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Amborasaha (Pharmacopée malagasy)

Ambarivatrindolo
Rakoto, Boiteau, Mouton, Eléments de pharmacopée malagasy
Amidons
Figure 29 : Amborasaha (Burasaia madagascariensis) : 1. Rameau fleuri ; 2. Inflorescence ; 3. Étamine vue de face ; 4. Fleur épanouie ; 5. Etamine vue de dos ; 6. Fleur en bouton ; 7. Fruit ; 8 et 8' : Endocarpe montrant le condyle et coupe ; 9. Diagramme floral (fleur mâle) ; 10. Coupe de la fleur mâle.
Amborasaha alcaloïdes Pharmacopée malagasy

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Notice 28 - AMBORASAHA



Toutes les espèces du genre Burasaia (Ménispermacées), genre spécial à Madagascar ; au total 5 espèces.

Caractères généraux du genre Burasaia Dupetit-Thouars

Arbres ou arbustes glabres, à feuilles composées de trois folioles, ternées ; feuilles longuement pétiolées ; folioles entières. Fleurs mâles et femelles portées par des pieds différents (plantes dioïques) ; inflorescences en grappes axillaires ; fleurs petites, verdâtres, unisexuées, à périanthe double un peu charnu. Fleurs mâles à 9 sépales dont trois extérieurs plus petits, bractéiformes, 6 pétales courtement onguiculés à la base, 6 étamines libres à filets épais, charnus, à anthères introrses avec des loges connées ; fleurs femelles à périanthe identique à celui des fleurs mâles ; renfermant 6 staminodes et 3 carpelles ellipsoïdes, comprimés sur un de leurs côtés (pourvus d'un stigmate sessile, courtement tronqué. Fruit le plus souvent réduit à une seule drupe (par avortement de deux carpelles sur trois), charnue, ovoïde, à endocarpe cartilagineux, marquée d'une dépression très accusée appelée condyle, portant elle-même des reliefs et des creux ; une seule graine à embryon droit.

Bibliographie : A. Dupetit-Thouars, Genera Nova Madag. (1806), p. 18 ; L. Diels, Menispermaceae, in Engler : Pflanzenreich, IV, fasc. 94, Leipzig, 1910, p. 122-125.

Description des espèces

On décrira en détail l'espèce la plus répandue ; des indications plus sommaires seront données pour les autres espèces :

Burasaia madagascariensis

Burasaia madagascariensis Dupetit-Thouars in Dictionnaire des Sciences Naturelles, V (1805), p. 266 ; De Candolle, Systema, I (1818), p. 514 et Prodromus, I (1824), p. 96 ; Miers, Contrib. Bot., III (1871), pl. 95 ; Diels in Engler, loc. cit. p. 124, fig. 44.

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Noms malagasy : Borasaha Dupetit-Thouars, d'après Diels (en fait, sur l'échantillon récolté par Dupetit-Thouars in Herb. Mus. Paris, on peut lire Burasahia). Chapelier, dans sa lettre du 25 germinal An XII (17 avril 1804) publiée et annotée par G. Fontoynont, Bull. Acad. Malg., VIII (1910), p. 72, l'appelle : Amborasahamaitso (« Ambora-saha-mahitsou ») et signale qu'il ne faut pas le confondre avec l’Ambora appartenant au genre Tambourissa Sonnerat (ce qui n'empêche pas Fontoynont de commettre justement cette erreur dans son commentaire).

Amborasaha est le nom le plus communément usité (cf. n° 2573 SF récolté dans le haut-Sambirano, au sud de Benavony, 1950, sans nom de collecteur ; G. Cours no 4197 de Bemainty dans le massif de Rahobevava, vers 850 mètres d'altitude, 1951 ; Rakoto Jean-de-la-Croix, n° 7700 RN, récolté à Betampona près Tamatave, 1955 ; Alfred Martin n° 6662 RN, à Ambodiriana près Tamatave, 1954, etc.). Mais on relève aussi : Amborasahy (d'après Duran n° 2478 RN à Ambatomanatrafo près Tamatave, 1952); Ambarasaha no 4188 SF à Beandrona près Ambanja, 1951; Alakamisy ou Ralakamisy d'après Boiteau in Herb. Jard. Bot. Tananarive n° 3759 à Analamazaotra, 1939 ; Faritatsy à Mandena près Fort-Dauphin (n° 8176 SF, 1953, sans nom de collecteur) ; Hazondahy (n° 2373 SF de Soanierana-Ivongo, 1949 ; n° 12476 de Tampolo près Fénérive, 1954 ; n° 15174 SF, également de Tampolo, 1955) ; Odiandro d'après Ramanantoavolana, Service de colonisation n° 119 à Analamazaotra, 1919 ; Perrier de la Bâthie n° 1961 de la même localité, 1912 ; nom également constaté à Masse par Boiteau, 1941 ; à Ankarimbelo (Fort-Carnot) d'après n° 6524 SF, 1952 ; Vodihazo à Ivakoany (Manakara) d'après n° 13574, sans nom de collecteur.

Petit arbre à feuillage et écorce des jeunes rameaux d'un vert intense, brillant ; glabre dans toutes ses parties ; fournissant un bois dur, apprécié, coloré en jaune ou vert clair (c'est parce que ce bois est utilisé aux mêmes usages que celui des Tambourissa (Monimiacées) qu'on lui donne en malgache le même nom, mais les deux genres n'ont aucun rapport sur le plan botanique, comme le précisait déjà Chapelier. Feuilles ternées, à pétiole de 7 à 14 centimètres de long ; folioles elles-mêmes pétiolulées (pétiolule de 0,8 à 1,2 centimètre de long), à limbe ovale-oblong ou elliptique, en coin à la base, atténué vers le sommet acuminé (de 15 à 20 centimètres de long et 6 à 8,5 centimètres de large) à nervures primaires au nombre de 4 à 5 paires, arquées-ascendantes, à nervures secondaires et tertiaires peu visibles immergées dans le limbe, brillantes et d'aspect vernissé.

Inflorescences mâles en grappes de 3 à 6 centimètres de long ; fleurs très brièvement pédicellées (pédicelles de 1 à 3 millimètres de long) ; pièces du périanthe toutes épaisses, charnues, assez coriaces, plus pâles et membraneuses sur les bords, les externes ayant l'aspect de bractéoles de 1 millimètre de long et 0,8 millimètre de large ; les médianes elliptiques, plus longues, de 3,5 millimètres de long et de 2 à 2,5 millimètres de large ; les internes (correspondant aux pétales) largement ovales ou suborbiculaires, très brièvement onguiculées à la base, de 3 millimètres de long et 2,5 à 3 millimètres de large ; 6 étamines à filets larges, épais, charnus, égalant à peu près la longueur des anthères.


