Maïs (Candolle, 1882)

De PlantUse Français
Aller à : navigation, rechercher

Nom accepté : Zea mays L.

Riz
Alphonse de Candolle, Origine des plantes cultivées, 1882
Pavot

[311]

Maïs. — Zea Mays, Linné.

« Le Maïs est originaire d'Amérique et n'a été introduit dans l'ancien monde que depuis la découverte du nouveau. Je regarde ces deux assertions comme positives, malgré l'opinion contraire de quelques auteurs et le doute émis par le célèbre agronome Bonafous, auquel nous devons le traité le plus complet sur le Maïs 5. » C'est ainsi que je m'exprimais en 1855, après avoir déjà combattu l'idée de Bonafous au moment de la publication de son ouvrage 6. Les preuves se sont renforcées depuis, en faveur de l'origine américaine. Cependant on a fait des tentatives dans un sens opposé, et, comme le nom de Blé de Turquie entretient une erreur, il est bon de reprendre la discussion avec de nouveaux documents.

Personne ne conteste que le Maïs était inconnu en Europe du temps de l'empire romain, mais on a prétendu qu'il avait été apporté d'Orient, au moyen âge. L'argument principal reposait sur une charte du XIIIe siècle, publiée par Molinari 7, d'après

____________________

5. Bonafous, Hist. nat. agric. et économique du Maïs, un vol. in-folio, Paris et Turin, 1836.

6. A. de Candolle, Bibliothèque universelle de Genève, août 1836 ; Géogr. bot. raisonnée, p. 942.

7. Molinari, Storia d'Incisa, Asti, 1810.


[312]

laquelle deux croisés, compagnons d'armes de Boniface III, marquis de Monferrat, auraient donné en 1204, à la ville d'Incisa, un morceau de la vraie croix..... plus une bourse contenant une sorte de grains de couleur d'or et en partie blancs, inconnus dans le pays, qu'ils rapportaient d'Anatolie, où ils s'appelaient Meliga, etc. L'historien des croisades, Michaux, et ensuite Daru et de Sismondi, ont beaucoup parlé de cette charte ; mais le botaniste Delile, ainsi que Targioni-Tozzetti et Bonafous lui-même ont pensé qu'il s'agissait de quelque Sorgho et non du Maïs. Ces vieilles discussions sont devenues risibles, car M. le comte Riant 1 a découvert que la charte d'Incisa est une pure fabrication d'un imposteur du siècle actuel ! Je cite cet exemple pour montrer combien les érudits, qui ne sont pas naturalistes, peuvent se tromper dans l'interprétation des noms de plantes, et aussi combien il est dangereux dans les questions historiques de s'appuyer sur une preuve isolée.

Les noms de Blé de Turquie, Blé turc donnés au Maïs dans presque toutes les langues modernes d'Europe ne démontrent pas mieux que la charte d'Incisa une origine orientale. Ce sont des noms aussi faux que celui du Coq d'Inde, en anglais Turkey, donné à un oiseau venu d'Amérique. Le Maïs a été appelé en Lorraine en dans les Vosges Blé de Rome, en Toscane Blé de Sicile, en Sicile Blé d'Inde, dans les Pyrénées Blé d'Espagne, en Provence Blé de Barbarie ou de Guinée. Les Turcs le nomment Blé d'Egypte, et les Egyptiens Dourah de Syrie. Dans ce dernier cas, cela prouve au moins qu'il n'est ni d'Egypte ni de Syrie. Le nom si répandu de Blé de Turquie date du xvie siècle. Il est venu d'une erreur sur l'origine de la plante, entretenue peut-être par les houppes qui terminent les épis de Maïs, qu'on aurait comparées à la barbe des Turcs, ou par la vigueur de la plante, qui motivait une expression analogue à celle de « fort comme un Turc ». Le premier botaniste chez lequel on trouve le nom de Blé turc est Ruellius 2 en 1536. Bock ou Tragus 3, en 1552, après avoir donné une figure de l'espèce, qu'il nomme Frumentum turcicum, Welschkorn des Allemands, ayant appris par des marchands qu'elle venait de l'Inde, eut l'idée malheureuse de supposer que c'était un certain Typha de Bactriane, dont les anciens avaient parlé vaguement. Dodoens en 1583, Camerarius en 1588 et Matthiole 4 rectifièrent ces erreurs et affirmèrent positivement l'origine américaine. Ils adoptèrent le nom de Mays, qu'ils savaient américain.

