Bonnet, 1897 : Différence entre versions

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plantes de Virgile ; l'un des derniers et des plus érudits, Bubani, après avoir d'abord identifié (''Flora Virgil.'' 91) les Faselus et Faseolus avec notre Haricot nain, rejette cette détermination ; de même que celle de la Féverolle (''Faba vulgaris'' Mœnch var. ''equina'') qui lui avait été proposée par M. Naudin (''Illustr.  ulter.'' 141), et se décide définitivement (''Ultime note'' 4) pour le Pois de champs (''Pisum arvense'' L.) ; aucune de ces deux dernières assimilations n'est nouvelle, car on les trouve déjà l'une et l'autre chez les auteurs du XVIe siècle.
 
plantes de Virgile ; l'un des derniers et des plus érudits, Bubani, après avoir d'abord identifié (''Flora Virgil.'' 91) les Faselus et Faseolus avec notre Haricot nain, rejette cette détermination ; de même que celle de la Féverolle (''Faba vulgaris'' Mœnch var. ''equina'') qui lui avait été proposée par M. Naudin (''Illustr.  ulter.'' 141), et se décide définitivement (''Ultime note'' 4) pour le Pois de champs (''Pisum arvense'' L.) ; aucune de ces deux dernières assimilations n'est nouvelle, car on les trouve déjà l'une et l'autre chez les auteurs du XVIe siècle.
Dans un important mémoire consacré à l'étude des plantes de Pompéi et d'Herculanum (Illustr. delle piante... etc... 27), M. Comes, professeur à l'École d'agriculture de Portici, croit avec M. Naudin que le Faselus des Latins est la Féverolle dont les graines ont été souvent recueillies dans les ruines des deux cités antiques ; notons encore, mais sans en tirer aucune conclusion, que la Féverolle et la Jarosse (Lathyrus Cicera) sont les seules graines de Légumineuses alimentaires trouvées à Pompéi et à Herculanum.
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Dans un important mémoire consacré à l'étude des plantes de Pompéi et d'Herculanum (''Illustr. delle piante...'' etc... 27), M. Comes, professeur à l'École d'agriculture de Portici, croit avec M. Naudin que le Faselus des Latins est la Féverolle dont les graines ont été souvent recueillies dans les ruines des deux cités antiques ; notons encore, mais sans en tirer aucune conclusion, que la Féverolle et la Jarosse (''Lathyrus Cicera'') sont les seules graines de Légumineuses alimentaires trouvées à Pompéi et à Herculanum.
Pline, compilateur sans critique et traducteur infidèle, recommande (Hist. nat. lib. XVIII, cap. 33) de cueillir les légumes du Faseolus dès la maturité, parce qu'ils se détachent et tombent promptement, puis se cachent dans la terre comme ceux du Lupin ; il ajoute, d'accord en cela avec Columelle et Palladius, qu'il faut semer les faseoli depuis les ides (15) d'octobre jusqu'au calendes (1er) de novembre ; Palladius reporte même le début des semailles jusqu'en septembre ; ces dates, comme l'ont déjà fait observer Fée (Comm. sur Pline II, 161) et M. Naudin (ap. Bubani, op. laud.), ne peuvent convenir au Haricot,  même sous le climat de l'Italie, étant donné que les Romains ne connaissaient pas nos procédés de culture perfectionnée et semaient leur faseolus en plein champ. J'ajouterai, comme terme de comparaison, qu'à l'île de Lesbos, patrie de Théophraste, on sème, d'après M. Candargy, le Phaseolus vulgaris seulement dans les premiers jours de mars et qu'à Casablanca, localité la plus favorisée de la côte occidentale du Maroc, M. Mellerio n'a jamais obtenu de germination lorsqu'il a semé le Haricot avant le 1er février.
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Pline, compilateur sans critique et traducteur infidèle, recommande (''Hist. nat.'' lib. XVIII, cap. 33) de cueillir les légumes du Faseolus dès la maturité, parce qu'ils se détachent et tombent promptement, puis se cachent dans la terre comme ceux du Lupin ; il ajoute, d'accord en cela avec Columelle et Palladius, qu'il faut semer les faseoli depuis les ides (15) d'octobre jusqu'au calendes (1er) de novembre ; Palladius reporte même le début des semailles jusqu'en septembre ; ces dates, comme l'ont déjà fait observer Fée (''Comm. sur Pline'' II, 161) et M. Naudin (ap. Bubani, ''op. laud.''), ne peuvent convenir au Haricot,  même sous le climat de l'Italie, étant donné que les Romains ne connaissaient pas nos procédés de culture perfectionnée et semaient leur faseolus en plein champ. J'ajouterai, comme terme de comparaison, qu'à l'île de Lesbos, patrie de Théophraste, on sème, d'après M. Candargy, le Phaseolus vulgaris seulement dans les premiers jours de mars et qu'à Casablanca, localité la plus favorisée de la côte occidentale du Maroc, M. Mellerio n'a jamais obtenu de germination lorsqu'il a semé le Haricot avant le 1er février.
 
Une autre objection que j'opposerai à l'identité du Faseolus latin avec notre Haricot, c'est que les Romains ne l'utilisaient
 
Une autre objection que j'opposerai à l'identité du Faseolus latin avec notre Haricot, c'est que les Romains ne l'utilisaient
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pas comme légume sec ; on peut consulter sur ce point d'histoire culinaire le traité d'Apicius, De re coquinaria : on y trouvera des recettes pour accommoder les pois, les fèves, les lentilles, les lupins, etc., voire même la formule de certains mets dans  la composition desquels entraient des fruits sauvages que les  enfants de nos campagnes dédaignent aujourd'hui, comme les baies de Sureau ou les drupes de Gattilier, mais il n'y est point question des faseoli en grains ; ce légume n'était consommé qu'à  l'état de conserve, c'est-à-dire avec sa cosse après avoir été macéré dans la saumure avec des condiments variés.
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pas comme légume sec ; on peut consulter sur ce point d'histoire culinaire le traité d'Apicius, ''De re coquinaria'' : on y trouvera des recettes pour accommoder les pois, les fèves, les lentilles, les lupins, etc., voire même la formule de certains mets dans  la composition desquels entraient des fruits sauvages que les  enfants de nos campagnes dédaignent aujourd'hui, comme les baies de Sureau ou les drupes de Gattilier, mais il n'y est point question des faseoli en grains ; ce légume n'était consommé qu'à  l'état de conserve, c'est-à-dire avec sa cosse après avoir été macéré dans la saumure avec des condiments variés.
 
Un dernier argument qui doit, à mon avis, faire rejeter toute assimilation entre Faselus ou Faseolus des anciens et Phaseolus des modernes, c'est que notre Haricot, comme je vais le démontrer, n'a pas été connu pendant tout le moyen âge et jusqu'à la fin du XVe siècle ; or il est inadmissible qu'un légume commun  à l'époque romaine, ait pu tomber ensuite dans l'oubli, pendant  plusieurs siècles, pour ne reparaître, avec tous les caractères d'une nouveauté, qu'après la découverte de l'Amérique.
 
Un dernier argument qui doit, à mon avis, faire rejeter toute assimilation entre Faselus ou Faseolus des anciens et Phaseolus des modernes, c'est que notre Haricot, comme je vais le démontrer, n'a pas été connu pendant tout le moyen âge et jusqu'à la fin du XVe siècle ; or il est inadmissible qu'un légume commun  à l'époque romaine, ait pu tomber ensuite dans l'oubli, pendant  plusieurs siècles, pour ne reparaître, avec tous les caractères d'une nouveauté, qu'après la découverte de l'Amérique.
(A suivre.)
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(A suivre.)
Deuxième partie: 35-39
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=== Deuxième partie : pp. 35-39 ===
 
(Suite.)
 
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Avant d'étudier les principaux documents que nous a transmis le moyen âge sur la question très limitée qui nous occupe, constatons tout d'abord qu'il n'est pas fait mention du Faseolus dans trois traités versifiés qui ont joui d'une grande vogue jusque vers le milieu du XVIe siècle ; ce sont : le De virtutibus herbarum du Pseudo-Macer, l'Hortulus de W. Strabo et enfin les règles diététiques connues sous le nom de Regimen sanitatis Scholæ Salerni.
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Avant d'étudier les principaux documents que nous a transmis le moyen âge sur la question très limitée qui nous occupe, constatons tout d'abord qu'il n'est pas fait mention du Faseolus dans trois traités versifiés qui ont joui d'une grande vogue jusque vers le milieu du XVIe siècle ; ce sont : le ''De virtutibus herbarum'' du Pseudo-Macer, l'''Hortulus'' de W. Strabo et enfin les règles diététiques connues sous le nom de ''Regimen sanitatis Scholæ Salerni''.
Parmi les plantes que Charlemagne recommande de cultiver dans ses fermes impériales, figure un Fasiolus identifié par la  plupart des botanistes avec notre Phaseolus ; mais M. Rostafinski, dans sa magistrale étude sur le Capitulaire de villis et curtis (1), a démontré que la Légumineuse citée par Charlemagne ne pouvait être notre Haricot et qu'il s'agissait tout simplement du Lathyrus sativus L. ; c'est également à la Gesse que M. Rostafinski rapporte le Faseolus cultivé, vers la même époque, par les moines de Saint-Gall dans les jardins de leur monastère.
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Parmi les plantes que Charlemagne recommande de cultiver dans ses fermes impériales, figure un Fasiolus identifié par la  plupart des botanistes avec notre Phaseolus ; mais M. Rostafinski, dans sa magistrale étude sur le ''Capitulaire de villis et curtis'' (1), a démontré que la Légumineuse citée par Charlemagne ne pouvait être notre Haricot et qu'il s'agissait tout simplement du ''Lathyrus sativus'' L. ; c'est également à la Gesse que M. Rostafinski rapporte le Faseolus cultivé, vers la même époque, par les moines de Saint-Gall dans les jardins de leur monastère.
Sainte Hildegarde, abbesse de Saint-Rupert près Bingen, dans ses Libri Physicæ écrits au XIIe siècle pour l'instruction des nonnes de son couvent, désigne sous le nom de Vigbona ou Vichbona, une Légumineuse que l'on a déterminée Phaseolus vulgaris par simple analogie avec la dénomination allemande du Haricot : Welschbohne, tandis que M. Descemet, dans son  travail sur la nomenclature botanique de Sainte Hildegarde, réunit (2) le Vigbona de la célèbre abbesse au Lupin blanc (Lupinus albus L.) des modernes.
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Sainte Hildegarde, abbesse de Saint-Rupert près Bingen, dans ses ''Libri Physicæ'' écrits au XIIe siècle pour l'instruction des nonnes de son couvent, désigne sous le nom de Vigbona ou Vichbona, une Légumineuse que l'on a déterminée Phaseolus vulgaris par simple analogie avec la dénomination allemande du Haricot : Welschbohne, tandis que M. Descemet, dans son  travail sur la nomenclature botanique de Sainte Hildegarde, réunit (2) le Vigbona de la célèbre abbesse au Lupin blanc (''Lupinus albus'' L.) des modernes.
Il n'est pas possible de savoir exactement quel est le Faselus dont parle, probablement sans l'avoir vu, Vincent de Beauvais dans son Speculum naturale, la description qu'il en donne
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Il n'est pas possible de savoir exactement quel est le Faselus dont parle, probablement sans l'avoir vu, Vincent de Beauvais dans son ''Speculum naturale'', la description qu'il en donne
1. De plantis quæ in Capitulari Caroli Magni commemorantur, dans les Mém. de l'Acad. polonaise de Cracovie, XI, 1885.
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1. ''De plantis quæ in Capitulari Caroli Magni commemorantur'', dans les ''Mém. de l'Acad. polonaise de Cracovie'', XI, 1885.
2. In Nuovi Lincei, I, 1884.
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2. In ''Nuovi Lincei'', I, 1884.
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n'étant qu'une mauvaise compilation empruntée à quatre auteurs différents : Isidore de Séville, Palladius, Isaac Judaeus et Avicenne.
 
