3-5 Plantes à bouillie. Millet sanguin (Maurizio)

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Bouillies de millet, de sarrasin
Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale (1932)
Autres plantes à bouillie

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CHAPITRE V


PLANTES À BOUILLIES TOMBÉES EN DÉSUÉTUDE.
LE MILLET SANGUIN


Le millet sanguin (Panicum sanguinale : Bluthirse ou Blutgras des Allemands) offre un remarquable exemple de la façon rapide dont peuvent disparaître des plantes devenues d'un usage désuet. Alors que les deux millets courants sont extrêmement anciens, le Panicum sanguinale ne remonte pas aussi loin dans le cours des âges. Körnicke fait remarquer avec raison que c'est une des espèces céréales les plus récentes ce qui est confirmé encore par sa ressemblance complète avec l'espèce souche. Nous ne savons pas d'où vient la culture du Millet sanguin, Panicum sanguinale L. (Digitaria sanguinalis Scop.). Ascherson est d'avis qu'il a été sans doute planté tout d'abord par un moine dans un monastère de l'Illyrie. Il remarque que la bouillie de Millet sanguin parut désagréable à ceux qui en goûtèrent. Nous nous trouvons donc sans doute en présence de l'une de ces nombreuses plantes d'essai qui ne sont plus conformes au goût d'une époque et qui disparaissent.

Comme l'existence du Millet sanguin en tant que céréale, son mode de récolte et d'utilisation, nous révèlent beaucoup de traits anciens, et même qui rappellent l'époque du ramassage en quelques-uns de ses caractères propres, je vais faire ici un court exposé de la question en me référant à Ascherson[1].

La graminée Panicum sanguinale L. appartient à un groupe qui compte environ 700 espèces réunies en un seul genre : Digitaria

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  1. Ascherson (Paul), Vortr. geh. am, 27 fév. 1895, in d. Ges. f. Heimatsk. d. Provinz, Brandenburg Brandenburgia, 1895. Bd. 4, 37-60, et aussi Bd. 3, d, Zeitschr, 315-318 ; Manetti, Delle specie diverse di frumento e di pane, Venezia. 1766, 156.


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à cause de leurs pédoncules digités, de 4 à 6 mm., minces partant à peu près tous d'un même point et devenant violets après la maturité. Le fruit allongé, d'environ 2 mm. de long, vitreux, blanchâtre, opalescent par transparence, est enveloppé de glumes. Cette graminée atteint sa limite septentrionale dès le Schleswig-Holstein, le Mecklembourg, la Poméranie et la Prusse occidentale. Elle manque en Prusse orientale. Elle ne s'est introduite que récemment en Danemarck et en Suède. Par contre, elle s'étend dans toute la ceinture chaude et torride des deux hémisphères. Dans le Texas elle constitue des îlots de Cropp-grass, une des mauvaises herbes les plus ennuyeuses. Des traditions curieuses se rattachent à cette graminée. C'est ainsi que Pierandrea Mattioli, de Sienne, (mort en 1577) raconte que les enfants s'en fourrent les épis dans le nez pour le faire saigner et que c'est pour cette raison que la plante porte le nom de sanguinella dans sa patrie toscane. Cette habitude enfantine s'est prolongée jusqu'à notre époque. Les enfants des environs de Marienburg en usent de même avec le millefeuille, Achillea Millefolium[1]. Ainsi que Ascherson le note, ce jeu se pratique encore avec une autre plante. citée par Pline : Gramen aculeatum, que l'on nomme aussi Dactylos. Il s'agit sans doute de Cynodon Dactylon Rich. (Dactylos officinalis). Chez Cynodon Dactylon, le groupement des épis par cinq est beaucoup plus constant que chez Panicum sanguinale. La plante est très répandue dans le midi et sans doute n'a-t-elle atteint les bords du Rhin qu'avec la culture de la vigne. J'en ai déjà parlé à propos des espèces de ramassage. Selon toute apparence, on considérait dans l'antiquité que, au contraire du Cynodon dactylon, le Panicum sanguinale était un hémostatique. On distinguait les deux plantes l'une de l'autre, car Pline se réclame de l'opinion de Théophraste, qui désigne sous le nom de Ischæmon notre Panicum sanguinale. Les livres de simples citent cette plante à leur façon. Le botaniste Theod. Müller de Saverne (mort en 1590), Tabaernemontanus, cite dans son livre de simples (de l'année 1613), deux graminées sous le nom d’Ischoemon. D'après Ascherson, l'une de ces graminées serait probablement Panicum lineale Krock nec. L., la seconde Andropogon Ischæmon (Chiendent à balais).

Autrefois on cultivait le Millet sanguin comme céréale, dans une grande partie de l'Europe. On le cultive encore de nos jours. Ce-

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  1. Treichel (A.), Schriften d. Natf. Ges., Danzig, N. F. H. 4,., 1883, 136 et Ber. üb. d. 5 Vers. d. Westpreusz. Bot. zool. Ver. i., Kulm, 1892 ; Witmack (L.}, Landwirthsch. Samenkunde, 2 Aufl., Berlin, 1922, 142 ; Rosenthal (D. A.), loc. cit., 57.


