Roubo, Bois des Indes

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Roubo, André-Jacob, 1774. L’Art du Menuisier. L’art du menuisier-ébéniste — 3e section de la 3e partie. pp. 768-781.

Nous avons intégré les commentaires de Pierre Détienne :

  • Détienne, Pierre, 2002. Les bois exotiques décrits par Roubo, en 1774. Bois et Forêts des Tropiques, 274 (4) : 89-96 pdf sur Agritrop

C’est dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, siècle des Lumières, que fut publiée, de 1751 à 1772, la fameuse Encyclopédie, sous la direction de Diderot et d’Alembert. Le but de cette encyclopédie était de rassembler le savoir et les connaissances dans tous les domaines, mais aussi de vulgariser les derniers progrès des sciences et des techniques. Dans ce contexte parut en 1774 L’Art du menuisier ébéniste, écrit par M. Roubo fils, maître menuisier. Par sa qualité, cet ouvrage fut pendant très longtemps la référence des menuisiers et des ébénistes, et il la serait toujours sans les récents progrès techniques dans le travail du bois et sans les nouvelles connaissances acquises sur les « bois étrangers connus sous le nom de bois des Indes ».

Quarante-huit essences décrites

Dans la troisième section de la troisième partie, pages 768 à 781, Roubo décrit 48 bois exotiques tout en reconnaissant avec modestie ses limites et ses lacunes. « J’ai tâché de les décrire le mieux qu’il m’a été possible, afin qu’on puisse, avec connaissance de cause, faire choix des uns ou des autres, selon qu’on jugera à propos : cependant il est bon de faire attention que comme il ne m’a pas été possible de voir tous ces bois à divers degrés d’âge, ni même d’en voir de gros morceaux de plusieurs, il se pouroit très-bien faire, que ma description ne fût pas aussi exacte qu’on pourroit le désirer, et que je le souhaiterois moi-même. Les mêmes sujets diffèrent quelquefois dans leurs différentes parties, ce qui a sûrement fait donner plusieurs noms à des bois qui peut-être viennent d’une même espèce d’arbre… » Cependant, les descriptions, faites à partir d’observations personnelles de l’auteur, peuvent être considérées comme assez exactes car celui-ci désapprouve grandement les copies. « Il seroit nécessaire que nous eussions une Histoire des Bois étrangers bien détaillée, et faite d’après de bonnes observations sur les lieux et sur les différents sujets ; ce qui ne pourra jamais être, tant que les Ecrivains ne feront que se copier les uns sur les autres, sans critique, et sans examiner les choses par eux-mêmes… »

Le contexte en 1774

Même si Roubo reconnaît ne pas avoir pu observer tous les bois comme il l’eût souhaité, certains de ses propos peuvent nous paraître actuellement un peu naïfs, voire drôles, « arbre qui croît aux Isles Philippines et en Sibérie ». Il faut lire ce texte en se situant en 1774, année de la mort du roi Louis XV. La France vient de perdre ses possessions d’Amérique du Nord et des Indes (orientales) qui agrandissent les colonies anglaises, l’Afrique tropicale se résume à Dakar et quelques autres petits comptoirs insignifiants, Bougainville vient de terminer son voyage autour du monde, et Humboldt le naturaliste explorateur scientifique de l’Amazonie n’a que cinq ans. Il est bien compréhensible qu’un menuisier de cette époque puisse confondre Indes orientales et Indes occidentales ou s’imaginer qu’une même essence puisse naturellement pousser aussi bien à la Jamaïque que dans le Midi de la France. D’autre part, il est naturel que l’auteur ne cite aucun binôme botanique car, à la parution de l’ouvrage, Linné et Aublet étaient encore en vie et leurs travaux n’étaient connus que de quelques éminents naturalistes. Enfin, le nom des bois importés à cette époque ne lui permettait pas (et ne nous permet pas) de situer leur origine et leur nature exacte car, sauf quelques exceptions, comme copaïba ou jacaranda, noms issus des langues tupi-guarani, la plupart de ces bois ont été nommés par les Français selon leur principale particularité, couleur, odeur…

Peut-on reconnaître ces essences ?

Est-il possible aujourd’hui de reconnaître assez précisément ces 48 essences exotiques connues de certains menuisiers ébénistes à la fin du XVIIIe siècle ? En interprétant les descriptions de Roubo, que nous citerons en italique, nous essaierons d’appliquer des noms commerciaux courants ou des noms botaniques à ces bois. Pierre Détienne.



