4-2 Four à pain (Maurizio)
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(Voir le tableau récapitulatif, 9e partie, ch. IV.)
Cuisson des galettes sous la cendre (sur des pierres chaudes, des poêles, des grils). Les pains à la cendre
A l'àge de la pierre polie et à l'àge du bronze, dans les cités lacustres les galettes, décrites ci-après, étaient cuites dans la cendre, sur les pierres rondes qui servaient à faire bouillir l'eau (v. p. 53). On les mettait aussi sur des pierres plates. On comprend que la préhistoire ne fasse pas beaucoup de différence entre ces deux sortes primitives de soles de four. Mais la façon dont on pratique la cuisson sous la cendre nous est bien connue par la façon dont opèrent les Arabes et beaucoup d'autres peuples qui se servent pour cela, soit de pierres, soit parfois aussi d'une tôle. Chez les Juifs, on se servait en outre d'une poêle pour la cuisson des « gâteaux-de-cendre ». Des restes de ce mode de cuisson primitif subsistent chez le peuple polonais, où le terme de pain-de-cendre (podplomyki) est resté d'usage courant. Chez les Petits Russiens, on effectuait cette cuisson, non sur le sol de l'âtre, ou sur une tuile (tôle) mais sur une pierre plate qui en tenait lieu, que l'on nommait plita, que l'on échauffait fortement dans le feu et que l'on tenait très propre. On recouvrait cette pierre de charbons ardents, d'un côté, puis de l'autre, et, ensuite, on la balayait soigneusement. Alors on frottait la pierre avec de la graisse (ou avec de l'huile les jours de maigre) et on versait dessus, à la cuillère, une pâte assez liquide nommée pampuch ou reczuch. Ce dernier mot signifie le sarrasin qui servait primitivement à faire ce mets. Chez les paysans des Carpathes de l'ouest survit le souvenir de la cuisson douce, qui se faisait sur des pierres et dans la cendre incandescente, par opposition à la cuisson sûre (ou de pâte fermentée surie) qui se fait dans le four à pain.
Vint ensuite la cuisson sur des terrines de vannerie, des terrines de pierre ou d’argile cuite, enfin sur des ustensiles de même forme en fer. Nous sommes ici sur un terrain historiquement plus solide, parce que beaucoup de collections possèdent ces types de supports, encore en usage chez les primitifs actuels. Ils étaient sans doute des ustensiles usuels dans la cuisine préhistorique d'autrefois. Nous avons déjà signalé les assiettes de vannerie servant à cette cuisson chez les Indiens d'Amérique. J'ai vu aux musées de Zürich (âge du fer), de Berne, de Schaffouse (néolithique de Wangen), de Breslau (âge du fer), de Berlin, et ailleurs, des plats et des poêles préhistoriques. Il serait superflu de les signaler en détail. Leur diamètre varie de 12 à 20 centimètres et ils ont 4 à 6 centi-
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mètres de profondeur. Les plats de pierre sont relativement rares, ceux de fer bien plus communs. Mentionnons à part un plat de granit, trouvé en Podolie, pareil à ceux provenant de ce qu'on nomme les « tumulus funéraires scythes » du gouvernement de Poltawa. Pulaski a décrit en détail un de ces plats de granit, qui sont polis de tous côtés. Longueur, 27 centimètres ; largeur, 17 centimètres ; hauteur des côtés, 3 cm. 2 à 3 cm. 4 ; épaisseur des bords, 1 cm. 5 ; profondeur, 1 cm. 5 ; profondeur maxima au milieu, 2 centimètres. Il est probable qu'on opérait en remplissant ces plats de charbons ardents, suivant la description que donne Krikeberg en ce qui concerne les assiettes de vannerie de l'Afrique[1].