n'étant qu'une mauvaise compilation empruntée à quatre auteurs différents : Isidore de Séville, Palladius, Isaac Judaeus et Avicenne.
Albert le Grand, contemporain de Vincent de Beauvais et comme lui moine dominicain, a écrit un traité De vegetabilibus qui possède le mérite, rare à cette époque, de ne pas être une copie servile des anciens et de contenir quelques observations  personnelles ; aussi reconnaît-on facilement le Dolique à œil noir dans le Faseolus dont Albert le Grand décrit ainsi les graines : "Sunt faseoli multorum colorum sed quod libet granorum habet maculam nigram in loco coiyledonis."
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Albert le Grand, contemporain de Vincent de Beauvais et comme lui moine dominicain, a écrit un traité ''De vegetabilibus'' qui possède le mérite, rare à cette époque, de ne pas être une copie servile des anciens et de contenir quelques observations  personnelles ; aussi reconnaît-on facilement le Dolique à œil noir dans le Faseolus dont Albert le Grand décrit ainsi les graines : "Sunt faseoli multorum colorum sed quod libet granorum habet maculam nigram in loco coiyledonis."
M. Körnicke cite (op. laud.) un manuscrit du XIIe siècle contenant l'Histoire naturelle de Pline dans lequel le mot Fasiolus  est suivi du synonyme : "arwiz" ; c'est l'erweyssen de Fuchsius, de Tragus et des vieux botanistes allemands, ou en d'autres termes le Pois, Erbse, des modernes. Le même auteur nous  apprend encore que le Dolichos melanophthalmus est représenté (fol. 305), sous la dénomination de Phaseolus, dans le Liber de simplicibus de Benedetto Rinio, enluminé par Andrea Amaglio en 1415, et conservé, comme l'on sait, à la Bibliothèque Saint-Marc de Venise.
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M. Körnicke cite (''op. laud.'') un manuscrit du XIIe siècle contenant l'Histoire naturelle de Pline dans lequel le mot Fasiolus  est suivi du synonyme : "arwiz" ; c'est l'erweyssen de Fuchsius, de Tragus et des vieux botanistes allemands, ou en d'autres termes le Pois, Erbse, des modernes. Le même auteur nous  apprend encore que le Dolichos melanophthalmus est représenté (fol. 305), sous la dénomination de Phaseolus, dans le ''Liber de simplicibus'' de Benedetto Rinio, enluminé par Andrea Amaglio en 1415, et conservé, comme l'on sait, à la Bibliothèque Saint-Marc de Venise.
Avant la fin du XIVe siècle, les traités d'histoire naturelle ornés de miniatures sont assez rares, mais à partir de cette époque et surtout pendant le XVe siècle, ils deviennent plus  communs ; le texte qui paraît avoir été le plus souvent reproduit et enluminé, en raison du crédit dont il jouissait alors, porte le titre de Livre des simples médecines ou des Secrets de Salerne, c'est une traduction française du Circa instans, traité de matière  médicale dont l'original latin est attribué à Platearius ; ce traité est divisé en chapitres classés par ordre alphabétique et illustrés de miniatures représentant les objets décrits ; il en existe une douzaine de copies à la Bibliothèque nationale, une autre est conservée à l'Arsenal et on en connaît aussi quelques exemplaires dans les grandes bibliothèques de la province et de l'étranger (1); tous ces manuscrits lorsqu'ils sont complets,  contiennent un chapitre, toujours identique dans le fond, sauf
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Avant la fin du XIVe siècle, les traités d'histoire naturelle ornés de miniatures sont assez rares, mais à partir de cette époque et surtout pendant le XVe siècle, ils deviennent plus  communs ; le texte qui paraît avoir été le plus souvent reproduit et enluminé, en raison du crédit dont il jouissait alors, porte le titre de ''Livre des simples médecines'' ou des ''Secrets de Salerne'', c'est une traduction française du ''Circa instans'', traité de matière  médicale dont l'original latin est attribué à Platearius ; ce traité est divisé en chapitres classés par ordre alphabétique et illustrés de miniatures représentant les objets décrits ; il en existe une douzaine de copies à la Bibliothèque nationale, une autre est conservée à l'Arsenal et on en connaît aussi quelques exemplaires dans les grandes bibliothèques de la province et de l'étranger (1); tous ces manuscrits lorsqu'ils sont complets,  contiennent un chapitre, toujours identique dans le fond, sauf
 
1. L'un de ces manuscrits, conservé à Modène, dans la bibliothèque d'Este,  a été l'objet d'un important mémoire publié en 1886 par mon excellent ami, M. le  prof. J. Camus (R. Acad. sc. lett. ed arti di Modena, sér. 2, IV); le chapitre
 
1. L'un de ces manuscrits, conservé à Modène, dans la bibliothèque d'Este,  a été l'objet d'un important mémoire publié en 1886 par mon excellent ami, M. le  prof. J. Camus (R. Acad. sc. lett. ed arti di Modena, sér. 2, IV); le chapitre
 
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quelques variantes accessoires, consacré à la description et aux propriétés des Faseoli ; je reproduis ci-après, à titre de  curiosité, le chapitre des Faseoli d'après un manuscrit sur parchemin ayant appartenu à Louis de Bruges (Bibl. Nat. ms. fr.  n° 9136, fol. 124), j'en modifie seulement un peu l'orthographe pour le rendre plus compréhensible à ceux de mes lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec les anciens textes.
 
quelques variantes accessoires, consacré à la description et aux propriétés des Faseoli ; je reproduis ci-après, à titre de  curiosité, le chapitre des Faseoli d'après un manuscrit sur parchemin ayant appartenu à Louis de Bruges (Bibl. Nat. ms. fr.  n° 9136, fol. 124), j'en modifie seulement un peu l'orthographe pour le rendre plus compréhensible à ceux de mes lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec les anciens textes.
De l'herbe nommée Faiseulz — Faseoli : ce sont grains ainsi appellez que une herbe produist et s'estend par terre. Faiseulz sont chaulz au  milieu du second degré et moites en la fin d'icelui ; et que ils soient  moites ce cognoist-on parce que ils ne peuvent pas séchier comme font les aultres grains et parce qu'ils ne sèchent on ne les peut garder longtemps et pour ce ils engendrent grosses humeurs et aussi ventosités qui enflent et qui souvent emplissent la teste et font songier songes terribles et faulz songes. Il en est de deux manières, c'est à savoir blanches et rousses, et sont les blanches plus moites et moins chauldes et pourtant est leur nourrissement gros et dur à digérer et engendre grosses humeurs et fleumatiques (flegmes) ; qui les veult adélier (atténuer, sous-entendu leurs mauvaises qualités) si les cuise en eau et puis après les nettoie de leur escorce et adonc soient cuiles en ung pot de terre à tout eau et huile d'olive et que l'on y mette du  cumin et du poivre estampé (pulvérisé) et ainsi soient pris et mengiés. Les blanches quant elles sont verdes doibvent être purgiées de leurs  escorces puis après soient mengiées avec sel, senevé, origant ou calament, cumin et poivre et aussi avec soit bû vin pur et bon. Les cosses et grains des faiseulz ont moins de humidité l'un que l'autre et pourtant sont les rouz de bien plus forte opération ; l'eau où les rouz faiseulz auront cuit si l'on en prend trois onces où l'on mette de l'huile nardine jusqu'à cinq dragmes et de galbanum une et que l'on la boive tout chault, ce provoque les fleurs.   Cette description contient à peu près tout ce que les auteurs
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''De l'herbe nommée Faiseulz'' — Faseoli : ce sont grains ainsi appellez que une herbe produist et s'estend par terre. Faiseulz sont chaulz au  milieu du second degré et moites en la fin d'icelui ; et que ils soient  moites ce cognoist-on parce que ils ne peuvent pas séchier comme font les aultres grains et parce qu'ils ne sèchent on ne les peut garder longtemps et pour ce ils engendrent grosses humeurs et aussi ventosités qui enflent et qui souvent emplissent la teste et font songier songes terribles et faulz songes. Il en est de deux manières, c'est à savoir blanches et rousses, et sont les blanches plus moites et moins chauldes et pourtant est leur nourrissement gros et dur à digérer et engendre grosses humeurs et fleumatiques (flegmes) ; qui les veult adélier (atténuer, sous-entendu leurs mauvaises qualités) si les cuise en eau et puis après les nettoie de leur escorce et adonc soient cuiles en ung pot de terre à tout eau et huile d'olive et que l'on y mette du  cumin et du poivre estampé (pulvérisé) et ainsi soient pris et mengiés. Les blanches quant elles sont verdes doibvent être purgiées de leurs  escorces puis après soient mengiées avec sel, senevé, origant ou calament, cumin et poivre et aussi avec soit bû vin pur et bon. Les cosses et grains des faiseulz ont moins de humidité l'un que l'autre et pourtant sont les rouz de bien plus forte opération ; l'eau où les rouz faiseulz auront cuit si l'on en prend trois onces où l'on mette de l'huile nardine jusqu'à cinq dragmes et de galbanum une et que l'on la boive tout chault, ce provoque les fleurs. Cette description contient à peu près tout ce que les auteurs
Faseolus est accompagné dans l'original d'une miniature qui diffère à peine de celles que l'on trouve dans plusieurs de nos manuscrits de Paris — notamment dans les nos 2888 de l'Arsenal et 9136 de la Nationale — ainsi que j'ai pu m'en assurer, grâce aux reproductions que M. Camus a eu l'obligeance de me faire parvenir. Un autre manuscrit de la bibliothèque d'Este, contenant le texte latin du Circa instans, donne du Faseolus une figure aussi défectueuse que la précédente, dont elle diffère surtout par la forme des feuilles, qui rappellent un peu celle du Lierre (folia habet ad Hederæ accedentia Diosc.); à propos de ces deux miniatures, M. Camus m'écrivait récemment : "A dire vrai, il n'y a rien  qui puisse confirmer la détermination que j'en ai donnée (op. laud., 66), et je doute fort qu'il existe, avant la seconde moitié du XVIe siècle, des figures dans lesquelles on puisse distinguer avec certitude le genre Phaseolus ; la figure des Heures d'Anne de Bretagne me parait elle-même peu concluante."
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Faseolus est accompagné dans l'original d'une miniature qui diffère à peine de celles que l'on trouve dans plusieurs de nos manuscrits de Paris — notamment dans les nos 2888 de l'Arsenal et 9136 de la Nationale — ainsi que j'ai pu m'en assurer, grâce aux reproductions que M. Camus a eu l'obligeance de me faire parvenir. Un autre manuscrit de la bibliothèque d'Este, contenant le texte latin du ''Circa instans'', donne du Faseolus une figure aussi défectueuse que la précédente, dont elle diffère surtout par la forme des feuilles, qui rappellent un peu celle du Lierre (folia habet ad Hederæ accedentia Diosc.); à propos de ces deux miniatures, M. Camus m'écrivait récemment : "A dire vrai, il n'y a rien  qui puisse confirmer la détermination que j'en ai donnée (''op. laud.'', 66), et je doute fort qu'il existe, avant la seconde moitié du XVIe siècle, des figures dans lesquelles on puisse distinguer avec certitude le genre Phaseolus ; la figure des Heures d'Anne de Bretagne me parait elle-même peu concluante."
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grecs et romains ont dit de leur Smilax ou Faseolus ; mais, tandis que Dioscoride, Pline, Columelle, Apicius connaissaient surtout le Faseolus consommé entier avec sa gousse, Platearius recommande au contraire de dépouiller ce légume de sa cosse. Quant  aux miniatures qui accompagnent ce chapitre dans les différents manuscrits, elles dérivent toutes, à peu de chose près, d'un
 
grecs et romains ont dit de leur Smilax ou Faseolus ; mais, tandis que Dioscoride, Pline, Columelle, Apicius connaissaient surtout le Faseolus consommé entier avec sa gousse, Platearius recommande au contraire de dépouiller ce légume de sa cosse. Quant  aux miniatures qui accompagnent ce chapitre dans les différents manuscrits, elles dérivent toutes, à peu de chose près, d'un
 
(Fig. 1.    Fig. 2.)
 