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Description des Bois des Indes & de leurs qualités, relativement à l'Ebénisterie


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Acaja

N°. 1. Acaja : cet arbre croît à Ceylan, & porte un fruit assez semblable à des prunes ; son bois a l'écorce rude & tendre comme le Sureau ; il est rouge & léger comme du liège, & n'est propre qu'à de petits ouvrages.

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Commentaires de Pierre Détienne

Parmi les hypothèses avancées, la plus vraisemblable serait Melia azedarach L. (méliacées), arbre de l’Inde, au bois rose et léger (densité comprise entre 0,40 et 0,50) et dont le fruit est une petite prune beige.

Acajou

2. Acajou ou Acajous : cet arbre est une espece de Noyer qui croît dans le Malabar, & qui est originaire des Isles de l'Amérique & du Brésil : à Cayenne, à la Jamaïque, le bois d'Acajou proprement dit est mou, d'une odeur un peu forte sans être absolument mauvaise, de couleur roussâtre, de fil & quelquefois si tortueux & de rebours qu'on ne peut le travailler qu'avec des fers brettés. Cette espece d'Acajou se nomme Acajou-pomme ; il est moins odorant que l'autre, seche plus yîte, & se brunit plus promptement.

L'Acajou de Cayenne vient haut & gros, & est propre à faire des planches ; sa couleur est rougeâtre, quelquefois veiné ou marbré de jaune & de blanc. Ce bois a une bonne odeur, se polit bien, & on le nomme quelquefois Cedre de Saint-Domingue.

L'Acajou de la Jamaïque est d'une couleur brune un peu rougeâtre, rayé de brun foncé en suivant les couches concentriques de l'arbre ; ce qui produit de très-beaux accidents aux environs des nœuds, dont alors les couches concentriques suivent les sinuosités. En général le grain de l'Acajou est fin, ses pores un peu ouverts, sur-tout à bois debout, c'est-à-dire, à l'extrémité de ses fibres longitudinales, ce qui fait que ce bois n'est pas bien solide & même un peu sujet à la pourriture par rapport à l'humidité qui s'introduit dans l'ouverture de ses pores.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il semble que deux essences soient mélangées sous ce nom. Le bois « mou » et odorant venant de Cayenne, et d’autres régions, est certainement le cedro, Cedrela odorata L. (méliacées). L’autre, plus ferme, de diverses origines américaines, sauf Cayenne, serait le mahogany (appelé plus tard acajou d’Amérique ou acajou de Cuba par les Français), Swietenia mahagoni Jacq. (photo 6-3) et Swietenia macrophylla King, de la même famille des méliacées.

Aloës

3. Aloës : ce bois est très-rare & est nommé par Dioscoride Agalochum. Il y a trois especes d'Aloës, savoir, le Calombac qui croît à la Cochinchine, qui est très-tendre & de plusieurs couleurs, d'une très-bonne odeur : ce bois est extrêmement résineux, ce qui fait qu'il fond plutôt qu'il ne brûle, & qu'on ne s'en sert que comme d'un parfum.

La seconde espece d'Aloës se nomme Bois d'Aigle ou Agalochum sauvage ; c'est un arbre qui croît à la Cochinchine, à Cambaye & à Sumatra ; son bois est compact & pesant, percé de plusieurs cavités, est de couleur rousse, & est d'une très-bonne odeur.

La troisieme & la plus commune espece d'Aloës se nomme Calambourc ou Calambour, & vient en grosses bûches des Isles de Solor & de Timor ; c'est un arbre qui ressemble assez à l'Olivier ; son bois est léger, poreux, & résineux d'une couleur verdâtre, tirant sur le roux.

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Commentaires de Pierre Détienne

En remplaçant la couleur rousse par une couleur plutôt gris sombre, l’essence décrite s’identifie parfaitement au bois d’aigle produit par diverses espèces du genre Aquilaria (thyméléacées). Ce bois, connu aussi sous le nom d’aloès (qui n’est pas l’aloès ornemental, sorte d’agave de la famille des liliacées), est plus recherché par les parfumeurs que par les ébénistes.