____________________

1. Riant, La charte d'Incisa, broch. in-8°, 1877, tirée à part de la Revue des questions historiques.

2. Ruellius, De natura stirpium, p. 428 : « Hanc quoniam nostrorum ætate e Graecia vel Asia venerit Turcicum frumentum nominant. » Fuchsius, p. 824, répète cette phrase, en 1543.

3. Tragus, Stirpium, etc., éd. 1552, p. 650.

4. Dodoens, Pemptades, p. 509 ; Camerarius, Hort., p. 94 ; Matthiole, ed. 1570, p. 305.


[313]

Nous avons vu (p. 291) que le Zea des Grecs était FEpeautre. Bien certainement les anciens n'ont pas connu le Maïs. Les voyageurs 1 qui décrivirent les premiers les productions du nouveau monde furent très surpris à sa vue, preuve évidente qu'ils ne l'avaient pas connu en Europe. Hernandez 2, parti d'Europe en 1571, suivant les uns, en 1593, suivant d'autres 3, ne savait pas qu'à Seville, dès l'année 1500, on avait reçu beaucoup de graines de Maïs pour le mettre en culture. Le fait, attesté par Fée, qui avait vu les registres de la municipalité 4, montre bien l'origine américaine, en raison de laquelle Hernandez trouvait le nom de blé de Turquie très mauvais.

On dira, peut-être, que le Maïs, nouveau pour l'Europe au XVIe siècle, existait quelque part en Asie ou en Afrique avant la découverte de l'Amérique ? Voyons ce qu'il faut en penser.

Le célèbre orientaliste d'Herbelot 3 avait accumulé plusieurs erreurs, relevées par Bonafous et moi-même, au sujet d'un passage de l'historien persan Mirkoud, du XVe siècle, sur une céréale que Rous, fils de Japhet, aurait semée sur les bords de la mer Caspienne et qui serait le Blé de Turquie des modernes. Il ne vaut pas la peine de s'arrêter à ces assertions d'un savant qui n'avait pas eu l'idée de consulter les ouvrages des botanistes de son époque ou antérieurs. Ce qui est plus important, c'est le silence absolu, au sujet du Maïs, des voyageurs qui ont visité l'Asie et l'Afrique avant la découverte de l'Amérique ; c'est aussi l'absence de nom hébreu ou sanscrit pour cette plante ; et enfin que les monuments de l'ancienne Egypte n'en présentent aucun échantillon ou dessin 6. Rifaud, il est vrai, a trouvé une fois un épi de Maïs dans un cercueil de Thèbes, mais on croit que c'est l'effet de quelque supercherie d'Arabe. Si le Maïs avait existé dans l'ancienne Egypte, il se verrait dans tous les monuments et aurait été lié à des idées religieuses, comme les autres plantes remarquables. Une espèce aussi facile à cultiver se serait répandue dans les pays voisins. La culture n'aurait pas été abandonnée, et nous voyons, au contraire, que Prosper Alpin, visitant l'Egypte en 1392, n'en a pas parlé, et que Forskal 7, à la fin du XVIIIe siècle, mentionnait le Maïs comme encore peu cultivé en Egypte, où il n'avait pas reçu un nom distinct des Sorghos. Ebn Baithar, médecin arabe du XIIIe siècle, qui avait parcouru les pays situés entre l'Espagne et la Perse, n'indique aucune plante qu'on puisse supposer le Maïs.

____________________

1. P. Martyr, Ercilla, Jean de Lery, etc., de I516 à 1578.

2. Hernandez, Thes. mexic, p. 242.

3. Lasègue, Musée Delessert, p. 467.

4. Fée, Souvenirs de la guerre d'Espagne, p. 128.

5. Bibliothèque orientale, Paris, 1697, au mot Rous.

6. Kunth, Ann. sc. nat., sér. 1, vol. 8, p. 418 ; Raspail, ibid. ; Unger, Pflanzen des alten Ægyptens ; A. Braun, Pflanzenreste ægypt. Mus. in Berlin ; Wilkinson, Manners and customs of ancient Egyptians.