(Fig. 1.    Fig. 2.)
même type ; je reproduis réduites de moitié les deux plus caractéristiques ; l'une (fig. 1), est empruntée à un manuscrit provenant de la bibliothèque des ducs de Bourgogne (Bib. Nat. ms. fr. n° 9137) ; l'autre (fig. 2), à un manuscrit dont l'origine première est inconnue et qui a fait partie des collections de Gaston  d'Orléans avant d'entrer dans la Bibliothèque du Roi (Bibl. Nat.  ms. fr. n° 623); d'autres figures du Faseolus, par l'absence de vrilles et l'étroitesse des légumes en forme de siliques, prennent, assez exactement, l'aspect d'une Moutarde.
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même type ; je reproduis réduites de moitié les deux plus caractéristiques ; l'une (fig. 1), est empruntée à un manuscrit provenant de la bibliothèque des ducs de Bourgogne (Bib. Nat. ms. fr. n° 9137) ; l'autre (fig. 2), à un manuscrit dont l'origine première est inconnue et qui a fait partie des collections de Gaston  d'Orléans avant d'entrer dans la Bibliothèque du Roi (Bibl. Nat.  ms. fr. n° 623); d'autres figures du Faseolus, par l'absence de vrilles et l'étroitesse des légumes en forme de siliques, prennent, assez exactement, l'aspect d'une Moutarde.
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La Bibliothèque Nationale a récemment acquis un Tacuin (1) exécuté en Italie au commencement du XVe siècle ; à la vérité, le texte de ce manuel d'hygiène est sans intérêt pour l'étude que je poursuis en ce moment et le manuscrit de la Bibliothèque  Nationale se recommande surtout par les grandes miniatures (25 cent. de haut sur 20 cent. de large) dont il est orné ; le  tableau peint au folio-verso 44 représente la récolte des Faxiola (sic) ou Fasioli ; j'avoue qu'il m'est impossible de reconnaître le Haricot dans la plante à tige robuste, dressée, non volubile, à feuilles simples, obovales, dont l'artiste a décoré son paysage, la présence de longues gousses géminées et étalées fait seule  penser à une légumineuse ; il est assez étonnant que ce manuscrit, dans lequel on trouve représentés outre les Faxiola, la Fève, le Pois chiche, la Cicerchia (Lathyrus sativus L.), la Lentille et le Lupin, ne fasse aucune mention des Pois (Pisum sativum L. et  P. arvense L.), si communément cultivés en Italie depuis les  temps les plus reculés
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La Bibliothèque Nationale a récemment acquis un ''Tacuin'' (1) exécuté en Italie au commencement du XVe siècle ; à la vérité, le texte de ce manuel d'hygiène est sans intérêt pour l'étude que je poursuis en ce moment et le manuscrit de la Bibliothèque  Nationale se recommande surtout par les grandes miniatures (25 cent. de haut sur 20 cent. de large) dont il est orné ; le  tableau peint au folio-verso 44 représente la récolte des Faxiola (sic) ou Fasioli ; j'avoue qu'il m'est impossible de reconnaître le Haricot dans la plante à tige robuste, dressée, non volubile, à feuilles simples, obovales, dont l'artiste a décoré son paysage, la présence de longues gousses géminées et étalées fait seule  penser à une légumineuse ; il est assez étonnant que ce manuscrit, dans lequel on trouve représentés outre les Faxiola, la Fève, le Pois chiche, la Cicerchia (''Lathyrus sativus'' L.), la Lentille et le Lupin, ne fasse aucune mention des Pois (Pisum sativum L. et  P. arvense L.), si communément cultivés en Italie depuis les  temps les plus reculés
 
(A suivre.)  
 
(A suivre.)  
1. Tacuinum sanitatis in medicina. Sur ce manuscrit, cf. L. Delisle, in Journ. des Savants, septembre 1896, p. 518.
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1. ''Tacuinum sanitatis in medicina''. Sur ce manuscrit, cf. L. Delisle, in ''Journ. des Savants'', septembre 1896, p. 518.
  
Troisième partie : 48-57
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=== Troisième partie : pp. 48-57 ===
 
(Fin.)
 
(Fin.)
Que conclure de l'examen impartial de ces miniatures ? sinon que les botanistes du XVe siècle ne connaissaient pas notre Haricot et que, copistes respectueux de l'antiquité, ils admettaient dans leurs ouvrages, sur l'autorité des Grecs et des Latins, un Faseolus dont la tradition était depuis longtemps perdue. A ce point de vue, l'étude du Livre des simples médecines est particulièrement instructive, car les chapitres qui traitent des plantes indigènes ou communément cultivées sont accompagnés de figures suffisamment exactes et facilement reconnaissables ; telles sont celles du Fraisier, de la Fumeterre, de la Rave, du
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Que conclure de l'examen impartial de ces miniatures ? sinon que les botanistes du XVe siècle ne connaissaient pas notre Haricot et que, copistes respectueux de l'antiquité, ils admettaient dans leurs ouvrages, sur l'autorité des Grecs et des Latins, un Faseolus dont la tradition était depuis longtemps perdue. A ce point de vue, l'étude du ''Livre des simples médecines'' est particulièrement instructive, car les chapitres qui traitent des plantes indigènes ou communément cultivées sont accompagnés de figures suffisamment exactes et facilement reconnaissables ; telles sont celles du Fraisier, de la Fumeterre, de la Rave, du
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Figuier, de la Rose de Provins à fleurs doubles, du grand Plantain et de l'Herbe aux puces, du Poireau, de la Vigne, de l'Avoine, du Pain de coucou, de la Bourache, de l'Iris germanique et de beaucoup d'autres. Il en est tout autrement lorsque l'artiste a eu à peindre des espèces étrangères dont on ne connaissait que les produits ; ainsi, la Canne à sucre, l'Astragale à gomme, le Narthex asa-fœtida, le Myrobalan emblic, pour n'en citer que quelques-unes, sont représentées d'une façon tout à fait conventionnelle et d'après l'idée qu'une description fort incomplète pouvait donner de la plante ; quant au Giroflier, c'est, dans le Livre des simples, un arbuste sans caractères bien définis, portant à l'extrémité de ses rameaux des fleurs brunes qui ne sont que les clous de girofle du commerce.
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Figuier, de la Rose de Provins à fleurs doubles, du grand Plantain et de l'Herbe aux puces, du Poireau, de la Vigne, de l'Avoine, du Pain de coucou, de la Bourache, de l'Iris germanique et de beaucoup d'autres. Il en est tout autrement lorsque l'artiste a eu à peindre des espèces étrangères dont on ne connaissait que les produits ; ainsi, la Canne à sucre, l'Astragale à gomme, le Narthex asa-fœtida, le Myrobalan emblic, pour n'en citer que quelques-unes, sont représentées d'une façon tout à fait conventionnelle et d'après l'idée qu'une description fort incomplète pouvait donner de la plante ; quant au Giroflier, c'est, dans le Livre des simples, un arbuste sans caractères bien définis, portant à l'extrémité de ses rameaux des fleurs brunes qui ne sont que les clous de girofle du commerce.
Le mot Loubiâ, dans l'arabe moderne, désigne les races cultivées du Vigna sinensis L. (Dolichos Lubia Forsk., D. sesquipedalis L. etc.); le D. Lablab L. et assez souvent le Phaseolus vulgaris ; toutefois ce dernier est plus spécialement connu, au moins en Egypte, sous la dénomination de Loubia frengy (franc ou français) qui dénote l'origine étrangère de cette plante et fait soupçonner son introduction par les Européens. Que le  nom de Loubià dérive, comme on l'a dit, du libyen (?) loubieh, ou du grec λοϐος par l'intermédiaire du byzantin λουϐὶον, cela n'a  qu'un intérêt secondaire ; il est beaucoup plus important de déterminer à quelle espèce se rapporte le loubiâ des auteurs arabes du moyen âge.
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Le mot ''Loubiâ'', dans l'arabe moderne, désigne les races cultivées du Vigna sinensis L. (Dolichos Lubia Forsk., D. sesquipedalis L. etc.); le D. Lablab L. et assez souvent le Phaseolus vulgaris ; toutefois ce dernier est plus spécialement connu, au moins en Egypte, sous la dénomination de ''Loubia frengy'' (franc ou français) qui dénote l'origine étrangère de cette plante et fait soupçonner son introduction par les Européens. Que le  nom de Loubià dérive, comme on l'a dit, du libyen (?) loubieh, ou du grec λοϐος par l'intermédiaire du byzantin λουϐὶον, cela n'a  qu'un intérêt secondaire ; il est beaucoup plus important de déterminer à quelle espèce se rapporte le loubiâ des auteurs arabes du moyen âge.
Au XIIe siècle, Ibn-el-Aouam a consacré un chapitre de son Livre de l'Agriculture (1) au loubiâ ; sans décrire la plante qu'il jugeait, sans doute, suffisamment connue, il se  borne à indiquer divers procédés de culture et il énumère une douzaine de races et de variétés dont l'une, affirme-t-il, a les grains de la grosseur d'un œuf de pigeon ; je n'ai pas une foi  assez robuste pour accepter cette assertion d'Ibn-el-Aouam et, dans le texte de cet auteur, je ne vois qu'un renseignement à retenir, c'est que le loubià était cultivé aux environs de Séville ; or, suivant don Miguel Colmeiro, qui a soigneusement étudié toutes les sources historiques de la flore hispano-portugaise (2), le Phaseolus vulgaris n'apparaît dans la Péninsule Ibérique qu'au
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Au XIIe siècle, Ibn-el-Aouam a consacré un chapitre de son ''Livre de l'Agriculture'' (1) au loubiâ ; sans décrire la plante qu'il jugeait, sans doute, suffisamment connue, il se  borne à indiquer divers procédés de culture et il énumère une douzaine de races et de variétés dont l'une, affirme-t-il, a les grains de la grosseur d'un œuf de pigeon ; je n'ai pas une foi  assez robuste pour accepter cette assertion d'Ibn-el-Aouam et, dans le texte de cet auteur, je ne vois qu'un renseignement à retenir, c'est que le loubià était cultivé aux environs de Séville ; or, suivant don Miguel Colmeiro, qui a soigneusement étudié toutes les sources historiques de la flore hispano-portugaise (2), le Phaseolus vulgaris n'apparaît dans la Péninsule Ibérique qu'au
 
1. Trad. Clément-Mullet, II, 62; Paris, 1864-67.
 
1. Trad. Clément-Mullet, II, 62; Paris, 1864-67.
 
2. Examen historico-critico... etc.; Madrid, 1870.
 
2. Examen historico-critico... etc.; Madrid, 1870.
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XVIe siècle, tandis que le nom arabe du Dolique s'est conservé en castillan, après l'expulsion des Maures, sous la forme alubia; et, de fait, le D. Lablab aussi bien que quelques races de D. sinensis sont encore cultivés dans plusieurs provinces de la Péninsule.
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XVIe siècle, tandis que le nom arabe du Dolique s'est conservé en castillan, après l'expulsion des Maures, sous la forme ''alubia''; et, de fait, le D. Lablab aussi bien que quelques races de D. sinensis sont encore cultivés dans plusieurs provinces de la Péninsule.
Ibn-el-Beïthar, un siècle environ après Ibn-el-Aouam, écrit un Traité des simples (1) pour lequel il met largement à contribution la Matière médicale de Dioscoride ; sa description du loubia (chap. 2042) qu'il identifie avec le σμῖλαξ κηπαία est une reproduction du texte de l'auteur grec lequel, je l'ai déjà dit, désigne un Dolique et non un Phaseolus ; le manuscrit arabe n° 4947 de la Bibliothèque Nationale dissipe du reste tous les doutes que l'on pourrait conserver à ce sujet ; c'est une traduction abrégée de la Matière médicale de Dioscoride, avec figures peintes, exécutée en Orient, peut-être en Egypte, vers le  VIe siècle de l'hégire (XIIe siècle de notre ère); la miniature au-dessus de laquelle on lit le mot : "el loubiâ" n'a aucune ressemblance avec le Phaseolus vulgaris et je n'hésite pas à y reconnaître la forme à tige basse et non volubile, à fleurs violacées et  à graines noires du Dolichos Lablad, encore aujourd'hui cultivée en Egypte où elle remplace souvent comme légume, avec le D. sesquipedalis, notre Haricot commun.
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Ibn-el-Beïthar, un siècle environ après Ibn-el-Aouam, écrit un ''Traité des simples'' (1) pour lequel il met largement à contribution la Matière médicale de Dioscoride ; sa description du loubia (chap. 2042) qu'il identifie avec le σμῖλαξ κηπαία est une reproduction du texte de l'auteur grec lequel, je l'ai déjà dit, désigne un Dolique et non un Phaseolus ; le manuscrit arabe n° 4947 de la Bibliothèque Nationale dissipe du reste tous les doutes que l'on pourrait conserver à ce sujet ; c'est une traduction abrégée de la Matière médicale de Dioscoride, avec figures peintes, exécutée en Orient, peut-être en Egypte, vers le  VIe siècle de l'hégire (XIIe siècle de notre ère); la miniature au-dessus de laquelle on lit le mot : "''el loubiâ''" n'a aucune ressemblance avec le Phaseolus vulgaris et je n'hésite pas à y reconnaître la forme à tige basse et non volubile, à fleurs violacées et  à graines noires du ''Dolichos Lablad'', encore aujourd'hui cultivée en Egypte où elle remplace souvent comme légume, avec le D. sesquipedalis, notre Haricot commun.
J'ignore si, comme on le lui a reproché, A. de Candolle a négligé de consulter les anciens traités d'histoire naturelle : Herbarius , Arbolayre, Ortus sanitatis , Grant Herbier et autres publications de l'imprimerie à ses débuts ; je crois que la lecture de ces incunables, répétant avec une monotonie fatigante un texte assez semblable à celui du Livre des simples médecines, n'eût rien appris à l'auteur de l'Origine des plantes  cultivées ; je suis même persuadé que l'examen des figures qui accompagnent, dans quelques-uns de ces traités, la description du Faseolus n'aurait pu que confirmer A. de Candolle dans l'idée que le Haricot était inconnu en Europe avant la découverte de  l'Amérique. Les trois gravures sur bois dont je donne des reproductions, d'après les originaux (2), permettront au lecteur de  juger en toute connaissance de cause.
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J'ignore si, comme on le lui a reproché, A. de Candolle a négligé de consulter les anciens traités d'histoire naturelle : ''Herbarius'', ''Arbolayre'', ''Ortus sanitatis'', ''Grant Herbier'' et autres publications de l'imprimerie à ses débuts ; je crois que la lecture de ces incunables, répétant avec une monotonie fatigante un texte assez semblable à celui du Livre des simples médecines, n'eût rien appris à l'auteur de l'Origine des plantes  cultivées ; je suis même persuadé que l'examen des figures qui accompagnent, dans quelques-uns de ces traités, la description du Faseolus n'aurait pu que confirmer A. de Candolle dans l'idée que le Haricot était inconnu en Europe avant la découverte de  l'Amérique. Les trois gravures sur bois dont je donne des reproductions, d'après les originaux (2), permettront au lecteur de  juger en toute connaissance de cause.
1. Trad. L. Leclerc, in Notices et Extraits, XXIII-XXVI.
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1. Trad. L. Leclerc, in ''Notices et Extraits'', XXIII-XXVI.
 