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Inflorescences femelles également en grappes de 7 à 8 centimètres de long au moment de la floraison, mais accrescentes par la suite et atteignant une vingtaine de centimètres lorsqu'elles sont fructifères ; pédicelle des fleurs femelles de 0,5 à 1,2 centimètre de long, s'allongeant et devenant plus épais (2 centimètres de long) après la formation du fruit.

Périanthe identique à celui des fleurs mâles ; étamines réduites à des staminodes de 2,5 millimètres de long, à anthères atrophiées ou nulles ; carpelles de 2,5 millimètres de long.

Fruit drupacé de 1,8 à 3 centimètres de diamètre, déprimé sur la face correspondant au condyle de l'endocarpe ; d'abord vert, devenant à maturité jaune ou couleur de pêche mûre suivant les expositions.

Arbre des seules forêts primitives, surtout au bord des ruisseaux : côte Est, pentes orientales jusque vers 850-900 mètres d'altitude ; région du Sambirano (Nord-Ouest).

Burasaia gracilis

Burasaia gracilis Decaisne in Arch. Muséum Paris, I (1839), p. 198; Miers, Contrib. Bot., III (1871), p. 48, Pl. 95 ; Diels in Engler, loc. cit.

Noms malagasy : Bernier, qui fut l'un des premiers à récolter à Sainte-Marie des échantillons de l'espèce, l'appelle Tongo-borona. Sur l'échantillon de Chapelier n° 4 (in Herb. Mus. Paris), on peut lire de même Amborasaha-toungou-bourou, c'est-à-dire Amborasaha-tongoborona ; Chapelier le distinguait donc bien de l'espèce précédente.

Les noms d’Ambora (Louvel n° 62 à Tampina, 1925 ; Rakotoniaina sur n° 2207 RN, dans la Réserve Naturelle n° 1, près de Tamatave) et d’Amborasaha (Rakotoniaina sur n° 4410 RN à Ambodiriana près Tamatave ; G. Cours n° 2179, dans le canton d'Ambohijanahary, préfecture d'Ambatondrazaka, vers 1200 mètres d'altitude) sont cependant les plus souvent notés.

Petit arbre différent du précédent par ses feuilles plus petites, mais à pétiole relativement plus long et ses fruits plus petits (1,5 centimètre de long et 1 centimètre de diamètre environ).

Espèce nettement plus rare de la forêt orientale et des pentes orientales jusque vers 1200 à 1300 mètres d'altitude.

Burasaia congesta

Burasaia congesta Decaisne, Arch. Muséum Paris, I (1839), p. 198 ; Diels in Engler, loc. cit.

Espèce également récoltée par Chapelier, mais son échantillon (in Herb. Mus. Paris) ne porte pas de nom vernaculaire. Diels lui attribue les noms d’Ambora-taha (sûrement une mauvaise lecture pour Amborasaha) et « Tuzu-bu-u », d'après Baillon précise-t-il. Nous ne voyons pas à quel nom malagasy pourrait correspondre ce dernier vocable.


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C'est une espèce de la forêt littorale orientale, sur les dunes fixées, le plus souvent réduite à un arbuste. Les racines sont d'un jaune intense sur la coupe. Elles ont une valeur médicinale comparable à celles de B. madagascariensis et sont souvent de récolte plus facile.

Noter que dans l'ouvrage de Boiteau, « Exposition des Simples Plantes Médicinales », Tananarive, 1942, la figure censée représenter cette espèce (Pl. IV, fig. 2) est erronée ; elle ne représente pas un Burasaia.

Burasaia australis

Burasaia australis Scott Elliot in Journal Linnean Soc. (London), XXIX (1891), p. 2 ; Diels in Engler, loc. cit.

Noms malagasy : Faritraty ou Faritsaty (d'après n° 10950 SF récolté à Ampasimena près Fort-Dauphin, sans nom de collecteur).

Cette espèce, beaucoup plus rare que les précédentes, est limitée aux forêts de la côte Sud-Est, aux environs de Fort-Dauphin.

5° Une cinquième espèce, également rare, a été reconnue par R. Capuron : Burasaia nigrescens R. Capuron, manuscrit in Herb. Muséum Paris. Nous ne pensons pas que sa description ait été publiée, aucune révision récente des Ménispermacées de Madagascar n'ayant eu lieu à notre connaissance.

C'est une espèce des forêts d'altitude du centre, généralement connue sous les noms d’Alakamisy, Lakamisy et Odiandro (n° 1024 SF d'Ambatotsipihina près Ambatolampy ; n° 1590 SF de Masse près Périnet, tous deux sans nom de collecteur ; Perrier no 4637 d'Analamazaotra).

Emplois empiriques

Dupetit-Thouars ne dit rien des emplois de son Burasaia. Chapelier, dans la lettre déjà citée, écrit : « Ses feuilles prises en décoction, bain et fumigation passent pour arrêter les pertes de sang qui surviennent aux femmes après les fausses couches ». Dans le chapitre « Ody et Fanafody » des Tantara ny Andriana du R.P. Callet, traduit par Mme B. Dandouau et le Dr M. Fontoynont, in Bull. Acad. Malg., XI (1913), p. 162-163, on parle de l’Amboraraha en tant qu’ody-tadilava.

C'est, semble-t-il, le Capitaine Jeannot, dans une étude intitulée « Les productions végétales naturelles de la région des Betsimisaraka - Betanimena », in Revue des Cultures Coloniales, 5e année, VIII, n° 73 (20 mars 1901), p. 172, qui fait le premier allusion à ses propriétés fébrifuges. Dans la liste des « plantes employées contre les fièvres », il place en tête l’Amborasaha, dont « l'écorce réduite en poudre sert à faire des infusions pour couper la fièvre ». Toutefois, la réputation fébrifuge du Burasaia était certainement antérieure, puisque dans leur Dictionnaire Malgache-Français (1888) les RR. PP. Abinal et Malzac, après avoir identifié l’Ambora à Tambourissa parvifo!ia Baker, écrivaient : « Amborasaha : arbuste fébrifuge ».