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- ↑ Sur les modes primitifs du rôtissage et de la cuisson au four à pain : Pulaski (Franciszek), Swiatowit (en polonais avec résumé français). Annuaire de l'archéol. préhist. polonaise et d'autres pays slaves, rédigé par E. Majewski, Varsovie, 1902, IV, 37, fig. 29. Dans le même volume : Erzepki (Romuald), 49. fig. 57 (une cuillère en bronze est douteuse) ; Schübeler (F. C.), Die Kulturpflanzen Norwegens, etc., Christiania, 1862, p. 45 et fig. 1. Voir encore Szukiewitcz, Wandalin, Ziemia, 1912, Bd. III, p. 571 et suiv. ; Heierli (J.), Der Feuerbock v. Wauwill. Anz. f. Schweiz, Altertumsk, 1905-1906, N.F. Bd. VII, 271 ; Curcic (Vejsil), Rezenten Pfahlbauten von Donja Dolina in Bosnien, IX. Ergänzungsheft z. Zeitsch. f. österr. Volksk., Wien, 1912 ; Keller (F.) (Beschr. d. helvet. Beidengräber u. Totenhügel d. seit 1836 eröffnet worden. Mitt. d. Antiquar. Ges., Zürich, 1844, Bd. 4., pl. 3, fig. 14 ; Guthe (H.), loc. cit., 68 et 480, fig. 140-141 avec bibliographie ; Schnellers (Pastor Th.) Lettre in : Pusch (Fr.), Das Bäckerbuch, eine prakt. Handb., etc., Stuttgart (Krais), 1901, 19-20. ; Degen (von), (Arpad.), Alp- u- Weidenwirtsch. im Veleveitgebirge. Tirage à part a. d. Ergänzheft. z. Jahrb. üb. neuere Erfahr. a. d. Geb. d. Weidewirt. u. d. Futterhaus, Hannover, 1914, Bd. II, 46. ; Rütimeyer, loc. cit., p. 247 et suiv.
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Depuis, Rütimeyer a étudié en détail les endroits de l'Europe où sont pratiqués encore des procédés de cuisson sur le sol d'argile nu, ou encore entre deux pierres chaudes, ou à l'aide de plaques et assiettes à griller de pierre, d'argile, ou d'argile mélangée de marbre en petits morceaux (terracota argilata). Il indique beaucoup d'endroits de l'Italie, la Bretagne, la Suisse (Tessin), diverses régions des Balkans, de la Dalmatie à la Roumanie, le nord de l'Afrique, l'Asie Mineure, la Perse et d'autres régions. La figure 65 représente un plat d'argile qui sert encore à cette cuisson chez les Slaves et les Lithuaniens. C'est encore à l'obligeance de M. Wandalin Szukiewicz de Nacza que je dois ce dessin. Les détails donnés par lettre précisent que l'on s'en sert après avoir chauffé le four, par conséquent dans la braise rouge. La cuisson est faite en une minute. A l'aide du manche, dont la forme est très ingénieuse, on peut aisément introduire le plat dans le four à pain, puis l'en retirer. La griffe terminale, en fer, est fixée dans un bâton et la figure indique le reste. M. L. D. Viollier m'avait signalé une griffe analogue, d'époque romaine qui, selon une interprétation plus exacte, devait servir aux mêmes fins. Il a eu l'amabilité de faire reproduire cet objet, qui se trouve au musée provincial de Zürich (fig. 66). La griffe, en forme de tige, trouvée à Benken, est d'époque romaine, mais peut reproduire un modèle plus ancien. Le manche était en bois. La tête de bélier dont il est orné ne laisse aucun doute sur la destination de cet objet. Encore au moyen âge, on décorait d'une tête de bélier ou de bouc les objets voisins de l'endroit où on allumait du feu, ou les objets en usage à l'occasion du feu, comme le rappellent les mots tels que Feuerbock (cf. Heierli}. Keller a décrit, en 1844, une tête de bélier tout à fait analogue à la nôtre. Il en donne une vue de côté et une vue latérale. Elles m'ont servi à compléter la partie manquante sur l'objet (tracée en pointillé,
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fig. 66). Comme dans la pièce de Nacza (fig. 65) l'extrémité de la griffe s'engageait dans un manche de bois.
Schübeler donne des détails sur des poêles de fer plates sans bord dont le diamètre varie de 17 à 20 centimètres. Voici ce qu'il en dit. On doit considérer comme très ancien l'usage de cuire le pain sur un disque ou une poêle de forme spéciale, en fer forgé, ayant un manche, et semblable dans une certaine mesure à toutes les poêles bien connues servant à la pâtisserie. Mais il n'est pas facile pour le moment de savoir où apparut pour la première fois, en des temps lointains, cet objet primitif. On a trouvé assez souvent en Norwège, dans des tombeaux de l'époque antérieure au christianisme, cette sorte de poêle plate et sans bords, dont le manche était fixé au milieu du disque par une cheville de fer, de sorte qu'on pouvait, à ce qu'il semble, le faire tourner dans tous les sens. Au XVe siècle, il est souvent question, en diverses occasions, de poêles à pain ou de plaques à pain, par exemple dans le Diplomatorium Norwegicum (pièce de l'année 1427) et dans une pièce de l'année 1469 où l'objet est appelé Brotjárn ou Broteisen (Schübeler). J'ai déjà signalé d'autres formes anciennes du grillage ou de la cuisson au four, en particulier à propos du ramassage des plantes et aussi à propos du four à cuire pour tortillas de l'ancien Mexique.
