Lycoperdon (Cazin 1868)
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Nom accepté : Calvatia gigantea
Lycoperdon vulgare. Tourn. — Crepitus lupi seu bovista. Off., Murr. - Lycoperdon giganteum. Bastch. — Lycoperdon maximum. Schœff. - Bovista chirurgorum. — Bovista maxima. Dell. - Bovista gigantea. Nees.
Lycoperdon gigantesque, — vesse-de-loup géante, — vesse-de-loup des bouviers, — boviste.
CHAMPIGNONS. — LYCOPERDACÉES. Fam. nat. — CRYPTOGAMIE. L.
Description. — Ce champignon est globuleux, blanchâtre, puis verdâtre ou d'un gris roussâtre, lisse, un-peu peluché, légèrement déprimé et fendillé en aréoles au sommet ; sa racine est extrêmement petite ; sa chair, d'abord blanche, ensuite d'un jaune verdâtre ou d'un gris brun, se change en une poussière d'un brun olivâtre. Son volume est variable, mais souvent de la grosseur de la tête d'un homme. « J'en ai mesuré plusieurs fois, dit Bulliard, de 18, 20 et même 23 pouces de diamètre, et des personnes dignes de foi m'ont assuré en avoir vu dont le diamètre avait près de 3 pieds[1]. » Il croît en septembre et en octobre dans les lieux sablonneux, humides, sur la lisière des bois, principalement après les pluies. Il est rare dans nos départements du nord, mais on y rencontre plus fréquemment la vesse-de-loup verruqueuse ou commune (Lycoperdon verrucosum) qui a les mêmes propriétés.
(La poussière du lycoperdon est douée d'une odeur pénétrante ; elle est âcre, elle irrite la conjonctive et la pituitaire.)
La vesse-de-loup était très-employée autrefois contre les hémorrhagies externes. Félix Plater arrêtait le flux hémorrhoïdal excessif en introduisant la poudre de vesse-de-loup dans le rectum. Dans quelques contrées d'Allemagne, les chirurgiens-barbiers s'en servaient pour arrêter les hémorrhagies traumatiques les plus graves. On la préparait en l'arrosant en été pendant quinze jours avec de l'eau dans laquelle on avait fait dissoudre du sulfate de zinc, et, chaque fois, on la faisait sécher au soleil ; on la mettait ensuite en poudre et on la conservait dans un lieu sec.
Boerhaave regardait ce champignon comme un excellent hémostatique. Tulpius dit qu'une dame qui perdait beaucoup de sang par une dent molaire fut guérie au moyen de l'application d'un morceau de vesse-de-loup. Helvétius, dans une lettre adressée à Régis, assure que cette espèce de champignon arrête le sang d'une manière surprenante et ne fait nulle douleur ni eschare comme les vitriols[2].
Lecat employait le lycoperdon pour arrêter les hémorrhagies dans les opérations chirurgicales. Ravius, au rapport de Haller, faisait usage de ce remède contre les hémorrhagies traumatiques ; il recommandait de le laisser sur la plaie jusqu'à sa chute spontanée, parce qu'il nuisait quand on l'arrachait.
Frappé de l'accord d'un grand nombre d'auteurs sur la vertu hémostatique du lycoperdon, je l'ai mis depuis longtemps en usage. J'ai plusieurs fois arrêté l'hémorrhagie produite par les piqûres de sangsues au moyen d'une couche épaisse de vesse-de-loup commune ou verruqueuse, comprimée pendant quelques minutes par une petite pelote de linge. Introduite dans les narines, cette poudre m'a réussi dans deux cas d'hémorrhagie nasale fondante, après avoir inutilement employé l'eau de Rabel, l'eau alumineuse, les applications réfrigérantes, etc.
Le fait suivant atteste la propriété du lycoperdon contre l'hémorrhagie traumatique : M. Duhauton, de Saint-Pierre-lès-Calais, ancien militaire, âgé de quatre-vingts ans, d'une bonne constitution, avait depuis plusieurs années une tumeur spongieuse, hématode, à la région temporale gauche. Cette
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- ↑ Histoire des champignons de la France, t. I, p. 154.
- ↑ Portal, Histoire de l'anatomie. art. HELVÉTIUS.