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Dans un manuscrit conservé à l'époque dans la bibliothèque personnelle du Dr Fontoynont et soumis à Boiteau pour étude, Ravalinera, considéré comme l'un des lettrés malagasy du début du XXe siècle ayant le mieux connu l'emploi des plantes médicinales locales, signale aussi, en 1909, l’Amborasaha comme l'un des meilleurs fébrifuges locaux (une copie de ce manuscrit et des commentaires de Boiteau est signalée comme existant aux archives de l'I.R.S.M. par R. Pernet in Mémoires Inst. Scient. Madag., série B, VIII, 1957, bibliographie, cote 312).

C'est sur la foi de ces indications qu'après avoir identifié l’Amborasaha aux Burasaia Boiteau proposait en 1939 l'inscription des Burasaia dans la liste des espèces spéciales à Madagascar à étudier pour leurs propriétés fébrifuges (Rapport du 31 décembre 1940 à la Caisse Nationale de la Recherche Scientifique, Paris ; inédit).

Au moment où la pénurie de quinine commença à se faire sentir, M. Pierre Bègue, agriculteur au Grand Tampon, près de Vatomandry, adressait le 31 juillet 1941 une lettre et des échantillons de la plante au Directeur du Service de Santé. L'étude en fut confiée à P. Boiteau. M. Bègue écrivait notamment :

« J'ai l'honneur de vous faire transmettre par M. le Chef du District de Vatomandry un petit colis de racines d'un arbrisseau du nom malgache Ambora.

« Cette racine peut je crois tenir lieu et place de quinine. Les indigènes s'en servent ; moi-même, ayant eu la fièvre et n'ayant pu me procurer de la quinine, je l'ai employée et j'ai eu toute satisfaction.

« Toutes les initiatives étant bonnes maintenant, je viens vous signaler celle-là. Cet arbrisseau pousse spontanément partout dans la brousse ; il n'y a pas à craindre du manque de ce produit ».

Dans une lettre ultérieure datée du 24 août 1941, M. Bègue précisait ainsi le mode d'emploi empirique :

« 1° 100 grammes de racines coupées en lamelles dans un litre d'eau que j'ai fait bouillir et réduire ensuite au 1/4 ;

2° Dosage : une cuillérée à bouche par jour ; « Je vous avoue que la drogue est très amère et pas du tout agréable à prendre à l'état liquide comme je l'ai fait. C'est pourquoi il serait préférable de trouver le moyen de la faire prendre sous une autre forme ».

Bref historique des recherches sur les plantes fébrifuges propres à la flore malagasy

Dès que l'aggravation de la situation internationale, avec le développement du nazisme en Allemagne, fut assez préoccupante pour faire redouter une nouvelle guerre mondiale, P. Boiteau suggéra que des efforts particuliers devraient être faits pour rechercher si, dans les plantes


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propres à Madagascar et réputées fébrifuges, certaines ne seraient pas éventuellement susceptibles de remplacer la quinine en cas de besoin. Alliant les recherches bibliographiques aux enquêtes sur le terrain auprès des empiriques, il recensa quelque 80 espèces réputées fébrifuges et en entreprit l'étude (voir P. Boiteau, Introduction à l'étude des plantes fébrifuges de la Flore Malgache, in Bulletin Soc. Pathol. Exotique, 30 (1937), n° 8, p. 739-741). Les travaux portèrent d'abord sur les Cinchonées de la flore malgache (genres Danais, Schismatoclada et Hymenodyction, très proches des Quinquinas) dans lesquelles on espérait trouver des alcaloïdes voisins de la quinine (voir Bulletin Econ. Madag., 1937, 2e sem., p. 155-175, 4 Planches hors texte).

Sur la proposition de A. Chevalier et H. Humbert, qui comprirent immédiatement l'importance de ces travaux, la Caisse Nationale de la Recherche Scientifique consentait par lettre du 2 août 1939 une subvention de 5000 francs en vue de l'achat du matériel nécessaire aux recherches chimiques ; cette subvention était notifiée par lettre du Ministre de l'Education Nationale qui chargeait officiellement P. Boiteau des recherches sur les éventuels fébrifuges de la flore malagasy.

Mais la guerre et la mobilisation survenaient. Boiteau dut rallier sans délai le port de Marseille (il préparait au cours d'un bref séjour en France, le seul « repos » qu'il ait pu prendre entre 1932 et 1946, une thèse d'Ingénieur-Docteur). N'ayant pas encore perçu la subvention qui ne devait lui parvenir qu'en 1940 par le canal du Ministère des Colonies et du Trésor de Madagascar, sa femme et lui décidèrent de vendre tout ce qu'ils possédaient pour acheter du matériel chimique avant de retourner à Madagascar. Tout d'abord affecté à son retour à la Batterie d'artillerie de Diégo-Suarez, il fut bientôt chargé de réorganiser la Station agricole du lac Alaotra. Il y entreprit immédiatement l'équipement d'un petit laboratoire construit par G. Cours et isola les premiers produits qui furent immédiatement adressés pour expertise toxicologique et pharmacologique à l'Institut Pasteur de Tananarive (il s'agissait des alcaloïdes du Vahivoraka, Cissampelos Pareira L.). Quelques jours plus tard, il recevait une lettre n° 161 A.P. du 11 juin 1940 lui enjoignant de suspendre ses travaux de laboratoire.

Devant ces mesures que rien ne justifiait, P. Boiteau écrivait le 19 juin 1940 au Gouverneur Général :

« J'aurais compris qu'une telle mesure puisse être prise si l'on m'avait reproché auparavant une négligence quelconque imputable à la perte de temps employé à mes recherches. Mais aucun reproche de cet ordre ne m'a été adressé et je ne pense pas qu'un seul fait puisse être rapporté dans ce sens, car je fournis une somme de travail et un nombre d'heures de présence qui dépassent largement mes obligations administratives, comme pourront vous en témoigner tous ceux qui m'approchent. « Je me permets d'attirer votre attention sur les conséquences très graves qu'aurait pour la Grande Ile l'abandon de la prophylaxie antipaludéenne si nous venions à manquer de quinine. Sans vouloir rien


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présumer du résultat possible de mes recherches, je suppose que vous penserez comme moi que rien ne doit être négligé pour sauver les milliers d'êtres qui pourraient succomber faute de médicaments.

« C'est devant l'importance de ces faits que je me vois dans l'obligation de faire appel à votre haute autorité. Je ne sollicite aucune aide de la colonie, mais j'attends de votre haute bienveillance la confirmation des ordres que Monsieur le Ministre de l'Education Nationale a bien voulu me donner l'an passé ».