7. Forskal, p. LIII.


[314]

J. Crawfurd 1, après avoir vu le Maïs généralement cultivé dans l'archipel indien, sous un nom, Jarung, qui lui paraissait indigène, a cru l'espèce originaire de ces îles. Mais alors comment Rumphius n'en aurait-il pas dit un mot ? Le silence d'un pareil auteur fait présumer une introduction depuis le xviie siècle. Sur le continent indien, le Maïs était si peu répandu dans le siècle dernier, que Roxburgh 2 écrivait dans sa flore, publiée longtemps après avoir été rédigée : « Cultivé dans différentes parties de l'Inde dans les jardins et seulement comme objet de luxe ; mais nulle part sur le continent indien comme objet de culture en grand. » Nous avons vu qu'il n'y a pas de nom sanscrit.

En Chine, le Maïs est fréquemment cultivé aujourd'hui, en particulier, autour de Péking, depuis plusieurs générations d'hommes 3, quoique la plupart des voyageurs du siècle dernier n'en aient fait aucune mention. Le Dr Bretschneider, dans son opuscule de 1870, n'hésitait pas à dire que le Maïs n'est pas originaire de Chine ; mais quelques mots de sa lettre de 1881 me font penser qu'il attribue maintenant de l'importance à un ancien auteur chinois dont Bonafous et après lui MM. Hance et Mayers ont beaucoup parlé. Il s'agit de l'ouvrage de Li-chi-Tchin intitulé Phen-thsao-Kang-Mou, ou Pên-tsao-kung-mu, espèce de traité d'histoire naturelle, que M. Bretschneider 4 dit être de la fin du XVIe siècle. Bonafous précise davantage. Selon lui, il a été terminé en 1578. L'édition qu'il en avait vue, dans la bibliothèque Huzard, est de 1637. Elle contient la figure du Maïs, avec le caractère chinois. Cette planche est copiée dans l'ouvrage de Bonafous, au commencement du chapitre sur la patrie du Maïs. Il est évident qu'elle représente la plante. Le Dr Hance 5 paraît s'être appuyé sur des recherches de M. Mayers, d'après lesquelles d'anciens auteurs chinois prétendent que le Maïs aurait été importé de Sifan (Mongolie inférieure, à l'ouest de la Chine), longtemps avant la fin du quinzième siècle, à une date inconnue. Le mémoire contient une copie de la figure du Pên-tsa-kung-mu, auquel il attribue la date de 1597.

L'importation par la Mongolie est tellement invraisemblable qu'il ne vaut pas la peine d'en parler, et, quant à l'assertion principale de l'auteur chinois, il faut remarquer les dates ou incertaines ou tardives qui sont indiquées. L'ouvrage a été terminé en 1578, selon Bonafous, et selon Mayers en 1597. Si cela est vrai, surtout si la seconde de ces dates est certaine, on peut admettre que le Maïs aurait été apporté en Chine depuis la dé-

____________________

1. Crawfurd, History of the indian archipelaqo, Edinburgh, 1820, vol. 1 ; Journal of bot., 1866, p. 326.

2. Roxburgh, Flora inclica, ed. de 1832, vol. 3, p. 568.

3. Bretschneider, On study and value, etc., p. 7, 18.

4. Bretschneider, l. c, p. 50.

5. L'article est dans le Pharmaceutical journal de 1870. Je ne le connais que par un court extrait, dans Seemann, Journal of botany, 1871, p. 62.


[315]

couverte de l'Amérique. Les Portugais sont venus à Java en 1496 c'est-à-dire quatre années après la découverte de l'Amérique, et en Chine dès l'année 1516 2. Le voyage de Magellan de l'Amérique australe aux îles Philippines a eu lieu en 1520. Pendant les 58 ou 77 années entre 1516 et les dates attribuées aux éditions de l'ouvrage chinois, des graines de Maïs ont pu être portées en Chine par des voyageurs venant d'Amérique ou d'Europe. Le Dr Bretschneider m'écrivait récemment que les Chinois n'ont point eu connaissance du nouveau monde avant les Européens, et que les terres situées à l'orient de leur pays, dont il est quelquefois question dans leurs anciens ouvrages, étaient le Japon. Il avait déjà cité l'opinion d'un savant chinois que l'introduction du Maïs près de Peking date des derniers temps de la dynastie Ming, laquelle a fini en 1644. Voilà une date qui s'accorde avec les autres probabilités.

