Mandragora (Rolland, Flore populaire)
Sommaire
[Tome VIII, 122]
Mandragora
1. - Noms de la plante :
- μανδραγόρας, grec anc. - γοργόνακι, grec moderne à l'île de Chypre, Unger, Die Insel Cypern, 1865. p. 288.
- mandragoras, lat. de Pline.
- mala canina, mala terrestria, lat. de Dioscoride, publ. par Stadler.
- malum terræ, l. du VIes. apr. J.-C., Isidore de Séville.
- antropomorfeon, l. du m. â., Du C.
- mandragora, mandrogora, pomum macianum, bullaquilon, allota, algorica, algarica, algaricia, l. du m. â., Dief.
- mandra, l. du m. â., God.
- briorica, l. du m. â., Germania, 1881, p. 402.
- bulaquerlon, l. du m. â., Mone. Quellen d. teutsch. Liter., 1830. p. 285.
- harusca, l. du m. â., Du C.; Syn. 1623.
- niaculon, l. du m. â., Benecke.
- andacore, sulfurace, l. du m. â., Sérapion l'Ancien (Le premier mot est donné comme arabe.)
- apollinaris, anthropomorphon, buloquinum, l. du m. â., Simon Januensis, 1486.
- flinon, madraqora, l. du m. â., Rostaf. - caninum malum, anc. nomencl., Brunfels, 1534.
- circæa, antimelon, anc. nomencl., Duchesne, 1544. - antimalum, anc. nomencl., Dodoens, 1557. - antimon, anthraphraseos, albalarosa, l. du XVIe s., Antonius Nebrissensis, Lexicon cathalanum, 1587 - atropa mandragora, nomencl. de Linné.
- mandragora, f., anc. prov., P. Meyer (dans Romania, 1903, p. 280.)
- mandragore, f., franç., J. Camus, Op. sal. (XVe s.) ; etc. etc.
- mandragoire, f., anc. fr., J. Camus, Op. sal. (XVe s.) ; Corbichon, Propriét. des choses, 1525 ; Roch Le Baillif, Demoster., 1578.
- mandagore, f., anc. fr., Laborde, 1853 ; Dorveaux, Antid. ; God.
- main de gorre, f., anc. fr. Tallemant des Réaux (XVIIe s.), éd. de 1852. I, 11. - Poitou, Le Pays poitevin, 1898, p. 7.
- mandegone, f., anc. fr., God.
- mandrigorgne, f., Montmorillon (Vienne). Lal.
- madregole, f., anc. fr., God. ; Darmesteter, Glosses et Glossaires hébraïques, 1878, p. 39.
- madagoire, f., anc. fr., Du C.; Laborde, 1853, II, 379.
- màndriqoulo, f., Gard, Tarn. - mandragoire, f., anc. fr., Corbichon,
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- Propr. d. Ch. - mandraglore, f., mandragloire, f., fr. du XIVe s., Dorveaux, Antid. - mandregloire, f., franç., Cotgr., 1650. mandeglore, f., anc. fr., P. Meyer, Deux. rapport ; Fousch, 1549. - mandagloire, f., anc. fr., Du C. ; Laborde, 1853. (Dans Du C. le mot est mascul.) - mandegloire, f., mendegloire, anc. fr., God. ; Dorveaux, Antid. ; Gesnerus, 1542 ; etc., etc. (Le mot est parfois mascul.) - main de gloire, f., anc. fr., Gesnerus, 1542. - mont de gloire, m., fr. du XVIe s., Solerius, 1549. - madegloire, f., anc. fr., God.; Laborde, 1853. - mandore, f., franç., Agréable confér. de deux paysans de Saint-Ouen, 1649, in-4, p. 7. - mandrage, mandrake, anglo-normand du XIVe s., P. Meyer, Contes de Bozon, 1889, p. 311. - mendrak, m., anc. fr., Festg. für Mussafia, 1905. - môdagò, m., Landes, Métiv., p. 426. - martagon, m., anc. fr., Domayron, Le Siège des muses, 1610, p. 83. - herbe du matagon, Allier, Boudant, Hist. de Chantelle, 1862, p. 195. - motogò, m., Corr., Bér. ; Dord., W. de Taillefer. - erbo déy motocò, f., motocò, m., Corr., Bér. - herbe à l'espec, franç., Brohon, 1541. - herbe à l'espic, franç., Duchesne, 1544. - herbe du pic, herbe matago, montaqo, martigo, Berry, Laisnel de la Salle, p. 218. - ' mandraguna, matraguna, nadragula, roumain. - mandracola, portug. - urriloa, basque.