A la suite de cette lettre, P. Boiteau fut rappelé à Tananarive, où il construisit un nouveau laboratoire (Laboratoire de Chimie Végétale de Tsimbazaza) pour la poursuite des travaux sur les fébrifuges.

C'est alors, devant l'absence ou la très faible teneur en alcaloïdes des Cinchonées malagasy, qu'on s'orienta vers le Burasaia. Le rapport du 31 décembre 1940, intitulé « Rapport sur les travaux effectués au moyen de la subvention concédée à M. Boiteau Pierre sur les fonds de la Caisse Nationale de la Recherche scientifique » (inédit), expose les raisons de cette nouvelle orientation des travaux.

Les oppositions administratives n'étaient pourtant pas levées pour autant. En 1941, dans le cadre de la prétendue « Semaine Impériale », P. Boiteau était sollicité de prendre la parole à Radio-Tananarive sur ses travaux. Il accepta sous réserve qu'il parlerait en direct et n'aurait pas à soumettre son texte à une censure préalable. C'est ainsi qu'il put exposer librement les raisons impérieuses des recherches sur les fébrifuges (il savait d'autant mieux qu'elles ne plaisaient pas à tout le monde que la Direction des Affaires Politiques l'avait convoqué pour le mettre en garde contre « les tendances nationalistes qu'encourageaient ses travaux sur les plantes indigènes »). Le texte de la conférence — censuré a posteriori — fut publié sous forme résumée par le journal Lumière de Fianarantsoa, 7e année (1941), n° 303, publication qui valut à P. Boiteau une lettre comminatoire n° 497 D.I.P. du 2 mars 1942 de M. le Chef du Service Général de la Documentation, de l'Information et de la Propagande.

P. Boiteau répondait par lettre n° 133 L.B. du 5 mars 1942 : « Parler de l'évolution économique de Madagascar sans aborder le problème des fébrifuges, c'est construire un édifice en oubliant les fondations, car l'évolution économique est fonction de la main-d'œuvre ; celle-ci est sous la dépendance de la lutte contre la mortalité infantile et donc, en particulier, contre le paludisme.

« Des chiffres cités par M. le Pharmacien Colonel Gastaut, il ressort que la Colonie utilise 4000 kilogrammes de quinine annuellement. C'est là un chiffre notoirement insuffisant, puisqu'il faudrait au moins vingt fois plus : 80000 kilogrammes, pour lutter efficacement contre l'endémie palustre dans tout l'ensemble de Madagascar. Donc, même en temps normal, l'exploitation des fébrifuges locaux serait du plus haut intérêt. « D'autre part, les 4000 kilogrammes de quinine introduits représentent, bon an mal an, une charge annuelle de 4 millions pour le budget de la colonie. On me concédera que l'amortissement d'un


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matériel qui reviendrait au plus à 250000 francs ne représente pas grand chose en face de ce chiffre. C'est pourquoi j'estime l'étude et la production des fébrifuges locaux comme l'une des nécessités les plus urgentes et pourquoi j'ai cru devoir en parler ».

Les travaux sur les fébrifuges locaux rencontraient au contraire les meilleurs encouragements auprès des milieux compétents malagasy. Tout le corps médical malagasy les suivait avec intérêt. On peut s'en convaincre en relisant les commentaires consacrés à ces travaux, par exemple, par le Dr Radaody-Ralarosy in Bulletin Soc. Mutuelle Corps Médical Malgache, 17e année (1941), p. 23, et 18e année (1942), p. 93. Peu à peu, même si les acteurs ne s'en rendaient pas toujours exactement compte, le problème de la production locale de fébrifuges devenait l'une des multiples facettes de ce qu'on est bien obligé d'appeler le mouvement général pour l'indépendance, car celle-ci ne comporte pas que des aspects politiques.

Il sera également indispensable d'évoquer ces aspects du problème à propos des quinquinas (voir les articles : quinquina, Totaquina et quinine (sulfate de).

Dès que les circonstances le permirent, un rapport du 27 novembre 1942 (inédit) fut adressé par P. Boiteau au Comité français de Londres sur l'état d'avancement des travaux sur les fébrifuges. Le professeur Baranger, alors chargé du Centre de Technologie scientifique et Coloniale de Finedon (Grande-Bretagne), relevant de la France Combattante, en accusait réception par télégramme d'Etat du 30 mars 1943 demandant l'envoi de matériaux pour expérimentation.

Grâce au concours désintéressé d'un directeur de société industrielle, J. Verdellet, les importantes installations d'une usine de Soanierana purent être utilisées à la préparation d'extrait total de racine de Burasaia. Près de 100000 tablettes fournies au prix de revient au titre des « produits de remplacement », purent être distribuées gratuitement au Pharmacien Chef des Services Sanitaires de Madagascar, au Service Sanitaire des Forces Françaises Combattantes, au Médecin colonel Wilson, Director of Medical Services de l'East Africa Command, au Dr L. Van Hoof, Chef du Service de l'Hygiène au Congo Belge, au Consul des Etats-Unis, Clifton R. Wharton, pour le compte des services de santé militaires américains, etc.

Ceci dans la période où, le Japon ayant mis la main sur les plus importantes plantations mondiales de Quinquina, la production des fébrifuges était pratiquement suspendue.

Pour ne citer qu'un témoignage, le Général Lelong, chef des Forces Françaises Combattantes pour l'océan Indien, écrivait par lettre n° 12-CAB du 4 janvier 1944 : « Merci beaucoup de votre envoi ; vous nous rendez-là un service inappréciable ».

Mais, comme l'écrivit plus tard A. Resplandy dans la thèse qu'il consacra à l'étude des alcaloïdes du Burasaia (1958) : Le brusque déclin de la quinine supplantée par les médicaments de synthèse semble avoir déterminé momentanément l'abandon des recherches pharmacologiques sur les alcaloïdes du Burasaia ».


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Raisons de l'orientation des recherches vers le Burasaia

Outre la lettre de M. Bègue dont il a été parlé et la facilité de se procurer le matériel végétal nécessaire, d'autres raisons ont motivé le choix du Burasaia, après l'abandon — tout provisoire d'ailleurs — des travaux sur les Cinchonées malagasy :

1° Les premiers alcaloïdes isolés par Boiteau furent ceux de Ménispermacées : le Vahivoraka (dont il sera parlé ultérieurement) et l’Amborasaha. Les alcaloïdes de la seconde plante s'avérèrent moins toxiques et beaucoup mieux tolérés par les animaux d'expérience ;

2° Le principal alcaloïde obtenu du Burasaia, et provisoirement nommé « Burasaïne », se révéla proche de la berbérine. Or celle-ci avait précisément été exploitée en Europe comme fébrifuge : dans « l'Officine » de Dorvault, 17e édit. (1929), p. 470, on peut lire, par exemple : « Le sulfate de berbérine à la dose de 0,80 à 1 gramme est fébrifuge à la façon de la quinine... Le produit dit « Quinoïde Armand » est constitué par l'extrait de Berberis ».

