Froment (Rozier)

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[tome 5 - 101]


FROMENT. Plante graminée, la plus productive, & dont le grain est le meilleur pour faire le pain par excellence ; en un mot, la plante la plus précieuse, la plus utile à l’homme, & le plus beau présent que lui ait fait la Divinité. Un auteur célèbre


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a dit : « Un grain de blé est le germe des sceptres & des couronnes, le soc fonde les empires, soudoie les potentats, & le froment que je sème doit germer en munitions de guerre, en artillerie, en vaisseaux, &c. » En effet, c’est la première richesse du citoyen, & par conséquent de l’état ; celle qui met & fixe le prix de toutes les autres denrées & des objets de commerce, qui vivifie tout, qui met tout en mouvement & fait circuler tout. On dira peut-être que l’on ne cultive pas le froment sur toute la surface du globe, & que les empires, les monarchies où on ne le cultive pas, &c. n’en subsistent pas moins. Cela est vrai, mais le froment y est représenté par un autre végétal qui fournit la nourriture à des individus, & c’est sur ce besoin de première & de la plus urgente nécessité, que sont établis la richesse de la masse & le bien-être des individus.

Il est inutile d’insister plus longtemps sur les avantages que la nation peut retirer de les récoltes de blés ; de prouver qu’elle ne peut être riche, puissante, qu’autant qu’elle aura beaucoup de superflu à échanger ; ces vérités sont trop généralement reconnues & ont été démontrées par un très-grand nombre d’auteurs d’une façon si victorieuse, qu’il ne reste pas aujourd’hui le plus léger doute à ce sujet ; d’ailleurs, une semblable discussion nous écarteroit du but où nous devons aller. Il s’agit de la pratique, de bien labourer nos champs, de semer à propos, de récolter, de conserver nos grains, & de les vendre ensuite à un bon prix.

Si on désire cultiver ses champs, semer ses blés d’après une saine théorie, il faut absolument relire l’article Modèle:RozierL, afin de connoître à fond la belle anatomie que M. l’Abbé Poncelet en a publiée ; d’après quelles loix il végète, & comment il végète. Sans ces préliminaires, sans cette introduction à sa culture, on agira, comme le commun des hommes, d’après une routine aveugle, & on sèmera pendant toute sa vie sans en être plus instruit. Il convient encore de relire le mot Modèle:RozierL, pour avoir l’idée des méthodes proposées jusqu’à ce jour, afin que je ne sois pas obligé de faire des répétitions dans l’article que je traite actuellement. Modèle:Interligne Modèle:C Modèle:Interligne Modèle:C Modèle:Interligne Modèle:AN

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PREMIÈRE PARTIE

Du froment Considéré depuis le moment qu’on se propose de le semer, jusqu’après l’avoir battu et rendu assez net pour le conserver dans le grenier.

CHAPITRE PREMIER.

Description du Genre.

M. Tournefort appelle le froment triticum, & le place dans la troisième section de la quinzième classe, qui comprend les herbes à fleurs à étamines, qu’on nomme blés ou plantes graminées, parmi lesquelles plusieurs sont propres à faire du pain. M. von-Linné le nomme également triticum, & le classe dans la triandrie dyginie.

Les véritables caractères qui distinguent les fromens des autres plantes voisines de ce genre, sont d’avoir un calice ou balle composé de deux valvules, & qui contient souvent trois fleurs ; les valvules sont ovales & obtuses.


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Deux valvules presqu’égales, & de la grandeur du calice, tiennent lieu de pétales ; l’intérieure est plane, & l’extérieure est bombée, terminée par une petite pointe.

Les étamines sont au nombre de trois, en forme de fils ; les pistils, au nombre de deux, réfléchis, terminés par un stigmate plumeux.

Le grain ou semence est unique, oblong, ovale, obtus des deux côtés, convexe sur le dos, sillonné sur le côté opposé.

Les fleurs & les semences sont portées sur Modèle:Corr général, & cet épi est lui-même composé par de petits épis de deux à cinq fleurs ou grains, suivant les espèces.


CHAPITRE II.

Des Espèces.

Le langage des botanistes est bien différent de celui des cultivateurs ; aussi j’ai été obligé d’établir, au mot ESPÈCE, ce qui constituoit l’espèce botanique & l’espèce jardinière ou cultivée. Consultez ce mot, afin d’éviter ici les répétitions.

Section première.

Caractère des Espèces.

