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Aloès (Pharmacopée malagasy)

Alkékenge
Rakoto, Boiteau, Mouton, Eléments de pharmacopée malagasy
Amandier
Figure 23 : Aloe divaricata Berger ou Vahotsohy : 1. Port de la plante ; 2. Coupe de l'ovaire ; 3. Fleur épanouie ; 4. Bouton floral.
Figure 24 : Aloe macroclada Baker (Vahombe d'Imerina) : 1. Port de la plante ; 2. Bouton floral ; 3. Fleur épanouie.

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Notice 24 - ALOÈS



Suc épaissi par évaporation provenant du résidu exprimé des feuilles de diverses espèces du genre Aloe (Liliacées).

Nom malagasy : Ditim-bahona.

Description

Ce sont des masses plus ou moins feuilletées, variant du brun clair au brun foncé, avec des reflets plus ou moins jaunâtres ou verdâtres,


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à cassure conchoïdale, brillante ; les lames assez minces en sont translucides, de couleur rougeâtre ou rouge brun. Réduit en poudre, il peut avoir une couleur d'un beau jaune ou, au contraire, plus ou moins verdâtre, suivant les espèces qui le fournissent et son mode de préparation. La saveur en est toujours extrêmement amère.

Réactions d'identité

Délayez 0,50 gramme d'aloès pulvérisé dans 100 millilitres d'eau tiède. Refroidissez sous un courant d'eau et filtrez le liquide après agitation avec 3 à 4 grammes de talc. A 10 millilitres de cette solution, ajoutez 0,2 gramme de borate de sodium (R) et chauffez jusqu'à dissolution. Versez quelques gouttes de cette solution dans un tube à essais rempli d'eau. On observe une fluorescence verte en lumière ultraviolette.

Placez 10 millilitres de la solution précédente dans un tube à essais, ajoutez 1 millilitre de solution aqueuse d'acide périodique (R) à 1 p. 100. Le liquide prend une coloration légèrement rose qui disparaît au bout d'une heure pour faire place à une coloration jaune stable (aloïne), ou rouge groseille et persistant plusieurs heures (barbaloïne).

Préparez une solution d'aloès à 10 p. 100 dans l'alcool à 60°. A l'aide d'une micropipette, soumettez des prises d'essai de 1 à 2 microlitres[1] de cette solution à la chromatographie sur papier par la méthode ascendante avec, comme solvant, le mélange butanol/acide acétique (R). Après développement pendant 18 heures à 20° C, et séchage du chromatogramme à l'air libre, vous observez en lumière ultraviolette pour tous les aloès officinaux une tache rouge brique de Rf voisin de 0,70 correspondant à l'aloïne. Cette tache devient jaune vert fluorescente après pulvérisation d'une solution aqueuse de borate de sodium à 4 p. 100 (R). En lumière ordinaire, la tache d'aloïne apparaît colorée en jaune après pulvérisation d'une solution aqueuse d'hydroxide de sodium à 10 p. 100 (R). La pulvérisation d'une solution aqueuse d'acide périodique (R) à 1 p. 100 fait apparaître une tache rose violacée de Rf voisin de 0,60 lorsqu'il s'agit de barbaloïne.

Essais de l'Aloès officinal

Solubilité : les aloès officinaux doivent être presque entièrement solubles dans l'alcool à 60° et dans l'ammoniaque officinale diluée au 1/10 ;

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  1. 1 microlitre = 1/1000 de millilitre.