H. Baillon, dans son Traité de Botanique Médicale Phanérogamique (1884), p. 715, écrivait déjà: « L'écorce (de Berberis vulgaris L.) est amère, vantée comme tonique, fébrifuge même ; on attribue ses propriétés à deux alcaloïdes quaternaires : la berbérine et l'oxyacanthine... C'est un extrait de Berberis qui, sous le nom de Quinoïde, a été appliqué au traitement des fièvres intermittentes ».

En 1930 encore, dans sa thèse de Pharmacie, Pierre Hesse, écrivait aussi (p. 40) : « La berbérine est prescrite en thérapeutique aux doses de 0,03 gramme plusieurs fois par jour, comme antipériodique, tonique, spécifique de la malaria et contre certaines fièvres intermittentes ».

Ajoutons que les travaux italiens de T. Lascarato (1899) et de C.B. Inverni (1933), qui n'étaient pas connus à Madagascar à l'époque dont nous parlons, avaient montré que la berbérine agit en provoquant une contraction des cellules de la rate hypertrophiée par le paludisme et une chasse des hématozoaires dans le sang circulant. Aux Indes, au moment même où l'on travaillait à Madagascar sur le Burasaia, Brachmachari montrait in Indian Medical Gazette, 79 (1944), p. 259, qu'on constate une synergie entre la berbérine et la quinine dans le traitement de la malaria.

3° On savait aussi que l'abandon en France du Berberis comme matière première médicinale n'avait pas été dû à une désaffection des praticiens pour les médicaments qui en étaient tirés, mais à l'arrachage systématique de cet arbuste prescrit par le Ministre de l'Agriculture lorsqu'on s'aperçut qu'il était l'hôte intermédiaire abritant la forme oecidienne de la rouille du blé. Ses propriétés pharmacologiques n'étaient donc pas en cause.

4° On ne disposait à Madagascar, à l'époque, d'aucun moyen de tester l'activité des alcaloïdes vis-à-vis d'un agent voisin de l'hématozoaire du paludisme, tel que le paludisme aviaire, par exemple, puisqu'il n'existait pas de souches cultivées de ces parasites. Aussi, force était-il


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de recourir à des observations plus indirectes. Les travaux pharmacodynamiques assez détaillés qui avaient eu lieu sur la berbérine et les bases voisines : palmatine, columbamine, jatrorrhizine (notamment ceux de Biberfeld in Zeitschr. exper. Pathol., 7 (1910), p. 569 ; de Brissemoret et Challamel, Bull. Soc. Thérap., (1920) et de Mercier et Delfaut, C.R. Soc. Biol. (1934), p. 15 et 1039) permettaient de contrôler, avec des moyens accessibles au très modeste équipement des laboratoires de l'époque, sur organes isolés, si l'on enregistrait avec les alcaloïdes du Burasaia une activité analogue ; ce qui fut effectivement le cas.

Recherches chimiques

Les recherches chimiques sur les racines de Burasaia furent entreprises par P. Boiteau en août 1941. On s'efforça d'abord de mettre au point un bon système d'épuisement. Les racines et le bois des Burasaia étant très durs, il faut des broyeurs très puissants pour les réduire en poudre. On fut obligé de les débiter à la scie en fines lamelles avant de procéder au broyage. La poudre obtenue fut percolée pendant vingt-quatre heures par de l'alcool à 95° à chaud, dans un appareil à lixiviation continue de fabrication locale[1]. On obtint ainsi un extrait de couleur jaune-brun qui fut concentré sous-vide pour en chasser l'alcool résiduel.

Il fut constaté que cet extrait précipitait abondamment avec les réactifs de Bouchardat et de Tanret. Le résidu restant dans le percolateur, épuisé à nouveau pendant vingt-quatre heures, ne donnait par contre pratiquement plus de réaction ; on pouvait donc en conclure que les alcaloïdes avaient bien été extraits.

La concentration sous vide fournit un résidu brun-rouge foncé, pâteux, d'aspect sirupeux qu'il est extrêmement difficile d'amener à siccité. Après divers essais infructueux, le procédé retenu consista à incorporer à cette pâte de l'amidon de riz, puis à parfaire la dessication sous vide à basse température. On obtint ainsi un extrait sec, susceptible d'être broyé et réuni en tablettes pour l'expérimentation physiologique, ou, au contraire, d'être repris par un solvant approprié pour l'extraction des alcaloïdes purifiés.

A cet effet, une petite quantité de l'extrait réduit en poudre fut épuisé par l'acétone à chaud (c'était un des rares solvants dont nous disposions en quantités assez considérables puisqu'on commençait à en produire par carbonisation des bois) dans un appareil de Soxhlet. Le liquide brun obtenu fut partiellement décoloré à plusieurs reprises sur charbon activé. Après quoi on précipita les alcaloïdes au sein de cet extrait acétonique en l'additionnant progressivement de petites quantités d'essence ordinaire pour automobiles, bien entendu dans des récipients fermant hermétiquement. On obtint, après décantation et filtration, un précipité impur d'alcaloïdes. On procéda ensuite par cristallisation fractionnée à partir d'un

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  1. Dû aux ateliers du chemin de fer.


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mélange acétone/chloroforme 2 : 1 ; chacune des fractions obtenues était recristallisée dans le méthanol et on réunissait les fractions purifiées ayant un même point de fusion.

La fraction la plus importante ainsi purifiée se présentait sous forme d'aiguilles d'un jaune orangé, de point de fusion élevé, mais impossible à déterminer exactement au bloc (fusion pâteuse). Les cristaux étant aisément solubles dans l'eau, le poids moléculaire approximatif fut établi par cryoscopie et trouvé voisin de 400. C'est à ce corps (la plus abondante des fractions cristallisées obtenues) que fut donné le nom provisoire de « Burasaïne ».

Les travaux de Boiteau firent l'objet d'une communication à l'Académie Malgache (séance du 18 juin 1942) dont on trouve la trace dans les procès-verbaux in Bull. Ac. Malg., Nouv. Série, XXV (1942-1943), p. XXXI, mais dont le texte resta inédit.