M. von-Linné en compte six espèces dont la plante périt chaque année, & cinq qui sont vivaces.

Espèces annuelles.

I. Le Froment d’été, Triticum æstivum. Lin. Son calice renferme quatre fleurs à balles très-ventrues, lisses, disposées les unes sur les autres en manière de tuiles, & dont l’extrémité est garnie d’une longue barbe.

II. Le Froment d’hiver, Triticum hybernum. Son calice renferme également quatre fleurs à balles, disposées en écailles, & qui tombent à la maturité du grain ; elles sont communément sans barbes. Dans quelques endroits on désigne cette espèce sous le nom de touzelle.

III. Le Froment renflé, Triticum turgidum. Lin. À balles ventrues, velues, contenant quatre fleurs ; l’épi est fort gros, composé, rameux, & chargé de barbes fort longues.

IV. Le Froment de Pologne, Triticum polonicum. Lin. Les balles contiennent deux fleurs ; chaque petit épi a des barbes très-longues, & ces barbes sont comme dentées.

V. Le Froment épautre, ou Épeautre, Triticum spelta. Lin. Son épi est un peu comprimé & dépourvu de barbes ; s’il en a, elles sont très-courtes & seulement disposées dans sa partie supérieure. Les petits épis qui composent l’épi général sont composés de quatre fleurs, dont deux ou trois tout au plus sont fertiles.

VI. Le Froment à une seule loge, Triticum monoccocum. Lin. L’épi est court, se divise en deux, garni de chaque côté de barbes fines & fort longues ; les petits épis dont le général est composé, sont de trois fleurs, dont une seule est fertile.

Espèces vivaces.

I. Le Froment à feuilles de jonc, Triticum junceum. Lin. Ses tiges sont hautes d’un à deux pieds, garnies de feuilles étroites, blanchâtres en dessus, un peu roides, aiguës, & roulées en leurs bords. Les petits épis de l’épi général sont composés de cinq à six fleurs, communément dépourvues de barbes ; les balles ont le dos garni de cannelures saillantes.


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II. Le Froment maritime, Triticum maritimum. Lin. Tiges hautes de cinq à sept pouces, coudées à leur articulation inférieure, garnies de quelques feuilles lisses, à peine larges d’une ligne ; l’épi est maigre, un peu rameux à sa base ; les petits épis sont comprimés & ont une roideur remarquable. Il croît dans les provinces méridionales, au bord de la mer.

III. Le Froment rampant, Triticum repens. Lin. Ses racines articulées, très-rampantes ; pousse des tiges droites, feuillées ; les feuilles, larges de deux ou trois lignes, molles, vertes, & velues à la surface supérieure ; l’épi général est long de trois à quatre pouces, & les petits épis composés de quatre à cinq fleurs, dont les balles sont aiguës & communément dépourvues de barbes : cette plante croît dans les haies.

IV. Le froment délicat, Triticum tenellum. Lin. Racines fibreuses, tiges menues, basses & feuillées ; les feuilles lisses, vertes, au plus une ligne de largeur ; l’épi est maigre, en forme de fil, presqu’entièrement d’un seul côté ; les petits épis comprimés, composés de trois à quatre fleurs, disposés d’un seul côté, & quelquefois en spirale ; ils sont toujours barbus.

V. Le Froment à fleurs d’un seul côté, Triticum uni-laterale. Lin. M. von-Linné en fait une espèce à part ; cependant on peut à la rigueur le regarder botaniquement comme une variété de l’espèce précédente ; il en diffère par les calices des fleurs, placés alternativement d’un seul côté, & en ce qu’ils ne restent pas sur l’épi.

Ces cinq espèces vivaces intéressent peu le cultivateur ; cependant, quel homme peut répondre qu’à force de culture & de semis multipliés, ainsi qu’il a été dit au mot espèce, on ne parvînt pas à en retirer un jour des récoltes utiles ? Il est inutile de faire des expériences sur le froment rampant : malheur au champ, au jardin, &c. dans lequel il a établi sa demeure ; il est presque impossible de le détruire ; ses racines tallent à l’infini. Il ne faut pas le confondre avec le chien-dent. (Voyez ce mot).

Section II.

Observations sur les Espèces cultivées.

Il convient d’examiner de nouveau les espèces utiles de froment que l’on cultive, & après avoir parlé le langage des botanistes, de s’entretenir avec les agriculteurs. Ce qui concerne le seigle, le méteil, & autres plantes connues sous le nom de blé en général, sera détaillé au mot propre.