- alarûne, alarône, alrûn, alraun, arûne, alûne, malûne, alraunwurzel, alraunmannl, hexenkraut, dial. all. - mandragre, mandrage, mandraagers-kruid, alruyne, alrune, anc. flam. et holl. ; alruinmanneken, galgemannken, pisdiefje, pisduiveltje, holl. ; galgejong, duiveljong, flam. (A. de C.] - mandrake, angl., Howell, 1660.
- toffâh el Djenn (= pomme des Génies), arabe, Ibn Beïthar. yabrohach, yabora, arabe, Laguna, 1563.
Le mot mandraqore, souvent étrangement défiguré, sert à désigner : l° la plante ; 2° certaines plantes imaginaires ; 3° certains êtres ou animaux fantastiques ; 4° certaines amulettes.
Toponomastique. - Les Matagots, local. des H.-Alpes, Roman. (Selon Roman le mot signifie Les Diablotins.)
« Mandragoras ostendit similitudinem feminæ et dicitur, qui eam eradicat, non posse vivere. » IXe s., Anzeiqer, de Mone, III, 202.
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« Il y a danger d'arracher ou de couper cette plante ; pour éviter ce danger, quand on veut la tirer de terre, il faut attacher à la tige un chien que l'on bat ensuite, afin que, faisant des efforts pour s'enfuir, il la déracine. » Tradit. persane, d'Herbelot, Bibl. orient.
« Un jour un élève-serviteur nommé Loshtak, au service d'un évêque qui était grossier pour lui, se vengea en mettant le feu dans sa barbe pendant qu'il dormait. L'évêque le maudit en disant qu'il entre dans la terre ; et il disparut sous terre. L'évêque le regretta et souhaita qu'il servît de médicament aux hommes. Loshtak dit avec impertinence : alors je serai tiré de terre. L'autre le maudit une seconde fois, et dit : celui qui te tirera de la terre disparaîtra lui-même sous terre. Aussi pour avoir cette herbe on la fait tirer par un chien, au moyen d'une corde. Loshtak pousse un tel cri que le chien en crève. » Tradit. arménienne.
« Des voleurs condamnés à mort ont avoué à la torture qu'ils se servoient de la main de gloire pour stupéfier et rendre immobiles ceux à qui on la présentoit, de maniere qu'ils laissoient voler leur argent et leurs meubles, sans pouvoir se remuer, ni avoir la force d'appeller à leur secours. A l'égard de la composition, ils déclarerent que cette main de gloire se faisoit avec la main d'un pendu, qu'on enveloppe dans un morceau de drap mortuaire, où on la presse pour en faire sortir le sang, s'il y en reste ; puis on la met dans un vase de terre avec de l'azimut, du salpêtre, du sel, et du poivre long, le tout bien pulvérisé. On la laisse quinze jours dans ce pot, puis on la tire, et on l'expose au soleil de la canicule, jusqu'à ce qu'elle soit bien sèche : et si le soleil ne suffit pas, on la met dans un four chauffé avec de la fougere et de la vervaine. On compose ensuite une chandelle avec de la graisse de pendu, de la cire vierge, et du zizanee de Laponie. On se sert de cette main comme d'un chandelier; et dans tous les lieux où l'on va avec cette chandelle allumée, ceux qui y sont demeurent immobiles. » Dict. de Trévoux, 1752.
