer le nombre des pulsations, prétendent qu'alors celles-ci sont plus fortes, plus énergiques, et qu'elles ont, en définitive, pour résultat de faire circuler dans l'économie le sang du malade avec plus de vitesse et d'une manière plus en rapport avec l'état normal. Pour ces derniers, la digitale est un régulateur et un accélérateur de la circulation. »

L'un des auteurs que nous venons de citer, essayant de jeter quelque jour sur cette obscure question, s'exprime ainsi :

« Le mot sédatif, si souvent appliqué à la digitale, ne peut être pris dans le sens général et absolu de tempérant et de calmant, car la diminution de fréquence des battements du cœur, observée après l'administration de la

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  1. Mémoire sur la digitaline et la digitale, p. 322.
  2. Id., p. 315.
  3. Archives de médecine, 1re série, t. XXVI, p. 107.
  4. Journal des progrès, 1827, t. VI, p. 218.
  5. Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, t. VII, p. 304.
  6. Archives générales de médecine, t. IV, p. 401.
  7. Essai sur la digitale pourprée, traduit de l'anglais par F.-G. Murat, 1812, p. 63.
  8. Mémoire sur la digitaline et la digitale, p. 245.


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digitale chez une personne dont cet organe fonctionne régulièrement, s'accompagne toujours d'une certaine augmentation dans leur force d'impulsion et ne peut être assimilée à une véritable sédation. Celle-ci, pour se manifester, suppose nécessairement un mouvement désordonné, une perturbation fonctionnelle du cœur, préexistant à l'emploi de la digitale, et n'est en réalité que le retour à l'état normal.

« La digitale, administrée à dose thérapeutique, ne déprime donc pas l'action du cœur, ne fait pas baisser le diapason de sa contractilité ; le ralentissement qu'elle détermine dans les mouvements de cet organe ne doit pas être pris pour synonyme de ralentissement de la circulation, et cependant nous devons faire observer que, dans l'esprit d'un grand nombre de praticiens, les idées de sédation et de ralentissement de la circulation sont synonymes et corrélatives de celles de diminution de fréquence du pouls.

« La modification imprimée à la circulation par la digitale et la digitaline ne doit donc pas être considérée comme déprimante, mais plutôt comme régulatrice, et la diminution de fréquence des battements du coeur, sous l'influence de ces agents thérapeutiques, n'emporterait pas l'idée d'un ralentissement corrélatif de la circulation[1]. »

« En résumé, disent Homolle et Quevenne[2], il résulterait de cette manière de voir :

« 1° Que la digitale est avant tout un modificateur de l'action du cœur, un régulateur de la circulation ;

« 2° Que c'est à l'activité imprimée à la circulation, à la régularisation de l'action du cœur troublée pathologiquement, que sont dus les principaux phénomènes consécutifs à son administration ;

« 3° Que l'action sédative attribuée à cet agent thérapeutique ne doit être acceptée que comme exprimant le retour à l'état normal des mouvements désordonnés du centre circulatoire.

« Avons-nous besoin d'ajouter que ce n'est qu'avec la réserve commandée par le sujet que nous soumettons ces opinions aux physiologistes et aux médecins. »

(L'intime connexion de la circulation et de la chaleur animale font déjà supposer que la digitale amène secondairement, d'abord une légère élévation, puis un abaissement graduel dans la température du corps.)

Withering, qui a fait paraître la première monographie sur la digitale pourprée[3], signale comme effets de cette plante le ralentissement considérable du pouls et la diurèse. Cullen a classé cette plante parmi les diurétiques. Lettsom[4] a révoqué en doute son action sur les reins, et Alibert l'a formellement niée, bien que beaucoup de faits infirment cette assertion. Guersant père[5] apporte beaucoup de restrictions aux éloges donnés à son emploi comme diurétique. Kluyskens croit qu'elle n'a cette propriété que lorsqu'il y a hydropisie, et non dans l'état de santé. Vassal[6] émet aussi cette opinion. On sait, dit Strohl[7], que l'infiltration est presque toujours nécessaire pour amener la puissance diurétique. Cependant Goerg et Hutchinson ont constaté cette puissance sur eux-mêmes et sur d'autres personnes dans l'état de santé. Cette plante, disent Homolle et Quevenne[8], semblable en cela, du reste, à tous les médicaments diurétiques, ne porte-

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  1. Union médicale, 1851.
  2. Mémoire sur la digitaline et la digitale, p. 249.
  3. An account of the fox qlove and some of its medical uses with practical remarks on dropsy. Birmingham, 1775.
  4. Cette opinion de Lettsom date des premiers temps de l'emploi de la digitale en médecine (1788). On n'en connaissait alors ni les doses ni les indications.
  5. Richard, Dictionnaire de médecine en 21 volumes, art. DIGITALE, t. VII, p. 62.
  6. Dissertation sur la digitale, 1809, p. 92.
  7. Gazette médicale de Strasbourg, août et septembre 1849.
  8. Mémoire sur la digitaline et la digitale, p. 300.


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rait que dans certaines conditions mal connues son action sur les reins... Enfin, il faut dire encore, ajoutent-ils plus bas[1], que l'on considère généralement l'état d'infiltration comme favorable à la manifestation diurétique (Neumann, Vassal, Sandras, Bouchardat, Strohl).

(Boehr, de Hanovre, dans un travail en collaboration avec Baydon[2], pense qu'au début de l'action du médicament la quantité de l'urine diminue un peu ; que vers la fin elle augmente en légère proportion, sans changement de qualité chimique, ni d'odeur, ni de saveur, et voilà tout. C'est un pauvre résultat pour une si vieille réputation, dirons-nous avec Hirtz, auquel nous empruntons cette citation.

Stadion, de Kiew, avance que la diminution de la sécrétion rénale est constante et coïncide avec une diminution des parties constituantes de l'urine : urée, chlorure sodique, phosphate et sulfate ; l'acide urique seul est augmenté, quoique l'acidité reste la même. Le poids spécifique de l'urine est aussi diminué)[3].

Nous sommes porté à croire que l'action diurétique est intimement liée à la dose donnée : est-elle toxique ? il y a anurèse ; est-elle thérapeutique ? l'effet désiré est obtenu.

D'après les observations de L. Corvisart[4], de Laroche[5], de Brugmans[6], la digitale exerce une action spéciale sur les organes génitaux. Cette action, suivant Brugmans, est hyposthénisante. (Pour Stadion, la digitale doit, occuper le premier rang parmi les antiaphrodisiaques.)

Il y a aussi à mentionner l'action altérante ou de résorption interstitielle, se manifestant par un amaigrissement rapide et le ralentissement de la nutrition, action altérante qui est pour beaucoup dans les effets de cette plante. Mon ancien collègue et ami Ferrand, dans une remarquable étude publiée dans le Bulletin de thérapeutique, juin 1865, s'exprime ainsi : « La digitale doit être rapprochée des altérants. Elle va chercher dans le sein des tissus les produits épanchés pour les faire rentrer dans la circulation, dont elle accroît ainsi la tension, jusqu'à ce qu'une diacrise vienne, comme la diurèse, rétablir l'équilibre avec le taux normal de la tension vasculaire. Son action primitive serait donc cellulaire et non vasculaire. » Signalons enfin l'action sur les organes sécrétoires autres que ceux de l'urine, tels que ceux de la sueur, de la salive, et qui, pour être plus rare, n'en a pas moins appelé l'attention des observateurs. (Stadion cite comme un symptôme caractéristique de l'usage prolongé de la digitaline une affection particulière de la muqueuse nasale se déclarant sous la forme d'un violent coryza.)

En résumé, l'action physiologique de la digitale a lieu :

1° Sur le cœur, où elle est la plus remarquable, la plus prompte, la plus constante de toutes, et qui consiste dans le ralentissement et non dans l'affaiblissement des battements de cet organe ;

2° Sur les voies digestives, administrée à dose un peu élevée, ou injectée dans les veines, ou même déposée dans le tissu cellulaire, ce qui prouve que cette action n'est pas seulement locale. Il en résulte des nausées, des tiraillements d'estomac, des coliques, des vomissements, de la diarrhée, etc., ce qui constitue un inconvénient attaché à l'usage de cette plante ;

3° Sur les reins, où, bien que moins constante, et souvent subordonnée à un état particulier ou morbide de l'organisme, elle se manifeste par une

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  1. Mémoire sur la digitaline et la digitale, p. 301.
  2. Dig. purp. Leipzig, 1859.
  3. In Répertoire de pharmacie, décembre 1863, p. 251.
  4. Bulletin général de thérapeutique, 1853, t. XLIV ; et Union médicale, numéro du 21 avril 1853.
  5. Bulletin général de thérapeutique, 1854, t. XLVI.
  6. Ibid., 1853, t. XLV.


