Gentiane (Cazin 1868)
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Nom accepté : Gentiana lutea
Gentiana major lutea. Bauh.
Gentiane jaune, — grande gentiane, — jansonna.
GENTIANACÉES. — CHIRONIÉES. Fam. nat. — PENTANDRIE DIGYNIE. L.
Cette belle plante (Pl. XIX), que Haller a célébrée, et qui doit son nom à Gentius, roi d'Illyrie, lequel, d'après Dioscoride, l'employa le premier, croît dans les départements du milieu et du midi de la France, aux environs de Lyon, dans les Alpes, l'Auvergne, les Pyrénées, la Suisse, les Cévennes, etc.
Description. — Racine épaisse, [grosse, charnue, spongieuse, ridée, rugueuse, rameuse et pivotante,] jaunâtre en dedans. — Tiges de 1 mètre à 1 mètre 50 centimètres, cylindriques, non rameuses, dressées. — Feuilles larges, ovales, lisses, aiguës, opposées, amplexicaules, les caulinaires connées, à cinq-sept nervures longitudinales, saillantes ; les inférieures rétrécies en pétiole à leur base, plus grandes. - Fleurs nombreuses, jaunes, fasciculées, et presque verticillées dans les aisselles des feuilles supérieures (juin-juillet). — Calice membraneux, déjeté d'un seul côté, fendu longitudihalement, à cinq dents courtes, subulëes et inégales— Corolle monopétale, en roue, à cinq divisions profondes, quelquefois huit. — Cinq étamines insinuées sur le tube de la corolle, à anthères oblongues. — Ovaire surmonté de deux stigmates presque sessiles et divergents à la base de l'ovaire ; cinq nectaires glanduleux arrondis. Une capsule uniloculaire, plurisperme ; [graines nombreuses attachées sur deux placentas pariétaux, aplaties et membraneuses sur les bords.]
Parties usitées. — La racine.
[Culture. — La gentiane vient bien en terre fraîche, à mi-ombre ; on la multiplie de graines semées au printemps et d'œilletons.]
Récolte. — Cette racine ne doit être récoltée qu'à la deuxième année au plus tôt, après la chute des feuilles. Après l'avoir mondée (et non lavée, afin qu'elle ne se pénètre pas d'humidité) on la coupe par rouelle et on la fait sécher à l'étuve. On l'emploie rarement fraîche, parce qu'on la trouve toujours sèche dans le commerce.
On mélange à cette racine ou on lui substitue celle de gentiana purpurea, punctata, pannonea et amarella, L., qui croissent dans les mêmes localités que la gentiane jaune ; ces fraudes sont peu importantes. Mais un mélange dangereux et qui provient de la négligence, c'est la présence des racines d'aconit, de belladone, d'ellébore blanc, qui, dit-on, a été constatée. Ces racines sont très-reconnaissables à simple vue, puis à la saveur, qui n'est pas d'une amertume franche comme dans la gentiane. L'ellébore blanc a une saveur amère, mais elle est en outre âcre et nauséeuse. (Dorvault.)
La racine de gentiane doit être bien conservée, de moyenne grosseur, spongieuse, jaune en dedans, très-amère, n'ayant pas beaucoup de petites racines. On doit rejeter comme mauvaises les racines qui sont ridées, cariées, noirâtres et moisies à l'intérieur.
Le commerce de la pharmacie tire cette racine de la Bourgogne, de la Lorraine et de l'Auvergne, [des Alpes, des Vosges, de la Franche-Comté ; sa grosseur varie depuis celle du pouce jusqu'à celle du poignet, elle est longue et rameuse; elle est rugueuse à l'ex-
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tériaur, spongieuse et élastique à l'intérieur. Son odeur rapproche un peu celle des miels communs, sa saveur est très-amère. Il faut la choisir saine et médiocrement grosse.]
Propriétés physiques et chimiques. — La racine de gentiane a une saveur très-amère. Les recherches de Planche, Henry, Caventou et Leconte, on fait reconnaître dans cette racine un principe odorant fugace, du gentianin, de la glu, une matière huileuse verdâtre, du sucre incristallisable, de la gomme, de l'acide pectique, une matière colorante fauve, de l'acide organique. — Planche y a reconnu l'existence d'un principe nauséabond volatil, qui donne à l'eau distillée de cette racine, fraîchement récoltée, la propriété de causer des nausées et une sorte d'ivresse. Si l'on ne s'aperçoit pas de l'action de ce principe dans l'emploi de la plupart des préparations de gentiane, c'est qu'il s'y trouve en trop faibles proportions dans la racine sèche.
