Rue (Cazin 1868)

De PlantUse Français
Aller à : navigation, rechercher
Rosiers
Cazin, Traité des plantes médicinales, 1868
Sabine

[934]

Nom accepté : Ruta graveolens


RUE. Ruta graveolens. L.

Ruta hortensis latifolia. C. Bauh., Tourn. — Ruta hortensis. Mill. — Ruta. Off.

Rue fétide, — rue des jardins, — rue officinale, — rue commune, — herbe de grâce, — péganion, — ronda, — ruda.

RUTACÉES. Fam. nat. — DÉCANDRIE MONOGYNIE. L.


La rue, plante vivace (Pl. XXXV), croît spontanément dans les départements méridionaux de la France. On la rencontre aussi dans les environs de Paris (coteaux de Beauté, parc de Vincennes). On l'appelle rue sauvage. On la cultive dans les jardins.

Description. — Racine forte, fibreuse, blanchâtre, à radicules nombreuses. - Tiges droites, dures, cylindriques, rameuses dès la base, d'environ 1 mètre de hauteur. — Feuilles alternes, pétiolées, d'un vert glauque, à folioles ovales, épaisses, obtuses, décurrentes à la base. — Fleurs jaunes, pédonculées, disposées en corymbe terminal (juin-juillet-août). — Calice étalé, à quatre ou cinq divisions aiguës. — Corolle à quatre ou cinq pétales ovales, à bords relevés. — Huit ou dix étamines saillantes à anthères jaunes ; ovaire surmonté d'un style court et d'un stigmate simple. — Fruit : capsule globuleuse, polysperme, à quatre ou cinq lobes obtus, contenant des graines réniformes et s'ouvrant par la partie supérieure en autant de valves.

Parties usitées. — Les feuilles, les semences.

[Culture. — La rue, autrefois cultivée dans les jardins, l'est peu aujourd'hui. On la cultive encore beaucoup à Naples et dans d'autres localités de l'Italie. Elle exige une bonne exposition et un terrain sec et même pierreux. On la propage de graines, ou d'éclats de pieds.]


[935]

Récolte. — On doit récolter les tiges garnies de beaucoup de feuilles avant que les fleurs soient épanouies. La dessiccation, faite avec soin, ne diminue en rien ses propriétés. La rue sauvage est plus active que celle que l'on cultive.

Propriétés chimiques et économiques. — La rue a une odeur très-forte, fétide et pénétrante ; sa saveur est amère, âcre, piquante. L'analyse y a fait reconnaître : de l'huile volatile, de la chlorophylle, de l'albumine végétale, de l'extractif, de la gomme, une matière azotée, de l'amidon et de l'inuline. — L'huile volatile de rue est d'un jaune verdâtre ou brunâtre ; elle a une odeur forte et désagréable ; elle se fige au froid en cristaux réguliers ; sa solubilité dans l'eau est plus grande que celle des autres huiles essentielles.

L'essence de rue = C20 H20 O2 bout à 228" C. Sa densité est 0.958, l'acide azotique la transforme en acide caprique = C20 H20 O4 et en acide pelargonique = C18 H18 O4.] (Cahours et Gerhart.)


PRÉPARATIONS PHARMACEUTIQUES ET DOSES.


A L'INTÉRIEUR. — Infusion, de 2 à 10 gr. par kilogramme d'eau, à prendre par tasses avec un sirop approprié.
Sirop (2 de teinture sur 7 d'eau distillée de rue et 15 de sucre), de 15 à 30 gr.
Extrait alcoolique (1 sur 6 d'alcool à 60 degrés), de 50 centigr. à 2 gr.
Extrait aqueux, par infusion (1 de feuilles sèches sur 4 d'eau chaude), de 50 centigr. à 2 gr.
Extrait aqueux, par décoction (1 sur 8 d'eau), même dose.
Conserve (1 de rue fraîche sur 3 de sucre), de l à 5 gr.

Huile essentielle, de 10 à 50 centigr.
Poudre, de 50 centigr. à 3 gr., en bols, pilules, etc.

A L'EXTÉRIEUR. — Infusion, de 10 à 30 gr. par kilogramme d'eau, pour lotions, fomentations, fumigations, injections, lavements, etc.
Poudre, pour saupoudrer les ulcères.
Huile (1 de rue sèche sur 10 d'huile d'olive, faire digérer pendant huit heures au bain-marie, passer et filtrer.)