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diurèse plus ou moins abondante et qui remplit des indications thérapeutiques de la plus haute importance;

4° Sur les centres nerveux, où elle s'annonce, à doses peu élevées, par la somnolence, l'assoupissement ; à doses plus élevées, par des surexcitations, des céphalalgies, des bourdonnements d'oreilles, des éblouissements, des troubles de la vue (consistant principalement en perception d'étincelles brillantes), une prostration générale ; à fortes doses, par un affaiblissement de l'intelligence, la perversion de la vue, des hallucinations, du délire, en un mot, une véritable intoxication ;

5° Sur les organes génitaux, dont elle abat l'activité ;

6° Sur toute l'économie, et notamment sur le système absorbant, où elle s'exerce par résorption interstitielle ;

7° Sur des organes secrétoires autres que ceux de l'urine, tels que ceux de la sueur, de la salive, du mucus nasal, etc., cette action a été plus rarement observée.

(Jusqu'à présent, nous avons confondu la digitale et la digitaline, auxquelles Homolle et Quevenne accordent des propriétés identiques. Il faut pourtant reconnaître, avec Hirtz, que la digitaline ne représente pas toutes les propriétés de la digitale. L'un des auteurs de la découverte de l'alcaloïde a bien vu cette différence ; mais la digitale pourprée et ses diverses préparations ne possèdent, selon lui[1], aucune action physiologique utile qui n'appartienne en propre à la digitaline. La digitale contient, au point de vue physiologique et thérapeutique, deux principes actifs : l'un, la digitaline, représentant l'action élective de la plante sur l'organe central de la circulation et sur la fonction uro-poïétique ; l'autre, matière grasse, nauséeuse (acide digitoléique), doué d'une action vomitive énergique, et auquel il faudrait rattacher sans doute les phénomènes observés sur les organes visuels) (sensation de brouillard, etc.).


THÉRAPEUTIQUE. — C'est principalement en vue de son action sur la circulation et sur la sécrétion urinaire que la digitale est aujourd'hui employée en thérapeutique. « Et si ce n'était, disent Trousseau et Pidoux, l'école contro-stimulante d'Italie, qui en a fait un usage héroïque et plus puissant que la saignée dans le traitement des fièvres et des phlegmasies aiguës, les traités de matière médicale moderne devraient se borner à la mentionner exclusivement dans le traitement des affections organiques ou non organiques du coeur et des épanchements séreux. » C'est trop restreindre l'emploi thérapeutique de la digitale : des faits nombreux ont attesté son utilité dans d'autres maladies.

Dans les affections organiques ou non organiques du centre circulatoire, la digitale agit très-efficacement en régularisant les battements tumultueux et trop fréquents du cœur. Le soulagement que ce médicament procure est tellement remarquable, dans ces affections, qu'il a pu faire croire à la guérison dans des cas où la persistance des signes matériels d'une lésion organique ne permettait pas au médecin de l'espérer. Toutefois, l'emploi de la digitale, indiqué quand il y a hypertrophie, contractions énergiques des ventricules avec ou sans dilatation, est évidemment nuisible dans la dilatation des cavités du cœur avec amincissement des parois, débilité générale, teinte violacée de la face, froid des extrémités, menace d'asphyxie, etc.

Dans les palpitations résultant d'une surexcitation primitive du système nerveux, l'effet de la digitale sur le cœur est bien moins marqué et même souvent nul : c'est directement sur la cause première qu'il faut agir, et non sur le cœur, qui n'est que sympathiquement atteint ou seulement sous l'influence d'une concentration essentiellement vitale.

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  1. Archives générales de médecine, 1861, t. II, p. 5.


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Après avoir établi dans les maladies du cœur une division principale entre les troubles fonctionnels ou dynamiques et les affections organiques, Wittfield[1] pose, comme contre-indication à l'emploi de la digitale, l'état hypersthénique aussi bien que l'atonie profonde du coeur. « La saignée, dit-il, devra précéder son administration, s'il y a turgescence de la face, dureté et plénitude du pouls, forte impulsion du cœur, vertiges, etc. » Et plus loin : « Lorsque les forces sont très-déprimées, surtout avec répulsion pour les aliments, la digitale peut être pernicieuse. » Suivant Wittfield, la digitale, utile dans la dilatation simple du coeur, ne peut être continuée longtemps avec avantage dans l'hypertrophie excentrique de cet organe. Dans l'hypertrophie avec ossification des valvules, la digitale, selon le même auteur, en cela d'accord avec tous les praticiens, réussit souvent à soulager l'horrible anxiété des malades.

De tous les sédatifs auxquels on puisse recourir, dit Bouillaud, le plus efficace, le plus direct, le plus spécifique, c'est incontestablement la digitale, ce véritable opium du cœur.

Pour Beau, au contraire[2], la digitale est un tonique spécial du cœur : c'est, suivant son expression, le quinquina du coeur. L'injection de la face, la bouffissure des paupières, le gonflement des veines jugulaires externes, la petitesse du pouls, la dyspnée, les palpitations, les congestions, etc., symptômes qui accompagnent les altérations organiques du cœur et de ses valvules, constituent, selon Beau, l'asystolie, c'est-à-dire un état qui reconnaît pour cause une insuffisance de systole, un défaut de contraction ventriculaire assez énergique pour vaincre les obstacles qui s'opposent au cours du sang. La digitale, qui calme ces accidents, n'est donc pas, suivant Beau, le sédatif, mais bien le stimulant du cœur, dont il augmente la force de contraction, et lui fait chasser des ondées complètes, régulières, moins fréquentes. Le pouls était petit, fréquent, irrégulier ; il devient fort, lent, plein et régulier ; enfin, tous les symptômes d'asystolie cessent, parce que la circulation cardiaque n'est plus enrayée. Beau administre le plus souvent la digitale sous forme d'infusion (0.20 de feuilles dans une tasse d'eau bouillante, infusées pendant dix à quinze minutes, à prendre le matin à jeun). Il seconde cette médication par un régime tonique et analeptique. Il proscrit la saignée, qui ne procure qu'un soulagement momentané, et enlève au coeur sa force de contraction, déjà trop faible ; mais il l'emploie cependant exceptionnellement dans les cas de suffocation imminente ; alors une légère émission sanguine fait gagner du temps, et permet d'administrer la digitale et d'attendre son action.

(Ferrand, que j'ai déjà eu occasion de citer, a émis sur les indications et contre-indications de la digitale des idées théoriques et pratiques empreintes d'un esprit de critique et d'un savoir profond. A ses yeux, il y a pour la digitale, dans les indications d'ordre physique, un élément très-important, c'est la tension vasculaire et l'œdème qui l'accompagne et en donne jusqu'à un certain point la mesure. « La véritable et la plus simple indication de la digitale, c'est la diminution de la tension vasculaire[3]. »

Quoique l'état de tension exagérée se présente le plus souvent chez les sujets atteints de maladies du cœur, il n'y a pas alors contre-indication formelle; « car le médicament a en lui-même son correctif, et, s'il débute en exagérant la tension, il provoque bientôt la diurèse, qui, comme une soupape de sûreté, rétablit l'équilibre... » — « L'état d'œdème est la véritable indication de la digitale, en ce qu'il révèle une disposition anormale des cellules à admettre dans leur intérieur les matériaux liquides du sang... »

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  1. De vera digitalis indicatione. Bonn, 1826.
  2. Abeille médicale, 1856, p. 33.
  3. In Bulletin de thérapeutique, 30 juin 1865, p. 538.