Amaranthe

4. Amaranthe, appellé par les Anglois Mahageni ou Magohoni ; espece de bois violet que les Hollandois nous vendent, & qu'on nomme quelquefois Bois de la Chine, quoique mal-à-propos, puisque ce bois ne croît que dans le continent de la Guyane en Amérique. Cet arbre vient très-gros, & son bois est de fil & d'un grain fin & serré ; sa couleur, avant d'être travaillé, est d'un gris vineux & brillante comme si elle étoit argentée ; lorsque ce bois est poli, sa couleur


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change & devient d'un beau violet brun, qui, avec le temps, devient presque noir. Ce changement est causé par l'évaporation d'une substance blanchâtre & résineuse qui se trouve renfermée dans ses fibres longitudinales, & qui paroît à bois de bout, comme une infinité de petits points blancs qui suivent les couches concentriques de l'arbre. Le bois d'Amaranthe est moyennement dur, se travaille très-bien & est fort d'usage à présent, où on l'emploie assez communément avec le Bois de rose, sur lequel il tranche cependant un peu trop, comme je l'expliquerai en parlant de la manière de mélanger les bois.

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Commentaires de Pierre Détienne

M. Roubo n’a vu que l’amaranthe vendu par les Hollandais qui l’exploitaient dans leur colonie du Suriname, c’est-à-dire le bois beige au sciage et devenant violet à la lumière produit par le genre botanique Peltogyne (caesalpiniacées) et que nous nommons encore aujourd’hui amarante (photo 5-1). Le bois des Anglais, qu’il n’a pas vu, est, sans conteste, le mahogany (bois n° 2).

Amourette

5. Amourette est un bois pesant dur & compact, de couleur jaunâtre, un peu rousse, & veiné de brun rougeâtre : je soupçonne que ce pourroit être la même chose que le Benoît fin, qui croît aux Antilles, & qui vient très-grand & très-gros.

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Commentaires de Pierre Détienne

Cette description n’est pas très bonne mais nous pensons qu’il s’agit bien de l’amourette (photo 1-2), Brosimum guianense Huber (moracées). Ce bois était très connu et si prisé qu’il servit d’unité monétaire au Suriname.

Anis

6. Anis ou Anil à l'étoile, est un arbre qui croît à la Chine, aux Indes Orientales, aux Isles Philippines & en Sibérie, d'où on l'apporte en grosses bûches : ce bois est d'une couleur grisâtre & d'une odeur à-peu-près semblable à l'Anis, & est peu d'usage en Ebénisterie, quoiqu'on se serve d'Erable teint en gris.

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Commentaires de Pierre Détienne

L’anis étoilé, ou badiane, que nous connaissons est le fruit de l’arbre Illicium verum L. (illiciacées). Le bois d’Illicium a une odeur si discrète que nous doutons qu’il fût exploité. En revanche, une famille botanique très voisine, les lauracées, possède une espèce poussant au Vietnam, Cinnamomum ilicioides A. Chev., dont le bois dégage une forte odeur d’anis.

Asphalate

7. Asphalate, nommé par les Anciens Rhodium lignum ou Bois de Rhode. On ne sait au juste si c'est le bois connu sous le nom de Bois de Rhode ou de Rose, ou bien si c'étoit l'Aloës ou l'Agalochum.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il est difficile d’imaginer de quel bois il s’agit. L’hypothèse de Roubo est plausible : le bois d’aigle (n° 3) aurait pu arriver des Indes orientales via le Moyen-Orient et l’île de Rhodes. Doit-on aussi imaginer que ce nom puisse provenir du fait que le bois d’aigle ressemble un peu à un calcaire coquillier bitumeux très fin ?

Brésil

8. Brésil : ce bois vient originairement du Brésil, province de l'Amérique Méridionale ; il prend différents noms selon les autres lieux où il croît ; celui qu'on nomme Brésil de Fernambouc, est le meilleur ; il y a encore le bois de Brésil proprement dit, celui de Lamon, de Sainte-Marthe, & le Brésillet, qui croît aux Antilles & qui est le moins estimé de tous. L'arbre du Brésil est de deux especes ; savoir, le gros qu'on nomme Sapan, et le petit qu'on nomme Sapan bimas.