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Perte à la dessication : déterminée jusqu'à poids constant, sur une prise d'essai exactement pesée, voisine de 1 gramme, la perte de poids à 100-105° C de l'aloès ne devra pas être supérieure à 10 p. 100 ;

Cendres sulfuriques : Portez au rouge pendant 10 minutes un creuset de silice ou de platine de forme basse. Laissez refroidir dans un dessicateur et tarez. Pesez exactement une prise d'essai pesant environ 1 gramme. Placez-la dans le creuset et imbibez-la avec une quantité suffisante d'acide sulfurique concentré (R) préalablement dilué par un égal volume d'eau — avec les précautions d'usage. Chauffez au bain-marie jusqu'à évaporation à sec, puis à feu nu, d'abord avec précaution pour éviter les projections, puis jusqu'au rouge, sans dépasser 800° C. Maintenez la calcination jusqu'à disparition de toute particule noire ; laissez refroidir ; ajoutez au résidu 5 gouttes d'acide sulfurique (R) dilué au demi ; évaporez et calcinez à nouveau comme précédemment ; laissez refroidir entre chaque pesée dans un dessicateur ; la calcination devra être reprise tant qu'on notera un poids inférieur au poids de cendres préalablement noté. Après obtention du poids constant, calculez le taux de cendres en les rapportant à 100 grammes de substance. On peut utiliser pour la calcination, si l'on en dispose, un four à moufle.

Le taux des cendres sulfuriques de l'aloès officinal ne doit pas être supérieur à 3 p. 100.

Posologie, indications

L'aloès, purgatif drastique susceptible d'entraîner une irritation intestinale et même dans certains cas des hémorragies, ne doit s'employer qu'avec ménagement, sous contrôle médical, sans dépasser les posologies prescrites :

  • Comme stimulant des fonctions gastro-intestinales : 0,05 à 0,15 gramme par jour ;
  • Comme purgatif: 0,15 à 0,75 gramme par jour.

Etant donné son extrême amertume on l'administre le plus souvent en pilules.

Emplois

Si l'usage de l'aloès employé seul tend à disparaître au profit de drogues moins drastiques, il continue, par contre, à entrer dans la préparation de très nombreuses drogues composées parmi lesquelles on peut citer les suivantes :

  • Alcoolat de Fioravanti ;
  • Alcoolat de Garrus ;


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  • Pilules d'aloès et d'extrait de Quinquina ;
  • Pilules d'aloès et de gomme-gutte ;
  • Teinture d'aloès ;
  • Teinture d'aloès composée ;
  • Teinture balsamique, etc.

En Médecine vétérinaire, il entre dans la composition du Bol purgatif. L'aloès est inscrit à presque toutes les pharmacopées : Allemagne, Argentine, Autriche, Belgique, Brésil, Chili, Danemark, Espagne, Etats-Unis, France, Finlande, Grande-Bretagne, Grèce, Hollande, Hongrie, Italie, Japon, Mexique, Norvège, Portugal, Roumanie, Suède, U.R.S.S., Yougoslavie, etc.

Il entre en outre dans la préparation de très nombreuses spécialités pharmaceutiques. Pour ne parler que des spécialités françaises, on trouve, par exemple, de l'aloès dans les suivantes : Asclérine Métadier, Bilaxyl Roland-Marie, Dragées Végétales Rex, Choléo-Combretum Caillaud, Foinolax Maussion, Glucanol Norgan, Grains d'Evian, Grains de Vals, Ideolaxyl Lelong, Lactobyl Lobica, Largocal Phosma, Laxocrinol Reygagne, Laxo-graphithiol R. Fosse, Leptol; Oposylka Dacquin, Perles de Vichy, Permucyl du Docteur Gilbert, Pilules laxatives Delpech, Quinolax Phygiène, Taxol Lobica, Vegelax, Vulcase Brisson, etc.

Le genre Aloe à Madagascar

Le genre Aloe compte une trentaine d'espèces malagasy. Parmi ces nombreuses espèces, trois se sont révélées particulièrement aptes à fournir de l'aloès officinal, à savoir : deux espèces du Sud-Ouest : Aloe divaricata Berger et Aloe Vaombe Decorse et H. Poisson ; et une espèce des Hauts-Plateaux : Aloe macroclada Baker.

On trouvera ci-dessous la description de ces trois espèces ainsi qu'une bibliographie générale concernant le genre Aloe à Madagascar.