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Nous avons vu, page 384, que Ferrand reconnaissait à la digitale une action plutôt cellulaire que cardiaque ; aussi pense-t-il que dans ce cas elle ne saurait manquer de modifier la propriété cellulaire de sécréter ou de ne pas sécréter l'œdème; elle devra donc être administrée dans les cas où l'œdème se produit ». Plus tard, quand un œdème passif et purement mécanique distend outre mesure les tissus, l'efficacité du médicament peut encore rester douteuse. « Or, les cas que l'on rencontre le plus souvent dans la pratique sont intermédiaires entre ces deux extrêmes et sont heureusement traités par la digitale. »

Quant à l'indication physiologique, elle « serait bien facile à déterminer, si l'expérience avait bien prouvé que la digitale est bien un stimulant ou un sédatif, ou un tonique ou un contro-stimulant ; nous savons qu'il n'en est rien, ou plutôt, au milieu des résultats et des opinions contradictoires, il y a lieu de penser que la digitale est tout cela, suivant les diverses conditions de dosage, de mode d'administration, etc., absolument comme ces autres altérants. »

En somme, Ferrand pense que la digitale agit moins par son influence directe sur le cœur que sur les tissus généraux. La sédation cardiaque qu'elle amène n'est pas l'effet immédiat de son administration, mais bien le résultat secondaire indirect. Comme puissant diurétique, la digitale est un des meilleurs moyens curatifs dans les hydropisies essentielles. Utvius[1] en a obtenu de très-bons effets dans l'hydrocéphale aiguë. Hamilton[2] la regarde comme un des meilleurs remèdes dans la première période de l'hydrothorax. Babab[3], Vassal[4], Bidault de Villiers[5], Comte[6], et une foule d'autres praticiens, ont constaté l'utilité de cette plante dans les hydropisies.

Portal[7] conseille l'usage de ce médicament dans les collections séreuses qui sont associées à un excès de sensibilité du système nerveux ; il en a surtout obtenu des résultats avantageux lorsqu'il existait en même temps des palpitations de cœur ou des mouvements irréguliers dans la circulation. Dans l'hydrothorax dépendant d'une lésion organique du centre circulatoire, la digitale produit un soulagement tel, en dissipant l'infiltration et les collections séreuses, que des malades ont pu prolonger leur existence pendant plusieurs années et rester quelquefois longtemps sans récidive. Ici, l'hydropisie n'est que l'effet d'une autre maladie ; mais cet effet devient lui-même une cause qui tue le malade avant que la lésion essentielle soit arrivée à sa dernière période. Dans ce dernier cas, la digitale agit à la fois comme sédative et comme diurétique contre les palpitations et contre l'hydropisie. Comme diurétique elle est si énergique, qu'après quatre ou cinq jours de son usage, les hydropiques rendent quelquefois 6 litres d'urine en vingt-quatre heures, quoique dans le même temps ils n'aient pris que 1 litre de boisson. Cette diurèse ne commence en général que trois à cinq jours après l'emploi de la digitale, et elle est annoncée par la limpidité des urines, lorsque celles-ci étaient auparavant troubles et sédimenteuses. Quand ce changement a lieu, lors même que la sécrétion urinaire n'est pas augmentée, je puis pronostiquer avec certitude le succès désiré : c'est un fait de séméïotique que j'ai constamment observé. Lorsqu'au bout de huit jours de l'usage de la digitale, l'effet diurèse ne s'est point manifesté, il est inutile d'en continuer l'administration.

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  1. Bibliothèque médicale, t. LXII, p. 270.
  2. Journal de médecine d'Edimbourg, t. IV, p. 15, et Observations sur la préparation, l'utilité et l'administration de la digitale. Londres, 1807.
  3. Annales cliniques de Montpellier, 1812.
  4. Essai sur les propriétés médicinales de la digitale. Thèse de Paris, an XIII, 2e édit., 1812.
  5. Dissertation sur les effets de la digitale pourprée dans l'hydropisie. Thèse de Paris, 1809.
  6. De l'hydropisie de poitrine et des palpitations du cœur, 2e édit., 1822.
  7. Observations sur la nature et le traitement de l'hydropisie, t. I, p. 180.


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Il faut recourir à d'autres moyens ou l'employer à l'extérieur, ce qui réussit quelquefois.

Lorsque la digitale a une fois déterminé l'effet diurétique, elle le produit presque toujours chez la même personne. J'ai fait désenfler six fois, en trois ans, par la reprise de l'usage de cette plante, un officier supérieur en retraite, âgé de soixante-cinq ans, atteint d'une hypertrophie du coeur avec anasarque se reproduisant sous l'influence de la lésion organique à laquelle elle était liée.

On trouve dans l'ouvrage de Vassal l'histoire d'une femme de quarante-trois ans, atteinte d'hydrothorax, chez laquelle, l'hydropisie s'étant renouvelée sept fois en quatorze mois, la digitale fut toujours employée avec le même succès et réussit constamment à évacuer les eaux en six ou huit jours. Pendant l'usage de ce médicament, qui était administré en poudre à la dose de 15 à 50 centigr. par jour, la malade rendit une fois jusqu'à 11 litres d'urine en vingt-quatre heures[1].

Suivant Blackal, cité par Wittfield, la digitale convient dans les cas d'infiltration séreuse lorsque l'urine est coagulable par la chaleur, peu abondante et trouble au moment de l'émission ; aussi est-elle fort utile dans l'anasarque consécutive à la scarlatine, où l'albuminurie se manifeste dès le début de l'infiltration du tissu cellulaire. (Hamburger[2] en rejette, au contraire, l'usage dans ces cas ; il l'accuse de rendre l'urine sanguinolente, et,si cette circonstance existait déjà, d'augmenter l'intensité de ce symptôme. De plus, la sécrétion urinaire se trouvant diminuée, là où il n'existait qu'un simple œdème, on voit bientôt apparaître des exsudations dans toutes les cavités.) La digitale est très-efficace contre l'anasarque qui succède aux fièvres intermittentes, au rhumatisme, à l'intempérance. Mais elle est sans effet dans les hydropisies enkystées et dans celles du cerveau et du rachis. Je crois même qu'elle réussit bien rarement dans l'ascite, à moins que cette dernière maladie ne soit essentielle et passive. J'ai rencontré, en 1840, un cas de cette espèce survenu à la suite de la scarlatine chez un garçon de douze ans, ayant le sang appauvri par la misère, et qui fut guéri d'un épanchement séreux abdominal par l'usage de la poudre de digitale à l'intérieur et des frictions avec la teinture de la même plante sur le bas-ventre.

Je pourrais produire un grand nombre d'observations en faveur de l'emploi de la digitale dans les hydropisies ; mais elles ont tant d'analogie avec celles qu'on trouve dans les auteurs, qu'elles ne pourraient être qu'une répétition de faits connus de tous les praticiens, et sur lesquels il ne reste aucun doute.

Christison[3], en parlant de l'utilité des diurétiques dans l'hydropisie rénale (néphrite albumineuse), s'exprime ainsi sur les bons effets qu'il a obtenus de l'emploi de la digitaline dans cette maladie : « Dans les deux cas dans lesquels j'en ai fait usage, l'albumine, au lieu d'augmenter, a été rapidement et convenablement en diminuant. Dans un cas, elle avait disparu entièrement et en quelques jours, et elle n'a pas reparu tant que le malade est resté en convalescence, soumis à mon observation. Dans l'autre cas, elle avait disparu également ; mais, quelques jours après, elle reparut, quoique en moindre proportion. La digitaline, qui provoque la sécrétion exagérée de l'urine, n'a donc pas, plus que la digitale et les autres diurétiques, l'inconvénient d'aggraver l'irritation rénale particulière qui caractérise comme cause ou comme effet la maladie de Bright. »

J'ai souvent employé avec avantage, dans les affections organiques du cœur et les hydropisies, la digitale associée à la scille, au colchique ou à

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  1. Vassal, XIVe observation, p. 74.
  2. Gazette des Hôpitaux, 1863, p. 311.
  3. Monthly Journal, 1855.


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l'azotate de potasse. Ces mélanges activent l'action diurétique, parfois assez lente à s'établir par le seul emploi de la digitale.