Le bois de Brésil na pas de moëlle, est souvent tortueux, & vient fort gros ; mais comme il a beaucoup d'aubier, il perd la moitié & même les deux tiers de sa grosseur. Pour que ce bois soit bon, il faut qu'il soit compact, dur & très-sec, que sa couleur sur le bois de fil, lorsqu'il est éclatté, de grise qu'elle paroît, devienne d'un rouge tirant un peu sur le jaune, & qu'il soit d'un goût un peu sucré. Il croît aussi de ce bois aux Indes Orientales, comme au Japon où il a de la moëlle ; au royaume de Siam, sur la côte de Malabar, & dans les deux presqu'isles du Gange ; ce bois ne pouvant croître ailleurs que dans la Zone Torride. Le Sapan des Indes dont il est ici question est d'un genre diiférent de celui de l'Amérique ; mais il sert également à la Menuiserie & à la Teinture.

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Commentaires de Pierre Détienne

L’actuelle ville brésilienne de Recife, autrefois appelée Fernambouc, puis Pernambouc, aurait donné son nom (pernambouc) au bois de couleur braise typique de l’espèce Guilandina echinata Spreng. (caesalpiniacées) (nom accepté : Paubrasilia echinata). On dit même que le nom du Brésil dériverait de la couleur rouge orangé de ce bois très recherché (photo 2-2). Les bois moins prisés venant des Antilles auraient été produits par des espèces voisines de Guilandina : Caesalpinia brasiliensis L. (poussant à Haïti et non au Brésil), Caesalpinia bahamensis Lam. (Bahamas et Cuba), et peut-être aussi par Caesalpinia granadillo Pitt. (nom accepté : Libidibia punctata) de la côte vénézuélienne. Le bois rouge identique venant d’Asie est le sapan (Caesalpinia sappan L.; nom accepté : Biancaea sappan ) qui aurait été connu en Europe durant le Moyen Âge.

Canelle

9. Canelle, qu'on nomme improprement Sassafras. C'est un arbre qui ne croît qu'à l'Isle de Ceylan, & qui ne vient qu'à quatre toises de hauteur ; son bois est


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de fil dur, blanc & n'a point d'odeur ; il y a dans les vieux troncs de ces arbres des nœuds ou loupes propres à l'Ebénisterie.

Il croît dans la Floride en Amérique un assez bel arbre qu'on nomme Pavane ou Bois de Canelle, à cause de sa bonne odeur ; on prétend que c'est la même chose que le Sassafras.

Il y a encore une espece de bois jaunâtre tirant sur le brun, nommé Carabaccium, dont l'odeur sent le clou de gérofle, lequel pourroit bien être le même que le Pavane d'Amérique.

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Commentaires de Pierre Détienne

Description trop succincte pour reconnaître une essence. À partir des noms canelle, sassafras et Ceylan, il n’est possible que de formuler une hypothèse : Cinnamomum zeylanicum Blume (lauracées) (nom accepté : Cinnamomum verum). Le bois de cette espèce ne possède aucune qualité attractive, à moins que certains arbres aient pu fournir des loupes.
D'après Monardes, pauame est un nom amérindien de Sassafras albidum. MC.

Cayenne

10. Cayenne. Il y a deux sortes de bois de Cayenne ; l'un, veiné de jaune & de rougeâtre, dont le grain est fin & serré ; l'autre, d'un brun rouge veiné & grisâtre sur les bords : l'une & l'autre de ces deux especes de bois est semée de petites cavités remplies d'une espece de gomme ou résine qui s'évapore à l'air, laquelle gomme suit les fibres longitudinales du bois, & paroît à bois de bout contenue dans une infinité de petits tuyaux semés irréguliérement, ce qui n'empêche pas que ce bois ne se polisse très-bien.

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Commentaires de Pierre Détienne

Si la provenance guyanaise est exacte, le premier bois pourrait être le courbaril, Hymenaea courbaril L., le second un copaïba, Copaifera guianensis Desf. (nom accepté : Copaifera guyanensis), tous les deux de la famille des caesalpiniacées, et caractérisés par la présence régulière ou sporadique de canaux résinifères dont les exsudations ne sont pas un inconvénient au polissage.

Cedre

11. Cedre : c'est un des plus beaux & des plus grands arbres du monde : les plus grands croissoient jadis sur le mont Liban, où il y en avoit de 120 à 130 pieds de hauteur ; il n'en croît plus à présent qu'aux environs de Biblos & de Tripoli de Syrie : il en croît aussi beaucoup dans l'Amérique, dans les Isles de Chypre & de Candie ; mais ils sont moins beaux que ceux de l'Asie mineure. Il croît encore des Cèdres en Sibérie ; mais ce sont les moins beaux de tous, & ils n'ont point d'odeur.