  2. Je dois les clichés photographiques de ces figures à l'obligeance de M. G. Dethan, lauréat de l'École supérieure de Pharmacie de Paris, qui les a exécutés sur les précieuses éditions que m'a communiquées mon confrère et ami, M. le docteur Dorveaux, bibliothécaire de la même école.
 
  2. Je dois les clichés photographiques de ces figures à l'obligeance de M. G. Dethan, lauréat de l'École supérieure de Pharmacie de Paris, qui les a exécutés sur les précieuses éditions que m'a communiquées mon confrère et ami, M. le docteur Dorveaux, bibliothécaire de la même école.
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La figure 3 est empruntée à l'Ortus sanitatis translaté de latin en françois (Paris, Ant. Vérard s. d., vers 1499), elle est  identique à celle que l'on trouve dans les éditions antérieures, notamment dans les éditions latines nos 8941 et 8944 du Repertorium de Hain ; les fruits en forme de gousses donnent seuls l'idée d'une Légumineuse, mais pour tout le reste la plante est fictive et n'a aucun rapport avec le Haricot.
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La figure 3 est empruntée à l'''Ortus sanitatis translaté de latin en françois'' (Paris, Ant. Vérard s. d., vers 1499), elle est  identique à celle que l'on trouve dans les éditions antérieures, notamment dans les éditions latines nos 8941 et 8944 du ''Repertorium'' de Hain ; les fruits en forme de gousses donnent seuls l'idée d'une Légumineuse, mais pour tout le reste la plante est fictive et n'a aucun rapport avec le Haricot.
La figure 4 représente le Faseolus dans une édition sans date, mais des dernières années du XV e siècle, de l'Opus ruralium commodorum
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La figure 4 représente le Faseolus dans une édition sans date, mais des dernières années du XVe siècle, de l'''Opus ruralium commodorum''
 
(Fig. 3.    Fig. 4)
 
(Fig. 3.    Fig. 4)
de l'agronome italien Pietro de Crescenzi ; je ne  comprends pas comment Asa-Gray et Trumbull ont pu dire (op. laud., 136) de cette figure : "has little ressemblance to the  Phaseolus of moderne botany"; elle me paraît rappeler bien mieux une Dipsacée, la Cardère (Dipsacus Fullonum L.), surtout si on la rapproche de la petite gravure sur bois (fig. 5) qui  orne, sous le nom de Phasioli, la marge inférieure (p. 49) d'un Tacuin imprimé à Strasbourg en 1531 et qui représente à n'en pas douter le Dipsacus sylvestris L.
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de l'agronome italien Pietro de Crescenzi ; je ne  comprends pas comment Asa-Gray et Trumbull ont pu dire (''op. laud.'', 136) de cette figure : "has little ressemblance to the  Phaseolus of moderne botany"; elle me paraît rappeler bien mieux une Dipsacée, la Cardère (''Dipsacus Fullonum'' L.), surtout si on la rapproche de la petite gravure sur bois (fig. 5) qui  orne, sous le nom de Phasioli, la marge inférieure (p. 49) d'un ''Tacuin'' imprimé à Strasbourg en 1531 et qui représente à n'en pas douter le Dipsacus sylvestris L.
Quelle que soit la valeur artistique des miniatures du Livre d'heures d'Anne de Bretagne, je crois qu'il serait téméraire d'affirmer que la plante représentée à la page 389 est notre Haricot commun ; M. J. Camus lui-même reconnaît aujourd'hui que cette figure n'est pas concluante ; j'ajouterai que, par ses
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Quelle que soit la valeur artistique des miniatures du ''Livre d'heures'' d'Anne de Bretagne, je crois qu'il serait téméraire d'affirmer que la plante représentée à la page 389 est notre Haricot commun ; M. J. Camus lui-même reconnaît aujourd'hui que cette figure n'est pas concluante ; j'ajouterai que, par ses
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fleurs d'un jaune serin et par quelques autres caractères, elle rappelle assez bien un Vigna, peut-être une des nombreuses formes du V. sinensis L.; même si l'on démontrait l'identité des Faverolles du Livre d'Anne de Bretagne avec le Phaseolus, cela  ne constituerait pas une preuve contre l'origine américaine de ce dernier, attendu qu'il s'était écoulé quinze ans entre la découverte du Nouveau-Monde et l'époque à laquelle le manuscrit de la duchesse fut terminé et, qu'entre ces deux dates, le Haricot, rapporté en Europe par les navigateurs espagnols, pouvait avoir  été envoyé à titre de curiosité au jardin royal de Blois. Nous savons en effet, par les témoignages des historiens et des biographes, que, dès son premier débarquement à Cuba, Christophe Colomb y avait observé des champs plantés de Faxones et de Habas (fabas) très différentes de celles d'Espagne et, en consultant les récits des voyageurs qui, après Colomb, visitèrent le  Nouveau-Monde, on reconnaît sans peine dans ces Faxones ou Habas dont les Indiens cultivaient de nombreuses variétés, le Haricot que les auteurs espagnols de la première moitié du XVIe siècle mentionnent comme apporté des pays nouvellement découverts, sous les noms de Frijol ou Judias encore usités de nos jours.
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fleurs d'un jaune serin et par quelques autres caractères, elle rappelle assez bien un Vigna, peut-être une des nombreuses formes du V. sinensis L.; même si l'on démontrait l'identité des Faverolles du Livre d'Anne de Bretagne avec le Phaseolus, cela  ne constituerait pas une preuve contre l'origine américaine de ce dernier, attendu qu'il s'était écoulé quinze ans entre la découverte du Nouveau-Monde et l'époque à laquelle le manuscrit de la duchesse fut terminé et, qu'entre ces deux dates, le Haricot, rapporté en Europe par les navigateurs espagnols, pouvait avoir  été envoyé à titre de curiosité au jardin royal de Blois. Nous savons en effet, par les témoignages des historiens et des biographes, que, dès son premier débarquement à Cuba, Christophe Colomb y avait observé des champs plantés de ''Faxones'' et de ''Habas'' (fabas) très différentes de celles d'Espagne et, en consultant les récits des voyageurs qui, après Colomb, visitèrent le  Nouveau-Monde, on reconnaît sans peine dans ces Faxones ou Habas dont les Indiens cultivaient de nombreuses variétés, le Haricot que les auteurs espagnols de la première moitié du XVIe siècle mentionnent comme apporté des pays nouvellement découverts, sous les noms de ''Frijol'' ou ''Judias'' encore usités de nos jours.
D'Espagne, le Haricot passe de bonne heure dans les Flandres par suite du régime politique qui unissait alors les deux pays ; de là, il se répand en Allemagne, en Italie et en France ; il ne paraît pas avoir été introduit en Angleterre avant l'année 1594 ; du reste, au milieu du XVIe siècle, le Phaseolus vulgaris commence à être assez bien connu sans faire cependant l'objet d'une grande culture et les botanistes de ce temps, dont la préoccupation dominante était de retrouver les plantes des anciens, l'identifient, pour la plupart sans hésitation, avec le Smilax hortensis de Dioscoride ou avec le Phaseolus des Grecs et des Latins.
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D'Espagne, le Haricot passe de bonne heure dans les Flandres par suite du régime politique qui unissait alors les deux pays ; de là, il se répand en Allemagne, en Italie et en France ; il ne paraît pas avoir été introduit en Angleterre avant l'année 1594 ; du reste, au milieu du XVIe siècle, le Phaseolus vulgaris commence à être assez bien connu sans faire cependant l'objet d'une grande culture et les botanistes de ce temps, dont la préoccupation dominante était de retrouver les plantes des anciens, l'identifient, pour la plupart sans hésitation, avec le Smilax hortensis de Dioscoride ou avec le Phaseolus des Grecs et des Latins.
Suivant M. Wittmack, le Phaseolus vulgaris aurait été décrit  et figuré pour la première fois, par les botanistes allemands, en 1536 ; il est certain qu'à la date de 1542, Fuchs en a donné (Hist. stirp., 707) une très bonne gravure sur bois ; la même année Tragus décrit et figure (Stirp. comm., 615) notre Haricot commun sous le nom de Smilax hortensis, Welsch Bonen, Welsche Fäselen, hoc est italicas fabas seu Phaseolos italicos, et un peu plus loin (p. 652) il explique, à propos du Maïs (Welsch
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Suivant M. Wittmack, le Phaseolus vulgaris aurait été décrit  et figuré pour la première fois, par les botanistes allemands, en 1536 ; il est certain qu'à la date de 1542, Fuchs en a donné (''Hist. stirp.'', 707) une très bonne gravure sur bois ; la même année Tragus décrit et figure (''Stirp. comm.'', 615) notre Haricot commun sous le nom de Smilax hortensis, ''Welsch Bonen'', ''Welsche Fäselen'', hoc est italicas fabas seu Phaseolos italicos, et un peu plus loin (p. 652) il explique, à propos du Maïs (Welsch
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=== p. 53 ===
Korn), cette qualification de welsch, italicus : "germani ita enim omnia peregrina et prius nostro orbi incognita appellare  solent" ; enfin, il ajoute que ces sortes de fèves sont étrangères, qu'elles ont été apportées des pays chauds et que les gelées tardives du printemps aussi bien que les premiers froids de l'automne leur sont funestes. Neuf ans plus tard, un autre allemand, Lonitzer, appelle de même (Natural. hist., Francfort 1551) le Haricot un légume étranger, cultivé seulement dans les jardins de quelques curieux, et Valerius Cordus reproduit cette opinion dans ses Annotationes (p. 43; Strasbourg 1561).
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Korn), cette qualification de welsch, italicus : "germani ita enim omnia peregrina et prius nostro orbi incognita appellare  solent" ; enfin, il ajoute que ces sortes de fèves sont étrangères, qu'elles ont été apportées des pays chauds et que les gelées tardives du printemps aussi bien que les premiers froids de l'automne leur sont funestes. Neuf ans plus tard, un autre allemand, Lonitzer, appelle de même (''Natural. hist.'', Francfort 1551) le Haricot un légume étranger, cultivé seulement dans les jardins de quelques curieux, et Valerius Cordus reproduit cette opinion dans ses Annotationes (p. 43; Strasbourg 1561).
En Italie, Mattioli publie ses Commentaires sur Dioscoride, dont les éditions se succèdent de 1554 à 1598; au chapitre Smilax hortensis
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En Italie, Mattioli publie ses ''Commentaires sur Dioscoride'', dont les éditions se succèdent de 1554 à 1598; au chapitre Smilax hortensis
 
(Mesch.    Phasioli.    Lentes)
 