Les grils de fer que nous possédons de l'époque romaine de la Suisse, et qui peut-être remontent à l'âge du fer, sont des objets de cuisine qui, jusqu'ici ont été peu étudiés. Le gril et la pâte à galette, mise en forme dessus, étaient placés sur la cendre rouge et en étaient aussi recouverts. Le gril romain de Baden (fig. 67) était complété par un crochet, que l'on passait dans l'anneau, pour le pousser dans la cendre. On distingue ces grils à pâte des autres
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en ce que leurs pieds sont plus bas, parce qu'ainsi il fallait moins de cendre pour les recouvrir. Pour la raison contraire, je considère comme des accessoires de poêles ou de pots à bouillir les grils dont les pieds ont plus de 3 à 5 centimètres. L'habitude de cuire des pâtes sur un gril s'est perdue peu à peu et s'est limitée à la cuisson des pâtisseries de jours de fête, ou de toutes sortes de pâtisseries traditionnelles, pour des occasions particulières. Mais la forme même de l'ustensile, avec ses petits pieds bas, dura plus longtemps que l'usage qui en était fait. Citons, par exemple, les deux beaux grils, à peine antérieurs au XVIIe siècle du musée de Coire (fig. 68 et 69), et dont l'un, celui qui a un anneau, est d'une forme très ancienne. Ce qui le montre, c'est son analogie avec le gril du pays des Goral (fig. 70, a, b). Le gril de la figure 68 est circulaire, denté au pourtour. Son diamètre est de 45 centimètres, sa hauteur de 3 cm. 5, son manche, à partir du pourtour, a 25 centimètres. La partie circulaire sur laquelle on faisait la cuisson peut-être tournée très facilement en appuyant avec une tige sur la circonférence dentée, en cela pareille aux plats de fer décrits par Schübeler comme servant à cuire les galettes en Norwège et qui tournent facilement autour d'une cheville centrale. Quant au gril à pâtes carré de la figure 69, dont les barres transversales sont en fer ondulé, il mesure 40 centimètres sur 30 centimètres, il a 3 cm. 1/2 de hauteur et son manche a 45 centimètres. On voit au Musée germanique de Nuremberg quatre grils très analogues à ceux-ci, et un au Musée de Neuenburg. Je crois qu'on pourrait en trouver encore ailleurs. Ceux qui viennent d'être cités ont des pieds un peu plus haut, mais ils avaient sans doute le même emploi. Les grils de Nuremberg du xvne siècle sont des grils circulaires en fer forgé avec barres transversales. Ils ont 35 à 43 centimètres de diamètre, et de 6 cm. 5, à 9 et 10 centimètres de haut. La longueur du manche est de 24, 30, 4.0 centimètres. Le gril de Neuenhurg, que j'ai mesuré, est tout pareil. Même si le mode d'emploi de tous ces grils n'est
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pas absolument certain, je les mentionne cependant pour montrer la grande diffusion des grils, l'analogie de ceux qui viennent d'être cités (quant à leur forme) avec les grils des Carpathes, lesquels servent encore réellement à rôtir des galettes et des « pains-à-la-cendre », bien que leur emploi soit en recul devant d'autres façons de procéder. La figure 70, a et b, reproduit l'aspect de face et de côté de l'un des grils à galettes du Musée des Carpathes à Zakopane. Il en existe un semblable au Gräfliches Dzieduszyckisches Museum à Lemberg. Le gril est en fer forgé, a des barres transversales ondulées et une cheville centrale à laquelle le manche est fixé et autour de laquelle le disque tourne facilement. On fait la cuisson sous la cendre incandescente, dont on couvre le gril et la pâte qui est dessus. Dans un modèle de ces grils, un disque tournant de 28 centimètres de diamètre est fixé sur une sorte de trépied de 4 à 6 centimètres de hauteur. L'anneau de fer qui constitue le pourtour a 2 cm. 1/2 de large ainsi que les bandes de fer transversales. Le barreau moyen qui porte la cheville servant à la rotation a 3 centimètres de large. Le manche, mesuré à partir du centre de rotation a 36 centimètres de long et 2 centimètres de large.