Le bois de Cedre est de deux especes, savoir, le rouge & le blanc : le rouge, qui est le plus beau, est un bois plein, moyennement ferme, d'une couleur rougeâtre tirant sur le jaune, & dont les séparations des couches concentriques sont d'un rouge brun tirant sur le violet ; de sorte que ce bois refendu suivant un de ses rayons paroit rayé à-peu-près comme le beau bois de Sapin, & est d'une très-bonne odeur, à-peu-près semblable à celle du musc.

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Commentaires de Pierre Détienne

Si le cèdre du Liban, Cedrus libani Barrel (pinacées), est le premier, le second pourrait être un conifère à bois odorant d’Amérique du Nord, tel le white cedar, Thuja occidentalis L. (cupressacées).

Cedre blanc

12. Le Cedre blanc n'est point rayé comme le rouge, il est dune couleur plutôt rousse que blanche, & est plus mou & plus léger que le rouge, & a à-peu-près la même odeur. En général le Cedre, quoique très-tendre, prend assez bien le poli, & passe pour être incorruptible, ce qui le faisoit fort estimer des Romains qui en faisoient beaucoup d'usage pour leurs meubles. Seneque, le Chantre de la pauvreté, avoit 500 tables de bois de Cedre toutes pareilles portées sur des pieds d'yvoire.

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Commentaires de Pierre Détienne

Cette description s’appliquerait parfaitement au bois du white cedar nord-américain.

Chine

13. Chine, ou Serpentin, ou Lignum Sinense ; en Hollandois, Letterhout ou Bois de lettres, à cause qu'on l'apporte marqué de lettres ou de marques que forment les taches dont il est couvert. Ce bois est dur, lourd & extrêmement compact, prenant bien le poli ; d'une couleur rouge-brun, marqué de petites taches brunes ou plutôt noirâtres, qui partent du centre de l'arbre, suivant la


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direction des rayons. Ce bois est résineux & d'un grain très-fin ; & quoique très-dur, il se fend aisément sur le bois de fil, ce qui le rend assez difficile à travailler ; de plus sa couleur noircit en vieillissant. Quoique ce bois soit nommé en France Bois de la Chine, il est fort douteux qu'il vienne de ce pays ; au contraire, on est presque sûr qu'il ne croît que dans le continent de la Guyane, dans l'Amérique méridionale. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il croît à la Guyane une espece de Bois de lettre qui est luisant, dur & de couleur rouge tacheté de noir. Quelquefois le fond de ce bois est jaune ; mais dans l'un ou l'autre cas, il ne vient guère qu'à 4 pouces de diametre.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il s’agit bien sûr de l’amourette (photo 1-2), Brosimum guianense Huber (voir n° 5).

Citron

14. Citron, arbre ainsi nommé à cause de son odeur & de sa couleur ; il croît dans les Isles de l'Amérique, & sur le bord de la mer. Les Américains le nomment Bois de chandelle, parce qu'ils s'en servent pour s'éclairer la nuit. Son bois résineux est lourd, compact, d'une odeur forte tirant sur celle de citron ; son grain est serré : il est extrêmement de fil, & prend bien le poli. On l'apporte par tronc pesant environ 1000 livres ; c'est à quoi on peut le distinguer du Santal Citrin, auquel il ressemble, mais dont les bûches ne pesent que 100 livres ; d'ailleurs le Citrin est moins lourd que le bois de Citron, d'une odeur plus douce & plus agréable, & de meilleur goût que le dernier, qu'on nomme aussi Bois de coco & de jasmin. On croit que c'est le même que le bois de rose de la Guyane.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il est évident que Roubo a vu un bois et rajoute diverses informations qu’il a obtenues, mais non contrôlées. Le bois chandelle, ainsi appelé car utilisé pour l’éclairage, n’a pas un fil extrêmement droit et le tronc de l’arbre n’est jamais gros. Il s’agit de l’espèce Amyris elemifera L. de la famille des rutacées. En revanche, une autre espèce antillaise de cette famille, Zanthoxylum flavum Vahl, grand arbre, produit un bois jaune à grain fin et de droit fil et devait être connue et exploitée à cette époque. Cette espèce sera commercialement désignée plus tard par le nom espenille. Le bois de rose de la Guyane, Aniba parviflora Mez et Aniba rosaeodora Ducke (lauracées) (nom accepté : Aniba rosiodora), jaunâtre, plus léger que les précédents, et très odorant, n’a certainement jamais été utilisé en menuiserie-ébénisterie. Le santal citrin pourrait être le santal (véritable) asiatique, Santalum album L. (santalacées).