La rue est tellement stimulante, qu'étant appliquée sur la peau elle y détermine la rubéfaction ; introduite dans le canal digestif, elle y exerce une vive excitation, qui se transmet bientôt à tous les organes et donne lieu à divers phénomènes consécutifs, dont la thérapeutique a su tirer parti. A haute dose, elle détermine l'inflammation des voies gastro-intestinales et accélère le mouvement circulatoire. Elle a toujours été considérée, en outre, dès la plus haute antiquité, comme agissant puissamment sur le système nerveux en général et sur l'utérus en particulier, ce qui l'a fait employer contre l'épilepsie, la chorée, l'hystérie, et comme emménagogue dans l'aménorrhée et les désordres de la menstruation. Dans ces derniers cas, il est bien essentiel d'apprécier l'état de la malade avant de lui administrer un tel médicament. Si l'aménorrhée, par exemple, était due à un excès de sensibilité de l'utérus, à un état de pléthore, soit locale, soit générale, il est bien certain que l'usage de la rue ne pourrait être que très-dangereux. J'ai vu une métrorrhagie active, avec douleurs violentes à l'utérus, causée par l'emploi imprudent de cette plante, chez une jeune femme d'un tempérament sanguin avec prédominance utérine. Une forte saignée du bras, des bains tièdes, des boissons nitreuses et émulsives, des lavements de décoction de mauve et de laitue, suffirent pour dissiper ces accidents. Je suis convaincu que si l'hémorrhagie n'avait pas eu lieu, l'inflammation de l'utérus eût été la funeste conséquence de l'ingestion de la rue.

(Beau[1] ne partage pas les craintes répandues sur l'usage de la rue ; pour lui, c'est un agent spécial, excitant l'utérus comme le seigle ergoté. Il l'unit souvent à la sabine. Ce sont des toniques qui déterminent les contractions de la matrice en réveillant la tonicité des fibres de cet organe. Ils sont indiqués dans le cas de métrorrhagie entretenue par un produit pathologique tel qu'un fragment de placenta ou des débris de fœtus. Dans l'état de vacuité de l'utérus, la rue pourra aussi réussir dans les pertes de sang, compliquant ou non les règles, qui peuvent se rattacher à l'anémie.)

____________________

  1. Union médicale, 1er semestre 1859, p. 100.


[936]

L'influence que cette plante exerce sur la matrice se manifeste évidemment par une congestion sanguine et une stimulation des fibres musculaires de cet organe. Les observations recueillies par Hélie[1], et les faits assez nombreux qui se sont présentés dans ma pratique, ne me laissent aucun doute sur la propriété abortive qui lui a été attribuée. Les anciens connaissaient cette propriété ; Pline en défend l'emploi aux femmes enceintes. Les modernes la préconisent comme emménagogue ; Desbois, de Rochefort, employait, comme un des meilleurs médicaments de ce genre l'huile essentielle de rue à la dose de 12, 15 et 20 gouttes.

Comme antispasmodique, la rue a été recommandée contre l'hystérie et l'épilepsie par Alexandre de Tralles, Valeriola, Boerhaave, Cullen, etc. Haller la comparait à l’assa fœtida et l'administrait en lavement dans l'hystérie. Bodart l'a proposée comme succédanée de cette dernière substance.

La rue est un anthelminthique trop négligé. Wauters propose, d'après Cartheuser, de substituer sa semence au semen-contra. Je l'ai employée avec succès dans trois cas d'affection vermineuse. Je suis parvenu, au moyen de lavements de décoction de feuilles fraîches de rue, à détruire de nombreux ascarides vermiculaires qui causaient depuis dix ans un prurit anal insupportable. L'huile d'olive, de noix ou d'œillette, dans laquelle on fait infuser les feuilles de rue, peut servir en embrocations sur le bas-ventre, comme vermifuge chez les enfants. On emploie aussi de la même manière l'onguent de rue composé. (Voyez Préparations pharmaceutiques.)

Les propriétés antisyphilitiques attribuées à la rue n'ont pas été confirmées par l'expérience. Ses vertus antivénéneuses doivent être reléguées au rang des fables, ainsi que tout ce qu'on a avancé sur son efficacité contre la peste. Le fameux antidote de Mithridate, dont Pompée trouva la formule dans la gazette de ce prince, était composé, dit-on, de vingt feuilles de rue contuses, de deux noix sèches, de deux figues et d'un peu de sel. Quand on se représente, dit Chaumont, le roi de Pont avalant chaque matin un semblable mélange, avec la ferme conviction d'être à l'abri de tout empoisonnement pendant le jour, pourrait-on s'empêcher de rire, si l'on ne réfléchissait que l'ignorance et la crédulité figurent honorablement parmi les nobles qualités des héros ?