(Mesch.    Phasioli.    Lentes)
il décrit et figure le Phaseolus vulgaris auquel il attribue, en dernier lieu, une origine étrangère, tandis que dans son Phasiolus, il est facile de reconnaître le Dolichos melanophthalmus DC, d'abord à la forme des gousses, et ensuite à la  couleur des graines blanches "praeter umbilicum qui tantum in iis nigricat" (1) ; c'est le Dolique et non comme on l'a cru (2) le Haricot, qui formait la base de cette eau de beauté dont Mattioli conseille l'emploi aux dames italiennes de son temps pour conserver la fraîcheur de leur teint.
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il décrit et figure le Phaseolus vulgaris auquel il attribue, en dernier lieu, une origine étrangère, tandis que dans son Phasiolus, il est facile de reconnaître le Dolichos melanophthalmus DC, d'abord à la forme des gousses, et ensuite à la  couleur des graines blanches "praeter umbilicum qui tantum in iis nigricat" (1) ; c'est le Dolique et non comme on l'a cru (2) le Haricot, qui formait la base de cette eau de beauté dont Mattioli conseille l'emploi aux dames italiennes de son temps pour conserver la fraîcheur de leur teint.
Cesalpino réunit (Lib. de plantis ,VI, cap. 14; Florence 1583) dans un même chapitre, sous le nom de Phaselus, le Dolique et
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Cesalpino réunit (''Lib. de plantis'' ,VI, cap. 14; Florence 1583) dans un même chapitre, sous le nom de Phaselus, le Dolique et
1. Gesner (Hort. Germ., 272) et C. Bauhin (Pinax, 339), qui connaissaient mal les cultures de l'Italie méridionale, ont avancé, sans raison, que Mattioli avait décrit et figuré une seule et même plante sous les noms de Phasiolus et  de Smilax ; Gilibert (Hist. pl. Europe, II, 421) s'est également trompé en rapportant le Phasiolus de Mattioli au Ph. nanus L.
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1. Gesner (''Hort. Germ.'', 272) et C. Bauhin (''Pinax'', 339), qui connaissaient mal les cultures de l'Italie méridionale, ont avancé, sans raison, que Mattioli avait décrit et figuré une seule et même plante sous les noms de Phasiolus et  de Smilax ; Gilibert (''Hist. pl. Europe'', II, 421) s'est également trompé en rapportant le Phasiolus de Mattioli au Ph. nanus L.
  2. Cf. Ch. Estienne : Maison rustique, et Gibault, op. laud., 11.
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  2. Cf. Ch. Estienne : ''Maison rustique'', et Gibault, ''op. laud.'', 11.
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=== p. 54 ===
le Haricot ; il caractérise nettement le premier par la tache noire de ses semences, imitant la pupille de l'œil ; quant au second il  le qualifie de "genus peregrinum apud nos seritur in hortis ope topiaro... Phaselos turcicos vocant ».
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le Haricot ; il caractérise nettement le premier par la tache noire de ses semences, imitant la pupille de l'œil ; quant au second il  le qualifie de "genus peregrinum apud nos seritur in hortis ope topiaro... ''Phaselos turcicos'' vocant ».
 
Dodoens, botaniste flamand, a donné une assez bonne figure du Phaseolus vulgaris qu'il a reproduite dans ses différents ouvrages (Cruydeboeck , Historia frumentorum et leguminum, Pemptades); son texte n'est qu'une paraphrase des anciens auteurs et ce qu'il rapporte de l'usage du Haricot dans l'alimentation, comme légume vert, est emprunté à Dioscoride : "siliqua, uti Dioscorides ait, cum seminibus..... estur" (Hist.  frument. et legum., 106) .
 
Dodoens, botaniste flamand, a donné une assez bonne figure du Phaseolus vulgaris qu'il a reproduite dans ses différents ouvrages (Cruydeboeck , Historia frumentorum et leguminum, Pemptades); son texte n'est qu'une paraphrase des anciens auteurs et ce qu'il rapporte de l'usage du Haricot dans l'alimentation, comme légume vert, est emprunté à Dioscoride : "siliqua, uti Dioscorides ait, cum seminibus..... estur" (Hist.  frument. et legum., 106) .
 
Avec Dodoens seul, nous ne serions qu'imparfaitement renseignés sur l'histoire du Phaseolus dans les Flandres, si nous ne trouvions, dans un botaniste du même pays et de la même époque, des détails beaucoup plus précis ; en effet, Charles de l'Ecluse donne (Rar. pl. hist., II, 223) la même gravure sur bois que Dodoens, mais avec un texte nouveau ; il appelle tous les Phaseolus des plantes étrangères et, en ce qui concerne le Ph. vulgaris, il dit positivement en avoir reçu les graines d'Espagne, avec celles d'autres espèces du même genre, sous le nom commun de Alubias de Indias.
 
Avec Dodoens seul, nous ne serions qu'imparfaitement renseignés sur l'histoire du Phaseolus dans les Flandres, si nous ne trouvions, dans un botaniste du même pays et de la même époque, des détails beaucoup plus précis ; en effet, Charles de l'Ecluse donne (Rar. pl. hist., II, 223) la même gravure sur bois que Dodoens, mais avec un texte nouveau ; il appelle tous les Phaseolus des plantes étrangères et, en ce qui concerne le Ph. vulgaris, il dit positivement en avoir reçu les graines d'Espagne, avec celles d'autres espèces du même genre, sous le nom commun de Alubias de Indias.

Version du 6 janvier 2011 à 11:42

Bonnet, 1897 Bonnet E., 1897. Le haricot (Phaseolus vulgaris L.) était-il connu dans l'Ancien Monde avant la découverte de l'Amérique ? J. de Botanique, 11: 14-20, 35-39, 48-57. (en réponse à Gibault) revu par Michel Chauvet sur le fichier OCR de archive.org, à l'aide du fichier pdf . Les numéros correspondent à la pagination originale. Seuls les traits d'union en fin de ligne ont été supprimés. Le reste est nec varietur.

http://www.archive.org/stream/journaldebotaniq11pari/journaldebotaniq11pari_djvu.txt

partie 1 : pp. 14-20

Le haricot (Phaseolus vulgaris L.) était-il connu dans l'Ancien Monde avant la découverte de l'Amérique ? Par M. Ed. Bonnet. M. Georges Gibault a publié récemment (1) sur le Haricot commun (Phaseolus vulgaris L.), une fort curieuse Étude historique au sujet de laquelle je me permettrai quelques remarques critiques. M. Gibault admet, comme un fait irréfutable, la découverte par Schliemann et Virchow de graines de Haricot, associées à des épis de Maïs jaune et rouge, dans les ruines de la Cité Brûlée à Issarlik ; prenant ce point de départ pour base, l'auteur de l'Étude historique croit reconnaître notre moderne Phaseolus dans les δόλιχοϛ, φασιόλος, σμῖλαξ κηπαία de l'antiquité grecque et dans les Phaseoli, Faseli, Fasioli, etc... des auteurs latins et des écrivains du moyen âge, et il en conclut, contrairement à l'opinion généralement admise aujourd'hui, que notre Haricot com- 1. Journ. Soc. Hort. Fr., juillet 1896.

p. 15

mun cultivé dans l'Ancien Monde depuis l'époque de la guerre de Troie, n'est pas, comme on l'avait cru, originaire de l'Amérique et n'a pas été introduit en Europe au XVIe siècle. Dans cette dernière partie de son travail, M. Gibault me semble avoir adopté l'opinion des commentateurs qui ont identifié la plante des anciens avec l'espèce des modernes par simple analogie onomastique ; il me paraît, en outre, avoir négligé quelques documents d'une réelle importance pour le sujet qu'il avait à traiter, notamment la note très étendue qu'Asa Gray et Trumbull ont consacrée au Phaseolus vulgaris dans leur Review of de Candolle's origin of cultivated plants (1) et le Ueber die Heimath unserer Gartenbohne de M. Körnicke (2). En ce qui concerne les quatre variétés de Phaseolus vulgaris qui auraient été trouvées, associées à des épis de Maïs dans les fouilles d'Issarlik, M. Gibault a été certainement trompé par l'obscurité ou l'insuffisance de la traduction française du livre de Schliemann : Ilios ville et pays des Troyens (Paris 1885); en effet, la liste du contexte (p. 320 de l'éd. anglaise et p. 368 de la trad. française) dans laquelle on trouve mentionnés le Haricot, le Maïs, le Coton et d'autres espèces, est empruntée aux Beiträge zur Landeskunde der Troas de Virchow (3) et, si l'on recourt au mémoire original, on voit que ces espèces sont citées seulement comme faisant partie des plantes aujourd'hui cultivées en Troade et aux environs d'Issarlik, mais nulle part il n'est dit qu'elles aient été trouvées dans les ruines de la Cité Brûlée ; en réalité, les seules graines antiques appartenant à la famille des Légumineuses extraites des ruines de la ville que Schliemann identifiait avec la Troie d'Homère sont, comme l'a dit de Candolle, d'après les travaux de M. Wittmack, la Fève, le Pois, l'Ers et probablement la Jarosse. Les autres arguments de M. Gibault ne m'ont pas mieux convaincu et j'avoue qu'après la lecture de son Mémoire je reste, comme avant, partisan de l'origine américaine du Haricot. Je suis donc en complet désaccord avec lui et, pour mettre à mème 1. American Journ. of sc., 3e sér., XXVI, 130 (1883). 2. Verhandl. d. naturh. Ver. d. preuss. Rheinl. Westf., 4e sér., XI, 136 (1885). 3. Abhandlungen Acad. Berlin, 1879, p. 184.

p. 16

le lecteur de juger impartialement entre deux opinions si différentes, j'exposerai les principales raisons qui me semblent militer en faveur de l'origine américaine du Phaseolus vulgaris et de son introduction en Europe au XVIe siècle. Un fait bien constaté, c'est l'absence du Haricot dans les habitations lacustres et dans les hypogées égyptiens, aussi bien que dans les ruines des cités grecques et romaines ; en outre, cette plante n'est mentionnée ni dans la Bible, ni dans le Talmud ; il faut descendre jusqu'aux auteurs grecs de la période posthomérique pour trouver sous les noms de δόλιχοϛ, φάσηολος et aussi, mais plus tard, de σμῖλαξ κηπαία l'indication d'une légumineuse à gousses (λοϐοι) et à graines comestibles, que l'on a voulu identifier avec notre Haricot à rames. On a cru pendant longtemps que le Phaseolus vulgaris était originaire de l'Inde et, comme Théophraste, élève d'Aristote, est le premier naturaliste qui donne une brève description du Dolichos, plusieurs commentateurs en ont conclu que le Haricot avait été introduit en Grèce par Alexandre à son retour d'Asie ; mais cette assertion est inadmissible, d'abord parce que le Dolichos est déjà cité dans les écrits Hippocratiques antérieurs aux conquêtes d'Alexandre ; en second lieu, le Phaseolus vulgaris n'existe dans l'Inde qu'à l'état cultivé et sa culture n'y est même pas très ancienne puisqu'on ne connaît aucun mot sanscrit servant à désigner cette plante, alors que d'autres espèces, telles que les Ph. Mungo L. et Ph. radiatus L. possèdent chacune 6 à 7 noms dans la langue des Védas ; enfin, l'identification du δόλιχοϛ de Théophraste avec notre Haricot ne repose sur aucune preuve ; nous lisons en effet dans l'Historia plantarum lib. VIII, cap. 3 (éd. gréco-latine d'Heisius, 156, et éd. grecque de Wimmer, 273) : « δόλιχοϛ, siliqua nomine appellata speciali, longa, si ligna affixeris, ascendet et frugifera fiet, alioquin vitiosa atque æruginosa reddentur. » L'insuffisance de cette phrase ne permettrait pas de reconnaître la plante que Théophraste avait en vue, si nous ne trouvions des renseignements complémentaires dans les écrivains d'une date postérieure. Dans sa Matière médicale (περί ὕλης ὶατρικης, lib. II), Dioscoride ne parle pas du Dolichos mais il consacre deux chapitres différents à la mème plante, ou peut-être à deux formes de la mème espèce, et son texte mérite d'être reproduit, car c'est celui

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que copieront, en y ajoutant quelques détails empruntés à Galien, à Pline et aux agronomes latins, tous les auteurs du moyen âge et de la renaissance qui auront à parler du Phaseolus. Cap. 130; περί φασίολου, de phaseolo — Phaseolus flatulentus est, anhelationes gignit, ac ægre concoquitur. Quod si viridis coquatur, in cibo alvum e mollit et vomitibus ciendis favet. (Ed. Sprengel, I, 251.) Cap. 175; περὶ σμιλακος, de smilace vel phaseolo — Smilax hortensis (σμῖλαξ κηπαῖα) cujus fructus lobia (λοϐοι) dicuntur, a nonnullis vero Asparagus, folia habet ad Hederæ accedentia, sed molliora, spiræ ad instar vicinis fructicibus sese implicantes, qui quidem in tantum adelescunt, ut et tentoria inumbrent. Fructum fert Fœni græci similem sed longiorem et carnosiorem, intra quem semina reniformia, non æquali colore, sed ex parte rufescentia. Is fructus cum semine, Asparagi in modum elixus, oleris instar comeditur. Urinam vero ciet et somnos perturbat. (Ed. Sprengel, I, 283.) On voit par cette description que les fruits du Smilax hortensis se nommaient λοϐοι (siliquæ) ; or Galien qui avait voyagé en Grèce, vécu à Rome et qui, postérieurement à Dioscoride, écrivait en grec, nous apprend (1) que λοϐος, φασίολος et δόλιχοϛ sont une seule et même espèce, mais que le Dolichos peut être volubile et grimpant ou s'étaler à terre à la manière des Ervilia, Pisum (arvense) et Cicercula, enfin il établit une distinction bien nette entre φασίολος (phaseolus) et φάσηλος (phaselus) ; plus tard encore, au VIe siècle de notre ère, Aetius adopte la synonymie de Galien en y ajoutant un μελαξ κηπαία qui n'est évidemment qu'une transcription fautive du σμῖλαξ de Dioscoride. Quant à l'identification de la plante décrite dans le Materia medica, elle pourrait être douteuse si nous devions la baser uniquement sur le texte ci-dessus reproduit ; mais on conserve à la Bibliothèque impériale de Vienne deux manuscrits grecs de Dioscoride connus sous les noms de Codex caesareus et Codex neapolitanus, datant du Ve siècle et ornés de peintures ; à la vérité le * n'y est pas figuré, mais le φασίολος est représenté dans l'un et l'autre de ces manuscrits par une miniature que M. Körnicke identifie avec le Dolichos melanophthalmus DC. lequel est aujourd'hui rattaché avec les D. Lubia Forsk., D. monachalis Brot. et D. sesquipedalis L. à titre de forme ou de variété au 1. De aliment, facult. lib. I, cap. 25 et 28; éd. des Juntes.