L'introduction au Japon est probablement plus tardive, puisque Kæmpfer n'a pas mentionné l'espèce 3.

D'après cet ensemble de faits, le Maïs n'était pas de l'ancien monde. Il s'y est répandu rapidement après la découverte de l'Amérique, et cette rapidité même achève de prouver que, s'il avait existé quelque part, en Asie ou en Afrique, il y aurait joué depuis des milliers d'années un rôle très important.

Nous allons voir en Amérique des faits qui contrastent avec ceux-ci.

Au moment de la découverte de ce nouveau continent, le Maïs était une des bases de son agriculture, depuis la région de la Plata jusqu'aux Etats-Unis. Il avait des noms dans toutes les langues 4. Les indigènes le semaient autour de leurs demeures temporaires, quand ils ne formaient pas une population agglomérée. Les sépultures appelées mounds des indigènes de l'Amérique du Nord antérieurs à ceux de notre temps, les tombeaux des Incas, les catacombes du Pérou renferment des épis ou des grains de Maïs, de même que les monuments de l'ancienne Egypte des grains d'Orge, de blé ou de Millet. Au Mexique, une déesse qui portait un nom dérivé de celui du Maïs (Cinteutl, de Cintli), était comme la Cérès des Grecs, car elle recevait les prémices de la récolte du Maïs, comme la déesse grecque de nos céréales. A Cusco, les vierges du soleil préparaient du pain de Maïs pour les sacrifices. Rien ne montre mieux l'antiquité et la généralité de la culture d'une plante que cette fusion intime avec les usages religieux d'anciens habitants. Il ne faut cependant pas attribuer à ces indications en Amérique la même importance que dans notre ancien monde. La civilisation des Péruviens, sous les

____________________

1. Rumphius, Amboyn., vol. 5, p. 525.

2. Malte-Brun, Géographie, 1, p. 493.

3. Une plante gravée sur une ancienne arme que Siebold avait prise pour le Maïs est un Sorgho, d'après Rein, cité par Wittmack, Ueb. antiken Maïs.

4. Voir Martius, Beiträge zur Ethnographie Amerika's, p. 127.


[316]

Incas, et celle des Toltecs et Atztecs au Mexique ne remontent pas à l'antiquité extraordinaire des civilisations de la Chine, de la Chaldée et de l'Egypte. Elle date tout au plus des commencements de l'ère chrétienne ; mais la culture du Maïs est plus ancienne que les monuments, d'après toutes les variétés de l'espèce qui s'y trouvaient et leur dispersion dans des régions fort éloignées.

Voici une preuve plus remarquable d'ancienneté découverte par Darwin. Cet illustre savant a trouvé des épis de Maïs et 18 espèces de coquilles de notre époque enfouis dans le terrain d'une plage du Pérou, qui est maintenant à 85 pieds au moins au-dessus de là mer 1. Ce Maïs n'était peut-être pas cultivé, mais dans ce cas ce serait encore plus intéressant comme indication de l'origine de l'espèce.

Quoique l'Amérique ait été explorée par un grand nombre de botanistes, aucun n'a rencontré le Maïs dans les conditions d'une plante sauvage.

Auguste de Saint-Hilaire 2 avait cru reconnaître le type spontané dans une forme singulière dont chaque grain est caché en dedans de sa bâle ou bractée. On la connaît à Buenos-Ayres, sous le nom de Pïnsigallo. C'est le Zea Mays tunicata de Saint-Hilaire, que Bonafous a figuré dans sa planche 5 bis, sous le nom de Zea cryptosperma. Lindley 3 en a aussi donné une description et une figure, d'après des graines venues, disait-on, des montagnes Rocheuses, origine qui n'est pas confirmée par les flores récemment publiées de Californie. Un jeune Guarany, né dans le Paraguay ou sur ses frontières, avait reconnu ce Maïs et dit à Saint-Hilaire qu'il croissait clans les forêts humides de son pays. Comme preuve d'indigénat, c'est très insuffisant. Aucun voyageur, à ma connaissance, n'a vu cette plante au Paraguay ou au Brésil. Mais, ce qui est bien intéressant, on l'a cultivée en Europe, et il a été constaté qu'elle passe fréquemment à l'état ordinaire du Maïs. Lindley l'avait observé après deux au trois années seulement de culture, et le professeur von Radie a obtenu d'un même semis 225 épis de la forme tunicata et 105 de forme ordinaire, à grains nus 4. Evidemment cette forme, qu'on pouvait croire une véritable espèce, mais dont la patrie était cependant douteuse, est à peine une race. C'est une des innombrables variétés, plus ou moins héréditaires, dont les botanistes les plus accrédités ne font qu'une seule espèce, à cause de leur peu de fixité et des transitions qu'elles présentent fréquemment.