Citronnier

15. Citronnier. Cet arbre est peu gros ; son bois est blanc & sans odeur : il est originaire d' Asie, d'où il fut apporté dans la Grèce, & de-là en Italie. Il croît maintenant en Espagne, en Portugal, dans le Piémont & dans la Provence. Le bois de Citronnier étoit très-rare & très-estimé à Rome sur la fin de la République. Cicéron en avoit une table qui avoit coûté deux mille écus ; & Asinius Pollio, une de 30 mille livres : Pline dit qu'il falloit être un très-grand Seigneur pour faire usage de ce bois, dont la beauté consistoit dans la diversité des ondes & des nœuds des racines. Ce bois n'est plus d'usage à présent.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il ne peut s’agir du bois au fil droit du petit arbre porteur de citrons, Citrus limonia Osbeck (nom accepté : Citrus limon), qui ne fut certainement pas utilisé par les Romains. En revanche, ceux-ci auraient pu obtenir des Indes un bois jaune merveilleusement contrefilé et ondé, Chloroxylon swietenia DC., de la même famille des rutacées, encore connu aujourd’hui sous le nom de citronnier de Ceylan (photo 2-1).
Par contre, les Romains connaissaient le cédratier, Citrus medica, souvent appelé citronnier. MC.

Copaïba

16. Copaïba, arbre d'où découle le baume de Copahu. Son bois est d'un rouge foncé, parsemé de taches rouge vif, d'une dureté à peu-près égale au Chêne, & sert à la teinture. On doute si ce bois n'est pas le même que le Fernambouc, dont il a l'odeur. Le Copaïba croît dans les forêts du Brésil, dans l'Isle de Maragnan & aux Antilles [1].

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  1. J'ai vu au Cabinet d'Histoire Naturelle du Jardin du Roi, du bois de Copaïba qui étoit d'une couleur jaunâtre, & d'un grain fin & serré. Je ne sai si c'est une nuance dans l'espece, ou bien s'il est mal étiqueté ; car tous les Auteurs se rapportent à la description que je viens d'en faire, quoiqu'il y ait une grande différence pour la couleur ; ce qui prouve assez combien il seroit nécessaire que nous eussions une Histoire des Bois étrangers bien détaillée, & faite d'après de bonnes observations sur les lieux & sur les différents sujets ; ce qui ne pourra jamais être, tant que les Ecrivains ne feront que se copier les uns les autres, sans critique, & sans examiner les choses par eux-mêmes, ou du moins sans s'en être fait rendre compte par des gens connoisseurs en cette partie.

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Commentaires de Pierre Détienne

Le copaiba, bois de Copaifera reticulata Ducke (caesalpiniacées), est toujours exploité dans l’État du Pará ; une espèce voisine, Copaifera officinalis L., l’était aux Antilles.

Corail

17. Corail. Cet arbre croît aux Isles du Vent, en Amérique. Son bois est


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d'une couleur rouge pâle, rayé de veines d'un rouge de corail mêlé de brun suivant les couches concentriques de l'arbre. Ce bois est moyennement lourd, & fort poreux ; il a les fibres très-ouvertes & remplies d'une cendre ou gomme qui est plus ou moins foncée, selon les veines où elle se trouve. Il a le défaut d'être très-difficile à travailler, parce que toutes ces couches concentriques ont une inclinaison différente, ce qui produit des rebours qui sont inévitables. On vend quelquefois ce bois pour du Santal rouge ; mais ce dernier est bien plus compact que le bois de Corail, & est d'un rouge beaucoup plus foncé.

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Commentaires de Pierre Détienne

Un tel bois a pu provenir de gros et vieux arbres des espèces Pterocarpus officinalis Jacq. et Pterocarpus rohrii Vahl (fabacées), au cœur rouge et parfois contrefilé. Dans la même famille, l’espèce Platymiscium pinnatum Dugand, sur les côtes de la mer Caraïbe, a pu fournir un bois semblable.