Cuisson en vase clos sous un pot chauffé : la cloche à cuire
Mais le procédé qui utilise pour la cuisson des pierres chaudes, une poêle, ou un gril, n'eut pas une bien longue existence. Il n'était pas susceptible d'évolution. Parmi les méthodes de cuisson qui remontent aux époques primitives, une seule a survécu, c'est celle qui consistait a réaliser la cuisson sous un pot. La cuisson sous le pot à cuire, sous la cloche à cuire, s'affirme encore et survit sous la forme peu modifiée de la cuisson dans le four à pain. La cuisson sous un pot, sous une cloche, offre, en effet, de grands avantages. L'humidité des galettes ne se perd pas, mais, au contraire, elle a
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un rôle utile dans la cuisson. Si la céréale a été choisie convenablement et si la pâte a été bien travaillée, la pâte peut monter pendant la cuisson et devenir plus légère par division du fait de sa propre vapeur. En outre, la cendre et la braise ne risquent pas, dans ce mode de cuisson, de coller sur la pâte et de la salir.
Il semble que les habitants des cités lacustres de la Suisse ne connurent pas la cloche à cuire. Leurs galettes étaient cuites sur des pierres. Cependant l'existence de cet ustensile à l'âge de la pierre est prouvée. E. Majewski a décrit un pot ou un plat profond d'argile cuite. Ce pot provient de Janina en Pologne et remonte au néolithique. Majewski admet que c'est « le couvercle d'une urne à cendres » et le figure dans la position correspondant à cette supposition. Pourtant, ni la forme du pot, ni celle de l'urne (fig. 71), ne sont celles qui conviendraient à ce genre d'emploi[1]. On voudrait sur ce point des éclaircissements. Il y a eu d'autres trouvailles préhistoriques que celle-là. Curcic (l. c.) les a décrites. La provenance est la cité lacustre de Donja Dolina en Serbie et l'époque l'âge du fer, du VIe au IIIe siècle avant notre ère. Ce sont des pots à cuire (cloches à cuire) en argile, ayant en dessus une poignée, dont la coupole a 14 centimètres de haut, dont le diamètre inférieur dépasse 42 centimètres. Encore à présent le peuple se sert, en Dalmatie, de cloches à cuire exactement
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- ↑ Majewski (E.), Swiatowit. Jahrb. d. slav. Altertumsk (en polonais), Bd. 3, 1901, 64 fig., 21-23.
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pareilles, ainsi que les habitants actuels des habitations lacustres de Donja Dolina. La question se pose de savoir si la cloche à cuire fut le modèle du four à pain préhistorique de Lagardesmühlen près de Küstrin, reconstitué dans le musée provincial du Brandebourg, à Berlin. Ce four est fait d'argile et de pierres, il est sous terre et son sommet se trouve à environ 25 centimètres du sol. Le four est à peine relevé en voûte, car son diamètre est pour cela trop grand. Il semble qu'il date de l'âge du bronze, mais la place qu'il faut lui assigner dans la préhistoire du four à cuire est tout à fait incertaine et je le signale ici parce qu'il n'appartient, ni aux formes signalées jusqu'ici des ustensiles servant à cuire les céréales, ni au type de la cloche à cuire, et qu'il se rapproche peut-être plutôt d'un autre cycle de formes encore inconnu. Mais les témoignages de la préhistoire ne nous refusent pas leurs enseignements (fig. 74). Ils se rattachent à des appareils utilisés pour la cuisson par les Juifs, les Huzules, les Roumains, les Serbo-Croates, les modernes bahitants des habitations lacustres de la Bosnie et, comme eux, nous apportent des indices précieux pour la connaissance du très important procédé initial de la cuisson au four, seule forme de cuisson ayant sur toutes les autres l'avantage d'opérer en cavité humide.