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tumeur, du volume d'un œuf de poule, molle, indolente, rouge-bleuâtre, moins étendue à sa base, avait été piquée à diverses reprises avec une épingle, et comprimée chaque jour pour en faire sortir le sang. Ces piqûres devinrent des plaies qui se convertirent, dans l'espace de deux à trois mois, en un ulcère fongueux, grisâtre, ichoreux, à bords renversés, rouges, ayant la forme d'un chou-fleur, et donnant issue à chaque pansement à 3 ou 4 onces de sang. Les hémorrhagies affaiblissaient chaque jour le malade et l'ulcère faisait de rapides progrès, lorsque je proposai l'ablation comme le seul moyen à employer. Cette opération fut pratiquée le 28 juillet 1813. La tumeur, mobile à sa base, où un tissu cellulaire lâche semblait la séparer des parties sous-jacentes, fut facilement enlevée par deux incisions semi-elliptiques faites dans la partie saine, et une dissection de haut en bas, qui acheva de l'isoler. La plaie, d'une assez grande étendue, laissait échapper de tous ses points, et surtout de ses bords, une grande quantité de sang coulant en nappe, sans présenter aucun vaisseau dont on pût faire la ligature. J'appliquai de l'agaric de chêne, une compresse un peu épaisse et un bandage serré, espérant que la compression suffirait pour arrêter l'hémorrhagie. Il n'en fut pas ainsi : un moment après, l'appareil était entièrement imbibé. J'attendis près d'une demi-heure, comptant sur la formation d'un caillot plastique. Mon espoir fut trompé. J'eus recours alors à la vesse-de- loup commune, que j'avais placée depuis peu dans ma collection d'objets d'histoire naturelle médicale. J'appliquai sur la plaie, préalablement abstergée, une couche épaisse de poudre de ce lycoperdon, maintenue par une compresse et un bandage médiocrement serré. L'hémorrhagie, à mon grand étonnement, s'arrêta à l'instant même. Elle reparut encore, quoique moins abondante, à chaque pansement, pendant trois ou quatre jours ; mais elle fut combattue efficacement par le même moyen. Le travail de la suppuration s'établit ; quelques légères cautérisations avec le nitrate d'argent fondu réprimèrent les chairs fongueuses et favorisèrent la cicatrisation, qui fut parfaite un mois après l'opération. M. Duhauton reprit sa santé habituelle, et ne mourut qu'à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans.
Jusqu'au moment où j'essayai l'application du lycoperdon, j'avoue que le discrédit dans lequel il est tombé, comme hémostatique, m'inspirait peu de confiance. L'opinion erronée que la poussière de vesse-de-loup est âcre, irritante et même toxique, a été probablement la cause de ce discrédit.
Linné dit que les Finlandais font prendre la poudre de vesse-de-loup, mêlée avec du lait, aux veaux qui ont la diarrhée. Ne pourrait-on pas en essayer l'emploi chez l'homme dans la même affection, et surtout dans les hémorrhagies gastriques et intestinales passives, l'hématémèse, le melœna, etc. ? Durande[1], et d'autres auteurs, disent que la poussière de vesse-de-loup dessèche les ulcères, et en favorise la cicatrisation.
« Un chirurgien anglais, Richardson, signale la vesse-de-loup (lycoperdon proteus) comme un nouvel agent anesthésique, dont l'action serait aussi puissante que celle de l'étber et du chloroforme, et qui aurait sur ces deux substances l'avantage de n'offrir aucun danger. On sait que la vesse-de-loup, pressée entre les doigts, répand un nuage de poussière. On y met le feu, et l'inhalation de cette vapeur ou fumée produit sur les animaux, au bout de quelques minutes, parfois même de quelques secondes, les phénomènes de l'éthérisation la plus complète : résolution, diminution des battements du coeur et de la respiration, stupeur, immobilité. Cette expérience, répétée nombre de fois sur de jeunes chats, sur des chiens tout âge, a toujours réussi. Il a pu produire les effets anesthésiques pendant deux heures, compter la diminution du nombre des respirations jusqu'à six par minute, et toujours, alors même que le corps était refroidi, les pupilles
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- ↑ Flore de Bourgogne, t. II.
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fixes, les battements du coeur très-rares, il est parvenu sans peine à le ranimer en le soustrayant à l'action de la fumée du lycoperdon. Il a pu enfin, grâce à l'anesthésie produite par cet agent, enlever, sans provoquer aucune manifestation de douleur, une tumeur considérable située sur le ventre d'un chien.
La fumée de ce lycoperdon est employée depuis longtemps en Angleterre, de préférence aux vapeurs de soufre, pour engourdir les abeilles avant d'enlever le contenu des ruches. Elle a l'avantage de ne pas faire périr ces insectes, et c'est cette propriété qui a donné à Richardson l'idée de l'employer comme anesthésique[1]. »
(Thomson Herapath prétend que ces résultats anesthésiques ne reconnaissent pas d'autres causes que l'oxyde de carbone produit pendant la combustion. Comme Guibert[2], auquel nous empruntons cette citation, nous ne saurions penser que la combustion d'une petite quantité de cette poudre puisse faire dégager assez d'oxyde de carbone pour amener des phénomènes physiologiques aussi intenses ; « quoi qu'il en soit, le lycoperdon n'est pas un anesthésique sérieux : son mode d'administration, la difficulté de le doser, l'inconstance même de son action, sont autant de circonstances qui empêcheront jamais d'y recourir. »)
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