Cyprès

18. Cyprès, arbre d'une moyenne grosseur. Il est originaire des montagnes de Candie & des Isles de l'Archipel. Son bois est compact, solide & de couleur jaunâtre ; lorsqu'il est coupé à bois de bout, ses couches concentriques se distinguent aussi aisément qu'au Sapin : il n'est pas lourd, & n'est pas sujet à se pourrir ni à se gercer ; les vers ne s'y mettent jamais ; il est presque d'une aussi bonne odeur que le bois de Cèdre, & prend très-bien le poli. Presque tous les Auteurs anciens s'accordent à regarder ce bois comme incorruptible ; ce qu'il y a de certain, c'est que les portes de l'ancienne Eglise de Saint Pierre de Rome, faites du temps de l'Empereur Constantin, lesquelles étoient faites de ce bois, ont duré près de 1200 ans. Il y a une autre espece de Cyprès de l'Amérique, qu'on nomme Cèdre blanc, lequel n'est pas connu en France.

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Commentaires de Pierre Détienne

Arbre européen, Cupressus sempervirens L. (cupressacées).

Ebene

19. Ebene. L'arbre d'Ebene est peu connu ; son bois est très-dur & pesant, cependant moins que le Bois de fer. Il y a quatre sorces d'Ebenes ; savoir, la noire, la rouge, la verte & la blanche.

L'Ebene noire, qui est la plus commune, vient de Madagascar, où les habitants la nomment Hasonmainthi, c'est-à-dire, bois noir. La plus belle Ebene noire vient de l'Isle Maurice, dont elle a pris le nom. Pour que l'Ebene soit bonne, il faut qu'elle soit sans nœuds, d'un fil très-serré, & d'une couleur luisante ; & qu'en la travaillant le copeau s'enleve bien sans se rompre, comme il arrive quelquefois à une espece d'Ebene qu'on diroit être du bois brûlé, & dont les copeaux sont comme de la sciure. L'Ebene a le défaut d'être quelquefois tachée de veines roussâtres, sur-tout celle qui vient de l'Isle Maurice, ce qui en diminue la valeur, puisque la beauté de ce bois consiste dans sa couleur parfaitement noire & luisante.

En général, l'Ebene est un des plus beaux bois qu'on puisse employer en Ebénisterie, tant par rapport à sa qualité pleine & compacte, qui le rend facile à travailler, que par sa belle couleur noire, qui augmente encore avec le poli que ce bois prend parfaitement bien ; aussi étoit-ce presque le seul qu'on employoit autrefois dans cette partie de la Menuiserie, à laquelle il a donné son nom. Mais depuis que les autres bois de couleur sont devenus plus communs, on a fait moins d'usage de l'Ebene, & on ne s'en sert presque plus à présent, ainsi que je l'expliquerai ci-après.

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Commentaires de Pierre Détienne

Aucun problème pour identifier la véritable ébène, celle de Madagascar produite par Diospyros gracilipes Hiern, Diospyros lanceolata Poir. (photo 6-1), Diospyros perrieri A. Juss., Diospyros toxicaria Hiern, etc., et celle de l’île Maurice, Diospyros tesselaria Poir. (ébénacées) (nom accepté : Diospyros tessellaria), devenue très rare.

Ebene de Portugal

20. Il y a de l'Ebene noire & blanche, qu'on nomme Ebene de Portugal,


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qui est peu en usage, & que je ne connois pas, ne l'ayant vue nulle part.

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Commentaires de Pierre Détienne

Ce bois pourrait être le bois suivant (n° 21) que les Portugais pouvaient rapporter de leurs comptoirs africains.

Ebene rouge

21. L’Ebene rouge, autrement dite Grenadille, croît à Madagascar ; elle est un peu moins compacte & moins lourde que la noire. Elle n'est pas précisément d'une couleur rouge, mais au contraire d'un brun rayé de noir, en suivant les couches concentriques, qui, à peu de chose près, sont alternativement de ces deux couleurs. Ce bois est entouré d'un aubier jaune, qui est presqu'aussi dur que le bon bois.

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Commentaires de Pierre Détienne

Un bois noir avec un aubier jaune ne peut être que celui de Dalbergia melanoxylon Guill. et Perr. (fabacées). Cette essence n’a jamais poussé à Madagascar. En revanche, elle est relativement commune au Mozambique, ainsi que dans d’autres régions sèches de l’Afrique (photo 6-2).