« Je me souviens d'avoir logé chez un riche paysan qui avait été autrefois fort pauvre et misérable, si bien qu'il était contraint de travailler à la journée pour les autres ; et, comme je l'avais
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- connu dans le temps de sa misère, je pris occasion de lui demander ce qu'il avait fait pour devenir riche en si peu de temps. Il me dit qu'ayant empêché qu'une Bohémienne ne fût battue et mal menée pour avoir dérobé quelques poulets, elle lui avait appris le secret de faire une Mandragore, et que depuis ce temps-là, il avait toujours prospéré de bien en mieux, et qu'il ne se passait guère de jour qu'il ne trouvât quelque chose, et voici de quelle manière la Bohémienne lui avait enseigné de faire la Mandragore. Il faut prendre une racine de bryonia (1) qui approche de la figure humaine, on la sortira de terre un Lundi dans le Printemps, lorsque la Lune est dans une heureuse constellation, soit en conjonction avec Jupiter, en aspect aimable avec Vénus ; l'on coupe les extrémités de cette racine, comme font les Jardiniers, lorsqu'ils veulent transplanter une plante ; puis on doit l'enterrer dans un cimetière, au milieu de la fosse d'un homme mort, et l'arroser avant le Soleil levé durant un mois avec du petit lait de vache, dans lequel on aura noyé trois chauves-souris ; au bout de ce temps on la retire de terre, et on la trouve plus ressemblante à la figure humaine ; on la fait sécher dans un four chauffé avec de la verveine, on la garde enveloppée dans un morceau de linceul qui ait servi à envelopper un mort. Tant que l'on est en possession de cette mystérieuse racine, on est heureux, soit à trouver quelque chose dans le chemin, à gagner dans le jeu de hasard, soit en trafiquant ; si bien que l'on voit tous les jours augmenter sa chevance. » Secrets merveilleux du Petit-Albert, 1815.
« La mandragore ou main de gaure est un serpent représentant le diable, que l'on servait à table et que l'on déposait ensuite dans une boîte. Le soir, on plaçait à côté de lui une pièce de monnaie et le lendemain matin on en trouvait deux. Toutes les personnes qui s'enrichissaient passaient pour avoir une mandragore (on disait quelquefois une paulette). Quand le proprétaire de l'animal venait à mourir, un des enfants avait le droit d'en hériter, mais si personne n'en voulait, le serpent, après s'être mis sur le cercueil du mort, partait à la recherche
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(1) Il arrive souvent que l'on substitue les racines de bryone à celles de la mandragore quand celle-ci fait défaut.
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- de gen s mi eux di sp osés. Qu aud 0 11 le voyait traverser les ch amps , il fall ait alle r che rc her une serviette ou une nappe, l' étendre devant la hête ; al ors il se r oulait et on l' emportait. Dan s les cas press és, il suffisa it de placer uu mouchoir sur SOli pa ssage . On cite encore dans le pay s p lu sieurs maisons dont la fortune provient de la mandragore. On désigne m ême un endro it o ù le serpent s'é ta it a r r êt é et on entendait journellement ces mots: « Qui r etire la main de gaure se ra h eureux dan s ce monde et malh eureu x dans l'autre. ) Poitou, Le Pays p oit evin , 1808, p . 7.
Sm' le Mane/ago, animal fantastique, dans les Landes, voyez BLADÉ , Con /es p op . de Gas c. , t . Il, et V. FOIX, Sorcières et loups ga rou s, 1004, p. 29,
« Ils croyolent que tant comme il s avoie n t un nuulaqoi re, mais qu'il fu st b ien nettement en beaux dr-appeau x de soye ou de lin envelop pé, que j amai s jour dc leur s vies ne se roient pauvres. ) Du C ANGE , sub ve r be mandraqora , - « Qui porrolt fluer d'un vra i mane/cg/ aire et le co uc has t en blans draps et lui presentast li men gier et à boire deux foi s le j our, comb ien qu'il uc meu gu e ne hoivc, ce llui qui ce feroit deviendroit eu peu d' esp ace moult ri ch e et ne snu ro it comment. » xv. s., Les Évangiles des qu en ouilles, édit. Jaunet, 1855.