Aloe divaricata

Aloe divaricata Berger in Engler, Bot. ]ahrbuch, 36 (1905), p. 64, et in Pflanzenreich, Liliaceae, Aloineae (1908), p. 266, fig. 269 ; H. Perrier de la Bathie in Mém. Soc. Linn. Normandie, 1 (1926) n° 1, p. 20 ; in Humbert, Flore Madag., Liliacées (1938), p. 82 ; Reynolds, les Aloès de Madagascar, loc. cit., p. 128-133, fig. 89, 90, 91,92 et pl. 17.


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(Synonymes : A. Vaotsohy Decorse et H. Poisson, in Recherches sur la Flore Méridionale de Madagascar (1912), p. 96 ; A. Vahontsohy (Decorse) H. Perrier in Humbert, Fl. Mad., p. 82 ; A. Sahundra Bojer in Hortus Mauritianus (1837), p. 345).

Noms malagasy (Mahafaly et Antandroy) : Vahona, Vahotsohy, Vahomafaitra. Le nom de Sahondra cité par Bojer s'applique en réalité à une espèce du centre, Aloe capitata Baker, mais n'est pas usité dans le Sud.

Plante en haut buisson à tiges plus ou moins ramifiées atteignant 2 à 3 mètres de haut. Ramifications surtout dans la partie inférieure et rejets du pied. Dans l'ensemble port érigé, toujours plus haut que large. Tige principale portant une trentaine de feuilles, groupées à son sommet et formant dans leur ensemble une sorte de double hélice plus ou moins régulière qui occupe généralement le mètre supérieur environ ; feuilles engaînantes à la base ; les gaines distantes de 2 à 5 centimètres et non imbriquées ; les vieilles feuilles sèches persistantes en-dessous des feuilles vivantes ; celles-ci ensiformes, de 45 centimètres de long et 7 centimètres de large à la base, progressivement rétrécies jusqu'au sommet obtus ; face inférieure d'un vert gris mat, souvent à reflets rougeâtres, plane vers le bas, canaliculée dans le haut ; face inférieure arrondie, de même couleur que la face supérieure ; rebords munis d'aiguillons deltoïdes, d'un brun rougeâtre, longs de 5 à 6 millimètres, distants de 15 à 20 millimètres en haut de la feuille, plus serrés et plus petits dans le bas ; suc abondant devenant d'un beau jaune d'or après pulvérisation s'il est séché dans de bonnes conditions.

Inflorescence en grande panicule multi-ramifiée, comptant 60 à 80 grappes élémentaires, atteignant 1 mètre de long (une même plante peut porter plusieurs inflorescences).

Hampe plan convexe, de 20 à 25 millimètres d'épaisseur à la base ; grappes élémentaires lâches, de 15 à 20 centimètres de long, comportant une trentaine de fleurs. Chaque fleur pourvue à la base du pédicelle d'une bractée petite, deltoïde, de 4 × 2 millimètres environ, subscarieuse, à trois nervures peu visibles. Pédicelles longs et minces, de 6 millimètres de long et 0,5 millimètre de diamètre.

Périanthe d'un rouge écarlate, atteignant 28 à 30 millimètres de long et 7 millimètres de diamètres à la hauteur de l'ovaire, un peu étranglé au-dessus (diamètre 6 millimètres), puis légèrement incurvé et progressivement évasé ; segments externes libres jusqu'à la base, mais cohérents dans leur tiers inférieur ; à trois nervures peu marquées, subaigues au sommet ; segments internes libres, plus larges que les précédents, carénés sur toute leur longueur, à sommet plus obtus.

Côte Ouest et surtout Sud-Ouest ; province de Tuléar (pays Mahafaly et Antandroy).


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Aloe vaombe

Aloe vaombe Decorse et H. Poisson, Recherches sur la Flore Méridionale de Madagascar (1912), p. 96-97 et pl. XIII ; H. Perrier de la Bathie in Mém. Soc. Linn. Normandie (1926), p. 16, etc.

