Pomme de terre (Cazin 1868)
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Nom accepté : Solanum tuberosum
Solanum tuberosum esculentum. C. Bauh. — Solanum hortense. Dod.
Parmentière, — morelle parmentière, — Morelle tubéreuse.
SOLANACÉES. Fam. nat. — PENTANDRIE MOMOGYNIE. L.
La pomme de terré signale à notre reconnaissance les noms de Walter Raleigh, qui l'introduisit en Angleterre sous le règne de Jacques Ier, et celui de Parmentier, qui, sous le règne de Louis XVI en propagea la culture en France, et fit le premier connaître les immenses ressources qu'elle offre comme substance alimentaire.
On entend ordinairement par pomme de terre, non l'herbe de cette plante, mais les tubercules qui se développent aux racines. On en possède aujourd'hui un très-grand nombre de variétés, que l'on classe suivant leur couleur ou leur forme. Les meilleures servent à la nourriture de l'homme, les autres à celles des animaux. On en donne aux vaches, aux boeufs, aux chevaux, aux porcs, aux lapins, aux chiens, aux volailles ; elle les nourrit et les engraisse. Elle donne aux volailles une chair ferme, fine, une graisse blanche et une saveur très-délicate. (Pour la CULTURE, la RÉCOLTE et la CONSERVATION des pommes de terre, voyez la Maison rustique du XIXe siècle, t. I, p. 425.)
[Parties usitées. — Les rameaux souterrains, les feuilles ou fanes.
Récolte. — Les rhizomes de pommes de terre, improprement appelés tubercules, doivent être récoltés lorsque les feuilles sont velues. Il faut les conserver à l'obscurité, sans cela il se développerait de la chlorophylle sous leur pellicule, et elles deviendraient très-âcres.
Culture. — Elle est du domaine de l'agriculture.
Propriétés physiques et chimiques; usages économiques, industriels, etc. — Ce tubercule contient, par 500 gr., 345 gr. d'eau de végétation, 75 gr. de fécule, 38 gr. d'extrait salin, 24 gr. de fibres, etc. Desséchée au tour, la pomme de terre ne pèse que 9/15 de son poids primitif ; coupée par tranches, celles-ci séchées deviennent transparentes et prennent la consistance de la corne. — Analysée par Vauquelin[1], elle a fourni de l'eau, de l'amidon, du parenchyme, de l'albumine, de l'asparagine, une résine amère, cristalline, aromatique, une matière animale et colorée, des citrates de potasse et de chaux, du phosphate de potasse et de chaux, et de l'acide citrique libre.
(Haaf[2] a trouvé de la solanine dans les pommes de terre vieilles et dans les jeunes ; les épluchures en contiennent plus que la partie charnue (sur 500 gr., il en a trouvé jusqu'à 0 gr. 24). Ces faits justifient l'opinion suivant laquelle les pommes de terre dans ces conditions sont malsaines. Il faut ajouter que la coction dans l'eau élimine presque toute la solanine par dissolution.)
La pomme de terre perd par la cuisson du dixième au quinzième de son poids, et rien, suivant Proust, si elle ne se rompt pas. Pour se réduire en bouillie, elle absorbe moitié de son poids d'eau. A l'état de cuisson, la farine ou plutôt la poudre qu'on en obtient est insoluble, même à l'eau bouillante.
La pomme de terre entière ne se mange guère au delà d'une année. Elle perd de ses qualités par la germination. Quand la gelée l'attaque, elle se ramollit, s'aigrit et devient sucrée ; mais elle conserve encore une partie de sa fécule et même de ses propriétés germinatives. Pour la conserver indéfiniment, on la fait cuire à demi ; on la coupe par tranches, qu'on fait sécher à l'étuve pour les déposer dans un lieu sec. Dans cet état, elle est transparente et cassante. On en fait alors, en la divisant en morceaux, et au moyen d'une préparation particulière, des espèces de gruau, de polenta, de sagou, de
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riz, de vermicelle, etc., qui peuvent remplacer ceux-ci. Pour manger les pommes de terre à la manière ordinaire, on les fait sécher sans les cuire après les avoir pelées et coupées par tranches. — Les préparations culinaires de la pomme de terre sont très nombreuses et très-variées. — On ajoute souvent de la pomme de terre cuite et écrasée dans le pain. Elle le tient plus frais, plus savoureux, mais un peu plus compact ; quand elle y est en trop grande quantité, elle le rend pâteux et gras.
On tire de la pomme de terre une fécule abondante, d'un blanc parfait, d'apparence cristalline, inodore, douce au toucher, insoluble à l'eau froide, très-soluble à l'eau bouillante. On en obtient depuis 10 jusqu'à 15, 16 et 17 pour 100, et même davantage. Le parenchyme qui l'a fourni en retient encore environ un dixième et sert de nourriture aux bestiaux.
La fécule de pomme terre est un aliment peu coûteux, salubre, et qui peut avantageusement remplacer toutes ces fécules exotiques si vantées, telles que le tapioca l'arrow-root, le sagou, etc., etc. On en fait de l'amidon, on en prépare des espèces d'empois ; on en obtient un produit que l'on convertit en sirop propre à remplacer celui de gomme, et qui est aujourd'hui très-répandu dans le commerce, surtout dans nos départements du Nord. Jusqu'ici on n'a pu obtenir de la pomme de terre du sucre cristallisé.