Les résultats obtenus furent également consignés dans un rapport qui fut adressé ainsi que des échantillons des divers produits obtenus à la Direction du Service de Santé. Trois chimistes furent chargés de reprendre et vérifier les travaux de Boiteau : Bonnefoy, alors Directeur du Laboratoire de Chimie agricole, le Pharmacien Capitaine Primat, qui dirigeait le Laboratoire de chimie de l'école de Médecine à Befelatànana, et le Pharmacien lieutenant Morel, du Laboratoire de Chimie biologique et de Recherche des Fraudes de l'Institut Pasteur de Tananarive. Nous ignorons ce que furent les travaux de Bonnefoy. Primat déposa son rapport écrit le 24 décembre 1943. Il confirmait la présence d'alcaloïdes à noyau isoquinoléique, identifiés par leurs réactions colorées et leurs points de fusion respectifs, l'un à la berbérine, l'autre à la colombine. Le rapport de Morel fut déposé le 27 décembre 1943. Après épuisement à chaud de la poudre de racine (200 g par l'alcool à 90° (2000 g) additionné de 8 grammes d'acide tartrique et des purifications successives, Morel obtenait : 1° un corps brun fusible à basse température (65° env.), brûlant avec une flamme fuligineuse jaune, d'aspect résineux ; 2° des cristaux blancs, F = 181°, recristallisant en grandes houppes soyeuses incolores de l'alcool à 95° et en grands cristaux « en ailes de moulin » de l'alcool amylique ou de l'acétone, qu'il identifie à la colombine ; 3° un corps cristallisé jaune-rouge, F = 144°, recristallisant en petites aiguilles jaunes, fines, de l'alcool à 95° et en cristaux polyédriques rouges de l'alcool amylique qu'il identifie à la berbérine ; 4° des traces d'un corps brun à point de fusion élevé, F = 280° env. impossible à mesurer exactement. D'un échantillon authentique de poudre de Colombo conservé à la Pharmacie Centrale, traité dans les mêmes conditions, il obtient des produits identiques aux 2° et 3° ci-dessus, la seule différence constatée entre le Colombo et le Burasaia étant quantitative (le Colombo donne d'avantage de cristaux jaune-rouge et moins de cristaux incolores). La Direction du Service de Santé estima qu'il n'y avait pas lieu à publication des divers rapports déposés.

Lors de son retour en France, en 1946, au cours d'un séjour qui ne dura que trois semaines, Boiteau remit un important lot de racines de Burasaia, ainsi que d'autres matériaux pour recherches chimiques, au


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Laboratoire de Chimie Végétale du Muséum (Directeur Professeur Sannié). Ces racines ont fait l'objet de recherches de F. Mathis qui sont également restées inédites (A. Resplandy les cite dans sa thèse, p. 79, référence 94).

Ce n'est en effet que dix ans plus tard que l'étude de Burasaia madagascariensis allait être reprise par A. Resplandy qui lui consacra sa thèse de Doctorat ès Sciences Physiques : « Contribution à l'étude chromatographique des alcaloïdes ; application à l'étude des alcaloides du Burasaia madagascariensis », Paris, 1958, un vol. in-8° de 79 + XI pages. C'est à cet auteur que sont dues nos connaissances essentielles sur la composition du Burasaia. Outre sa thèse, ses travaux ont fait l'objet de deux autres publications :

- Sur les alcaloïdes du Burasaia madagascariensis D.C. in C.R.Ac. Sc., 247 (1958), p. 2428-2431 ;

- Etude des alcaloides du Burasaia madagascariensis, in Mémoires Inst. Scient. Madag., Série B, X (1961), fasc. 1, p. 39-79.

Les Services de l'O.R.S.T.O.M. fournirent à A. Resplandy, non les racines, considérées jusqu'ici comme la partie officinale, mais des branches et rameaux.

Sur ce matériel nouveau et grâce à la mise en œuvre de la chromatographie sur colonne, il put obtenir une bien meilleure séparation des alcaloïdes que les auteurs précédents et poussa beaucoup plus avant leur étude chimique.

Il constata que le bois des branches de Burasaia est à peu près aussi riche que les écorces âgées, ce qui peut être très intéressant pour une exploitation éventuelle.

Il en obtînt :

1° Un corps cristallisant du méthanol en aiguilles brillantes jaune-orangé, perdant lentement leur éclat à l'air tandis que la teinte tourne au jaune foncé, sans point de fusion net, charbonnant vers 240°, dont la formule empirique après déhydratation sous vide poussé fut trouvée en C21 H24 O7 N2, poids moléculaire : 416. Ce corps, probablement identique à la « Burasaïne » de Boiteau, fut identifié au nitrate naturel de la Palmatine.

2° Des aiguilles jaunes se décomposant vers 200-202° qui furent identifiées au chlorure de palmatine.

3° De belles aiguilles orangé-rouge, se décomposant vers 210°, insolubles dans l'éther et le benzène, mais facilement solubles dans l'eau, l'alcool, le chloroforme et l'acétone, obtenues en beaucoup plus faible quantité et qui furent identifiées soit au chlorure de colombamine, soit au chlorure de jatrorrhizine.

4° Un phytostérol, F = 163-164°, de formule empirique C27 H46 O.

5° Une substance non azotée, cristallisant en prismes incolores, F = 191°, qui n'a pas été étudiée plus avant.


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6° Un troisième alcaloïde cristallisant en fines aiguilles incolores; F = 232°, de formule empirique C20 H21 O3 N, présent en très petite quantité et qui n'a pu être étudié.

Les écorces âgées ont fourni les mêmes alcaloïdes que le bois.

Par contre, les écorces de rameaux, encore vertes, ont fourni un alcaloïde différent, incolore, de poids moléculaire nettement inférieur aux précédents.

Il résulte de cette étude que les alcaloïdes de Burasaia madagascariensis sont les mêmes que ceux du Colombo, dont l’Amborasaha peut être considéré comme l'un des meilleurs équivalents malagasy (voir Colombo).

Recherches pharmacologiques, toxicologie

La toxicité chronique de l'extrait total de Burasaia fut étudiée par Boiteau sur de jeunes porcelets de 6 kilogrammes au début de l'expérience, du 29 octobre au 5 décembre 1941, à des doses variant de 54 à 540 milligrammes par jour et par animal. Aucune mort ne survînt et la croissance se poursuivit (poids moyen : 7 kg 600 en fin d'expérience). Seules les doses supérieures à 324 milligrammes provoquèrent de la salivation, un seul cas de vomissement, et fréquemment une polyurie.