Nom malagasy : Vahombe (Tandroy).

Grande plante arborescente de 1 à 6 mètres de haut, à stipe toujours droit et simple, atteignant jusqu'à 20 centimètres de diamètre, portant à son sommet une ample rosette de 30 à 40 feuilles densément groupées. Feuilles atteignant 70 centimètres à 1,20 mètre de long, incurvées, de 15 à 20 centimètres de large à la base et 1 à 2 centimètres d'épaisseur, bordées d'aiguillons deltoïdes (6 × 6 millimètres), espacés de 12 à 15 millimètres, fournissant un suc abondant, brun clair, et après séchage un aloès jaune verdâtre après pulvérisation.

Hampes florales au nombre de 2 à 4, paniculées, toujours plus courtes que les feuilles, à pédoncules secondaires égalant la longueur des grappes élémentaires ; ces dernières longues de 14 à 15 centimètres, pourvues de bractées scarieuses, obtuses au sommet, fortement nervées, subégales aux pédicelles ; pédicelles de 10 à 13 millimètres de long.

Périanthe un peu arqué, de 22 à 30 millimètres de long, tronqué à la base, d'un beau rouge pourpre brillant, à divisions concrescentes dans la moitié ou les deux-tiers inférieurs.

Espèce commune dans le Sud-Ouest, de Tuléar à Ambovombe notamment. Introduite et cultivée dans les jardins à Tananarive et dans de nombreux autres pays comme plante décorative (une magnifique photo en couleurs de cette espèce illustre la couverture du dernier ouvrage de Reynolds).

Aloe macroclada

Aloe macroclada Baker, Journ. Linn. Soc. (London), 20 (1883), p. 273 ; H. Perrier in Mém. Soc. Linn. Normandie (1926), p. 46, pl. 7 ; Humbert, Fl. Mad., Liliacées (1938), p. 108 ; Reynolds, Les Aloès de Madagascar (1958), p. 101-106.

Noms malagasy : Vahona, Vahombe (Merina).

Grande plante toujours acaule, solitaire. Feuilles au nombre de 20 à 36, en rosette, arquées ascendantes, largement ensiformes, atténuées de la base au sommet aigu ; de 75 centimètres de long et 15 centimètres de large à la base en moyenne, épaisses de 1 à 2 centimètres. Face supérieure d'un vert tendre sans tache ni dessin, légèrement concave à la base, un peu canaliculée vérs le haut ; face inférieure convexe, semblable


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à la supérieure ; rebords sinués dentés, plus ou moins cornés, munis d'aiguillons deltoïdes piquants, d'un brun orangé vers le haut, plus ternes vers le bas, longs de 3 millimètres et distants de 10 millimètres environ.

Inflorescence simple atteignant 1,75 mètre de haut et parfois jusqu'à 2 mètres. Hampe plan convexe, large de 6 centimètres à la base, épaisse de 3 centimètres, d'un brun pruineux, à nombreuses bractées stériles dont les plus basses mesurent 20 millimètres de long, 35 millimètres de large, et sont minces, scarieuses, multi-nervées, plus petites vers le haut.

Fleurs subsessiles, groupées très densément autour du sommet de la hampe en un grand épi cylindrique, long de 60 à 75 centimètres et de 6 à 7 centimètres de diamètre ; les fleurs disposées horizontalement et s'ouvrant d'abord du côté ensoleillé. Chaque fleur portant à la base une bractée ovale, aiguë ou cuspidée au sommet, longue de 10 millimètres et large de 7 millimètres, mince, scarieuse, à 5 nervures longitudinales subparallèles. Pédicelles courts et épais (4 mm de long et 3 mm de diamètre).