Henry et Caventou considéraient sous le nom de gentianin, gentianine, substance jaune, très-amère, cristallisant en aigrettes, comme le principe amer de la gentiane, la matière cristalline qu'ils n'avaient obtenue qu'à l'état impur. Mais Leconte et Trommsdoff ont fait voir, depuis, que la matière cristalline est une simple substance colorante, dépourvue d'amertume, qu'ils ont nommée gentisin, et qui est mélangée dans la gentiane avec des proportions variables de principe amer et de matière grasse.
La matière amère de la gentiane n'est pas encore bien connue. Elle s'est présentée à Leconte sous la forme d'une matière extractive, d'un brun jaunâtre, incristallisable, très-soluble dans l'eau et dans l'alcool. — Dulk, qui s'est depuis occupé de cette matière, ne paraît pas non plus l'avoir obtenue à l'état de pureté.
Substances incompatibles. — L'acétate de plomb, le sulfate de fer, etc.
A L'INTÉRIEUR. — Macération et décoction, de 10 à 20 gr. par kilogramme d'eau. |
nature, pour dilater les trajets fistuleux ou pour en faire des pois à cautère. |
La racine de gentiane est amère, tonique, fébrifuge, antiseptique, vermifuge. On l'administre dans les dyspepsies, les flatuosités, les diarrhées et dans tous les écoulements entretenus par la débilité de l'appareil digestif ; dans les scrofules, le rachitis, l'ictère avec absence d'irritation des voies biliaires, le scorbut, la chlorose, certaines hydropisies atoniques sans inflammatipn viscérale, l'œdème qui suit ou accompagne les maladies chroniques,les fièvres intermittentes, etc.
Les effets de la racine de cette plante, dans toutes ces maladies, sont évidemment dus à l'action sur nos organes du principe amer qu'elle contient, et non à des propriétés spéciales. C'est ainsi, par exemple, qu'en ranimant les fonctions digestives, plus ou moins lésées dans la goutte atonique, elle a pu, suivant la remarque judicieuse de Trousseau et Pidoux, être très-utile dans cette maladie, sans constituer, comme l'a prétendu Haller, le meilleur des antigoutteux.
La vertu fébrifuge de la racine de gentiane était connue des anciens. Matthiole en vante l'infusion contre les fièvres tierces et quartes. C'était, avant la découverte du quinquina, le remède le plus usité contre les fièvres intermittentes : Cortice peruviano nundum invento, sola gentiana febres quartanas expugnatas esse (Boerhaave). On l'associe quelquefois à l'écorce du Pérou quand ces fièvres sont rebelles, avec engorgement de la rate, état cachectique ; plus amère qu'astringente, elle modifie avantageusement, dans ces cas, l'action du quinquina. Riolan donnait le suc de racine de gentiane dans
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du vin tiède une heure avant l'accès : à l'état frais, ainsi que nous l'avons vu plus haut, cette racine possède tous ses principes. Boerhaave dit que sa décoction convient dans toutes les fièvres intermittentes. En Pologne, on l'administre en poudre dans du vin avant l'invasion de l'accès. Vicat assure que ce remède réussit dès la première prise, et que, bien qu'il n'ait été précédé d'aucun médicament préparatoire, la maladie n'a eu jamais de mauvaises suites. Willis, Eller, Alibert, l'ont vanté. Julia de Fontenelle, étant médecin en chef de l'hôpital de convalescence italien de l'armée de Catalogne, lorsque le quinquina était à un prix exorbitant, traita tous les fiévreux, avec beaucoup de succès, par la racine de gentiane en poudre. Il adressa à ce sujet un mémoire à la Société royale de médecine de Marseille, qui, reconnaissant déjà les avantages de l'emploi des plantes indigènes, lu! décerna une médaille d'encouragement.
D'un autre côté, Trousseau et Pidoux se prononcent ainsi sur la gentiane : « Quant à ses propriétés fébrifuges, elles sont nulles très-certainement, quoi qu'en aient pu dire les nombreux auteurs qui ont expérimenté sur des fièvres intermittentes vernales, ou sur des fièvres rémittentes qui, ordinairement, cèdent sans le secours de la médecine. » Je ne partage pas l'opinion de ces auteurs. Il est vrai que la gentiane ne jouit pas, comme le quinquina, d'une propriété antipériodique spéciale ; mais son action, comme celle de tous les toniques amers, n'en est pas moins efficace dans certains cas de fièvres intermittentes prolongées : c'est un fébrifuge relatif, et qui trouve son application comme l'absinthe, la centaurée chausse-trape, etc.
La racine de gentiane, mêlée à celle de bistorte, à l'écorce de chêne ou à celle d'aulne, à parties égales, soit en décoction, soit en poudre, agit plus efficacement comme fébrifuge que lorsqu'on l'administre seule : c'est une remarque faite par Cullen, et que j'ai été à même de vérifier. Je l'associe quelquefois à celle de saule dans les fièvre intermittentes accompagnées d'un état cachectique.