La façon dont les Huzules cuisent leurs galettes est très simple. Au milieu de l'unique pièce d'habitation, qui souvent sert aussi d'étable, se trouve le foyer, construit en pierres plates. Cette surface, qui sert aussi bien de four à boulanger que de foyer à faire la soupe, est établie sur un substratum de pierres et d'argile. On fait un balayage pour enlever les braises et la cendre. On met alors, sur la surface ainsi nettoyée, et dont la température est très élevée jusqu'en profondeur, la pâte des galettes, faite d'avoine concassée pétrie avec de l'eau et salée, mais sans levain. On la recouvre d'un pot et elle cuit dessous. En dehors des maisons, le foyer est constitué par des pierres plates, ou par un endroit du sol faiblement battu. Dans les deux cas, on recouvre le pot, au moins en partie, avec
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de la cendre. Nous constatons l'emploi d'un pot d'une forme spéciale chez les Juifs, les Fellahs [Felachen = Falachas] et les habitants actuels des cités lacustres de la Bosnie (Curcic). Il ressemble ici, pour l'essentiel, au pot datant de l'âge de fer qui provient de Janina (fig. 71). Il convient particulièrement bien à cet emploi et il est tel que nous le voyons aussi servir de cloche à cuire chez les Serbo-Croates, et même chez les Roumains où son usage est cependant en forte régression. V. Degen a décrit la peka comme étant « un vase semblable à une calotte sphérique, muni de trous et extérieurement de cannelures. On met le pain sous ce vase et on met de la braise en dehors, dans les rigoles des cannelures. Parfois on décore l'extérieur du pot à cuire en creusant dans l'argile un système ornemental de cannelures ». M. von Degen décrit la manière dont ce pot est fabriqué (probablement sans tour de potier) à Kaludjerovac avec la main et une toile humide. Cet ustensile préhistorique de la boulangerie est, pour l'usage des populations actuelles, fabriqué aussi industriellement. L'auteur qui vient d'être cité m'écrit qu'il a vu sur les marchés des cloches à cuire faites en tôle, mais portant d'ailleurs extérieurement les mêmes cannelures que ceux d'argile.
Le musée ethnographique de Vienne possède une cloche à cuire de forme simple provenant des pays slaves du sud, très analogue au « zest » des Roumains dont je dois la photographie et les mensurations à M. le Pr Al. Zaharia de Bukarest. La cuisson se fait sous le zest exactement comme sous les cloches à cuire déjà signalées. L'appareil a 45 centimètres de diamètre inférieur, 20 centimètres de hauteur totale, et 7 cm. 1/2 de hauteur intérieure. La cavité n'est pas grande, parce que, comme Zaharia me l'écrit, on cuit sous ce pot des gateaux de maïs (malai) ou du pain sans levain (azima). Mais il en existe de plus grands principalement pour la cuisson des pâtes recevant du levain. La cloche à cuire roumaine est faite d'argile bien pétrie avec de l'étoupe. Quand on n'a pas d'étoupe, on la remplace par du crottin de cheval. Après dessication le zest est bien cuit à feu libre. Zaharia a vu, en 1913, des pots de ce genre en service à Oltenien [En Olténie], dans la Petite-Valachie. On en voit beaucoup en Bosnie, en Serbie, en Bulgarie, en Albanie. Contrairement à ce qui se passe en Roumanie, la cloche est fabriquée, en Albanie, avec de forte tôle de fer, conformément à ce que von Degen a signalé pour la Dalmatie[1].
Sans aucun doute l'usage de la cloche à cuire a existé dans toute l'Europe. Après mon premier travail sur ce sujet, Rütimeyer l'a
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- ↑ Fischer-Bukarest (Emil), Korrespondbl. d. Ges. f. Anthropol. Ethnol. u. Urgesch., Jq. 45, 1914, Nr. 6-38.
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trouvée, en 1920, après de longues recherches, en Suisse, dans le Tessin, dans le Malencotal, qui y confine, et à Veltlin. Dans cette région survivent des restes de l'industrie de la pierre ollaire (Lavezstein, Speckstein, Topfstein) et c'est elle qui sert à tourner ces jolis ustensiles de caractère antique, et de forme plate. Rütimeyer a trouvé aussi des cloches à cuire dans les Grisons en Puschlav, mais seulement dans le sud. Dans le haut Puschlav on ne connaît plus la cloche à cuire que par tradition. Aucun doute ne peut exister quant à la diffusion générale de la cloche à cuire dans le passé. Elle est connue aussi chez les Arabes. Le petit musée du Kaysersberg en possède une en fer, provenant d'Alsace. Enfin il faut citer les cloches, un peu plus grandes, des Albanais et celles, moins bien connues, du Montenegro. Comme cloche à cuire d'origine extérieure à l'Europe, il faut citer une cloche à cuire munie d'une poignée qui vient du Cerro de Pasco (Pérou) à 5.000 mètres d'altitude et dont se servaient les Indiens du lieu. Elle est au musée ethnographique de Neuenburg.