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D. (Vigna) sinensis L. ; AI. Körnicke admet que le D. melanophthalmus était cultivé dans l'antiquité sous deux formes, l'une naine et non volubile, répondant au φασίολος, l'autre volubile et grimpante, représentant le σμῖλαξ κηπαία, ce qui concorderait en effet avec le texte de Galien. A ce propos, l'auteur allemand rappelle qu'il existe à la Bibliothèque Nationale de Paris un Dioscoride du IXe siècle, orné de peintures, et qu'il serait intéressant d'en étudier les figures du φασίολος et du σμῖλαξ et de les comparer avec celles des deux manuscrits de Vienne ; si M. Körnicke eût consulté les descriptions du Codex parisiensis publiées au siècle dernier (1), il y aurait vu que le Dioscoride de Paris est incomplet de tout le premier livre et de la plus grande partie du second qui débute avec la fin du chapitre 204 (Capparis), c'est-à-dire 29 chapitres après celui du Smilax. Quant à la patrie du D. Lubia ou melanophthalmus ce n'est certainement point l'Amérique ; cette plante parait spontanée, ou tout au moins cultivée dès la plus haute antiquité, dans l'Afrique centrale et dans la région du Haut-Nil d'où elle se sera répandue en Egypte après l'époque pharaonique et de là en Grèce ; le Dolique à œil noir est encore aujourd'hui cultivé en Grèce et se consomme, comme notre Haricot, vert ou sec, suivant la saison. Parmi les auteurs latins, Virgile, Pline, Apicius, Columelle, Palladius, pour ne citer que les plus connus, mentionnent les Faseli et Faseoli, mais aucun ne donne la description de ces légumes et la distinction admise par Galien entre φασίολος et φάσηλος reste souvent assez vague chez les Romains. Voyons cependant ce que l'on peut tirer de l'étude des textes. Virgile (Georg. lib. I, v. 227) qualifie son Faselus de vilis et cette épithète n'a pas été sans embarrasser certains commentateurs ; pour Retzius (Flora Virgil. 47 et Romarn. Matwäxt. 1 35), qui voulait retrouver le Faselus des Géorgiques dans notre Haricot nain (Phaseolus nanus L.), vilis n'était qu'un synonyme d'humilis, mais cette interprétation est inadmissible, car Isidore de Séville dans ses Etymologies (lib. XVII, cap. 4) dit positivement : "Faselus vile genus leguminis, quia omne quod abundat vile est, hoc autem semen abundanter invenitur." Nombreux, du reste, sont les botanistes qui ont essayé d'interpréter les 1. Cat. cod. ms. Bibl. Reg., II, 458, et Montfaucon, Palæogr. græca, 258.

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plantes de Virgile ; l'un des derniers et des plus érudits, Bubani, après avoir d'abord identifié (Flora Virgil. 91) les Faselus et Faseolus avec notre Haricot nain, rejette cette détermination ; de même que celle de la Féverolle (Faba vulgaris Mœnch var. equina) qui lui avait été proposée par M. Naudin (Illustr. ulter. 141), et se décide définitivement (Ultime note 4) pour le Pois de champs (Pisum arvense L.) ; aucune de ces deux dernières assimilations n'est nouvelle, car on les trouve déjà l'une et l'autre chez les auteurs du XVIe siècle. Dans un important mémoire consacré à l'étude des plantes de Pompéi et d'Herculanum (Illustr. delle piante... etc... 27), M. Comes, professeur à l'École d'agriculture de Portici, croit avec M. Naudin que le Faselus des Latins est la Féverolle dont les graines ont été souvent recueillies dans les ruines des deux cités antiques ; notons encore, mais sans en tirer aucune conclusion, que la Féverolle et la Jarosse (Lathyrus Cicera) sont les seules graines de Légumineuses alimentaires trouvées à Pompéi et à Herculanum. Pline, compilateur sans critique et traducteur infidèle, recommande (Hist. nat. lib. XVIII, cap. 33) de cueillir les légumes du Faseolus dès la maturité, parce qu'ils se détachent et tombent promptement, puis se cachent dans la terre comme ceux du Lupin ; il ajoute, d'accord en cela avec Columelle et Palladius, qu'il faut semer les faseoli depuis les ides (15) d'octobre jusqu'au calendes (1er) de novembre ; Palladius reporte même le début des semailles jusqu'en septembre ; ces dates, comme l'ont déjà fait observer Fée (Comm. sur Pline II, 161) et M. Naudin (ap. Bubani, op. laud.), ne peuvent convenir au Haricot, même sous le climat de l'Italie, étant donné que les Romains ne connaissaient pas nos procédés de culture perfectionnée et semaient leur faseolus en plein champ. J'ajouterai, comme terme de comparaison, qu'à l'île de Lesbos, patrie de Théophraste, on sème, d'après M. Candargy, le Phaseolus vulgaris seulement dans les premiers jours de mars et qu'à Casablanca, localité la plus favorisée de la côte occidentale du Maroc, M. Mellerio n'a jamais obtenu de germination lorsqu'il a semé le Haricot avant le 1er février. Une autre objection que j'opposerai à l'identité du Faseolus latin avec notre Haricot, c'est que les Romains ne l'utilisaient

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pas comme légume sec ; on peut consulter sur ce point d'histoire culinaire le traité d'Apicius, De re coquinaria : on y trouvera des recettes pour accommoder les pois, les fèves, les lentilles, les lupins, etc., voire même la formule de certains mets dans la composition desquels entraient des fruits sauvages que les enfants de nos campagnes dédaignent aujourd'hui, comme les baies de Sureau ou les drupes de Gattilier, mais il n'y est point question des faseoli en grains ; ce légume n'était consommé qu'à l'état de conserve, c'est-à-dire avec sa cosse après avoir été macéré dans la saumure avec des condiments variés. Un dernier argument qui doit, à mon avis, faire rejeter toute assimilation entre Faselus ou Faseolus des anciens et Phaseolus des modernes, c'est que notre Haricot, comme je vais le démontrer, n'a pas été connu pendant tout le moyen âge et jusqu'à la fin du XVe siècle ; or il est inadmissible qu'un légume commun à l'époque romaine, ait pu tomber ensuite dans l'oubli, pendant plusieurs siècles, pour ne reparaître, avec tous les caractères d'une nouveauté, qu'après la découverte de l'Amérique. (A suivre.)

Deuxième partie : pp. 35-39

(Suite.) Avant d'étudier les principaux documents que nous a transmis le moyen âge sur la question très limitée qui nous occupe, constatons tout d'abord qu'il n'est pas fait mention du Faseolus dans trois traités versifiés qui ont joui d'une grande vogue jusque vers le milieu du XVIe siècle ; ce sont : le De virtutibus herbarum du Pseudo-Macer, l'Hortulus de W. Strabo et enfin les règles diététiques connues sous le nom de Regimen sanitatis Scholæ Salerni. Parmi les plantes que Charlemagne recommande de cultiver dans ses fermes impériales, figure un Fasiolus identifié par la plupart des botanistes avec notre Phaseolus ; mais M. Rostafinski, dans sa magistrale étude sur le Capitulaire de villis et curtis (1), a démontré que la Légumineuse citée par Charlemagne ne pouvait être notre Haricot et qu'il s'agissait tout simplement du Lathyrus sativus L. ; c'est également à la Gesse que M. Rostafinski rapporte le Faseolus cultivé, vers la même époque, par les moines de Saint-Gall dans les jardins de leur monastère. Sainte Hildegarde, abbesse de Saint-Rupert près Bingen, dans ses Libri Physicæ écrits au XIIe siècle pour l'instruction des nonnes de son couvent, désigne sous le nom de Vigbona ou Vichbona, une Légumineuse que l'on a déterminée Phaseolus vulgaris par simple analogie avec la dénomination allemande du Haricot : Welschbohne, tandis que M. Descemet, dans son travail sur la nomenclature botanique de Sainte Hildegarde, réunit (2) le Vigbona de la célèbre abbesse au Lupin blanc (Lupinus albus L.) des modernes. Il n'est pas possible de savoir exactement quel est le Faselus dont parle, probablement sans l'avoir vu, Vincent de Beauvais dans son Speculum naturale, la description qu'il en donne 1. De plantis quæ in Capitulari Caroli Magni commemorantur, dans les Mém. de l'Acad. polonaise de Cracovie, XI, 1885. 2. In Nuovi Lincei, I, 1884.