(Le sirop de fécule offre un des produits sucrés les plus économiques pour être convertis en alcool. L'industrie a mis à profit ce précieux avantage. Mais les eaux-de-vie qui résultent de cette fabrication possèdent une odeur et une saveur que l'on désigne sous le nom de fousel, et qui est due à la présence d'une huile particulière observée pour la première fois par Scheele, et que Dumas a classée parmi les huiles essentielles. On la connaît sous les noms d’essence de pommes de terre, de fusel oil (anglais), d’alcool amylique, d’oxyde hydraté d'amyle. Payen a avancé que c'est la fécule et sa partie tégumentaire seule qui contenait cette substance. A la fin de la distillation de l'alcool de pommes de terre et de grain, il se produit un liquide laiteux d'où elle se dépose bientôt. Purifiée par l'eau et le chlorure de calcium, et distillée de nouveau, elle se présente sous l'aspect d'un liquide limpide, incolore, d'une odeur nauséabonde particulière, bouillant à 13°.5 C., soluble dans l'eau, l'acide acétique et les huiles essentielles. Elle a pour formule Cl0 H12 O2 = C10 H11 O + HO = AylO + aq; ce qui lui a valu le nom d’oxyde d'amyle hydraté.
On a cherché plusieurs moyens de priver l'alcool de pommes de terre de ce produit. On n'y est arrivé que très-imparfaitement.
Il n'entre pas dans notre sujet d'étudier les corps qui résultent de manipulations chimiques multipliées ; nous ne pouvons pourtant pas passer sous silence l’amylène, carbure d'hydrogène que Balard a extrait de l'alcool amylique, et dont Snow, de King's College Hospital a proposé les vapeurs comme anesthésiques.)
La pomme de terre, traitée par des moyens appropriés, fermente donc et fournit alors par la distillation une eau-de-vie qu'on rectifie par une ou deux autres distillations : 100 kilogr. de ce tubercule fournissent 12 kilogr. d'alcool environ. L'eau-de-vie préparée avec la fécule est de moins mauvais goût. — Si on laisse le liquide où l'on a délayé de la pomme de terre s'aigrir, on en obtient du vinaigre d'une qualité inférieure, mais qui peut êlre employé à divers usages dans les arts. — L'eau de cuisson des pommes de terre peut fournir à la teinture une couleur grise assez solide. Ce tubercule peut servir à nettoyer le linge, à l'instar du savon. On en fait de la colle, une sorte d encollage propre aux toiles blanches (avec la fécule) ; une détrempe convenable pour badigeonner les intérieurs ; on la fait entrer dans le tirage en place de gomme, etc. - Comme la pomme de terre ne s'attache jamais au fond du vase où elle cuit, on s'en sert dans les chaudières des machines à vapeur entretenues par l'eau de puits, qui est toujours séléniteuse. Par ce moyen, il n'y a plus qu'un dépôt facile à enlever par le lavage, et non une croûte dure qui peut faire fendre la chaudière[1]. — La pomme de terre cuite en bouillie, mêlée au plâtre dans la proportion d'un dixième sur neuf dixièmes de plâtre, donne à ce dernier une solidité qui le fait résister aux influences de l'humidité. Par analogie, on a été conduit à mêler la pomme de terre cuite à la terre argileuse, dont sont construits beaucoup de bâtiments dans les campagnes. Ce ciment des petites fortunes résiste bien plus longtemps que lorsqu'il est sans mélange de pomme de terre.
Les feuilles ou fanes sont données comme fourrages à quelques animaux ; mais ils ne conviennent pour cet usage qu'après la floraison, ou du moins séchées au soleil. On les en-
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- ↑ Journal de pharmacie, 1822, t. VIII, p. 467.
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fouit en terre pour servir d'engrais. On en retire par la combustion presque un seizième de leur poids de cendre, qui fournit un quarante-huitième d'alcali[1]. Le suc des tiges et des feuilles, lorsque la plante est en fleur, donne une couleur jaune solide aux tissus de lin ou de laine, qu'on laisse tremper pendant quarante-huit heures. — On a extrait une couleur jaune brillante des fleurs. — On peut retirer de l'alcool des fruits ou baies[2] dans la proportion d'un vingt-quatrième des baies employées, qu'on met fermenter, puis qu'on distille, etc.
La pomme de terre, moins dépourvue qu'on le croit de propriétés thérapeutiques, est antiscorbutique. Son usage, dans les voyages de long cours, préserve du scorbut et le combat quand il existe. Il est à remarquer que cette affection est devenue beaucoup plus rare depuis l'emploi général de ce précieux tubercule comme aliment.