« L'h erbe du matagon est lui sante pendan t la nuit ; le j our, le pic seul peut la faire dé couvrlr : il voltige d'une certa ine façon ava nt de lc sa is ir ; c'est elle qui lui durcit le bec. Heureux le bou vier qui a trouvé ce tte h erbe; ses boeufs fort s et vigoul'eu x r ési st eront il tout es les fatigu es. » Alli er, BOIlDANT, Hist . de Cha niellc, 1862, p. 195. - « L 'herbe du pic donne au pic la force de percer les a r bre s les plus durs ; ou la' trouve quelquefoi s dans Je nid de l' oi seau. On peut aussi se la procurer en le . guettan t ; s i on le vo it frotter so n b ec à une cerlaine her be, celle -c i est le précieu x talism an . Gardez-vous bien de vous se r vir de fer ponr la cue il li r ct l' a i-rach er, ca r au conta ct de ce mét al, e lle perdrait t oute sa ve rtu .... .. Lorsque le pi c fait ente nd re so u cr i moqueur c'est qu'il a aperçu des chercheurs dc ce lle pl an le magique .. ... . Celui qui porte sur lui l'herbe de pic p os sède u ne for ce h erculéenne. Selon les uns l'Ilerbe du
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- pic serait 'la mandragor e, selon les aut res ce sera it un e espèc e d'Orcllis. » Berry , LAISNEL DE LA SALLE, p.216-220.
« POUl' se fa ire aimer d'une bell e, il faut ramasser de l'h erbe matagot, la mettre adroitemen t, sa ns q ue personn e s'en doute, sous le livre des éva ngiles e t lai sser dlrc là messe dessus. » Périgue ux, '~T. nz TAILLEFER, p. 252.
« La mandra gore l'end les femmes f écondes. Un j our une putain s'ad ressa à la mandragor e pour la rendre féco nde, mais la pl ante r efusa . » Voir Dia loque des créatures, 1482, 31. dialogu e,
« Le matagot est un être fantas ti que qui sème dans cha q ue prai ri e un e pla nte qui donne Ic ve r tige à ce ux q ui la foul en t a ux, pi ed s et les empêche de r econn aître le s lieu x qui leur sont le plus familiers. » Alli er, V. TIXI ER , Ex ercice ilI ég. de /a méd . (da ns Congrès scienti], tenu à .Hou/ins en 1872, p. 347,)
« Les Breto ns nomment .ll an dw gores des In ti ns familie rs, de très b on ue composition, qui leur appa raissc ut, di sent-il s, sous la figure de peti t s hommes sans barbe e t les cheveux épars. » A. DE CHES:-IEL, Dict, des Sup , [ED. EDM. l.
(e Si l'on ma rche SUI' la ma ndragore on ne peut re trouver son chemin . » Chroniqueur du Pér igo rd , 1853.
« r: erbo de moloco vient da ns un certain pré près Tulle. Quand on' fauc h e cette plante avec les autres herbes la pl uie tombe immédiat ement , de sor te que quand on veut avoir' de la pluie, on va couper des b rins de cette herbe. » Cor rèze, BJ~ R O N JE .
Il a la mandegloire ou la mand rago re, se di t de celui qui dev ie nt riche tout à cou p, sa ns q u 'on sach e comme nt .
« .llalag na = sorcière. )) mentonais , ÂNnn. - (( Mandraqoula une femme débauchée. » piémo ntais , CA PELLa. - (~ Un. mandegloire , 1lI1 tnadaqoire = un pauvre, un gue ux, un mi s érable. » aue , fr ., GOD. - « tnandraqour = gros garçon qui affecte des mani ères d' enfants. »Brianço nna is, CHADRAND. - cc Cy n'entrez pas, hypocrites, bigot s, Vieux matoqot s, ma r mitons ho urso ufflés . » RABELAIS, Garqantua .
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« Sans dire p a s se-rnatagot J 'ai fort bien joué virago. » CHEVALI ER, D ésol . des fil ott x ; cité par LEROUX, Dict . cam.
« Matig6! = exclamat io n de sur pr ise, May ., DOTT,; Vendômois, MART. (Dans la Ma y enne o n dil a ussi : mazig 6!
Symbolique. - « La mandragore s ig n ifie générativc conjonction. » Traité cl/rieux des couleurs, 1647 , p. 75.
Héraldique. - Sur la mandragore dans l'h éraldique, voyez 'R ENESSE, .III, 121.
Bibliographie. - Vo yez enco re sur la mandragore : LAURENS CATALAN, Rare di sco de la mandrag ., 1638, in-12; NISAIIO, Hi st , des livres p opul., 1854, 1, 204-208; IBN BEïT HAlt , Il, 246-248 ; NARES, Il. 5H-545; G. RAYNAIJO , Po ëtne moralisé sur les propr. des Ch. 1885, p. 26 e l p . 37; R EGNIER, OEuvres de Lafontaine, 1889, V, 34- 35, dans le s Llot es .