On a obtenu des avantages incontestables de la racine de gentiane dans le traitement des affections scrofuleuses. Plenck et beaucoup d'autres auteurs l'ont vue produire de bons résultats. Cette racine entre dans l'élixir amer de Peyrilhe, pendant longtemps vanté comme antiscrofuleux. « Ainsi, dit A. Richard, chez les enfants pâles, dont la figure est bouffie, les lèvres et le nez gonflés, en un mot, qui offrent les caractères d'une constitution scrofuleuse, l'emploi de la teinture de gentiane, aidée de l'usage de bons aliments, de vêtements chauds, de l'exercice, et de l'habitation dans les lieux bien aérés et exposés aux rayons du soleil, en agissant lentement sur toute l'économie, préviendra le développement de la maladie. Il est vrai que, dans cette circonstance, le régime aura eu une très-grande part au résultat obtenu ; mais la gentiane y aura aussi puissamment contribué. Son usage est également avantageux, suivant un grand nombre d'auteurs, quand la maladie est déclarée, lorsqu'il y a gonflement et même suppuration des glandes lymphatiques du cou et de quelque autre partie. Néanmoins, il faut en suspendre l'usage quand il y a irritation des voies digestives, ou que les glandes du mésentère sont enflammées et très-douloureuses. On a observé que les enfants qui font usage de la gentiane sont, par le même moyen, débarrassés des vers intestinaux : ce médicament peut donc être regardé comme vermifuge[1]. » La racine de gentiane a été administrée avec succès, en lavement (10 à 20 gr.), contre les oxyures vermiculaires.
Prise à trop haute dose, la gentiane produit du malaise, un sentiment de pesanteur à l'épigastre et même le vomissement. I1 est donc de toute évidence qu'elle ne convient point dans les fièvres qui ont le plus léger caractère inflammatoire, ou qui sont accompagnées d'une irritation gastrique
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- ↑ Dictionnaire de médecine, 2e édit., t. XIV, p. 144.
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plus ou moins vive. Il est nécessaire, dans les longues maladies, d'en suspendre l'usage de temps en temps ; car, par une influence que Cullen attribue à un principe vireux existant dans tous les amers, son emploi, longtemps continué, finit par produire une gastrite chronique qui détruit la faculté digestive, et exige un traitement antiphlogistique.
La racine de gentiane sert en chirurgie, comme l'éponge préparée, pour agrandir les orifices fistuleux et dilater certaines ouvertures, particulièrement le canal de l'urèthre des femmes affectées de la pierre. On l'applique aussi en poudre ou en décoction, sur les plaies gangreneuses, atoniques, scorbutiques, etc. ; on en fait même des pois à cautère, qu'on emploie de préférence quand il s'agit de rendre au fonticule l'étendue que le temps lui a fait perdre.
Le GENTIANIN convient dans les mêmes cas que la gentiane. J'ai souvent administré, dans ma pratique urbaine, le sirop de gentianin contre l'helmintiase chez les enfants, et comme tonique chez les sujets lymphatiques, pour combattre la tendance scrofuleuse.
Kuchenmeister présente la gentiane impure, c'est-à-dire non cristallisée, comme pouvant être substituée au sulfate de quinine ; ses conclusions sont : 1° la gentianine agit au moins aussi efficacement sur la rate que le sulfate de quinine ; 2° son action n'est pas moins rapide ; 3° il suffit de l'administrer à la dose de 1 à 2 gr., deux fois par jour ; la gentianine constitue probablement le succédané le plus précieux du quinquina (1)[1].
L'addition du tannin à la gentianine, dans la proportion de 1 partie pour 2 parties de cette dernière, constitue un mélange plus actif et qui m'a réussi tout récemment dans un cas de fièvre intermittente quotidienne, datant de deux mois, avec engorgement de la rate, chez un sujet qui, précédemment, avait été atteint de fièvre tierce coupée avec le sulfate de quinine, dont on avait trop tôt cessé l'usage. Le mélange de 1 gr. de gentianin et de 50 centigr. de tannin, donné deux fois dans l'intervalle des accès, a suffi pour les faire disparaître dans l'espace de quatre jours. L'usage de ce fébrifuge a été continué à la même dose, deux fois par semaine, pendant un mois, pour prévenir la rechute.
(Les petites espèces alpines offrent une plus grande abondance du principe actif ; de sorte qu'en recourant à de plus faibles doses, on pourrait arriver aux mêmes résultats qu'avec la gentiane jaune. Nous citerons la G. acaulis, dont la racine contient plus de gentianin et beaucoup moins de matière mucilagineuse.
La gentiane, vu son prix modique, est le tonique par excellence de la médecine vétérinaire ; on l'emploie en poudre décoctée ou mêlée au son, à l'avoine, etc., à la dose de 30, 64 et 130 gr. par jour.)
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- ↑ Journal des connaissances médico-chirurgicales, 2e série, t. II, p. 381.