« Quand un bâtiment scorbutique, dit Roussel de Vauzèmes, chirurgien d'un navire baleinier[3], a reçu d'un autre navire quelques pommes de terre, il a été guéri, tous les moyens pharmaceutiques ayant échoué. Le procédé le plus actif pour se traiter du scorbut, à quelque période qu'il soit arrivé, consiste à manger des pommes de terre crues. » Il est certain que la pomme de terre cuite suffit pour prévenir et même guérir cette maladie à un certain degré. Plusieurs autres médecins, tels que Coché, Fontanelli, Boche[4], ont également recommandé la pomme de terre contre cette maladie. La tige, les feuilles, les fleurs et les baies, sont réputées sédatives et narcotiques, utiles dans les névralgies, les rhumatismes, les catarrhes pulmonaires chroniques. J'ai fréquemment prescrit la décoction des tiges et feuilles de pomme de terre dans les toux sèches, la diarrhée avec irritation. J'ajoute à cette décoction un peu de miel, de sucre ou d'extrait de réglisse ; elle calme la toux et facilite l'expectoration. Dans certains cas, qu'il est facile d'apprécier, j'ai donné cette décoction avec celle de lierre terrestre, de marrube blanc, de bourgeons de peuplier baumier, etc.
D'après Nauche[5], des catarrhes pulmonaires, intestinaux, urétraux et surtout utérins, qui duraient depuis plusieurs années, ont cédé à de légères décoctions de pommes de terre rouges et de réglisse. Des injections avec le même liquide ont eu le même succès contre les flueurs blanches. C'est surtout contre la gravelle que l'action de la pomme de terre en infusion a été efficace. Ce médicament a rendu les urines limpides et a procuré un soulagement plus durable que les autres diurétiques.
Le tubercule de la pomme de terre est émollient et calmant : râpé, on en fait des cataplasmes utiles contre les brûlures; c'est un remède populaire qui convient dans les cas les plus simples. Le suc exprimé de ce tubercule, appliqué très-fréquemment avec une plume sur du papier brouillard recouvrant la brûlure, convient beaucoup mieux. Je l'ai vu produire de bons effets. Chaque application apaise la douleur. La pomme de terre cuite et réduite en bouillie avec des décoctions de plantes mucilagineuses, telles que la mauve, la guimauve, le bouillon blanc, la tête de pavot, est très-utile en cataplasme qu'on applique comme calmants, adoucissants et maturatifs, sur les phlegmons, les contusions, les cancers, etc. Ils sont préférables à ceux de graine de lin, parce qu'ils se dessèchent moins vite et sont moins coûteux.
(Il en est de même de ceux de fécule. Cette dernière substance s'emploie topiquement dans les mêmes cas que l'amidon. Voyez p. 453.)
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- ↑ Voyez sur l'exploitation de la potasse tirée des fanes de pomme de terre, le mémoire de M. Mollerat. (Annales de chimie, 1828.)
- ↑ Journal de pharmacie, 1818, t. IV, p. 167.
- ↑ Annales d'hygiène publique, 1834, t. XI, p. 362.
- ↑ Obs. med. de Napoli, 1828.
- ↑ Journal de chimie médicale, 1831, t. VII, p. 372.
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Un médecin allemand[1] a vanté les feuilles et les tiges de la pomme de terre sous forme de cataplasmes, de fomentations et de lavements, dans les cas de phlegmasie avec douleur vive, d'hémorrhoïdes très-douloureuses, de spasmes de la vessie, etc. Pour faire ces cataplasmes, il suffit de réduire en pulpe les parties indiquées de la plante. Au reste, ces tiges et ces feuilles jouissent, quoiqu'à un faible degré, des propriété de la morelle noire, de la jusquiame et de la belladone. Avec la fécule on saupoudre les excoriations, les phlogoses de la peau chez les enfants, l'intertrigo, l'érysipèle.
(Il règne dans la science des doutes sur l'innocuité des fruits de la pomme de terre. C'est une question à étudier, question d'autant plus pressante qu'il y a quelques années[2] ils ont été accusés d'avoir causé la mort d'une jeune fille de quatorze ans.)
(Krans[3] a signalé le premier l'insalubrité de l'alcool de pommes de terre, et l'a attribuée à la présence de l'essence dont nous avons déjà parlé. (Voyez Propriétés chimiques.) Les expériences faites sur les animaux intérieurs ont prouvé que ce corps est un poison irritant très-actif[4]. L'inspiration de sa vapeur cause des douleurs spasmodiques dans la poitrine, suivies de toux pénible, et quelquefois de nausées et même de vomissements.
Les médecins américains ont introduit, les premiers, le fusel oil dans la thérapeutique. D'après Wimon[5], il excite la nutrition ; les malades qui en prennent engraissent comme s'ils prenaient de l'huile de foie de morue, à l'exclusion presque complète de laquelle le prescrit Bowditch. Ce dernier lui reconnaît, en outre, l'avantage de modérer la toux et de diminuer l'abondance des crachats ; il en retire les plus grands avantages chez les enfants scrofuleux, débiles, émaciés. — Dose, 1/2 goutte à 1 goutte dans du sirop pour les enfants de 5 à six mois ; de 5 à 10 gouttes dans de l'eau légèrement alcoolisée pour les adultes. Il faut en ménager les doses ou en suspendre l'usage ; car quelquefois l'essence des pommes de terre produit des nausées, ou détermine la fièvre.)
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