« Il n'est pas rare, disent Trousseau et Pidoux, de voir des malades qui, à la suite d'attaques de goutte imprudemment traitées par les pilules de Lartigue, le sirop de Boubée, l'eau de Vichy trop longtemps continuée, les purgatifs drastiques, finissent par tomber dans une cachexie déplorable, accompagnée d'oppression habituelle, d'infiltration des extrémités inférieures, d'obscurcissement de la vue, etc., etc. Cet état si grave et si ordinairement irrémédiable peut pourtant être utilement traité par l'infusion de digitale, successivement portée jusque-là, qu'elle cause de légers vertiges, et continuée pendant plusieurs mois, en même temps que, tous les trois ou six jours, le malade prend 8 gr. de bon quinquina calysaya délayés dans de l'infusion de café. »

Considérant la digitale comme un contro-stimulant de premier ordre, on a été conduit à l'employer dans les inflammations. Rasori et Tommasini disent en avoir obtenu les plus grands succès dans les maladies inflammatoires les plus graves, et notamment dans la pleurésie et la pneumonie. Ils portaient la dose de cette plante en poudre de 1 à 2 gr. par jour habituellement, et dans quelques cas à 4, 6 et 8 gr. Beddoes[1], qui a exagéré les propriétés de cette plante, a cru néanmoins devoir signaler les dangers auxquels expose l'abus qu'on peut en faire. « Si quelqu'un était assez fou, dit-il, pour négliger la ressource presque certaine qu'offre la lancette dans la pleurésie, en faveur de la vertu sédative de la digitale, il augmenterait la maladie s'il se bornait à des doses modérées. Si, voulant associer divers agents thérapeutiques, il faisait en même temps des saignées copieuses, sa pratique ne serait pas rationnelle, le bien-être produit par la phlébotomie pouvant masquer les mauvais effets causés par le remède. » Cependant nous ne devons pas laisser ignorer que Tommasini[2] employa la digitale avec avantage dans un cas de pleurésie où les saignées lui avaient paru inutiles, et que Mac-Lean[3] cite un cas à peu près semblable. J. Frank a proposé la digitale en décoction, unie au nitrate de potasse (1 à 2 gr. de feuilles dans 650 gr. d'eau réduits à 500 gr., avec addition de 4 gr. de nitre, 30 gr. de sirop simple), dans le traitement de la pneumonie. Borda, Fansango, Currie, Cuming, Dierbach, Robert Thomas, etc., considèrent aussi cette plante comme un des agents hyposthénisants les plus propres à combattre les phlegmasies.

Barbier[4] dit avoir employé avec succès la digitale associée à l'oxyde blanc d'antimoine dans le traitement de la pneumonie. Nous devons dire que ce médecin a une répulsion telle contre la saignée, qu'il ne saigne jamais, malgré les instances des malades ou des assistants. La digitale peut remplacer, selon Duclos, de Tours[5], les préparations autimoniales dans le traitement de la pneumonie. Les effets de cette plante sont : 1° une action résolutive sur l'organe pulmonaire malade ; 2° un ralentissement notable du pouls ; 3° l'intensité de l'action sudorifique. Duclos préfère à toutes les autres préparations de la digitale son extrait hydro-alcoolique. Il le donne à des doses progressivement croissantes, en commençant par 20 à 30 centigr., et en augmentant tous les jours de 10 centigr. jusqu'à la dose de 60 centigr. par jour. (Millet l'associe au kermès, soit dans un looch, soit sous forme pilulaire, et dit en avoir obtenu d'excellents résultats)[6].

Casper et Custance, au rapport de Giacomini, traitèrent heureusement

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  1. Cité par Bidault de Villiers : Essai sur les propriétés médicales de la digitale, 2e édit., 1812.
  2. Bibliothèque thérapeutique de Bayle, t. III, p. 99.
  3. In Bidault de Villiers, p. 19, 21, 87.
  4. Journal des connaissances médico-chirurgicales, juin 1854.
  5. Bulletin de thérapeutique, 1856, t. LI.
  6. Annuaire de Bouchardat, 1860, p. 129.


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avec la digitale le rhumatisme aigu, et Dawis a considéré cette plante comme un remède souverain contre la cardite. Son emploi m'a été très-utile dans le rhumatisme aigu pour prévenir, par son action ralentissante sur le cœur, la rétrocession phlegmasique du principe rhumatismal sur cet organe. L'opium, administré à l'intérieur ou appliqué sur les articulations douloureuses, favorise cette rétrocession, d'un côté par son action stimulante sur le système sanguin, de l'autre par son action locale stupéfiante. La digitale, associée au nitre, contre-balance ces effets de l'opium, et permet l'usage de ce dernier, de manière à concilier les avantages de ces agents médicamenteux sans en redouter les inconvénients. Je fais prendre d'abord le mélange de 2 à 4 gr. de nitrate de potasse et de 20 à 40 centigr. de poudre de digitale, divisé en six doses à prendre de quatre en quatre heures. J'augmente graduellement la dose de digitale, suivant l'intensité des symptômes, l'état de l'estomac, la tolérance, etc., et j'arrive souvent à 75 centigr. dans les vingt-quatre heures. Une pilule de 5 centigr. d'extrait gommeux d'opium est administrée dans l'intervalle de chaque prise de digitale et de nitre, et seulement une matin et soir dans les cas les plus simples. Lorsque l'estomac du malade ne peut supporter la poudre de digitale, je donne la teinture alcoolique de cette plante dans l'eau de laitue édulcorée, ou la digitaline en granules à dose relative et progressivement augmentée. Par cette médication, les douleurs se calment, la concentration irritative du cœur diminue, le pouls se ralentit, devient mou, régulier, développé, une diaphorèse générale s'établit et se soutient pendant tout le traitement. La guérison est ordinairement obtenue du septième au quinzième jour.

Chez les sujets vigoureux, à tempérament sanguin, une ou deux saignées du bras sont nécessaires au début de la maladie, surtout quand la réaction fébrile est intense, le gonflement articulaire considérable et les douleurs très-vives.

Shot et Dierboch employèrent la digitale contre la péritonite puerpérale ; (Delpech, dans son service de la Maternité de Paris, a essayé avec un certain succès la digitaline, que Serre avait préconisée contre les fièvres puerpérales. Les cas où elle paraît indiquée sont ceux où il y a prédominance de phénomènes généraux, et peu ou pas encore de phénomènes locaux.) Thornton et Nieman ont mis la digitale en usage contre la scarlatine compliquée de congestion cérébrale ; Mac-Lean, dans les rougeoles graves accompagnées de toux, de difficulté de respirer, d'une fièvre intense.

(Plus récemment, Durat, médecin à la Louisiane, a associé la poudre de digitale à celle de belladone pour obtenir la manifestation cutanée chez les enfants dont le travail exanthémateux se fait mal ou est nul ; dans les cas où il y a répercussion. Sous l'influence du traitement (toutes les heures un paquet contenant 3 centigr. de poudre de belladone et 5 centigr. de poudre de digitale), il se produit une éruption artificielle favorable.

L'une où l'autre plante, employée isolément, est bien moins héroïque)[1].

Reil (in Giacomini) loue beaucoup la digitale contre les fièvres qui sont accompagnées d'une surexcitation très-prononcée du système circulatoire. J. Frank la préconise aussi dans le traitement des fièvres accompagnées d'éréthisme et de chaleur brûlante. Haase l'a prescrite contre les fièvres angioténiques. Currie, Thomas, Rasori, Clutterbug, l'ont proposée contre les fièvres continues.

(Depuis ces derniers temps, surtout en Angleterre, on emploie la digitaline dans la période d'éréthisme de la fièvre typhoïde et dans toutes les maladies inflammatoires.)

Cette plante paraît avoir été efficace contre les fièvres intermittentes entre

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  1. Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 1861, p. 407.


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les mains de Dawis, Graffenauer, Girard, Bouillaud. Ce dernier[1] a traité avec succès, dans son service, quarante à cinquante cas de fièvres intermittentes par la digitale. Le rapport de ce médecin à l'Académie de médecine[2] constate que la propriété antipériodique se retrouve dans, la digitaline.

(Dans sa remarquable étude clinique[3], Hirtz, analysant les travaux de Traube, de Kulp, de Heise, sur l'emploi de la digitale dans les phlegmasies et les fièvres, et les contrôlant par des expérimentations nombreuses, a établi les propositions suivantes : la digitale agit dans les pyrexies inflammatoires en s'attaquant à l'élément fièvre, c'est-à-dire en abattant la circulation d'abord, et secondairement la température. Elle lui paraît naturellement indiquée dans les inflammations où dominent la chaleur et la fréquence du pouls avec intégrité des fonctions cérébrales et digestives ; et particulièrement dans les phlegmasies thoraciques parenchymateuses et séreuses. C'est à l'infusion que les Allemands et Hirtz ont eu recours) (de 0.50 à 1.00 sur 100).

