Maniguette (Arveiller)

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Arveiller, Raymond, 1963. Contribution à l'étude des termes de voyage en français (1505-1722). Paris, d'Artrey. 571 p.


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120. MANIGUETTE


Nom accepté : Aframomum melegueta


Le nom de l'Amomum melegueta Rosc., qui comporte un grand nombre de variantes dans les langues romanes [1], a souvent été considéré comme d'origine obscure [2]. Le D.E.I., s. v. meleghétta, nous apprend qne le mot est attesté en Italie dès le XIIIe siècle, ce qui rend bien difficile un emprunt à un parler guinéen ; étymologie proposée : « probabilm. derivato da « mélega » [3], propriam. sorgo, dato che i semi della meleghetta hanno una notevole somig1ianza con quelli del sorgo ». Cela rejoint l'opinion du savant Bauhin : Hoc Cardamomi minoris loco aliqui utuntur et Melegeta dicitur, propter similitudinem, quam cum Melicae semine habet » [4].

Le mot français n'a pas été relevé par le dictionnaire étymologique de Bloch-von Wartburg. M. Dauzat a lu le mot chez Poleur, traducteur d'Oviedo (1555) et le donne pour un emprunt à l'espagnol [5].

Il ne nous paraît pas douteux que les premières attestations du vocable dans notre langue ne révèlent des formes empruntées au portugais. L'histoire nous apprend [6] que dans la première partie du XVIe siècle les marins bretons et normands essayèrent de rompre le monopole du commerce portugais avec le Brésil et la Guinér, appelée encore côte de la Malaguette ou Malaguette [7], du nom de sa principale production, si l'étymologie du D.E.I. est la bonne. L'emprunt du mot paraît bien s'être fait dans la région de la Guinée, et à propos de la « graine de paradis », comme on disait aussi. Voici quelques textes où le mot est tantôt nom propre, tantôt nom commun :

  • Vers 1520 : « Et après par noz journées nous vinsmes a la Manighette qui est la coste de la graine de paradys. » La Fosse, Voyage, p. 184.

Ce voyageur flamand voulut effectivement commercer dans la région sans la permission des Portugais ; ceux-ci l'arrêtèrent et le condamnèrent à la pendaison.

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  1. Pour le fr., Littré donne : Maniguette, Malaguette, Malaquette, avec d'autres formes dans les citations.
  2. Voir Friederici, Amerik. Wtb., s. v. malagueta.
  3. Attesté dês le Xe siêcle.
  4. Pinax (1623), p. 413.
  5. Dic. étym., s. v. Maniguette.
  6. Voyez Ch.-A. Julien, op. cit., pp. 108-113.
  7. Friederici, Amerik. Wtb., p. 370, citant Gaffarel, Les Découvreurs Français, p. 22 : « Martin Behaim sur son fameux globe de 1492, donne à la côte d'Afrique comprise entre Pinias et Cabo Corso le nom de Malaget, c'est-à-dire du po1vre... »


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  • 30 mai 1537 : «... nous eussions faict deffences et inhibitions à tous nos subgectz de ne aller à la terre de Bresil ne a la Malaguette » ; variante, quelques lignes plus bas : « Mallaguette ». Lettres patentes de François Ier, citées par Guénin, Ango et ses pilotes. p. 204.
  • 3 fév. 1544 : « ayant nostredict conseiller chargé ou faict charger au lieu du Cap de Vert et pays de Guynée ung navyre du port de six· vingtz tonneaulx et grande quantité de magniguete, grands cuyrs de beufz secs, musc... » Lettres de marque de François Ier, citées par Guénin, id., p. 149.
  • 1544 : « Et ycy [en Guinée] croist la malaguette qui est appelée graine de Paradis qui est une manière d'espicerye. » Fonteneau, Cosmographie, p. 334. - « En ceste coste [de Guinée] croist le poyvre gris et la maniguette », id., p. 336
  • 1557 : « Ie ne veux omettre, qu'en la Guinée, le fruit le plus frequent, et dont se chargent les nauires des païs estranges, est la Maniguette... aussi les Portugais en font grande traffique. » Thevet, Singularitez, p. 82. [sic : 32].

Il faut noter qu'entre~temps le mot était parvenu au français, en 1556, dans la traduction, par Temporal, du récit de Ca' da Mosto [1] :

  • « Derriere Cap blanc se trouue un lieu appellé Hoden... Les habitans de ce lieu cy viuent d'orge, et dates... Ils sont en grand nombre, nourrissans quantité de chameaux, auec lesquels ils portent argent, cuiure des Barbares, et autres choses à Tombut, et aux terres des Noirs, ou ils chargent de l'or et mellegette qu'ils aportent par deça. » Temporal, Historiale description, I, p. 409.