Sur l'état du Zea Mays et sur son habitation en Amérique,

____________________

1. Darwin, Variations of animais and plants under domestication, 1, p. 320.

2. A. de Saint-Hilaire, Ann. sc. nat., 16, p. 143.

3. Lindley, Journal of the hortic. Society, 1, p. 114.

4. Je cite ces faits d'après Wittmack, Ueber antiken Maïs aus Nord und Sud Amerika, p. 87, dans Berlin. anthropolog. Ges., 10 nov. 1879.


[317]

avant que l'homme se fût mis à le cultiver, on ne peut faire que des conjectures. Je les énoncerai, selon ma manière de voir, parce qu'elles conduisent pourtant à certaines indications probables.

Je remarque d'abord que le Maïs est une plante singulièrement dépourvue de moyens de dispersion et de protection. Les graines se détachent difficilement de l'épi, qui est lui-même enveloppé. Elles n'ont aucune aigrette ou aile dont le vent puisse s'emparer. Enfin, quand l'homme ne recueille pas l'épi, elles tombent enchâssées dans leur gangue, appelée rafle, et alors les rongeurs et autres animaux doivent les détruire en qualité, d'autant mieux qu'elles ne sont pas assez dures pour traverser intactes les voies digestives. Probablement, une espèce aussi mal conformée devenait de plus en plus rare, dans quelque région limitée, et allait s'éteindre, lorsqu'une tribu errante de sauvages, s'étant aperçue de ses qualités nutritives, l'a sauvée de sa perte en la cultivant. Je crois d'autant plus à une habitation naturelle restreinte que l'espèce est unique, c'est-à-dire qu'elle constitue ce qu'on appelle un genre monotype. Evidemment les genres de peu d'espèces et surtout les monotypes ont, en moyenne, une habitation plus étroite que les autres. La paléontologie apprendra peut-être un jour s'il a existé en Amérique plusieurs Zea ou Graminées analogues, dont notre Maïs serait le dernier. Au temps actuel le genre Zea, non seulement est monotype, mais encore est assez isolé dans sa famille. On peut mettre à côté de lui un seul genre, Euchlæna, de Schrader, dont une espèce est au Mexique et l'autre à Guatemala, mais c'est un genre bien particulier et sans transitions avec le Zea.

M. Wittmack a fait des recherches curieuses pour deviner quelle variété du Maïs représente, avec une certaine probabilité, la forme d'une époque antérieure aux cultures. Dans ce but, il a comparé des épis et des grains extraits des Mounds de l'Amérique du Nord, et des tombeaux du Pérou. Si ces monuments avaient montré une seule forme de Maïs, le résultat aurait été significatif ; mais il s'est trouvé plusieurs variétés différentes, soit dans les Mounds, soit au Pérou. Il ne faut pas s'en étonner. Ces monuments ne sont pas très anciens. Le cimetière d'Ancon, au Pérou, dont M. Wittmack a obtenu les meilleurs échantillons, est à peu près contemporain de la découverte de l'Amérique 1. Or, à cette époque, le nombre des variétés était déjà considérable, selon tous les auteurs, ce qui prouve une culture beaucoup plus ancienne. Des expériences dans lesquelles on sèmerait, plusieurs années

____________________

1. Rochebrune, Recherches ethnographiques sur les sépultures péruviennes d'Ancon, d'après un extrait par Wittmack, dans Uhlworm, Bot. Central-blatt, 1880, p. 1633, où l'on voit que le cimetière a servi avant et depuis la découverte de l'Amérique.