La digitale a été recommandée par un grand nombre de praticiens dans les hémorrhagies actives, notamment dans l'hémoptysie. Jones, Ferriar, Voigtel, Richter, l'ont vantée contre toute perte de sang. Thomas en a retiré des avantages tels, qu'il croit superflu d'avoir recours à tout autre moyen. Warburg loue son usage dans l'hématémèse et dans la métrorrhagie, où elle a été également préconisée par Hecker, par Cany et par Burns. Ge dernier la prescrit combinée au camphre et prétend qu'elle est un excellent remède pour prévenir l'avortement. D'après Clarion, la digitale convient dans l'épistaxis qui survient chez les personnes affectées d'hypertrophie du coeur. Tommasini assure en avoir obtenu des succès prodigieux dans plusieurs cas d'épistaxis graves. Drack s'est servi avec succès de la digitale pour combattre les hémoptysies les plus alarmantes. Ce médicament, selon J. Frank, convient dans la métrorrhagie avec mouvement rapide des artères et dans l'hémoptysie.

Howship Dickenson a employé le même traitement dans un grand nombre d'hémorrhagies utérines. Toutes les fois que la perte n'était pas liée à une lésion organique, elle a été constamment arrêtée chez toutes les malades, dans un espace de temps plus ou moins rapide, suivant l'élévation des doses du médicament. A la dose de 30 à 45 gr. d'infusion de digitale, administrée trois ou quatre fois par jour, l'écoulement sanguin ne s'est jamais prolongé au delà du deuxième jour ; à doses plus faibles, il n'a jamais continué au delà du quatrième jour. Dans les hémorrhagies utérines liées à une lésion organique, le remède est moins sûr et ses effets ne sont souvent que momentanés; mais employé pendant un temps plus long que dans les pertes essentielles, il reste encore un des plus efficaces contre cet accident. Pendant le traitement, les malades ont été mis à l'usage du vin et d'un régime analeptique. Howship Dickenson n'attribue pas les effets qui s'observent après l'ingestion de la digitale, dans les cas de métrorrhagie, à une action sédative sur le système circulatoire, mais bien à une action spéciale, en vertu de laquelle la contractilité musculaire de l'utérus est plus ou moins sollicitée.

(Nous trouvons dans le Journal de médecine de Bruxelles (juillet 1859) un cas relaté par Decaisne, de métrorrhagie à l'époque des règles, entretenue par des fongosités utérines, résistant à l'ablation et à des cautérisations, et cédant à l'emploi de la digitaline.)

La teinture alcoolique de digitale, à la dose de 1 à 2 gr. et plus, progressivement, associée à 4 gr. de nitrate de potasse dans 220 gr. d'eau distillée:

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  1. Clinique médicale de l'hôpital de la Charité, 1847, t. III, p. 236.
  2. Bulletin de l'Académie de médecine, 4 février 1854, t. XVI.
  3. Bulletin de thérapeutique, 1862, t. LXII, p. 193.


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de laitue, donnée par cuillerées d'heure en heure, m'a parfaitement réussi dans plusieurs cas d'hémoptysie grave, et principalement caractérisés par le molimen hémorrhagique très-prononcé et par la fréquence du pouls. J'ai pu ainsi m'abstenir de saignées répétées et conserver les forces dans des circonstances où une disposition phthisique rendait redoutable les émissions sanguines trop'abondantes. Depuis, Aran[1] a employé la même médication en pareil cas, en se servant de poudre de digitale au lieu de teinture alcoolique de cette plante. Le bon effet que cet habile praticien en a obtenu est une preuve de plus en faveur de son efficacité.

Dans les hémoptysies accompagnées de toux fréquente, surtout chez les phthisiques, je fais prendre avec avantage, toutes les cinq ou six heures, une pilule composée de 5 à 10 centigr. d'extrait de jusquiame, et de 5 centigr. de poudre de digitale.

Ourgaud[2] a observé un cas d'hémorrhagie traumatique guéri par l'usage de la digitale. Dubois, de Tournay, rapporte un fait de plaie de l'arcade palmaire superficielle où la cessation de l'hémorrhagie a été le résultat de l'administration d'une infusion de feuilles de digitale.

(Nous avons cité les recherches de Howship Dickenson sur l'action de la digitale dans les métrorrhagies ; si les expérimentations instituées par Delpech à la Maternité de Paris (1859) sont confirmées, la digitale, ainsi que l'avait entrevu l'observateur anglais, aurait une action directe sur l'utérus. L'administration de 40 centigr. de poudre infusée dans 250 gr. d'eau, ou de 15 à 20 gouttes de teinture, provoque les contractions les plus vives lorsqu'il y a inertie, et détermine l'expulsion de caillots. Quand le travail se ralentit par paresse de l'organe, la digitale ranime les contractions. Espérons que de nouvelles observations viennent établir, dans ces cas, la complète activité et la spécificité de la plante qui nous occupe.)

Withering, Er. Darwin, Fowler, Ringlake, Beddoes, Drake, Barr, de Birmingham ; Mosmann, de Bradford ; Ferriar, Mac Lean, Brée, Magennis, etc., citent de nombreuses cures de phthisie opérées à l'aide de la digitale. Beddoes[3] s'écrie avec enthousiasme que la digitale est le spécifique de la phthisie, comme le quinquina est celui des fièvres intermittentes et le mercure celui de la syphilis. « Si j'avance, dit-il, que la digitale guérit trois fois sur cinq, je pense que je reste infiniment au-dessous de ce qui est exactement vrai. » Drake[4] prétend avoir eu raison de phthisies confirmées avec expectoration purulente. Magennis[5] affirme avoir guéri quarante phthisiques sur soixante-douze au moyen de ce médicament. « Ces proportions, dit Bayle[6], sont tellement favorables, qu'elles inspirent naturellement de la méfiance. Cependant Magennis était un homme instruit, et le poste qu'il occupait (médecin de l'hôpital de la marine de Plymouth) écarte naturellement l'idée d'imposture. » Malheureusement, depuis que le diagnostic de la phthisie est devenu plus certain au moyen de l'auscultation médiate, l'expérience n'a eu pour résultat que la presque certitude que les auteurs que nous venons de citer ont cru traiter la phthisie, quand ils n'avaient affaire qu'à des catarrhes pulmonaires chroniques. Bien que J. Bacley et Bayle n'aient obtenu aucun résultat avantageux de la digitale dans la phthisie, on ne peut admettre, cependant, que les médecins affirment avoir réussi se soient constamment trompés sur le diagnostic de la maladie. II est donc probable que la guérison de plusieurs phthisies pulmonaires a été obtenue au moyen de la digitale.

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  1. Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 1855, p. 404 et 405.
  2. Gazette de santé, août 1828.
  3. On consumption, digitalis and scrofula, 1801.
  4. A letter to doctor Reddoes on the use of digitalis in pulm. consumption, 1799.
  5. The London med. and physical Journal, t. LXV, p. 180 à 201.
  6. Bibliothèque thérapeutique, t. III, p. 364.


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J'emploie la teinture de digitale avec succès dans le catarrhe pulmonaire chronique, surtout quand il existe, ainsi que cela a souvent lieu, une accélération marquée dans la circulation. Je m'en suis bien trouvé aussi comme moyen de ralentir autant que possible la marche rapide de certaines phthisies, et de procurer au malade quelque soulagement. A l'exemple de Mayer, j'administre 10, 15 et 20 gouttes, dans un demi-verre d'eau sucrée, d'un mélange de parties égales de teinture de digitale et d'eau distillée de laurier-cerise. Quelquefois je donne la teinture de digitale seule, et j'en élève graduellement la dose, que je n'ai cependant jamais portée au delà de 100 gouttes par jour, de peur de déterminer, par l'action répétée du médicament, des effets toxiques progressivement produits et qui éclatent ensuite d'une manière soudaine et imprévue. Cette action est surtout redoutable chez les individus dont les forces ont été en grande partie épuisées par les progrès de maladies graves, comme la phthisie, les affections du cœur, arrivées à leur dernier terme. Strohl[1] rapporte que chez une tuberculeuse d'une constitution détériorée et très-amaigrie, 5 milligr. de digitaline ont produit des vomissements et des vertiges suivis d'une mort prompte. Forget[2] cite aussi un cas où la teinture de digitale fut administrée chez un phthisique au dernier degré d'épuisement, à dose d'abord faible, puis, vu l'absence de signes inquiétants, élevée successivement jusqu'à 100 gouttes ; mais alors le médicament ayant produit les effets d'intolérance d'une manière explosive, une terminaison fatale et immédiate est arrivée.