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n'étant qu'une mauvaise compilation empruntée à quatre auteurs différents : Isidore de Séville, Palladius, Isaac Judaeus et Avicenne. Albert le Grand, contemporain de Vincent de Beauvais et comme lui moine dominicain, a écrit un traité De vegetabilibus qui possède le mérite, rare à cette époque, de ne pas être une copie servile des anciens et de contenir quelques observations personnelles ; aussi reconnaît-on facilement le Dolique à œil noir dans le Faseolus dont Albert le Grand décrit ainsi les graines : "Sunt faseoli multorum colorum sed quod libet granorum habet maculam nigram in loco coiyledonis." M. Körnicke cite (op. laud.) un manuscrit du XIIe siècle contenant l'Histoire naturelle de Pline dans lequel le mot Fasiolus est suivi du synonyme : "arwiz" ; c'est l'erweyssen de Fuchsius, de Tragus et des vieux botanistes allemands, ou en d'autres termes le Pois, Erbse, des modernes. Le même auteur nous apprend encore que le Dolichos melanophthalmus est représenté (fol. 305), sous la dénomination de Phaseolus, dans le Liber de simplicibus de Benedetto Rinio, enluminé par Andrea Amaglio en 1415, et conservé, comme l'on sait, à la Bibliothèque Saint-Marc de Venise. Avant la fin du XIVe siècle, les traités d'histoire naturelle ornés de miniatures sont assez rares, mais à partir de cette époque et surtout pendant le XVe siècle, ils deviennent plus communs ; le texte qui paraît avoir été le plus souvent reproduit et enluminé, en raison du crédit dont il jouissait alors, porte le titre de Livre des simples médecines ou des Secrets de Salerne, c'est une traduction française du Circa instans, traité de matière médicale dont l'original latin est attribué à Platearius ; ce traité est divisé en chapitres classés par ordre alphabétique et illustrés de miniatures représentant les objets décrits ; il en existe une douzaine de copies à la Bibliothèque nationale, une autre est conservée à l'Arsenal et on en connaît aussi quelques exemplaires dans les grandes bibliothèques de la province et de l'étranger (1); tous ces manuscrits lorsqu'ils sont complets, contiennent un chapitre, toujours identique dans le fond, sauf 1. L'un de ces manuscrits, conservé à Modène, dans la bibliothèque d'Este, a été l'objet d'un important mémoire publié en 1886 par mon excellent ami, M. le prof. J. Camus (R. Acad. sc. lett. ed arti di Modena, sér. 2, IV); le chapitre 37 quelques variantes accessoires, consacré à la description et aux propriétés des Faseoli ; je reproduis ci-après, à titre de curiosité, le chapitre des Faseoli d'après un manuscrit sur parchemin ayant appartenu à Louis de Bruges (Bibl. Nat. ms. fr. n° 9136, fol. 124), j'en modifie seulement un peu l'orthographe pour le rendre plus compréhensible à ceux de mes lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec les anciens textes. De l'herbe nommée Faiseulz — Faseoli : ce sont grains ainsi appellez que une herbe produist et s'estend par terre. Faiseulz sont chaulz au milieu du second degré et moites en la fin d'icelui ; et que ils soient moites ce cognoist-on parce que ils ne peuvent pas séchier comme font les aultres grains et parce qu'ils ne sèchent on ne les peut garder longtemps et pour ce ils engendrent grosses humeurs et aussi ventosités qui enflent et qui souvent emplissent la teste et font songier songes terribles et faulz songes. Il en est de deux manières, c'est à savoir blanches et rousses, et sont les blanches plus moites et moins chauldes et pourtant est leur nourrissement gros et dur à digérer et engendre grosses humeurs et fleumatiques (flegmes) ; qui les veult adélier (atténuer, sous-entendu leurs mauvaises qualités) si les cuise en eau et puis après les nettoie de leur escorce et adonc soient cuiles en ung pot de terre à tout eau et huile d'olive et que l'on y mette du cumin et du poivre estampé (pulvérisé) et ainsi soient pris et mengiés. Les blanches quant elles sont verdes doibvent être purgiées de leurs escorces puis après soient mengiées avec sel, senevé, origant ou calament, cumin et poivre et aussi avec soit bû vin pur et bon. Les cosses et grains des faiseulz ont moins de humidité l'un que l'autre et pourtant sont les rouz de bien plus forte opération ; l'eau où les rouz faiseulz auront cuit si l'on en prend trois onces où l'on mette de l'huile nardine jusqu'à cinq dragmes et de galbanum une et que l'on la boive tout chault, ce provoque les fleurs. Cette description contient à peu près tout ce que les auteurs Faseolus est accompagné dans l'original d'une miniature qui diffère à peine de celles que l'on trouve dans plusieurs de nos manuscrits de Paris — notamment dans les nos 2888 de l'Arsenal et 9136 de la Nationale — ainsi que j'ai pu m'en assurer, grâce aux reproductions que M. Camus a eu l'obligeance de me faire parvenir. Un autre manuscrit de la bibliothèque d'Este, contenant le texte latin du Circa instans, donne du Faseolus une figure aussi défectueuse que la précédente, dont elle diffère surtout par la forme des feuilles, qui rappellent un peu celle du Lierre (folia habet ad Hederæ accedentia Diosc.); à propos de ces deux miniatures, M. Camus m'écrivait récemment : "A dire vrai, il n'y a rien qui puisse confirmer la détermination que j'en ai donnée (op. laud., 66), et je doute fort qu'il existe, avant la seconde moitié du XVIe siècle, des figures dans lesquelles on puisse distinguer avec certitude le genre Phaseolus ; la figure des Heures d'Anne de Bretagne me parait elle-même peu concluante."

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grecs et romains ont dit de leur Smilax ou Faseolus ; mais, tandis que Dioscoride, Pline, Columelle, Apicius connaissaient surtout le Faseolus consommé entier avec sa gousse, Platearius recommande au contraire de dépouiller ce légume de sa cosse. Quant aux miniatures qui accompagnent ce chapitre dans les différents manuscrits, elles dérivent toutes, à peu de chose près, d'un (Fig. 1. Fig. 2.) même type ; je reproduis réduites de moitié les deux plus caractéristiques ; l'une (fig. 1), est empruntée à un manuscrit provenant de la bibliothèque des ducs de Bourgogne (Bib. Nat. ms. fr. n° 9137) ; l'autre (fig. 2), à un manuscrit dont l'origine première est inconnue et qui a fait partie des collections de Gaston d'Orléans avant d'entrer dans la Bibliothèque du Roi (Bibl. Nat. ms. fr. n° 623); d'autres figures du Faseolus, par l'absence de vrilles et l'étroitesse des légumes en forme de siliques, prennent, assez exactement, l'aspect d'une Moutarde.

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La Bibliothèque Nationale a récemment acquis un Tacuin (1) exécuté en Italie au commencement du XVe siècle ; à la vérité, le texte de ce manuel d'hygiène est sans intérêt pour l'étude que je poursuis en ce moment et le manuscrit de la Bibliothèque Nationale se recommande surtout par les grandes miniatures (25 cent. de haut sur 20 cent. de large) dont il est orné ; le tableau peint au folio-verso 44 représente la récolte des Faxiola (sic) ou Fasioli ; j'avoue qu'il m'est impossible de reconnaître le Haricot dans la plante à tige robuste, dressée, non volubile, à feuilles simples, obovales, dont l'artiste a décoré son paysage, la présence de longues gousses géminées et étalées fait seule penser à une légumineuse ; il est assez étonnant que ce manuscrit, dans lequel on trouve représentés outre les Faxiola, la Fève, le Pois chiche, la Cicerchia (Lathyrus sativus L.), la Lentille et le Lupin, ne fasse aucune mention des Pois (Pisum sativum L. et P. arvense L.), si communément cultivés en Italie depuis les temps les plus reculés (A suivre.) 1. Tacuinum sanitatis in medicina. Sur ce manuscrit, cf. L. Delisle, in Journ. des Savants, septembre 1896, p. 518.

Troisième partie : pp. 48-57

(Fin.) Que conclure de l'examen impartial de ces miniatures ? sinon que les botanistes du XVe siècle ne connaissaient pas notre Haricot et que, copistes respectueux de l'antiquité, ils admettaient dans leurs ouvrages, sur l'autorité des Grecs et des Latins, un Faseolus dont la tradition était depuis longtemps perdue. A ce point de vue, l'étude du Livre des simples médecines est particulièrement instructive, car les chapitres qui traitent des plantes indigènes ou communément cultivées sont accompagnés de figures suffisamment exactes et facilement reconnaissables ; telles sont celles du Fraisier, de la Fumeterre, de la Rave, du

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Figuier, de la Rose de Provins à fleurs doubles, du grand Plantain et de l'Herbe aux puces, du Poireau, de la Vigne, de l'Avoine, du Pain de coucou, de la Bourache, de l'Iris germanique et de beaucoup d'autres. Il en est tout autrement lorsque l'artiste a eu à peindre des espèces étrangères dont on ne connaissait que les produits ; ainsi, la Canne à sucre, l'Astragale à gomme, le Narthex asa-fœtida, le Myrobalan emblic, pour n'en citer que quelques-unes, sont représentées d'une façon tout à fait conventionnelle et d'après l'idée qu'une description fort incomplète pouvait donner de la plante ; quant au Giroflier, c'est, dans le Livre des simples, un arbuste sans caractères bien définis, portant à l'extrémité de ses rameaux des fleurs brunes qui ne sont que les clous de girofle du commerce. Le mot Loubiâ, dans l'arabe moderne, désigne les races cultivées du Vigna sinensis L. (Dolichos Lubia Forsk., D. sesquipedalis L. etc.); le D. Lablab L. et assez souvent le Phaseolus vulgaris ; toutefois ce dernier est plus spécialement connu, au moins en Egypte, sous la dénomination de Loubia frengy (franc ou français) qui dénote l'origine étrangère de cette plante et fait soupçonner son introduction par les Européens. Que le nom de Loubià dérive, comme on l'a dit, du libyen (?) loubieh, ou du grec λοϐος par l'intermédiaire du byzantin λουϐὶον, cela n'a qu'un intérêt secondaire ; il est beaucoup plus important de déterminer à quelle espèce se rapporte le loubiâ des auteurs arabes du moyen âge. Au XIIe siècle, Ibn-el-Aouam a consacré un chapitre de son Livre de l'Agriculture (1) au loubiâ ; sans décrire la plante qu'il jugeait, sans doute, suffisamment connue, il se borne à indiquer divers procédés de culture et il énumère une douzaine de races et de variétés dont l'une, affirme-t-il, a les grains de la grosseur d'un œuf de pigeon ; je n'ai pas une foi assez robuste pour accepter cette assertion d'Ibn-el-Aouam et, dans le texte de cet auteur, je ne vois qu'un renseignement à retenir, c'est que le loubià était cultivé aux environs de Séville ; or, suivant don Miguel Colmeiro, qui a soigneusement étudié toutes les sources historiques de la flore hispano-portugaise (2), le Phaseolus vulgaris n'apparaît dans la Péninsule Ibérique qu'au 1. Trad. Clément-Mullet, II, 62; Paris, 1864-67. 2. Examen historico-critico... etc.; Madrid, 1870.

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XVIe siècle, tandis que le nom arabe du Dolique s'est conservé en castillan, après l'expulsion des Maures, sous la forme alubia; et, de fait, le D. Lablab aussi bien que quelques races de D. sinensis sont encore cultivés dans plusieurs provinces de la Péninsule. Ibn-el-Beïthar, un siècle environ après Ibn-el-Aouam, écrit un Traité des simples (1) pour lequel il met largement à contribution la Matière médicale de Dioscoride ; sa description du loubia (chap. 2042) qu'il identifie avec le σμῖλαξ κηπαία est une reproduction du texte de l'auteur grec lequel, je l'ai déjà dit, désigne un Dolique et non un Phaseolus ; le manuscrit arabe n° 4947 de la Bibliothèque Nationale dissipe du reste tous les doutes que l'on pourrait conserver à ce sujet ; c'est une traduction abrégée de la Matière médicale de Dioscoride, avec figures peintes, exécutée en Orient, peut-être en Egypte, vers le VIe siècle de l'hégire (XIIe siècle de notre ère); la miniature au-dessus de laquelle on lit le mot : "el loubiâ" n'a aucune ressemblance avec le Phaseolus vulgaris et je n'hésite pas à y reconnaître la forme à tige basse et non volubile, à fleurs violacées et à graines noires du Dolichos Lablad, encore aujourd'hui cultivée en Egypte où elle remplace souvent comme légume, avec le D. sesquipedalis, notre Haricot commun. J'ignore si, comme on le lui a reproché, A. de Candolle a négligé de consulter les anciens traités d'histoire naturelle : Herbarius, Arbolayre, Ortus sanitatis, Grant Herbier et autres publications de l'imprimerie à ses débuts ; je crois que la lecture de ces incunables, répétant avec une monotonie fatigante un texte assez semblable à celui du Livre des simples médecines, n'eût rien appris à l'auteur de l'Origine des plantes cultivées ; je suis même persuadé que l'examen des figures qui accompagnent, dans quelques-uns de ces traités, la description du Faseolus n'aurait pu que confirmer A. de Candolle dans l'idée que le Haricot était inconnu en Europe avant la découverte de l'Amérique. Les trois gravures sur bois dont je donne des reproductions, d'après les originaux (2), permettront au lecteur de juger en toute connaissance de cause. 1. Trad. L. Leclerc, in Notices et Extraits, XXIII-XXVI.

2. Je dois les clichés photographiques de ces figures à l'obligeance de M. G. Dethan, lauréat de l'École supérieure de Pharmacie de Paris, qui les a exécutés sur les précieuses éditions que m'a communiquées mon confrère et ami, M. le docteur Dorveaux, bibliothécaire de la même école.