Périanthe campanulé, rouge pâle à l'intérieur, extérieurement verdâtre, long de 20 à 2 5 millimètres, à segments externes libres jusqu'à la base, à 5 nervures sur toute leur longueur, révolutés au sommet en fin de floraison ; les 3 segments internes libres, plus larges que les externes, carénés, à sommet plus obtus. Etamines à filet jaune citron et anthères rouge-orangé, longues de 10 millimètres.

Tout le centre de Madagascar (Imerina et Betsileo).

Bibliographie botanique

On pourra consulter sur les Aloe de Madagascar les ouvrages suivants :

  • Berger in Engler, Pflanzenfamilien, Liliaceae, Aloinae (1908).
  • H. Perrier de la Bâthie, Les Lomatophyllum et les Aloe de Madagascar, Mémoires Soc. Linnéenne de Normandie, I (1926), fasc. 1.
  • H. Perrier de la Bâthie in Humbert, Flore de Madagascar, Liliacées (1938), p. 77-112.
  • G.-W. Reynolds, Les Aloès de Madagascar, in Le Naturaliste Malgache (Tananarive), volume hors série, supplément au tome X (1958), 156 pages.
  • G.-W. Reynols, The Aloes of Tropical Africa and Madagascar, Mbabane (Swaziland), 1966 ; magnifique ouvrage illustré de 537 pages (photos en couleurs de nombreuses espèces malagasy).


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Observation

Les Européens donnent souvent improprement à Tananarive les noms d'« aloès » ou « aloès vert » aux Agaves et Fourcroea, plantes à feuilles charnues appartenant à la famille des Amaryllidacées et non aux Liliacées comme les vrais Aloe. Les Tananariviens ont forgé à cette image le mot aloesy, alors que le véritable nom malagasy de ces plantes est Taretra.

Il importe de ne pas les confondre avec les Aloe parce que leur composition chimique est totalement différente. Ils renferment des saponines à génine stérolique qui rendent leur suc irritant et vésicant.

Les genres Agave et Fourcroea se reconnaissent à leurs fleurs à ovaire infère (alors que l'ovaire des Aloe est supère). De plus, même s'ils sont sans fleurs, leurs feuilles renferment de nombreuses fibres qui les distinguent immédiatement des feuilles charnues et sans fibres des Aloe (nous parlerons des propriétés des agaves à propos du sisal ; voir Sisal).

Production

L'intérêt qu'il y aurait à exploiter les importants peuplements naturels des espèces déctites ci-dessus a été signalé depuis fort longtemps.

Le premier à s'y intéresser fut, semble-t-il, Walter Hamond, chirurgien de la Compagnie anglaise des Indes. Dans un ouvrage intitulé « Madagascar, l'Ile la plus riche et la plus fertile du Monde », publié à Londres en 1643 et dont A. Grandidier a donné la traduction dans ses « Ouvrages anciens concernant Madagascar », tome II, p. 61 et suivantes, W. Hamond raconte comment il fit préparer à la baie de Saint-Augustin le premier aloès médicinal en provenance de Madagascar. Ce produit fut vendu à titre d'essai chez Sadler, droguiste à Buckelsbury, l'un des experts de l'époque en matière d'aloès, et passa pour supérieur à l'aloès de Socotra, considéré pourtant à l'époque comme le premier du Monde.

De nombreuses tentatives sans succès eurent lieu par la suite pour tenter d'intéresser les habitants du Sud-Ouest à cette exploitation. Les bateaux anglais et hollandais faisaient alors couramment relâche près de l'actuelle ville de Tuléar et auraient été intéressés d'y trouver, outre leurs approvisionnements en vivres, du fret d'un prix élevé, ce qui, à cette époque, était le cas pour l'aloès. On se préoccupa aussi d'introduire à l'île Maurice les espèces malagasy productrices d'aloès. C'est ainsi que Bojer, dans son Hortus Mauritianus (1837), rapporte la culture dans cette île d'un Aloe provenant de la région du Sud-Ouest de Madagascar que Reynolds pense pouvoir identifier à Aloe divaricata Berg.