Les malheureux phthisiques, déjà si tourmentés par le travail tuberculeux, ont souvent un sommeil lourd, pénible, avec rêves inquiétants ou véritables cauchemars ; ou bien le sommeil est seulement agité et nullement réparateur. Sur cent cinquante observations recueillies par Mandl[3], cet état particulier de l'innervation s'est présenté dans plus de la moitié des cas, et a disparu comme par enchantement, après avoir vainement mis en usage les narcotiques, par l'emploi d'un ou deux granules de digitaline pris le soir.

On a vanté la digitale contre l'asthme et les dyspnées en général. Elle peut être d'une utilité indirecte dans ces maladies par son action sur le cœur, sur le système nerveux ganglionnaire et sur les reins. Fulding et Robert Thomas[4] l'ont employée dans le traitement de la coqueluche, contre laquelle elle paraît agir de la même manière.

La digitale a été préconisée contre les affections scrofuleuses. C'est à Van Helmont (in Murray) qu'on doit les premiers renseignements sur son emploi dans ces affections. Ce médecin conseille de faire prendre intérieurement la racine de cette plante, et de l'appliquer à l'extérieur, unie sous forme d'emplâtre à la gomme-résine ammoniaque et au bdélium. Boerrhaave en recommandait l'application extérieure dans la même maladie. Ray rapporte qu'on s'en servait déjà en Angleterre de son temps pour combattre les scrofules. Hulse prétend que la digitale, utile dans les scrofules humides ou suppurantes, ne convient point aux scrofules sèches. Meyer, Hufeland et Mossmann, affirment, au contraire, qu'elle est dans ces dernières d'une grande efficacité. Haller, en parlant de la digitale, dit : Nobis ignota, mihi suspecta digitalis ; lego tamen nuperum testimonium de usu decocti propter scrofulas, in desperato pene casu, diu sumpti, quod cutis per squammas deflueret. Ce médecin rapporte des observations de scrofules dans lesquelles la digitale a été employée avec succès.

Merz donne, dans son opuscule[5], trois observations qui sont loin

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  1. Gazette médicale de Strasbourg, août et septembre 1849, p. 294.
  2. Bulletin de thérapeutique, t. XXXV, p. 327.
  3. Homolle et Quevenne, Mémoire sur la digitaline et la digitale, 1854, p. 296 et 297.
  4. Annales de littérature étrangère, t. I, p. 65.
  5. De digitali purp. ejusque usu in scrofulis medico, dissert. inaug. Iéna, 1790.


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d'être concluantes : le premier malade n'a pas guéri, malgré l'emploi de la digitale, de la ciguë, du quinquina, des antimoniaux ; et chez les deux autres, les caractères de l'affection scrofuleuse ne me paraissent pas bien établis, malgré les efforts de l'auteur.

Afin de mettre sous les yeux du lecteur le pour et le contre, nous devons dire que Baumes considère la digitale comme un remède antiscrofuleux d'une grande efficacité, qu'Uwins en faisait usage contre le carreau ; que Cline a guéri en peu de temps, par son application à l'extérieur, une tumeur lymphatique considérable ayant son siège au genou ; que Vincent Duval mentionne quelques cas de guérison de phthisie scrofuleuse au moyen de cette plante administrée à l'intérieur.

Pour mon compte, j'ai employé plusieurs fois la digitale, soit en poudre soit en teinture, dans les affections scrofuleuses, sans en retirer des avantages appréciables et qu'on puisse attribuer à l'effet du médicament. C'est ainsi, par exemple, que donnée pendant près de trois mois à une jeune fille atteinte d'engorgements lymphatiques ulcérés, la digitale aurait pu être considérée comme ayant amené une notable amélioration, si le changement d'air, les efforts salutaires de la nature à l'âge de puberté, n'étaient venus revendiquer leur puissante influence. Dans le cas dont il s'agit, on a cessé la digitale, et la guérison s'est opérée spontanément. Il est plus difficile qu'on ne le pense communément de savoir jusqu'à quel point, dans certaines maladies et au milieu de circonstances concomitantes, les médicaments contribuent à la guérison.

La digitale a été employée avec plus ou moins de succès dans quelques névroses. L'action de cette plante sur le cerveau et le système nerveux a particulièrement appelé l'attention des praticiens pour le traitement de ï'épilepsie et des affections mentales.

Considérée comme sédative ou comme perturbatrice du système nerveux, à dose modérée et graduellement augmentée, la digitale a été tentée contre l'épilepsie par Withering, Ringlake, Schurdianer, Thomas, etc. Scott[1] a publié deux cas de guérison ou d'amélioration notable de cette maladie par son emploi. Mais c'est surtout à forte dose, de manière à agir révulsivement et énergiquement sur le tube digestif, et à produire sur le système nerveux des effets perturbateurs très-marqués, que cette plante a pu dans certains cas guérir ou mitiger l'épilepsie. Parkinson la donnait dans cette maladie à la dose de 125 gr. avec autant de polypode de chêne, décoctée dans suffisante quantité de bière. On faisait prendre deux fois la semaine cette décoction. Des personnes atteintes de cette maladie depuis dix et vingt ans, et qui avaient deux ou trois attaques par mois, ont été complètement guéries par l'usage de cette décoction[2].

Patrice Sharkey[3] remit en pratique cette médication perturbatrice. Il unit aussi la digitale au polypode de chêne ; mais cette addition ne paraît pas y être d'une nécessité absolue ; car, suivant l'auteur, le traitement a souvent réussi sans le secours de cette substance. Voici la formule de Sharkey : feuilles de digitale récentes, 3 onces 1/2 ; broyez-les dans un mortier en consistance de pulpe, et ajoutez-y ensuite 1 livre de forte bière ; faites infuser pendant sept heures, coulez et exprimez. Le malade prend

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  1. Revue médicale, 1827, t. III, p. 320.
  2. Cette médication paraît avoir pour origine une pratique populaire suivie depuis un temps immémorial dans les campagnes d'Irlande, où les fairy women (fées ou guérisseuses) on parfois guéri l'épilepsie en administrant l'infusion de digitale jusqu'à effet éméto-cathartique. Cette infusion se préparait ainsi : Feuilles fraîches de digitale, 120 gr. (équivalent en moyenne à 25 gr. de plante sèche), pilées et infusées dans une pinte de bière (567 gr.) - On donnait tous les trois jours 120 gr. de cette infusion, ce qui représentait environ 4.72 de digitale. - D'après un autre mode d'administration, on réitérait cette dose toutes les trois heures jusqu'à vomissement.
  3. The Lancet, 1832.


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4 onces de cette infusion avec 10 grains de poudre de feuilles ou de racine de polypode de chêne. Peu de temps après, il éprouve des vomissements nombreux et violents, qui durent quelquefois plusieurs jours ; le pouls se ralentit, devient irrégulier, intermittent, la faiblesse est extrême, et des crampes, que l'on regarde comme de bon augure, surviennent dans les membres. La force revient, le pouls se relève, la réaction a lieu, les accès épileptiques sont d'abord moins nombreux et finissent par ne plus reparaître.

Sharkey commence, avant d'administrer la potion, par s'assurer qu'il n'existe aucune affection des viscères. S'il reconnaît quelque maladie du foie ou du cerveau, des poumons, de l'estomac, etc., il la traite par les moyens convenables. Quand il y a manie ou quelque affection cérébro-spinale, il n'administre jamais le remède antiépileptique. Ce traitement préparatoire guérit quelquefois l'épilepsie ; mais s'il est insuffisant, on emploie la digitale, dont les effets curatifs ont lieu sans qu'on ait besoin de l'administrer une seconde fois. Quels que soient l'âge, le tempérament, la constitution du sujet, la dose est toujours la même. « Les sujets les plus délicats, dit Sharkey, supportent ce médicament au moins aussi bien que les plus robustes. » « J'ai observé, ajoute l'auteur, que lorsqu'il survient des crampes dans les premières quarante-huit heures, la guérison a généralement lieu, quoiqu'elle puisse être obtenue sans que ces symptômes se manifestent. S'ils étaient portés au point de causer quelque inquiétude, on pourrait les modérer en donnant au malade 1 pinte de bouillon de poulet ou quelque léger stimulant, sinon il vaut mieux les laisser suivre leur cours. Dans aucun cas, il n'est arrivé d'accident, et je conçois les craintes qu'inspirait aux anciens l'administration de la digitale. Donnée à petites doses, comme ils le pratiquaient, et à des intervalles assez éloignés pour lui donner le temps S'être absorbée, elle devait exercer une action délétère. Aussi n'ai-je jamais changé les doses, quel que fût l'âge du malade, de peur qu'une moindre quantité ne devînt vénéneuse. »

Le nombre des épileptiques que Sharkey a guéris est considérable. Toutefois, il avoue des insuccès, et, dans un cas où il s'agissait d'une demoiselle de seize ans, il conçut des craintes sur l'effet du médicament : « Je fus très-alarmé sur son compte, dit-il ; car l'heure qui suivit l'administration de la potion se passa sans vomissements, ce qui est extraordinaire. La prostration était excessive, le pouls très-irrégulier, intermittent, à peine sensible, à 44, etc. Mais heureusement le vomissement survint, et elle ne cessa de vomir pendant trois jours. »

Il est étonnant que de tels succès n'aient point appelé davantage l'attention des praticiens. Si ce remède, administré à des doses aussi élevées, présente des dangers qui réclament tous les soins du médecin, elle a pour compensation, l'espérance de pouvoir triompher d'une maladie contre laquelle les moyens ordinaires échouent presque toujours[1].