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La figure 3 est empruntée à l'Ortus sanitatis translaté de latin en françois (Paris, Ant. Vérard s. d., vers 1499), elle est identique à celle que l'on trouve dans les éditions antérieures, notamment dans les éditions latines nos 8941 et 8944 du Repertorium de Hain ; les fruits en forme de gousses donnent seuls l'idée d'une Légumineuse, mais pour tout le reste la plante est fictive et n'a aucun rapport avec le Haricot. La figure 4 représente le Faseolus dans une édition sans date, mais des dernières années du XVe siècle, de l'Opus ruralium commodorum (Fig. 3. Fig. 4) de l'agronome italien Pietro de Crescenzi ; je ne comprends pas comment Asa-Gray et Trumbull ont pu dire (op. laud., 136) de cette figure : "has little ressemblance to the Phaseolus of moderne botany"; elle me paraît rappeler bien mieux une Dipsacée, la Cardère (Dipsacus Fullonum L.), surtout si on la rapproche de la petite gravure sur bois (fig. 5) qui orne, sous le nom de Phasioli, la marge inférieure (p. 49) d'un Tacuin imprimé à Strasbourg en 1531 et qui représente à n'en pas douter le Dipsacus sylvestris L. Quelle que soit la valeur artistique des miniatures du Livre d'heures d'Anne de Bretagne, je crois qu'il serait téméraire d'affirmer que la plante représentée à la page 389 est notre Haricot commun ; M. J. Camus lui-même reconnaît aujourd'hui que cette figure n'est pas concluante ; j'ajouterai que, par ses

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fleurs d'un jaune serin et par quelques autres caractères, elle rappelle assez bien un Vigna, peut-être une des nombreuses formes du V. sinensis L.; même si l'on démontrait l'identité des Faverolles du Livre d'Anne de Bretagne avec le Phaseolus, cela ne constituerait pas une preuve contre l'origine américaine de ce dernier, attendu qu'il s'était écoulé quinze ans entre la découverte du Nouveau-Monde et l'époque à laquelle le manuscrit de la duchesse fut terminé et, qu'entre ces deux dates, le Haricot, rapporté en Europe par les navigateurs espagnols, pouvait avoir été envoyé à titre de curiosité au jardin royal de Blois. Nous savons en effet, par les témoignages des historiens et des biographes, que, dès son premier débarquement à Cuba, Christophe Colomb y avait observé des champs plantés de Faxones et de Habas (fabas) très différentes de celles d'Espagne et, en consultant les récits des voyageurs qui, après Colomb, visitèrent le Nouveau-Monde, on reconnaît sans peine dans ces Faxones ou Habas dont les Indiens cultivaient de nombreuses variétés, le Haricot que les auteurs espagnols de la première moitié du XVIe siècle mentionnent comme apporté des pays nouvellement découverts, sous les noms de Frijol ou Judias encore usités de nos jours. D'Espagne, le Haricot passe de bonne heure dans les Flandres par suite du régime politique qui unissait alors les deux pays ; de là, il se répand en Allemagne, en Italie et en France ; il ne paraît pas avoir été introduit en Angleterre avant l'année 1594 ; du reste, au milieu du XVIe siècle, le Phaseolus vulgaris commence à être assez bien connu sans faire cependant l'objet d'une grande culture et les botanistes de ce temps, dont la préoccupation dominante était de retrouver les plantes des anciens, l'identifient, pour la plupart sans hésitation, avec le Smilax hortensis de Dioscoride ou avec le Phaseolus des Grecs et des Latins. Suivant M. Wittmack, le Phaseolus vulgaris aurait été décrit et figuré pour la première fois, par les botanistes allemands, en 1536 ; il est certain qu'à la date de 1542, Fuchs en a donné (Hist. stirp., 707) une très bonne gravure sur bois ; la même année Tragus décrit et figure (Stirp. comm., 615) notre Haricot commun sous le nom de Smilax hortensis, Welsch Bonen, Welsche Fäselen, hoc est italicas fabas seu Phaseolos italicos, et un peu plus loin (p. 652) il explique, à propos du Maïs (Welsch

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Korn), cette qualification de welsch, italicus : "germani ita enim omnia peregrina et prius nostro orbi incognita appellare solent" ; enfin, il ajoute que ces sortes de fèves sont étrangères, qu'elles ont été apportées des pays chauds et que les gelées tardives du printemps aussi bien que les premiers froids de l'automne leur sont funestes. Neuf ans plus tard, un autre allemand, Lonitzer, appelle de même (Natural. hist., Francfort 1551) le Haricot un légume étranger, cultivé seulement dans les jardins de quelques curieux, et Valerius Cordus reproduit cette opinion dans ses Annotationes (p. 43; Strasbourg 1561). En Italie, Mattioli publie ses Commentaires sur Dioscoride, dont les éditions se succèdent de 1554 à 1598; au chapitre Smilax hortensis (Mesch. Phasioli. Lentes) il décrit et figure le Phaseolus vulgaris auquel il attribue, en dernier lieu, une origine étrangère, tandis que dans son Phasiolus, il est facile de reconnaître le Dolichos melanophthalmus DC, d'abord à la forme des gousses, et ensuite à la couleur des graines blanches "praeter umbilicum qui tantum in iis nigricat" (1) ; c'est le Dolique et non comme on l'a cru (2) le Haricot, qui formait la base de cette eau de beauté dont Mattioli conseille l'emploi aux dames italiennes de son temps pour conserver la fraîcheur de leur teint. Cesalpino réunit (Lib. de plantis ,VI, cap. 14; Florence 1583) dans un même chapitre, sous le nom de Phaselus, le Dolique et 1. Gesner (Hort. Germ., 272) et C. Bauhin (Pinax, 339), qui connaissaient mal les cultures de l'Italie méridionale, ont avancé, sans raison, que Mattioli avait décrit et figuré une seule et même plante sous les noms de Phasiolus et de Smilax ; Gilibert (Hist. pl. Europe, II, 421) s'est également trompé en rapportant le Phasiolus de Mattioli au Ph. nanus L.

2. Cf. Ch. Estienne : Maison rustique, et Gibault, op. laud., 11.

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le Haricot ; il caractérise nettement le premier par la tache noire de ses semences, imitant la pupille de l'œil ; quant au second il le qualifie de "genus peregrinum apud nos seritur in hortis ope topiaro... Phaselos turcicos vocant ». Dodoens, botaniste flamand, a donné une assez bonne figure du Phaseolus vulgaris qu'il a reproduite dans ses différents ouvrages (Cruydeboeck , Historia frumentorum et leguminum, Pemptades); son texte n'est qu'une paraphrase des anciens auteurs et ce qu'il rapporte de l'usage du Haricot dans l'alimentation, comme légume vert, est emprunté à Dioscoride : "siliqua, uti Dioscorides ait, cum seminibus..... estur" (Hist. frument. et legum., 106) . Avec Dodoens seul, nous ne serions qu'imparfaitement renseignés sur l'histoire du Phaseolus dans les Flandres, si nous ne trouvions, dans un botaniste du même pays et de la même époque, des détails beaucoup plus précis ; en effet, Charles de l'Ecluse donne (Rar. pl. hist., II, 223) la même gravure sur bois que Dodoens, mais avec un texte nouveau ; il appelle tous les Phaseolus des plantes étrangères et, en ce qui concerne le Ph. vulgaris, il dit positivement en avoir reçu les graines d'Espagne, avec celles d'autres espèces du même genre, sous le nom commun de Alubias de Indias. En France, Jean Ruel aurait, croit-on, le premier parlé du Haricot ; à la vérité le De naturâ stirpium, imprimé à Paris en 1536, consacre (p. 542) un chapitre au Phaseolus et un autre au Smilax hortensis (p. 520); mais l'ouvrage de Ruel n'est qu'une traduction latine, avec commentaires, de la Matière médicale de Dioscoride et l'absence de figures ne permet de préciser ni les espèces, ni même les genres dont l'auteur parle dans ces deux chapitres. En 1554, Ch. Estienne, médecin parisien et imprimeur, qui composait et éditait des livres pour l'instruction des écoliers de son temps, ne connaissait certainement pas notre Haricot ; la description qu'il donne (Præd. rustic., 440) du Phaseolus est une réédition de Dioscoride et il recommande, avec Columelle, de semer ce légume depuis le 15 octobre jusqu'au 1er novembre ce qui est impossible sous le climat de Paris ; dans l'édition française publiée après la mort d'Estienne, sous le titre de Maison rustique, le traducteur ajoute cependant qu'on peut 55 aussi semer les Phaséols en mars, ce qui est plus exact. Un autre médecin français, Jacques Daléchamps, auteur d'une Historia generalis plantarum (Lyon 1581) dans laquelle il y a beaucoup de compilation, connaissait probablement le Haricot qu'il décrit et représente assez exactement, mais il y a lieu de remarquer que sa figure n'est, comme son texte, qu'une contrefaçon de Mattioli. Parmi les agronomes, Giovanni Tatti, au rapport de Bubani, aurait le premier en Italie, à la date de 1560, recommandé la culture du Haricot ; en France, aucun agriculteur, à ma connaissance, n'en a parlé avant Olivier de Serres qui ne donne cependant à ce légume qu'une place bien minime dans son Théâtre de l'agriculture et mesnage des champs (Paris 1600) (1); en tout cas, ce n'est vraisemblablement pas avant l'année 1560, au plus tôt, que le Haricot dut sortir des jardins des curieux et des amateurs pour entrer dans la culture maraîchère et paraître sur les marchés de Paris et des grandes villes de la province, car, en 1558, André Thevet cite parmi Les singularitez de la France antarctique autrement nommée Amérique (septentrionale) "les fèves plates et blanches comme neige, que plantent les indigènes du Canada, lesquelles sont fort bonnes"; il ajoute pour compléter ces renseignements "qu'il s'en trouve de cette espèce en l'Amérique (méridionale) et au Pérou". Je ne dirai rien de l'étymologie du mot Haricot (2) sur laquelle on a tant discuté, cette question de pure philologie n'éclairant en rien l'origine de la plante elle-même ; mais il n'est pas sans intérêt de rappeler, qu'indépendamment du nom vernaculaire de Welschbohne donné au Haricot à rames par les botanistes allemands du XVIe siècle, on trouve encore, dans quelques auteurs, les dénominations de Fagiuolo turchesco, Faba turcica, Türkische Bohne qui rappellent celles deFrumentum turcicum, Blé de Turquie, Granturco, appliquées au Maïs dont l'origine américaine n'est pas douteuse ; les langues primitives des indigènes du Nouveau-Monde possédaient, au dire des philo- 1. Les poix et fèves, entre les légumes, sont ceux de plus de réputation ès beaux jardinages ; ils seront accompagnés des chiches, faziols et autres de mérite."

2. Je rappellerai seulement qu'Oudin est le premier lexicographe qui ait admis, dans ses Curiositéz françoises (1640), le mot haricot avec la signification de légume que nous lui donnons aujourd'hui.

56 logues, des mots spéciaux pour désigner les Phaseolus de même que le Maïs, et l'on sait que l'on a trouvé des épis de l'un et des graines de l'autre dans quelques tombeaux péruviens antérieurs à la conquête espagnole. Il ne faut pas oublier que Mattioli réunit, dans un même genre, le Dolique à œil noir et les Pois (Pisum sativum et P. arvense) qu'il nomme simplement Fagiuoli, tandis qu'il appelle plus spécialement notre Haricot Fagiuolo turchesco; à la même époque, Calepino, dans son grand Dictionnaire, donne comme synonyme de Phaseolus : "Circercula (Lathyrus sativus L.) quae etiam hodiè Fasillorum nomen apud vulgus retinet"; chez les vieux botanistes français, on ren- contre les noms de febves peinctes et fèves riolées appliqués aux variétés à graines colorées du Phaseolus vulgaris, mais dans aucun je n'ai trouvé le synonyme de Pois blanc donné au Haricot à grains blancs, lequel était alors moins estimé que les races à graines plus ou moins foncées ; ceci me confirme dans l'opinion que les pois blancs des redevances du moyen âge n'étaient pas, comme on l'a supposé, nos modernes Haricots blancs, mais bien le Pisum sativum dont les graines diffèrent, par leur couleur blanchâtre, de celles du P. arvense qui servaient à la nourriture du bas peuple et des paysans, comme à l'époque romaine elles avaient servi à la nourriture des classes inférieures et des esclaves. Tels sont les principaux documents sur lesquels je m'appuie pour résoudre, dans le sens négatif, la question posée au début de cette étude ; je crois en effet pouvoir tirer des arguments ci-dessus développés les conclusions suivantes : 1° Aucune graine de Haricot n'a jamais été trouvée dans les tombeaux ou dans les ruines des cités de l'Ancien-Monde. 2° Il est impossible de reconnaître, avec certitude, le Phaseolus vulgaris dans les écrits des médecins-naturalistes de l'antiquité et du moyen âge ; les textes que la plupart des commentateurs rapportaient à cette espèce, désignent d'autres Légumineuses : Dolique, Pois ou Gesse. 3° Dans quelques traités de la fin du moyen âge et du commencement de la renaissance, le Phaseolus n'est plus cité que sur l'autorité des écrivains grecs et latins et les figures qu'on en donne sont fictives ou erronées. 4° Plusieurs races ou variétés de Phaseolus vulgaris étaient 57 très anciennement cultivées, en Amérique, au moment de l'arrivée des Européens et les premiers voyageurs en parlent comme d'une nouveauté. 5° Au milieu du XVIe siècle, le Phaseolus vulgaris est très exactement décrit et figuré par la plupart des botanistes qui l'identifient avec le Smilax hortensis ou avec le Phaseolus de Dioscoride ; aucun n'affirme, cependant, que la plante soit depuis longtemps cultivée en Europe et plusieurs, au contraire, disent positivement que cette Légumineuse est d'origine étrangère et qu'elle a été récemment introduite.