Après la colonisation française, de nouvelles tentatives devaient avoir lieu. Le Dr Decorse (Notes, Reconnaissances et Explorations, 4e année, VI, no 32 (31 décembre 1900), p. 621-623) s'intéressa à l'éventuelle production de l'aloès dans la région de Tuléar. C'est lui qui signala que les deux espèces les plus intéressantes à cet égard seraient A. divaricata, qu'il dénomme Vahotsohy de son nom malagasy, et A. Vaombe, qu'il est


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le premier à décrire. Il fit préparer des échantillons de ces produits. Ceux-ci furent étudiés par le pharmacien Kerebel dont les conclusions sont rapportées dans le même numéro de la revue (p. 624-626). Ces aloès, d'après Kerebel, étaient parfaitement conformes aux exigences de la Pharmacopée française. Cependant, on continua à acheter la drogue à d'autres pays .

R. Decary revint sur la question in Bull. Economique Madagascar, 18 (1921), no 1, p. 25, montrant l'intérêt économique que pourrait présenter une telle production pour une région relativement pauvre.

Pendant la dernière guerre mondiale, une petite exploitation d’A. divaricata fut entreprise sous la direction de P. Boiteau et l'aloès ainsi obtenu fut étudié par le Dr Charnot (voir à ce sujet P. Boiteau, Les aloès de Madagascar et leur valeur officinale, in 8e et 9e Rapports Annuels de la Société des Amis du Parc Botanique et Zoologique de Tananarive, Tananarive (1947), Impr. Pitot de la Beaujardière, p. 68 ; Dr. Charnot, Etude sur le suc d'Aloe divaricata Berg., même rapport, p. 69-71). On fit également à l'époque des essais d'extraction à partir de l’Aloe macroclada Bak.

Ces derniers essais ont été repris en 1966 à l'Institut Malgache de Recherches Appliquées par P. Boiteau et S. Rasamoelson. Les récoltes furent effectuées à cet effet à Ambohimalazabe près de Tananarive.

Technologie

Les feuilles charnues des Aloe sont coupées au couteau. Elles pèsent en moyenne à l'état frais 250 grammes pour A. divaricata et 750 grammes chez A. Vaombe et A. macroclada. L'essentiel est de ne pas laisser fermenter ces feuilles après la récolte. On les achemine aussitôt que possible vers un petit atelier (qui peut être mobile) où elles sont découpées en tranches minces, soit au couteau à main, soit avec un appareil rotatif mu à la main ou avec un petit moteur, du type coupe-racines. Les tranches ainsi obtenues sont placées dans un petit pressoir à vis. On construit en France des « pressoirs de ménage », d'une capacité de 5 à 20 litres, qui conviennent parfaitement pour un tel travail. On exprime le jus aussi complètement que possible.

Ce jus frais est brun, visqueux, de saveur amère. Il est recueilli dans des bacs en métal ou en matière plastique, de forme très basse, de façon à ce que le liquide s'étale en couche mince (2 cm environ). On fait ensuite évaporer ; dans la région de Tuléar, une simple exposition des bacs au soleil suffit pour obtenir une évaporation rapide ; sur les Hauts-Plateaux, il vaut mieux disposer d'un séchoir à air chaud du type employé en féculerie.

Si le découpage des feuilles et l'expression des jus sont réalisés sur un véhicule équipé en vue de ce travail, le jus est stocké dans des dames-jeannes et transporté en fin de journée vers le séchoir. Il faut éviter de le laisser séjourner en transit plus de 24 heures.


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Le rendement, suivant les modalités de traitement, est de 14 à 20 grammes d'aloès officinal marchand pour 1 kilogramme de feuilles mises en œuvre.