Le climat, le sol & la culture agissent beaucoup sur la qualité des grains, & à un tel point, qu’il n’est pas possible d’établir des caractères fixes & décidés entre ce que nous appelons, par exemple, blés barbus, blés ras ou sans barbes. En effet, ces espèces jardinières, même du second ordre, changent de visage, s’il est permis de s’exprimer ainsi, transportées d’un pays à un autre, cultivées ou sur les hauteurs ou dans la plaine, aux bords de l’océan ou de la méditerranée, ou dans l’intérieur des terres. Cette transformation produite par le climat, l’est également par la culture ; & dans tel ou tel terrain, après un certain nombre d’années, les blés barbus deviennent ras, & les ras deviennent barbus. Il en est


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ainsi pour la couleur des grains de chaque espèce jardinière de blés.

Parmi les blés barbus on distingue ceux à barbes longues & à barbes courtes, à barbes lisses & à barbes raboteuses, ou comme légèrement épineuses ; à épis plus aplatis ou plus quarrés ; à grains dont l’écorce est couleur paille, à écorce d’un jaune doré, à écorce rouge, à écorce blanche ; enfin, d’autres plus ou moins gros, plus ou moins arrondis ou alongés. On observe les mêmes différences pour la couleur & pour la forme sur les blés ras.

On distingue encore les blés en hivernaux & en printaniers ou marsais. Les hivernaux sont communément semés en septembre ou en octobre, & passent l’hiver en terre, d’où ils ont pris leur dénomination générale ; les autres ont été nommés marsais ou printaniers, parce qu’on les sème dans le mois de mars & à l’entrée du printemps ; dans quelques endroits on les appelle encore de trois mois ou blés trémois, parce qu’ils ne restent guère plus de trois mois en terre.

Toutes ces dénominations tiennent plus aux cantons qu’à la réalité. En Languedoc, par exemple, & dans beaucoup d’autres provinces du royaume, tous les blés sont semés en octobre ou en novembre, & tous les blés y sont barbus, la touzelle exceptée ; si on transporte ces grains dans des provinces éloignées, si on les y sème avant l’hiver, peu à peu ils deviendront ras, & j’ai même observé des touzelles complètement barbues, à demi & au tiers barbues.

La grosseur du grain ne caractérise pas mieux l’espèce. Par exemple, l’auteur de la Maison rustique dit que le grain de la touzelle est plus gros que celui des fromens ordinaires, tandis qu’en Provence, en Languedoc, &c. il est plus petit ; mais ici n’y auroit-il pas confusion de nom ? au moins je le pense. Tout blé ras n’est pas touzelle, & je puis dire que j’ai très-peu vu de vraie touzelle dans nos provinces du nord ; ou bien, en supposant que la véritable eût été transportée du midi au septentrion du royaume, elle y a éprouvé des changemens dans la force de son grain, & même dans la couleur, puisque celle du nord n’est pas aussi blanche que celle du midi.

D’après ces observations, il est donc impossible ou du moins très-difficile d’établir une nomenclature exacte des différentes variétés de blés cultivées dans le royaume, puisque celui qui voudroit l’entreprendre seroit obligé de faire venir de trente endroits au moins de chaque province, les espèces de blé qu’on y cultive ; de semer ces espèces & les faire cultiver sous ses yeux, & enfin d’en faire une description exacte ; mais à quoi servira l’exactitude même la plus scrupuleuse dans ce travail, sinon à conclure que telle & telle espèce s’est montrée de telle & telle forme dans le champ de ce particulier ; & le grain qui sera provenu de cette récolte, ne ressemblera presque plus ou plus du tout, après avoir été semé pendant plusieurs années de suite, au blé de l’endroit d’où on l’aura originairement tiré. Il y a plus, semez avant l’hiver ce qu’on appelle blé printanier, & vous verrez la différence que ces trois mois d’hiver auront produite sur la grosseur de ce grain ; & j’ose dire que les blés de mars ou printaniers semés plu-


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sieurs fois de suite avant l’hiver dans de bonnes terres & bien cultivées, reprendroient bientôt la forme & la grosseur des grains de blés hivernaux, puisqu’il est bien démontré qu’une plante qui reste quatre ou cinq mois de plus qu’une autre en terre, y fructifie beaucoup mieux. En effet, quelle différence ne fait-on pas, soit pour la pesanteur, soit pour la grosseur, du grain de l’avoine semée en septembre, ou en janvier, ou en mars, &c. Plus le pays est ou naturellement froid, comme les montagnes, ou chaud, comme nos provinces méridionales, & plus la différence est sensible ; car ces extrêmes se tiennent.