[318]

de suite, des variétés de Maïs, dans des terrains non cultivés, montreraient peut-être un retour à quelque forme commune, qu'on pourrait alors considérer comme la souche. Rien de pareil n'a été fait. On a seulement observé que les variétés sont peu stables, malgré leur grande diversité.

Quant à l'habitation de la forme primitive inconnue, voici les raisonnements qui peuvent la faire entrevoir jusqu'à un certain point.

Les populations agglomérées n'ont pu se former que dans les pays où se trouvaient naturellement des espèces nutritives faciles à cultiver. La pomme de terre, la batate et le maïs ont joué sans doute ce rôle en Amérique, et les grandes populations de cette partie du monde s'étant montrées d'abord dans les régions situées à une certaine élévation, du Chili au Mexique, c'est là probablement que se trouvait le Maïs sauvage. Il ne faut pas chercher dans les régions basses, telles que le Paraguay, les bords du fleuve des Amazones, ou les terres chaudes de la Guyane, de Panama et du Mexique, puisque leurs habitants étaient jadis moins nombreux. D'ailleurs les forêts ne sont nullement favorables aux plantes annuelles, et le Maïs ne prospère que médiocrement dans les contrées chaudes et humides où l'on cultive le Manioc 1.


D'un autre côté, sa transmission, de proche en proche, est plus facile à comprendre si le point de départ est supposé au centre que si on le place à l'une des extrémités de l'étendue dans laquelle on cultivait l'espèce du temps des Incas et des Toltecs, ou plutôt des Mayas, Nahuas et Chibchas qui les ont précédés. Les migrations des peuples n'ont pas marché régulièrement du nord au midi ou du midi au nord. On sait qu'il y en a eu dans des sens divers, selon les époques et les pays 2. Les anciens Péruviens avaient à peine connaissance des Mexicains et vice versa, comme le prouvent leurs croyances et des usages extrêmement différents. Pour qu'ils aient cultivé de bonne heure, les uns et les autres, le Maïs, il faut supposer un point de départ intermédiaire ou à peu près. J'imagine que la Nouvelle-Grenade répond assez bien à ces conditions. Le peuple appelé Chibcha, qui occupait le plateau de Bogota lors de la conquête par les Espagnols et se regardait comme autochtone, était cultivateur. Il jouissait d'un certain degré de civilisation, attesté par des monuments que l'on commence à explorer. C'est peut-être lui qui possédait le Maïs et en avait commencé la culture. Il touchait d'un côté aux Péruviens, encore peu civilisés, et de l'autre aux Mayas, qui

____________________

1. Sagot, Culture des céréales de la Guyane française (Journal de la Soc. centr. d'hortic. de France, 1872, p. 94).

2. M. de Nadaillac, dans son ouvrage intitulé Les premiers hommes et les temps préhistoriques, donne un abrégé du peu que l'on sait aujourd'hui sur ces migrations et en général sur les anciens peuples d'Amérique. Voir en particulier le vol. 2, chap. 9.


[319]

occupaient l'Amérique centrale et le Yucatan. Ceux-ci eurent souvent des conflits du côté du nord avec les Nahuas, prédécesseurs au Mexique des Toltecs et des Aztecs. Une tradition porte que Nahualt, chef des Nahuas, enseignait la culture du Maïs l.

Je n'ose pas espérer qu'on découvre du Maïs sauvage, quoique son habitation préculturale fût probablement si petite que les botanistes ne l'ont peut-être pas encore rencontrée. L'espèce est tellement distincte de toutes les autres et si apparente que les indigènes ou des colons peu instruits l'auraient remarquée et en auraient parlé. La certitude sur l'origine viendra plutôt de découvertes archéologiques. Si l'on étudie un plus grand nombre d'anciens monuments dans toutes les parties de l'Amérique, si l'on parvient à déchiffrer les inscriptions hiéroglyphiques de quelques-uns d'entre eux, et si l'on arrive à connaître les dates des migrations et des faits économiques, notre hypothèse sera justifiée, modifiée ou renversée.

____________________

1. De Nadaillac, 2, p. 69, qui cite l'ouvrage classique de Bancroft, The native races of the Pacific states.