Les fours à pain mobiles, à partir du moyen âge
Les fours à pain mobiles du moyen âge constituent une nouvelle étape dans le développement de cette catégorie d'appareils. La figure 72 en représente un spécimen, dans la forme où on les promenait par les rues au XVIe siècle, et qui se relie à un type plus ancien. Le passage du four à pain mobile au four à pain fixe s'est fait en beaucoup d'endroits. Malgré l'ordre chronologique des faits, le four à pain juif de la figure 73 correspond à un degré d'évolution plus tardif que le four à pain du moyen âge de la figure 72. Le four à pain de la Judée ancienne a en effet un substratum et sa place fixe à l'air libre. Dans la voûte est percée une ouverture ronde que peut fermer un bouchon afin d'empêcher la vapeur d'eau de s'échapper.
Mais, entre temps, on voit apparaître une forme de four qui n'a pas d'évolution ultérieure et dans laquelle la cuisson ne se
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fait pas de la manière habituelle. A cette forme appartiennent des « fourneaux » (Oefen) qui, tantôt sont en forme de cloche, tantôt en forme de petite maison, qui sont plus hauts que larges, rétrécis vers le haut, avec un toit plat. Mais, qu'il s'agisse de la forme en cloche ou de la « cabane à cuire » la cuisson se fait en collant les boules de pâte aux parois intérieures chauffées, et probablement aussi aux parois extérieures. A cette sorte d'appareils appartiennent des fours à pain de l'Egypte ancienne, et aussi des fours juifs, arabes et arméniens[1]. Guthe a donné un dessin d'une « cabane à cuire » du même genre remontant à l'antiquité juive, mais en comprenant mal, peut-être les travaux d'autres auteurs. En Arménie et aussi en Asie-Mineure les « cabanes à cuire » sont souvent d'authentiques fours de boulanger et sont encore en usage à présent. Dans ces appareils, en collant la pâte aux parois, on utilisait, dans la mesure du possihle, les surfaces échauffées. Cette seconde forme fut probablement inventée pour accroître la surface chauffante. Mais on perd ainsi un grand avantage des cloches à cuire véritables : l'action très efficace de la chaleur rayonnant de la voûte et dont on ne doit pas sous-estimer l'importance pour la cuisson pénétrante de la pâte, avec celle déjà signalée de l'emmagasinement de l'humidité provenant de la pâte elle-même. On essaya encore une autre forme de récipient pour la cuisson des pâtes, c'est celle que Woenig compare à une cruche renversée. Dans l'Egypte ancienne on collait à ses parois des gâteaux de pâte et on les laissait ainsi cuire. Il est assez difficile de trouver à ces dispositifs une place dans la série des cloches à cuire.
Les véritables cloches à cuire, qu'elles soient mobiles ou fixes, sont les plus importantes. C'est sur elles que repose toute l'évolution future de l'art du boulanger.
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- ↑ Benziger (J.), Hebräische Archäologie, Leipzig, 1894, 87 fig, p. 140-141. Sedrak, Tarajanz. Gewerbe b.d. Armeniern., Leipzig, 1897 (Dissert.). Wœnig. loc. cit.
Cloches à cuire fixes. Fours en clayonnage. Les fours à coupole, leur évolution
L'étape du progrès qui vient ensuite est représentée par la cloche à cuire fixe, en clayonnage, du paysan polonais. Tout au long de la crête des Carpathes et en autant de pays différents, il prend des branches flexibles de saule et il en fait une charpente
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en forme de voûte. Alors il dispose sur le sol des cordons de paille et, dans l'intervalle, des rouleaux d'argile bien malaxée. Il roule alors l'argile et la paille sommairement en masses allongées, comme des saucisses et s'en sert pour coller les branches de saule pliées. L'argile, comme l'osier, sont des matériaux qui lui sont familiers parce qu'il s'en sert pour faire les murs. Ce sont des ouvrages préhistoriques car les murs des premières habitations étaient aussi en crépis d'argile. On a, au préalable, bien battu le sol du four et on n'oublie pas, à l'entrée de la voûte, de laisser le trou pour enfourner.