Attestation accompagnée d'un commentaire de Temporal qui montre que ce dernier n'a pas compris le mot ; il l'explique ainsi :

  • « Mellegette est une sorte de ferrement que l'on met au [sic] garnitures des cheuaux... »

Le terme entre ensuite dans la langue française des botanistes grâce aux traductions qui se firent, au cours du XVIe siècle, des versions latines, adaptations et commentaires de Dioscoride. La première version gréco-latine de ce dernier est imprimée en 1498 à Venise. Les éditions de Cologne (1529) et de Paris (1549) n'ont pas le mot. Mais l'édition avec commentaire de l'Italien Mattioli (1554), souvent réimprimée, utilise « Meleghetta », décliné comme un mot latin [2].

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  1. Voyageur italien au service du Portugal ; le premier à parler de la graine en question à propos de l'Afrique occidentale. Voyez Friederici qui cite de ce dernier « meleghette » et « malaguetta », Amerik. Wtb., pp. 370 et 371. Ca' da Mosto visite la Guinée en 1455.
  2. Comment., p. 22.


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Les premières attestations françaises du mot, dans ces ouvrages savants, sont à notre connaissance les suivantes :

  • l559 : « De la Melegette, ou Graine de Paradis, dite en Grec, Cardamomum, en Italien Cardamomo... La plus éleüe et singuliere Melegette qui soit, est celle qui s'apporte de Comagene, d'Armenie, et du Bosphore, et en outre elle prouient en Indie et en Arabie. » Mathée, Les six livres de Pedacion Dioscoride d'Anazarbe de la Matiere Medicinale, Translatez de latin en françois. P. 9.
  • 1561 : « Cardamomum : François, Melegettes, ou Graine de Paradis... Cela me fait penser, que les beaux Peres, qui ont escrit sur Mesuë, se sont abusez, en ce qu'ilz estiment le petit Cardamomum estre celle graine, que les Apothicaires appellent Melegette ; suyuans en ce l'autorité d'André de Bellune [1], qui a corrige Auicenne. » Du Pinet, traducteur du latin de Mattioli, Les commentaires, pp. 5 et 6 [2].

On peut se faire une juste idée de la vulgarisation du mot dans le latin des savants, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, par la lecture du Pinax de Bauhin (1623) ; celui-ci mentionne [3] en particulier « Mellegetta » (Cordus), « Milleguetta » (Lobelius), « Malaguetta » (Garcia da Orta, Clusius), « Meligettas » (Linscot) [4].

On signalera qu'à la fin du XVIe siècle le mot se lit encore dans la Cosmographie universelle de Thevet : « la Meleguette, ou Maniguette », f. 70 r° ; dans une Déclaration de 1594 signalée par Godefroy, Dic., s. v. Maniguette : « Graine de paradis, appellee maniguette » ; dans le Premier livre de Lodewijcksz (1598) : « Ris, Miel, graine de Malaguette », f. 12 r°, « Gingembre, Graine ou Malegette », f. 14 v°, à propos de Madagascar. Ambroise Paré présente une liste : « Poivre, gingembre, maniguet, et autres espiceries, pour mettre en nos paticeries » [5]. Enfin, Cotgrave (161l) a un article : « Maniguette, as maniguet » [6].

En résumé, le mot est d'abord en français un terme de commerce maritime emprunté aux Portugais dans la zone de la Guinée (1544 : magniguete, malaguette, maniguette ; 1520 environ Manighette, comme nom de lieu). A partir de 1559, c'est un emprunt au latin des savants italiens, et le vocable devient mot français de la botanique (1559 : Melegette). A la fin du XVIe siècle, le terme se lit plusieurs fois, parfois sans commentaire explicatif, employé comme un mot français assimilé, en particulier dans les textes de Paré et de Lodewijcksz. Il est recueilli par Cotgrave en 1611.

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  1. Il s'agit d'Andreas Alpagus Bellunensis, un des éditeurs italiens du Liber Canonis.
  2. Une autre traduction connue de Mattioli, celle de Des Moulins (1572), a la forme « melegette », p. 24.
  3. Pinax, p. 413.
  4. Pour les ouvrages de ces auteurs, voir la Bibliographie.
  5. Liste citée par Littré, s. v. Maniguette.
  6. Dans Godefroy, Dic., s. v. Maniguette.