La digitale a été recommandée dans la manie. Masson-Cox, médecin d'un hôpital d'aliénés, l'avait employée avec un tel succès qu'il ne regardait comme incurables que les aliénations mentales qui avaient résisté à l'usage de cette plante administrée à une dose convenable.

Elle réussit particulièrement, d'après Fanzago[2], dans les manies hypersthéniques, surtout dans celles qui sont liées à une lente arachnoïdite ; elle échoue, au contraire, quand la maladie dépend d'une cause mécanique. Fo-

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  1. Consultez à ce sujet : Corrigan (Lond. and Ed. Journ. of med. sc., 15 mars 1855), Neligan, Medicines, their use and mode of adm., 3e édition, p. 311. Dublin, 1851), Corneille (Revue médico-chirurgicale, 1er août 1858, p. 404), et un intéressant article de Duclos (Bulletin de thérapeutique, 1860, t. L1X, p. 337).
  2. Sulle vert. della digit., nelle alienazioni ment., et sulla sua azione in generale. Padova, 1812.


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ville[1] est loin de considérer la digitale comme un spécifique contre la folie ; mais il en a retiré des avantages marqués dans bien des occasions. Guislain rapporte plusieurs cas de guérison de folie obtenus par l'usage de la digitale. Il l'employait surtout dans la mélancolie sans délire, par cause morale, et avec d'autant plus de succès que la maladie est récente, le sujet jeune et délicat. Kluyskens a rapporté un cas très-intéressant de manie avec fureur, guérie par l'usage de la teinture de digitale. Homolle et Quevenne[2] ont obtenu la cessation prompte des symptômes dans un cas de délire maniaque suraigu, par l'emploi de la digitaline administrée en granules de 1 milligr. d'heure en heure. Dès le quatrième, l'agitation avait sensiblement diminué; après le huitième, le malade, dont les cris, les violences, les tentatives de suicide, ne laissaient pas auparavant une minute de repos, était assez calme pour qu'on pût le conduire en voiture, de son plein gré et sans trace ostensible d'agitation, à la maison d'Ivry, dirigée par Baillarger et Moreau, où le retour à la santé eut lieu progressivement et par l'emploi de moyens variés. Il est à remarquer que, pendant l'usage de la digitaline, le pouls, qui, auparavant, était fréquent et extrêmement petit, se développa, devint souple et diminua considérablement de vitesse.

(Robertson[3], qui a étudié avec soin l'influence de la digitale dans les différentes formes d'aliénation, s'en est si bien trouvé dans l'excitation maniaque accompagnant le second degré de la paralysie générale, qu'il décore cette plante du titre de sédatif spécifique dans les cas de ce genre. Alors tout l'effet du remède se borne à produire du calme, sans que les fonctions digestives et circulatoires soient sensiblement troublées. Dans la manie aiguë, au contraire, elle agit moins efficacement et toujours comme agent perturbateur en amenant des nausées et une dépression dans l'activité du coeur.

C.-H. Jones, de Jersey[4], se loue fortement de l'emploi de la teinture de digitale à hautes doses dans le delirium tremens. Cette plante offre, dans ce cas, une innocuité remarquable. Jones donne une demi-once de teinture dans une petite quantité d'eau ; rarement cette seule dose est suffisante ; une seconde est nécessaire quatre heures après la première ; il est exceptionnel qu'il en faille une troisième, encore cette dernière ne dépasse pas 8 gr. Le praticien pense que l'action s'exerce sur le cerveau et non sur le cœur ; en effet, le pouls devient plus plein, plus régulier ; la peau froide et visqueuse devient chaude après l'administration de la première dose. L'indice de l'heureux effet du médicament est le sommeil qui dure de cinq à sept heures ; il n'y a pas d'action sur les reins ; parfois il se manifeste un léger effet purgatif[5]. Dans ma pratique, j'ai obtenu de ce mode de traitement les résultats les plus marqués. Tout récemment, dans un cas où l'opium et la morphine à hautes doses avaient échoué, la digitale a amené, au bout de trois heures de son administration, un sommeil bienfaisant dont le malade n'avait pas joui depuis six jours.)

Nous avons parlé de l'action spéciale de la digitale sur les organes génitaux. L'efficacité de cette plante contre les pertes séminales a été observée par L. Corvisart[6]. Chez trois malades auxquels ce médecin administra la digitaline, on vit rapidement diminuer le nombre des pollutions. Laroche[7] obtint le même succès dans un cas où, depuis vingt jours, les pollutions avaient lieu chaque nuit chez un jeune homme de dix-huit ans, dont les

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  1. Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, t. I.
  2. Mémoire sur la digitaline et la digitale, p. 329.
  3. Brit. med. Journ., novembre 1863.
  4. Bulletin de thérapeutique, t. LIX, p. 411.
  5. Voyez sur le même sujet Bulletin de thérapeutique, 28 janvier 1861, p. l76, et mars, p. 278, et les publications périodiques de ces quatre dernières années.
  6. Bulletin de thérapeutique, 1853, t. XLIV, et Union médicale, numéro du 21 avril 1853.
  7. Bulletin de thérapeutique, 1854, t. XLVI.


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forcés étaient anéanties. La nuit même qui suivit l'administration de la digitaline, la pollution fit défaut pour la première fois ; il en survint une le douzième, puis le trentième jour, et depuis elles ont complètement cessé.

Suivant Brugmans[1], qui paraît avoir ignoré le travail de Corvisart, la digitale aurait une action élective hyposthénisante très-prononcée sur les organes génitaux, en vertu de laquelle elle combattrait efficacement la phlogose et la congestion vers ces organes. « Chacun peut se convaincre de cette action, dit ce médecin, en faisant usage, pendant cinq ou six jours, de 0.30 à 0.40 centigr. de poudre de feuilles de digitale. Les organes génitaux se réduisent à un état d'hyposthénie, de flaccidité telles qu'on se sent porté à douter de leur existence : plus de chaleur, plus de tension, plus de congestion de ces parties, plus de sensations voluptueuses, plus de désirs. — Brugmans rapporte huit observations qui constatent les bons effets de ce médicament dans les affections des organes génitaux. Dans les six premières, la digitale a secondé les moyens dirigés contre des accidents syphilitiques. L'éréthisme, l'irritation causées par des chancres, des blennorrhagies, etc., ont disparu.

Ces faits, joints à ceux déjà rapportés par Corvisart, ne laissent aucun doute sur l'action élective de la digitale sur les organes génitaux. Cette action, soit comme hyposthénisante de ces organes, soit contre les pertes séminales, paraît se produire aux doses ordinaires, c'est-à-dire à 0.30 ou 0.40 centigr. pour la digitale, et à 3 ou 4 milligr. (3 ou 4 granules) pour la digitaline.