Je ne veux pas dire pour cela qu’il faille également & dans le même temps, semer les blés hivernaux & printaniers ; ces derniers sont des espèces jardinières dégénérées des premières ; on doit donc les traiter suivant leurs besoins actuels, & il est constant que la récolte des blés hivernaux semés au printemps sera mauvaise, parce que l’espèce n’a pas encore pris son caractère fixe de dégénérescence ; mais à la longue elle le prendra, de même que les printaniers redeviendront hivernaux.

M. von-Linné, dans l’énumération des espèces décrites dans la première section, n’a point parlé du blé connu sous les noms de Barbarie ou de Smyrne, ou de miracle, ou d’abondance, & que Bauhin désigne par cette phrase, triticum spicâ multiplici. Il diffère des autres fromens par sa tige plus forte, ses feuilles plus longues, & sur-tout par ses épis rameux, c’est-à-dire, qu’au bas de l’épi général il en sort de nouveaux, au nombre de trois, quatre, & quelquefois jusqu’à six, ce qui forme, pour ainsi dire, une espèce de gerbe. Olivier de Serres, que je cite toujours avec plaisir, dit : « Il produit un grand espi plat, de chacun costé duquel sortent trois ou quatre petits espis avec leur queue courte, faisans ensemble comme un gros bouquet porté par un seul tronc : mais pour sa rareté, le ménasger n’en peut faire état certain, bien que désirable pour son grand rapport. Ce froment a rendu chez moi quarante pour un, semé dans un jardin ; employé en terre commune, douze à quinze. Quant à son service, il fait pain très-bon & fort savoureux, mais non si blanc comme l’autre bled, parce qu’ayant la pelure du grain, qui est assez gros, fort déliée, difficilement peut-il se moudre grossièrement, comme est requis pour faire que le pain soit bien blanc, ains se convertit presque tout en farine, avec peu de son ; tel défaut revenant néanmoins à la commodité du ménage. »

Il est parlé dans les Mémoires de la Société d’Agriculture de Rouen, Tom. I, pag. 123, d’une espèce de blé venu de Silésie. M. Dumenil-Coste, auteur de l’observation, dit : « L’avantage de l’espèce que je propose aujourd’hui n’est point sujet à la nielle, convaincu de ce fait par l’expérience que j’en ai faite en le cultivant. Ce blé est moins sujet à verser, sa paille étant pleine de moelle, elle obéit aux coups de vents, & fléchit comme le jonc. Les Allemands en tirent beaucoup d’utilité ; ils font hacher la paille pendant l’hiver, & ils en nourrissent leurs bestiaux. »


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» L’utilité de ce blé est d’autant plus grande, que la récolte en est plus abondante que celle du blé qu’on cultive ordinairement en France ; il contient plus de farine & fait de très-bon pain, quoiqu’à la vérité la farine soit un peu grumeleuse. »

» Il faut avoir la précaution de faire battre ce blé sur le tonneau, parce qu’il est trop tendre pour souffrir le fléau. »

» La méthode de le cultiver est on ne peut pas plus facile ; il faut le semer de bonne heure dans une terre bien grasse & bien préparée, & mettre un peu plus de semences que pour les autres blés. »

Comme je n’ai jamais vu cette espèce de blé, & que l’auteur ne la décrit point, je ne sais si on peut la rapporter à une de celles qui ont été décrites plus haut.

M. Duhamel, dans son ouvrage intitulé Culture des terres, Tome V, page 440, parle d’un blé connu à Genève sous la dénomination d’abondance, & qui cependant n’est pas le blé de miracle ou de Barbarie ; &, page 138 du même volume, d’un blé d’Espagne dont le grain est dur, transparent comme le riz, & a très-peu de son. Je ne connois ni l’un ni l’autre. Ce dernier seroit-il la touzelle dans son état de perfection ?

Je le répète ; chaque royaume, chaque province, chaque climat a ses espèces particulières & propres au pays. Il n’est pas douteux qu’on ait fait des essais en tous genres en échangeant les semences, & on se sera ensuite déterminé à cultiver celle qui aura constamment le mieux réussi, & se sera le mieux acclimatée.