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pendant on constate, pour les trois siècles sur lesquels nous avons des renseignements précis, que sa culture y a rétrogradé dans une plus large mesure encore que ne l'a fait l'épeautre, qui n'est plus cultivée actuellement, en Allemagne, que dans une partie de la Bavière, du Würtemberg, du grand-duché de Bade et de la région du Rhin (Eifel). Dans l'Allemagne orientale et dans l'est de l'Autriche- Hongrie, la culture du Panicum sanguinale fut pratiquée dès le moyen âge. Les auteurs d'ouvrages botaniques du XVIe siècle sont beaucoup mieux renseignés sur cette plante que la plupart de nos botanistes actuels. Ce qu'ils en disent nous ramène naturellement au susdit Matthiolus (Mattioli) qui fut le premier à en parler en 1561. Ensuite la plante fut cultivée en Bohême près de Görlitz en Ukraine : « Elle pousse aussi dans ces pays à l'état sauvage, mais on préfère la plante de culture à cause de son goût plus agréable ». Manetti cite encore la Slavonie comme pays où l'on cultive le Millet sanguin. Il dit que le fruit en est appelé « manne » ; décortiqué, il a la couleur blanche du riz, auquel Matthiolus le préfère, cuit dans le bouillon gras, à cause de son goût plus savoureux. Bien que Kohr dise au XVIIIe siècle que le Millet sanguin est plus connu que le Schwaden (ou Glyceria fluitans), il semble bien qu'il soit tombé assez rapidement dans l'oubli chez les botanistes. En effet, Schreber, célèbre par sa connaissance des graminées, écrit à son propos en 1679 (d'après Ascherson) : « A notre époque, la culture du Blutgras (Bluthirse) a cessé en même temps que l'utilisation de sa graine, après avoir été remplacé par le Schwaden (ou Mannagras : Glyceria) dont le goût est de beaucoup meilleur. Cependant, Beckmann dit, qu'en 1806 encore, on cultive le Bluthirse (P. sanguinale) en Bohême, en Silésie, à Görlitz, en Carinthie et Slavonie. D'après ce que dit Ascherson, on peut conclure que le millet sanguin n'était plus une plante de culture dans ces mêmes pays. Par contre, elle était encore cultivée jusqu'aux environs de 1880, dans les seules Bohême et Styrie. En ce qui concerne l'Allemagne, nous possédons des témoignages datant de 1864 et 1876. Dans ces derniers, Julius Kühn dit que le nord-est de l'Allemagne est la seule région où la graminée en question ait été encore cultivée à son époque et le soit depuis des temps immémoriaux. Les régions auxquelles il fait allusion sont le petit district de l'Oberlausitz prussienne et de la Silésie limitrophe près de Kohlfurt. D'après Körnicke, en 1862, la plante est cultivée surtout par de petites gens qui lui donnent le nom de « läuserich ». D'après d'autres auteurs cependant, ce nom désignerait une herbe fourragère de mauvaise qualité et serait ici mal attribué.


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En ce qui concerne la région de Görlitz, Ascherson, se référant aux assertions d'un connaisseur compétent, déclare qu'on y cultive le Bluthirse comme plante alimentaire sous la désignation locale de Moan (Manne). Le nom de « Schwade » semble être resté, lui aussi d'usage courant, alors que celui de « Lauserich » soulève des objections. On a cité aux environs de Görlitz, différentes localités où elle était cultivée aux environs de 1840 et même très certainement en 1889. Dans le village de Kohlfurt, 4 à 5 propriétaires la sèment pour leur usage personnel. On cite même un champ où l'on en fit la récolte le 22 septembre 1894. Fait digne de remarque, la plante importée à une époque récente de Bohême en Russie y est cultivée dans les sols maigres des gouvernements du centre et de l'ouest. Il y a eu ici importation d'un pays où les plantes à bouillie sont en voie de disparition vers une contrée où l'alimentation à hase de bouillies est l'alimentation par excellence. En résumé, on peut être de l'avis de Körnicke disant que notre plante a été en décroissance continue dans les trois derniers siècles pour lesquels nous avons sur elle des renseignements. D'après lui, le Panicum sanguinale fut cultivé et l'est encore dans des pays de population slave récente ou ancienne. La plante serait donc vraisemblablement d'origine slave. Cependant cette culture dut être méridionale, car la plante ne remonte pas loin vers le nord. Il est probable qu'elle fut primitivement cultivée dans les terres de la couronne de l'Autriche cisléithane, ce qui serait très près du point de vue soutenu par Ascherson. On ne peut s'associer à l'idée de Krause, d'après laquelle P. sanguinale serait une céréale d'origine wende [sorabe, probablement].

Il est peu vraisemblable qu'on puisse suivre d'une façon aussi régulière et ininterrompue la disposition progressive d'aucune autre plante à bouillie aussi bien qu'on le fait pour ce millet. Ce fait est d'autant plus digne d'être retenu que la récolte et l'utilisation de cette plante ont des caractères très anciens et qui sont de la période du ramassage. Cependant on ne procède pas à la récolte du grain en battant les épis comme on le fait pour le Schwaden (Glyceria) et pour le riz sauvage (Zizania). En effet les grains qui tombent facilement sont d'une maturité fort inégale et l'on pratique la coupe sous l'épi quand la plus grande partie des grains est devenue jaune. Si l'on àttendait que les feuilles soient sèches, on perdrait la plupart et les meilleurs des grains. On récolte donc la plante à moitié mûre. On en bat immédiatement les épis et on en fait sécher la paille qui fournit un fourrage excellent. Les fruits sont décortiqués dans des appareils spéciaux, on en fait


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des bouillies comme pour le millet. Ces bouillies, à base d'eau et de lait, sont considérées comme de rustiques mets de choix.