Nous avons maintenant sous les yeux la plus simple que l'on puisse imaginer des cloches à cuire fixes. Bien entendu, le plus souvent, le paysan polonais connaît aussi, en plus de cet appareil, notre four à pain de construction régulière. Cependant ce four, qui est une survivance du passé, reste bien au-dessous du four à pain que les âges préhistoriques de la pierre utilisaient déjà, en même temps que la simple cloche à cuire décrite ci-dessus. Il lui est inférieur aussi bien par son mode de construction que par la nature des matériaux. Les populations néolithiques ont en effet connu un « four à coupole » semblable par sa forme à celui des paysans polonais actuels, mais construit en pierre, en argile et en écorce de bouleau, au lieu de l'être en argile et en baguettes d'osier. Hans Reinerth en a donné un bon dessin dans son « Néolithique
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récent de la Suisse (Veröffentlichungen des Urgeschichtlichen Forschungsinstituts Tubingen, Augsbourg 1927). La figure 74 en reproduit les détails et se passe de description. Il est donc, au total, tout à fait vraisemblable que notre four à pain est l'aboutissant d'une évolution ayant eu la cloche à pain pour point de départ. A partir du moment où la cloche a reçu une base fixe et solide, reposant même, comme dans certains fours du moyen âge, sur trois ou quatre pieds, à partir du moment où on lui a donné la forme en coupole avec une ouverture latérale, le four à pain des Romains et du moyen âge s'est trouvé réalisé, tel qu'il nous est décrit (entre autres) par Blümner, Schultz, Mummendorf, d'après des dessins, sculptures ou chroniques.
A Rome et en Grèce, le four à pain était rond, avec une voûte en coupole, ou allongé et voûté. Les fours étaient soit indépendants des habitations, soit engagés dans les murs. A Pompéi ils étaient fort perfectionnés, ce qui était en rapport avec l'évolution très avancée de la boulangerie à Rome. A ce qui précède, ajoutons ceci. Le pétrin des Grecs et des Romains était presque le même que le nôtre, en bois et en argile dans les maisons privées, en pierre dans les boulangeries. Les personnes délicates, comme Anaxarchos, faisaient souvent mettre des gants aux esclaves qui pétris-
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saient la pâte, avec, devant la bouche, une muselière (comme dans le travail de la meule), pour empêcher la sueur ou la mauvaise haleine de gâter la pâte. On connaissait aussi des mécanismes servant à pétrir la pâte, du moins à l'époque romaine, sinon auparavant. Il en a été conservé dans les ruines de Pompéi. Je serais surpris qu'il n'y eût pas eu ailleurs, en Europe, des fours à coupole installés en dehors de la maison, à plat sur le sol. Je pense ici à des cloches à pain, maçonnées et devenues fixes, comme les figures 73 à 78 les représentent. Dans son voyage d'Espagne, Rikli a vu une cloche à pain de ce genre, sans substratum, près de la jolie petite ville d'Orihuela, et il en a publié le dessin en 1907[1].
Comme témoins plus suggestifs de la relation évolutive qui existe entre la cloche à pain et les fours à pain les plus simples, citons : Le four à pain de Pompéi (fig. 75), le four à pain dont le tombeau du boulanger Eurysaces, de Rome, nous a conservé l'image, le four à pain décrit dans la Weltchronik de Rud. von Ems (composée aux environs de l'an 1350, et dont le manuscrit se trouve à la bibliothèque royale de Stuttgart) celui de la chronique manuscrite connue sous le nom de « Landauerbuch » de la confrérie de Landau (à Münich), et datant de 1510 (fig. 78). Il a tous les titres requis pour prendre place parmi les fours à coupole actuels de nos campagnes, ou ceux du moyen âge. Les figures 76 et 77 représentent des fours paysans
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- ↑ Sur les fours à coupole romains et du moyen âge : Schultz (Alwin), Deutsches Leben im 14 u. 15 Jhrht., Leipzig-Wien, 1892, p. 199 et fig. 237. ; Blümner (H.), loc. cit., Bd. I, p. 40, fig. 14 ; Pusch Bäckerbuch ; Stuttgart, o. J., p. 482 ; Tatarinoff (E.), 7. Jahrber. d. schweiz. Ges., f. Urgeschichte, 1914, Zürich, 1915, 96, fig. 29 ; Woenig (Franz.) loc. cit. - Sur les fours à pain et le chauffage des maisons : Dachler (Anton.), Z. Gesch. d. Heizung. Zeitschr. f. österr. Volksk., 1912, Bd. 17, Hfl. 1-3, p. 4 du tirage à part ; Feldhaus (loc. cit.) aperçu d'ensemble des anciens fours à pain ; Rikli (M.), Kultur u. Naturbild. von d. spanischen Riviera. Neujahrsbl. d. Natf. Ges., Zürich., 1907, t. IV, fig. 6.