Lorsque l'irritation de l'estomac s'oppose à l'usage intérieur de la digitale, on emploie cette plante à l'extérieur, en fomentations, en cataplasmes, en frictions avec la teinture ou la poudre, et par la méthode endermique ; quelquefois on l'administre simultanément à l'intérieur et à l'extérieur, surtout dans les hydropisies, afin d'obtenir à la fois des effets plus prompts et plus certains. Bréra employait la poudre de digitale à la dose de 60 centigr. à 1 gr., macérée pendant douze heures dans 4 ou 8 gr. de la salive du malade. On se sert généralement de la teinture alcoolique en frictions sur l'abdomen ou à la partie interne des cuisses. J'ai employé avec succès le suc délayé dans l'eau ou l'infusion chaude de digitale sur l'abdomen dans les hydropisies. Dans deux cas d'anasarque j'ai observé un effet très-prompt d'un demi-bain dans lequel j'avais fait ajouter une décoction de 60 gr. de cette plante dans un litre d'eau. Ce demi-bain, répété chaque jour, a fait désenfler les malades en moins de quinze jours.

J'ai aussi employé la digitale en injection dans le rectum chez les malades atteints d'irritation gastrique ou de vomissements : l'absorption est plus prompte par cette voie que par la peau[2]. Je préfère ce moyen à la méthode endermique, qui nécessite l'application répétée et plus ou moins douloureuse d'un vésicatoire et produit toujours de la phlogose. L'introduction de ce médicament dans le gros intestin n'exige pas moins de précaution que son administration par la bouche. J'ai plus d'une fois observé, dans le cours de ma pratique, que les substances énergiques données en lavement avaient un effet aussi prononcé et quelquefois même plus prononcé que par leur ingestion dans l'estomac. L'emploi de ces substances doit faire exception à la règle générale établie dans tous les livres de thérapeutique, et qui con-

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  1. Bulletin de thérapeutique, 1853, t. XLV, p. 424.
  2. Chrestien, de MontPellier, rapporte un cas d'anasarque avec ascite dans lequel l'impossibilité d'administrer le médicament par la bouche détermina le docteur Mejean à proposer la digitale injectée par l'anus, trois fois dans la journée ; la première dose étant de 8 gr. de digitale pour 125 gr. de colature, la deuxième de 12 gr., et la troisième de 15 gr., pour la même quantité de liquide. A la troisième dose, un flux d'urine énorme (20 litres) débarrassa complètement le malade. Quelques mois après, les mêmes accidents s'étant renouvelés, le même remède fut employé avec le même succès.


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siste à doubler ou tripler les doses qu'on injecte dans le rectum. L'expérience m'a dicté à cet égard des précautions dont je ne m'écarte jamais.

Rademacher, de Berlin, emploie la digitale à l'extérieur dans les cas de croup où il est impossible de faire avaler quelque médicament que ce soit aux petits malades. Ce médecin met en usage une pommade composée de 8 gr. d'extrait de digitale et de 30 gr. de cérat ; il fait recouvrir toute la partie correspondant à la trachée-artère, depuis l'os hyoïde jusqu'à la partie supérieure du sternum, avec des compresses largement enduites de cette pommade : il fait réitérer ces applications très-souvent dans les vingt-quatre heures. Sous l'influence de ce moyen, les accès de suffocation diminuent promptement d'intensité et de fréquence ; la fièvre baisse en même proportion, et dans l'espace de trois jours le rétablissement est obtenu[1]. Il est à croire que Rademacher n'a pu obtenir un résultat aussi heureux que dans les cas de pseudo-croup. Dans le vrai croup bien caractérisé, nous ne conseillerons pas de s'en tenir à un moyen que nous ne pouvons regarder que comme auxiliaire.

Pour les maladies externes, on se sert des feuilles de digitale réduites en pulpe, comme maturatif, détersif et résolutif. On les fait aussi macérer dans du miel ou dans une décoction de sauge. On en prépare un onguent avec l'axonge, qu'on applique sur les engorgements lymphatiques et scrofuleux, les tumeurs blanches, les engorgements glanduleux des mamelles. Je me suis servi avec avantage du suc de digitale mêlé à l'onguent digestif simple, pour déterger les ulcères scrofuleux recouverts d'une couche blafarde ; mais il faut surveiller les effets de son absorption, et en cesser l'usage dès que la surface de la plaie est rouge et offre des bourgeons charnus.

Bellucci[2] a proposé, comme moyen de guérir l'hydrocèle, l'emploi d'une pommade composée de 4 à 6 gr. de poudre de feuilles de digitale pourprée et de 30 gr. d'axonge. On fait des frictions sur la tumeur avec cette pommade, en ayant soin de bien laver le scrotum tous les cinq ou six jours, pour activer l'absorption du médicament. Cinq cas d'hydrocèle, dont un aigu et quatre chroniques, rapportés par l'auteur, attestent l'efficacité de ce moyen, qu'il a suffi d'employer pendant deux à trois mois pour obtenir une guérison complète et solide. Ce remède m'a complètement réussi dans un cas d'hydrocèle ayant le volume d'un petit œuf de poule, chez un enfant âgé de cinq ans, et qui datait de huit mois environ. La résolution était complète après six semaines de traitement.

Châtelain[3] a rapporté un cas intéressant de kyste ovarique guéri par l'injection de teinture de digitale. L'auteur tire de ce fait les conclusions suivantes : 1° éviter l'entrée de l'air dans les cavités closes, normales ou morbides ; 2° injecter une petite quantité d'un liquide irritant plutôt qu'une grande quantité d'un liquide affaibli ; 3° tenter d'abord la ponction simple, puis l'injection d'un liquide à la dose de quelques gouttes ; à une deuxième ponction, augmenter, s'il le faut, la quantité, sans altérer la qualité. Il est à désirer que d'autres faits viennent confirmer l'efficacité de ce moyen dans le traitement des kystes ovariques, contre lesquels les injections iodées ont compté quelques succès. — (Il reste, en outre, à se demander quelle part doit être assignée dans le résultat à la digitale, et si l'alcool n'a pas été, dans cette circonstance, l'agent principal, sinon exclusif.)

La DIGITALINE ne peut être employée par la méthode endermique. Il a été démontré par plusieurs essais qu'elle produit une inflammation locale très-douloureuse. (Pletzer et de Franque ont essayé des injections sous-cutanées

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  1. Abeille médicale, t. II, p. 195.
  2. Il Filiatre sebezio et Gazette médicale de Paris, 1854.
  3. Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, janvier 1857.


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de digitaline contre les palpitations du coeur. L'effet produit n'est pas plus certain que celui obtenu par le médicament pris à l'intérieur, et le procédé a le grand inconvénient d'être dangereux. Erlenmeyer a plusieurs fois injecté là digitaline à la dose d'un soixantième de grain, et chaque fois il a remarqué comme Pletzer que l'injection était suivie de vomissement et de sensation de brûlure à la gorge ; encore l'action sur le cœur se fait-elle attendre deux ou trois jours. La solubilité variable des différentes digitalines dans l'eau lui a fait choisir la glycérine pour excipient. Il emploie la formule suivante : Digitaline, 5 centigr. ; glycérine, de 4 à 6 gr. ; eau distillée, 8 gr.

Nous pensons que ce mode d'introduction de la digitaline dans l'économie doit être formellement repoussé à cause de son peu de supériorité sur l'emploi à l'intérieur et surtout en vue des dangers qui peuvent s'en suivre.)


Digitale jaune

Nom accepté : Digitalis lutea


DIGITALE JAUNE, DIGITALE PENCHÉE, DIGITALE A PETITES FLEURS (Digitalis lutea, L. ; Digitalis parviflora, Decand., Lam.) — Se trouve aux lieux pierreux et montueux, sur les coteaux, dans les Pyrénées, les Alpes, le Jura ; dans les environs de Fontainebleau, de Lyon, de Rouen, d'Abbeville, de Valvin, de Bougival, etc.

Description. — Tige glabre. — Feuilles sessiles, glabres ou pubescentes, toutes oblongues, lancéolées, aiguës, dentées. — Fleurs d'un jaune pâle, plus petites et non tachetées (juin-juillet).

Careno, de Vienne, dit avoir reconnu à la digitale jaune des vertus diurétiques plus prononcées que celles de la digitale pourprée, sans en avoir les inconvénients. Giulo l'a administrée en frictions, avec le plus grand succès, dans un cas d'hydropisie générale accompagnée de dyspnée et d'autres symptômes graves. (Roques.)

(En médecine vétérinaire, la digitale, donnée à la dose de 4, 8 et 10 gr. de poudre de feuilles, aux chevaux atteints de la pousse due à l'emphysème pulmonaire, atténue beaucoup et fait même disparaître momentanément la respiration entrecoupée qui caractérise cette affection.)