J'ai vu un curé de campagne employer le topique suivant contre la phthisie et le catarrhe pulmonaire chronique : Prenez 2 poignées de rue fraîchement cueillie, vers la fin de mai ; faites-les bouillir dans 2 kilogr. d'eau jusqu'à réduction de moitié ; exprimez la rue et retirez-la ; mettez 15 gr. d'aloès dans la décoction, et faites-y tremper une serviette de coton demi-usée pendant vingt-quatre heures, puis faites-la sécher à l'ombre dans un appartement. Cette serviette, pliée en huit, doit être pliée sur la poitrine et portée jusqu'à ce qu'elle tombe en lambeaux. On m'a assuré qu'une seule serviette avait souvent suffi pour opérer la guérison. On doit avoir deux serviettes ainsi préparées, afin que l'on puisse se servir de l'une pendant qu'on fait sécher l'autre à l'ombre. Ce moyen populaire, qu'il est bon d'essayer, a pu procurer quelque soulagement dans la phthisie pulmonaire et guérir des catarrhes chroniques que l'on aura pris pour cette dernière maladie.

On a conseillé la rue dans une multitude d'autres maladies. Suivant Martius, on la regarde en Russie comme un excellent remède contre la rage, et on l'emploie aussi, à ce titre, en Autriche, en Westphalie et même en Angleterre. L'expérience a fait justice de cette prétendue propriété.

(Le sirop de rue, quoique non officinal en Angleterre, se vend chez la plupart des droguistes ; les nourrices le donnent souvent à la dose de l/2 à 2 cuillerées à café, dans les coliques flatulentes des enfants nouveaux-nés.)

A l'extérieur, la rue pilée peut être employée comme rubéfiante et déter-

____________________

  1. Bulletin de thérapeutique, t. XII, p. 77.


[937]

sive. On a conseillé de l'appliquer en épicarpe contre les fièvres intermittentes. Les lavements de rue peuvent être utiles comme stimulants, dans beaucoup de cas, tels que l'inertie des intestins, la tympanite, la flatulence, l'aménorrhée, etc. On en a fait usage pour déterger les ulcères atoniques et sordides. (Dans la campagne d'Egypte[1], les plaies devenaient très-rapidement couvertes des larves de la mouche bleue de Syrie ; à chaque pansement, on les détruisait à l'aide d'une forte décoction de sauge et de rue.) Garidel traitait les taies de la cornée par la vapeur de la décoction de rue dirigée sur l'œil au moyen d'un entonnoir renversé. On s'en est servi aussi contre la gale, la teigne, et pour tuer les poux. J'ai vu une femme de soixante-cinq ans se débarrasser du phthiriasis, ou maladie pédiculaire, en portant une chemise qu'on avait fait bouillir dans une décoction aqueuse de rue. Le suc de cette plante, plus ou moins étendu dans l'eau et introduit dans le conduit auditif, a été mis aussi en usage avec quelque apparence de succès, dans la surdité causée par la diminution ou l'aberration de la sensibilité acoustique. La décoction vineuse de rue, en gargarisme, a été employée avec avantage dans l'engorgement et les ulcères scorbutiques des gencives. Celse recommande dans les pertes séminales l'application sur l'hypogastre et sur les aînés de cataplasmes de rue infusée dans le vinaigre. Vitet combattait l'exostose scrofuleuse au moyen de bains locaux (répétés trois ou quatre fois par jour, de la durée d'une demi-heure chaque fois), faits avec une forte infusion à peine tiède de feuilles de rue, où l'on avait fait dissoudre 15 gr. de sulfure de potasse sur 1 livre de liquide. On maintenait entre chaque bain, sur la partie affectée, des compresses imbibées de ce résolutif. J'ai employé le même moyen avec succès sur les engorgements glanduleux, et notamment sur ceux des mamelles. Dans ce dernier cas, je faisais prendre le bain local au moyen d'un vase à ouverture proportionnée à l'étendue du mal, la malade étant dans une position horizontale.

____________________

  1. Étude sur Larrey ; par Leroy-Dupré. Paris, 1860, p. 44.