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ou des fours seigneuriaux, des années 1350 et 1520 qui appartiennent au même développement que celui de la figure 78. A Nuremberg il y eut, avant la confrérie de Landau, la confrérie Mendel. Parmi les 12 premiers frères, il y avait, déjà en 1380, un boulanger. Celui-ci cuisait le pain également dans un four à coupole, construit à part[1]. La traduction polonaise du livre des herbes de Crescentius renferme une figure d'un four à pain à coupole, rural, monté sur des pieds et situé dans une cabane à part[2].
On constate la disparition du trou qui sert, dans le zest des Roumains, à passer un bâton et celle de l'anse de la peka des Serbo-Croates, servant aussi à soulever la cloche à cuire. L'examen du four à pain primitif, qui était toujours placé en dehors de la maison, nous entraînerait bien plus loin que l'objet du présent ouvrage. Les autres ustensiles imaginés pour griller et rôtir n'étaient pas susceptibles de transformations : seule de tous, la cloche à cuire avait l'avantage d'assurer la cuisson dans une cavité humide et sous le rayonnement de la voûte. C'est elle qui a survécu et qui a donné naissance à notre four à pain actuel.
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- ↑ Feldhaus (F.M.), Description de nos anciens fours à pain dans sa Techn. d. Vorzeit., par ex. p. 702.
- ↑ Crescentyna Piotra, O pomnozeniu i rozkrzewieniu bogctaw., etc., Cracovie. 1542 et août 1571. Ouvrage paru à Bâle en 1538 : de agricultura omnibusque plantarum usu. Je n'ai pu utiliser que l'édition polonaise.
Fours à pain et chauffage domestique
Nous avons réservé pour la fln une courte étude des rapports ayant existé entre le four à coupole primitif el le chauffage des habitations. Primitivement, l'homme se chauffait à l'aide d'un feu libre, sans aucun dégagement, de sorte que tout l'intérieur de la maison était copieusement enfumé, aucune cheminée n'existant. A partir de cet état initial, il y eut beaucoup de chemin à
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parcourir pour arriver à l'élégante cheminée à corniche gothique et à la cheminée décorative du moyen âge, avec ses têtes de bélier de pierre aux deux côtés. Nous voyons dans les musées et dans les anciens châteaux ces appareils de chauffage, très larges et hauts d'un mètre et demi, et dont la profondeur pouvait recevoir d'énormes bûches, et nous les admirons sans réfléchir que les habitants avaient horriblement froid dans le reste de la pièce. Que fit l'homme lorsque la cloche à cuire fut devenue inamovible ? Il chercha à la combiner avec le reste de ses moyens de chauffage, à l'unir avec le foyer et avec la cheminée et ce ne fut pas une tâche facile. Et c'est alors que le foyer domestique apparut avec tous ses bienfaits. Cette fois encore (comme à propos de l'expression des graines oléagineuses), notre exposé nous ramène au foyer familial, au lieu de réunion de la famille. Il nous faudrait maintenant suivre encore une fois l'évolution du foyer et de la cuisson des aliments sur le foyer, l'histoire du chauffage domestique. Si nous voulions approfondir le sujet, les occasions ne nous manqueraient pas. Mais il ne s'agit ici que de donner des indications. Le four à pain des paysans était primitivement en dehors de la maison, puis fut construit contre la maison, et enfin dans la maison.
Encore actuellement, dans les Grisons et dans le canton de Saint-Gall, subsistent beaucoup de fours qui appartiennent à cette série de formes, car, si ce ne sont plus des fours à coupole ils montrent cependant bien l'évolution qui s'est faite vers le four moderne[1]. On les chauffe de la maison, mais le véritable four, et la cavité où se fait la cuisson, sont en dehors de la maison. Cette cavité, une sorte d'avant-corps, se trouve sur des pieds maçonnés ou bien est appuyée par des contreforts. Dachler (l. c.) a peut-être seul envisagé les relations de la cuisson du pain et du chauffage. Je
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- ↑ Stebler (loc. cit.), Rütimeyer Schweiz, 1916-1917. Jahresvers, p. 57, loc. cit. ; Hager (H.), Verh. Natf. Ges.
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représente de mémoire, dans la figure 79 un four à pain maçonné que j'ai vu encore en 1917 à Bergell dans le canton des Grisons. On peut se demander lequel est le plus ancien du four ou de la maison. Les anciens fours communaux devraient offrir à étudier beaucoup de particularités intéressantes pour la connaissance de la boulangerie primitive. A Bergell et dans la Basse Engadine on rencontre encore beaucoup de fours maçonnés dans le mur des maisons, comme celui de la figure 79.