La toxicité aiguë par injection intra-veineuse des alcaloïdes isolés fut étudiée par G. Bück sur le Chien (Bulletin d'analyse n° 69 du 31 juillet 1942). L'injection des doses thérapeutiques est parfaitement tolérée ; le seul phénomène enregistré est une salivation plus accentuée au moment de l'injection. A partir de 5 milligrammes par kilogramme d'animal on note une légère baisse de la tension artérielle analogue à celle enregistrée pour les alcaloïdes du Berberis (d'après Raymond-Hamet in C.R. Ac. Sc., 197, (1933), p. 1354-1357) ou pour le chrorhydrate de quinine.

Boiteau a vérifié que les alcaloïdes de Burasaia ont la même activité que ceux du Colombo vis-à-vis du système nerveux central de la Grenouille.

Il a montré que l'extrait total des racines, épuisé de ses alcaloïdes, présente encore une nette action cholérétique comparable à celle des extraits de Boldo dans le test du temps d'élimination de la bromosulfophtaléine.

L'élimination urinaire des alcaloïdes de Burasaia par chromatographie sur papier ou sur couche mince est en outre très facile à suivre, car ils fournissent des spots immédiatement reconnaissables sans coloration à leur intense fluorescence jaune en lumière ultra violette.


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Figure 30 : Alcaloïdes de l'Amborasaha : 1. « Burasaïne » ou nitrate naturel de Palmatine ; 2. Palmatine ; 3. Colombamine ; 4. Jatrorrhizine.

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Essais thérapeutiques

Boiteau ne tarda pas à avoir l'occasion d'expérimenter lui-même les effets de l'extrait de Burasaia. Le 24 février 1943, alors qu'il faisait à l'amphithéâtre de l'Institut d'Hygiène son cours de Biologie cellulaire du P.C.B., il fut pris d'un violent accès de paludisme (température 40°,3). Le Service du Dr Lavergne étant dans le même bâtiment, un examen hématologique immédiatement pratiqué révéla 400 parasites pour 5 champs microscopiques en goutte épaisse et 42 en étalement (Plasmodium falciparum). Un traitement expérimental par l'extrait total de Burasaia fut immédiatement commencé, à raison de 3 grammes par jour, per os, soit une tablette de 0,25 toutes les deux heures. Aucune indisposition qui puisse être attribuée à l'ingestion du médicament ne fut notée. Le 26 février, on n'observait plus que 32 parasites pour 5 champs et 3 en étalement. Le 27 un nouvel accès survenait, avec une température plus basse. On réduisit la dose à 1,5 gramme par jour, de façon à espacer les prises et à faire des mesures d'élimination urinaire. Le 1er mars le nombre des parasites était tombé à 4 pour 5 champs en goutte épaisse et 0 en étalement. Néanmoins le 2 mars, une nouvelle petite poussée fébrile était enregistrée.

Le procès-verbal de cet essai, effectué sous un contrôle médical constant, concluait :

1° Qu'une dose de 3 grammes d'extrait, même chez un malade ayant subi une fatigue intense et présentant un mauvais état général, est d'une innocuité totale ;

2° Que l'élimination est rapide, d'où la nécessité de rapprocher les prises du médicament ;

3° Que l'action cholagogue et diurétique de la drogue est confirmée ;

4° Que l'action spécifique vis-à-vis de l'hématozoaire n'est pas démontrée, mais qu'il existe une présomption sérieuse, bien que l'action semble plus lente que celle de la quinine ou des extraits de Quinquina. Ayant sollicité le concours de plusieurs médecins, Boiteau ne tarda pas à recevoir la réponse favorable du Dr Charles Ranaivo. On trouvera ci-contre la reproduction de sa lettre du 13 avril 1943 dont on ne saurait mieux faire que de reproduire le texte :

« J'ai employé la Burasaïne (il s'agissait en fait d'extrait total de Burasaia et non de « burasaïne », ce qui fut d' ailleurs le cas pour tous les essais thérapeutiques) chez une malade atteinte de paludisme à Plasmodium falciparum que j'ai traitée avec des piqûres de quinine.

« Après six piqûres à 1 gramme par jour, la grosse température était tombée, mais elle continuait à avoir un peu de fièvre quand même : 37°3 le matin et 37°6 le soir pendant une dizaine de jours, avec une congestion du foie.


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« J'ai fait alors six injections d'uroformine — mais après ce traitement cette petite fièvre durait toujours.

« C'est alors que j'ai eu recours à la Burasaïne pendant quinze jours à 4 comprimés par jour (soit 1 g), ce qui a fait complètement disparaître la température et la congestion hépatique et l'état général s'est rapidement amélioré et la malade qui avait maigri beaucoup a pris du poids et des forces.

« Je recommencerais volontiers ce traitement chez d'autres malades si je puis avoir de la Burasaïne qui me paraît dénuée de toute nocivité et, en outre, douée de propriétés toniques manifestes ». Le Dr André Ragot, médecin en chef de la Marine (et depuis lors Médecin-Général), bien que sans affectation officielle à Madagascar, accepta, avec l'accord du Médecin-Commandant Labalme, Médecin-Chef de l'hôpital de Tamatave, d'effectuer des essais dans cet hôpital ; affecté en Tunisie peu de temps après, il fit parvenir à Boiteau les protocoles détaillés et les fiches d'observations des cinq cas qu'il avait pu traiter et établit un rapport sommaire qu'il adressa au Directeur des Services Sanitaires et Médicaux.

Le Dr Ragot nota le premier que, sous l'influence des extraits de Burasaia, les hématozoaires paraissent être chassés dans le sang circulant cependant que la rate diminue de volume ; cette activité paraît liée à une action vaso-constructive sur les vaisseaux irriguant les organes abdominaux. Elle recoupe parfaitement les observations faites en Italie sur la Berbérine (observations inconnues à Madagascar à cette époque) et celles que Brachmachari allait faire l'année suivante aux Indes sur l'efficacité de l'association quinine-berbérine.

Le Médecin-Commandant Boyé avait été l'un des premiers à s'intéresser aux essais du Burasaia. Il avait effectué quelques observations en novembre 1942 et essayé l'extrait total dans un cas de paludisme à P. vivax. Mais, outre les difficultés techniques rencontrées, il ne tarda pas à être l'objet de pressions qui l'amenaient à écrire :

« Je ne voudrais pas cacher — car je la déplore — une autre raison qui m'a non moins gêné : j'ai pu me rendre compte entre temps, depuis nos conversations, que vos recherches sur les plantes médicinales malgaches (ainsi que celles d'autres chercheurs) ne bénéficiaient pas de la confiance des officiels ; j'ai su en particulier que les essais d'un autre médecin, depuis remercié, avaient fait l'objet d'un véritable barrage ».