Comme on le voit, cette méthode de production est de caractère tout à fait artisanal et n'exige que des investissements modestes. Elle se prête bien à une organisation dans le cadre de collectivités villageoises qui pourraient récolter les feuilles à la main (opération qui exige une main-d'œuvre assez considérable), procéder à l'entretien et à l'extension des peuplements, etc., et seraient rétribuées au prorata du poids de feuilles fourni.

Caractères propres de l'aloès préparé à Madagascar

Les travaux du Dr Charnot sur l'aloès produit à partir d’A. divaricata ont montré qu'il renferme 0,365 p. 100 d'émodine (ce qui le place au voisinage immédiat des aloès du Cap et de Curaçao) ; 1,60 p. 100 d'aloïne ; 0,366 p. 100 de résinotannols ; 8,379 p. 100 de substances résineuses dont il serait très intéressant de pousser l'étude plus avant, et enfin 0,094 p. 100 d'une essence d'odeur agréable, dans laquelle la présence d'eugénol a été décelée.

Ce dernier caractère donne un intérêt tout particulier à l'aloès extrait d’A. divaricata, caractère que nous n'avons pas retrouvé chez A. Vaombe, ni chez A. macroclada. Ceux-ci, en effet, comme c'est le cas pour l'aloès du Cap, renferment aussi des essences, mais celles-ci sont dépourvues d'eugénol et d'odeur plutôt désagréable.

Considérations commerciales

On peut s'étonner, compte tenu des données favorables énumérées ci-dessus, que la production d'aloès officinal ne se soit pas développée à Madagascar.

Il faut probablement l'imputer à trois raisons, d'ailleurs d'inégale importance :

1° Les peuplements des diverses espèces d’Aloe n'atteignent jamais à Madagascar la densité que présentent certains peuplements d'Afrique du Sud.

Reynolds, qui connaît très bien les deux régions, écrivait ainsi (loc. cit. (1958), p. 139) : « A. Vaombe est au sud de Madagascar ce qu'est A.ferox Mill. à de nombreuses régions de la partie orientale de la province du Cap en Mrique du Sud, mais A. ferox est beaucoup plus abondant et couvre parfois des collines entières, ce que A. Vaombe ne fait point ».

Comme nous l'avons dit, la densité des peuplements pourrait facilement être rendue comparable à celle d'Afrique du Sud, si les collectivités intéressées favorisaient par quelques travaux la dissémination de la plante et l'entretien des peuplements naturels.


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2° Un obstacle plus sérieux vient du fait que les populations essentiellement pastorales du Sud-Ouest — d'ailleurs fort clairsemées — ne seront peut-être pas en état de fournir une main-d'œuvre suffisante pour une telle production. Il semble cependant que quelques localités urbaines sont en état de fournir la main-d'œuvre salariée ou artisanale nécessaire à une exploitation qui, dans l'état actuel de la production à envisager, serait d'ailleurs peu nombreuse.

3° Obstacle plus considérable encore sans doute, et plus difficile à surmonter : le marché mondial de l'aloès officinal est centralisé à Londres depuis plus de trois siècles. La production des pays francophones y est forcément défavorisée et il sera sans doute assez difficile à Madagascar d'y faire sa place.

Conclusion

Etant données ces diverses circonstances, il paraît sage de n'envisager tout d'abord qu'une petite production artisanale répondant aux besoins locaux. En s'efforçant de donner à cette production un caractère de qualité, il sera alors possible de prospecter les débouchés extérieurs possibles. La France, par exemple, importe à l'heure actuelle tout l'aloès officinal qu'elle consomme d'Afrique du Sud et de Zanzibar : peut-être serait-il possible de convaincre ses importateurs qu'ils ont intérêt à s'adresser à un pays de la zone franc si celui-ci, à qualité égale, offre des prix compétitifs.

Une fois les débouchés extérieurs trouvés, l'extension d'une telle industrie artisanale, avec le concours des collectivités villageoises intéressées, ne devrait pas poser de problèmes étant donné le prix très modique des équipements à envisager.