Le blé méteil n’est point une espèce à part ; on le nomme encore mixture à quart, à moitié, aux trois quarts. C’est un mélange plus ou moins considérable de froment & de seigle, & semé en même temps. (Voyez MÉTEIL) Ce blé est ordinairement destiné à la nourriture du métayer & des gens de la ferme ; & suivant la coutume du pays, les conventions, &c. le froment est plus ou moins chargé de seigle.


CHAPITRE III.

Des Semences.

Section Première.

De la nécessité de changer les semences.

La preuve la plus complète que les fromens cultivés en France sont des espèces jardinières ou du second ordre, est fournie par la nécessité de changer les semences. Cependant quelques auteurs tranchent & disent : cultivez bien votre champ, semez à propos, & vous n’aurez pas besoin de chercher dans les villages voisins des grains pour ensemencer. Malgré cette assertion, l’expérience la plus constante démontre combien il est avantageux de renouveler, au moins tous les trois ans, le blé qu’on veut jeter en terre. Je ne tiens à aucun préjugé sur l’agriculture : quoique j’admette comme bonnes toutes les méthodes suivies dans un canton, je me réserve cependant la liberté de les soumettre à de nouvelles expériences, afin de constater décidément leur mérite ou leur défectuosité, toujours relativement au canton, parce que toutes les fois


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qu’on veut généraliser, on se trompe & on trompe les autres.

J’ose dire que, d’après cette manière de juger, j’ai toujours observé que le même grain semé plusieurs années de suite dans les mêmes champs s’y détériore, même malgré l’avantage des bonnes saisons. Il y a peut-être des exceptions à cette assertion générale, & c’est sans doute ces mêmes exceptions qui ont décidé à regarder comme inutile le changement de semences ; mais en bonne logique, des exceptions ne font pas loi, puisque nulle règle sans exception. Il n’est pas douteux que dans ces cas, que j’admets comme vrais, de nouvelles semences auroient produit du plus beau blé. Il est inutile d’insister plus long-temps sur l’acquisition de nouveaux grains, sur le changement de semences ; puisque c’est un point de fait généralement reçu, non-seulement en agriculture, mais encore dans la pratique constante du jardinage.


Section II.

D’où faut-il tirer les semences ?

Il est constant que telle ou telle espèce de froment se plaît plus dans un terrain que dans un autre ; c’est donc le premier point que le cultivateur doit considérer & connoître. Il est bien difficile qu’un métayer, qu’un propriétaire instruits ne parcourent, pendant que les blés sont sur pié, quelques-unes des paroisses limitrophes à trois ou quatre lieues à la ronde. Dans ces petits voyages il examinera le grain de terre & la nature du blé, & dès qu’il y rencontrera de l’analogie avec son champ & le grain qui y réussit le mieux, il ne doit pas balancer à acheter la quantité de blé qui lui convient, dût-il le payer même un peu plus cher qu’il ne vendra le sien.

Je me garde bien de conseiller de tirer des blés des provinces éloignées : 1°. on ignore la qualité du sol qui les a produits ; 2°. le climat est à coup sûr différent, & par conséquent le grain peut souffrir de cette transition trop subite. (Voyez le mot ESPÈCE) Par exemple, le blé de Barbarie ou de miracle, transporté subitement du midi au nord, y craint l’effet des gelées plus que tous les autres fromens. Afin de ne pas en courir les risques, on a essayé de le semer en même temps que les marsais, & la récolte a manqué ; mais en acclimatant progressivement ce blé, il prospérera tout aussi bien dans nos provinces septentrionales qu’aujourd’hui près de Pézenas, où il est mis en culture réglée. On doit convenir cependant qu’il arrive parfois des transitions heureuses, mais elles sont rares ; & le cultivateur est en général trop pauvre, trop chargé d’impôts, pour s’engager à faire des expériences coûteuses, souvent sans utilité, & plus souvent encore avec perte réelle. C’est aux riches propriétaires des provinces, aux chapitres, aux gens de main-morte, à faire ces essais ; ils deviendront les bienfaiteurs d’un pays dont ils tirent le revenu le plus clair, presque toujours sans avoir semé.

En général, on ne risque jamais rien de prendre des blés dans un pays sur un sol plus maigre que celui où l’on doit semer ; le grain gagne dans ce dernier ; mais si du sol riche on le transporte dans un sol maigre, l’espèce dégénère, parce