Ce n'est que par la suite, après son affectation à la Réunion dans une unité relevant du Commandement Supérieur des Troupes de l'Afrique Orientale Française, qu'il réclama à nouveau des extraits de Burasaia, la quinine faisant totalement défaut aux Forces Françaises Libres. Aucun résultat détaillé de ces traitements ne fut communiqué, mais ils firent l'objet d'une lettre de remerciements élogieuse du général commandant supérieur (Général Lelong).


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De même, aucun rapport ne fut fait officiellement sur les essais poutsuivis dans les diverses formations sanitaires de Madagascar.

Les seuls essais thérapeutiques qui firent l'objet d'une publication furent ceux qu'effectua le Dr S. Davidson, R.A.M.C. de l'East Mrica Command. Ces observations ont été publiées dans East Africa Medical journal, 22 (1945), p. 80. Elles ont porté sur 18 cas de malaria traités par 16 comprimés de 0,25 par jour d'extrait total de racine de Burasaia, comparés à 3 cas analogues traités par la quinine.

Dans 17 cas sur 18, une disparition complète des parasites fut constatée sous l'influence du traitement à l'extrait de Burasaia. Un seul cas demeura résistant. Aucun effet nocif ne fut observé au cours des traitements. L'action de la quinine est plus rapide que celle des extraits de Burasaia.

Inactivité vis-à-vis du paludisme aviaire

Les matériaux envoyés au Centre de Technologie Scientifique de la France Combattante à Finedon, extrait total de Burasaia et alcaloïdes isolés, firent l'objet d'un travail de P.M. Baranger, P. Thomas et M.R. Filer. Ils se révélèrent sans activité vis-à-vis du paludisme aviaire (Plasmodium relictum).

Lorsque les Japonais eurent occupé les principaux pays producteurs d'écorce de Quinquina et que les alliés se trouvèrent hors d'état de continuer à produire de la quinine, la très puissante Merck Institution américaine, en même temps qu'elle travaillait activement à la production de substances synthétiques susceptibles d'être utilisées contre le paludisme, consacra une partie des énormes moyens dont elle disposait à une enquête mondiale sur les produits de substitution de la quinine. Environ 600 espèces végétales provenant de nombreux pays furent essayées, dont un certain nombre d'espèces malagasy envoyées par P. Boiteau. Les racines de Burasaia madagascariensis envoyées fournirent 200 grammes d'extrait à partir duquel on prépara une solution chloroformique (méthode décrite). Cet extrait chloroformique représentant 0,82 p. 100 du poids sec peut être considéré comme principalement formé d'alcaloïdes. Il s'est montré inactif à raison de 332 milligrammes par kilogramme sous cutané vis-à-vis de Plasmodium gallinacearum, P. cathemerium et P. lophurae (voir C.F. Spencer, F.R. Koniuszy, E.F. Rogers, J. Shavel Jr, N.R. Easton, E.A. Kaczka, F.A. Kuehl Jr, R.F. Phillips, A. Walti, Christine Malanga et A.O. Seeler, Survey of Plants for antimalarial activity, Lloydia (U.S.A.), 10 (1947), fasc. 3, p. 145-174). Il est vrai, comme les auteurs le faisaient justement observer, que : « The projection of the results of treatment of experimental malarial infections in poultry to the clinical treatment of the malarial infections of man is a difficult one and requires extensive intermediate experimentation ».


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Toutefois, leurs résultats, comme ceux de l'équipe française de Finedon, doivent inciter à la prudence et à ne pas considérer sur des bases trop fragiles que l’amborasaha présente des propriétés spécifiques vis-à-vis de l'hématozoaire du paludisme humain. Il vaut mieux, dans l'état actuel de nos connaissances, ne retenir que ses rôles bien établis, en tant qu'adjuvant du traitement quinique et remède utile dans les séquelles du paludisme.

Indications thérapeutiques et posologie

Les essais qui ont eu lieu dans les années difficiles de la deuxième guerre mondiale ont du moins eu le mérite de démontrer :

1° Que l'extrait total de racines de Burasaia est parfaitement toléré et d'une innocuité bien établie aux doses qu'on peut considérer comme thérapeutiques. L'inscription de cet extrait à la Pharmacopée Malagasy sera donc proposée (voir Extrait d'Amborasaha).

2° Qu'on peut avoir recours aux préparations galéniques de la plante avec profit et sans aucun danger, dans les conditions et les indications précisées ci-dessous.

Les travaux chimiques de A. Resplandy ont montré, d'autre part, que les parties aériennes, troncs, branches et écorces, renferment des alcaloïdes très voisins de ceux du Colombo en proportions extractibles. Ces alcaloïdes pourraient dans l'avenir être associés avec profit à la quinine et aux totaquinas malagasy.

Les indications de l’Amborasaha sont celles du Colombo : c'est un tonique amer et stomachique.

Pour restaurer l'appétit, éviter les états nauséeux, favoriser le fonctionnement de l'appareil digestif, notamment après les accès paludéens, on prescrira :

a. La décoction de racines, préalablement découpées en minces copeaux : 100 grammes pour 1 litre d'eau, à faire réduire à un quart de litre : une ou deux cuillérées à bouche par jour ; une cuillérée à café pour les enfants ;

b. Poudre de racine : 0,50 à 3 grammes par jour pour les adultes. Cette poudre a une action un peu irritante lorsqu'elle est administrée telle quelle ; pour les enfants, on peut en préparer un électuaire avec du miel (0,2 à 0,3 gramme de poudre, suivant l'âge, dans une cuillérée de miel).

c. La teinture au 1/5e préparée comme la teinture de Colombo de l'ancien Codex français pourra être utilisée à la préparation de médicaments composés.


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En ce qui concerne le paludisme

1° Dans la période d'état, surtout lorsqu'on constate une forte splénomégalie, il y a intérêt à associer les alcaloïdes du Burasaia à la quinine ou au totaquina : 0,5 gramme d'alcaloïdes de Burasaia et 1,5 gramme de totaquina ou 1 gramme de sulfate de quinine par jour, de préférence en quatre prises réparties en 24 heures.

Si une congestion hépatique concomitante est constatée, il est préférable de recourir à l'extrait d'amborasaha (voir cette rubrique), plutôt qu'aux alcaloïdes isolés.