Ebene verte

22. L’Ebene verte est beaucoup moins dure que les deux premières especes : il en croît à Madagascar, à l'Isle Saint-Maurice, à Tabago & aux Antilles : sa couleur est d'un brun tirant sur l'olive, & toutes les fibres longitudinales de ce bois sont remplies d'une cendre ou poussiere verte & brillante, laquelle n'est (du moins à ce que je crois) autre chose que de la seve condensée, laquelle paroît, à bois de bout, comme une infinité de petits points verds semés entre les couches concentriques, dont ils suivent les contours. Cette cendre est la partie de ce bois qui sert à la teinture, & qui, lorsqu'elle est évaporée, fait perdre au bois sa couleur verte, qui, alors, devient brune en vieillissant. Ce bois a le défaut d'avoir les fils entrelacés, ce qui y produit des rebours lorsqu'on le travaille sur la maille. Il y a une autre espece d'Ebene nommée Cytise ou Ebénier des Alpes, dont le grain est fin & serré ; sa couleur est un jaune pâle nuancé de verd ; c'est un arbre de moyenne grosseur, et qui doit plutôt être rangé dans la classe des bois de France, que dans ceux des Indes, auxquels il ne ressemble que médiocrement.

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Commentaires de Pierre Détienne

Une telle description ne peut convenir qu’aux bois de certaines espèces du genre, uniquement américain, Tabebuia (bignoniacées), actuellement connus sous le nom d’ipé, et dont les pores sont toujours obstrués par une substance vert-jaune, le lapachol (photo 4-1).
Le Cytise ou Ebénier des Alpes doit être Laburnum alpinum. MC.

Ebene blanche

23. L’Ebene blanche est peu connue : le grand Pompée est, dit-on, le premier qui en ait apporté à Rome dans son triomphe sur Mithridate, Roi de Pont. M. de Bougainville, dans son Voyage autour du Monde en 1768, dit avoir vu à Boëro dans les Moluques, des Ebenes noires & blanches ; je ne sai s'il a voulu dire qu'il y avoit des Ebenes noires & des Ebenes blanches, ou bien si ce n'étoit qu'une seule espece d'Ebene noire marquée ou veinée de blanc.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il est totalement impossible de savoir qu’elle était cette ébène de Pompée, du buis ? En revanche, l’ébène de Bougainville pouvait être le bois nommé aujourd’hui ébène de Macassar, bois noir rayé de brun-rose pâle produit par diverses espèces asiatiques de Diospyros (ébénacées), Diospyros blancoi A.DC. (nom accepté : Diospyros discolor), Diospyros celebica Bakh., Diospyros malabarica Kostel, etc.

Epi de bled

24. Epi de bled. Je n'ai pu savoir au juste le vrai nom de ce bois ; je soupçonne cependant que ce pourroit être le bois de Rose de la Chine, nommé Testant, vu que les descriptions qu'en font les différents Auteurs, convienent très-bien à l'Epi de bled, dont le bois moyennement dur, est très-poreux. Le fond de ce bois ou, pour mieux dire, ses rayures prédominantes, sont d'un noir rougeâtre, entremêlées d'autres raies couleur de chair, dans lesquelles il se trouve de petites cavités remplies d'une poussiere ou gomme de la même couleur, & qui paroissent à bois de bout, ainsi que les fibres qui les renferment, comme des points ronds un peu allongés, disposés sur un fond brun, de manière qu'on sent (quoique assez difficilement) la forme des couches concentriques. Le bois de bout da l'Epi de bled, ne peut être mieux comparé qu'à du jonc ; & il n'y a point, ou du moins peu, de différence à ses rayures considérées verticalement, soit qu'il soit coupé sur la maille ou parallélement aux couches concentriques ; en quoi


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ce bois diffère de tous les autres, qui, lorsqu'ils sont rayés à bois de bout, le sont sur le bois de fil refendu sur la maille (c'est-à-dire, suivant les rayons de l'arbre), & veiné Iorsqu'ils sont refendus parallélement aux couches concentriques. Comme l'Epi de bled a les pores très-ouverts, & que ses rayures sont d'une densité inégale, il est un peu difficile à polir, & il faut avoir soin de remplir les ouvertures de ses pores avec un mastic préparé comme je l'indiquerai en parlant du poli des bois : cette observation est générale pour tous les bois dont les pores sont ouverts comme à celui dont je parle.

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Commentaires de Pierre Détienne

Deux hypothèses sont possibles : le cocotier et le Saint-Martin rouge. Notre choix va sur la seconde essence, Andira inermis DC., Andira coriacea Pulle, Andira surinamensis Splitg. (fabacées), pouvant être exploitée aux Antilles et sur la côte des Guyanes (et non en Chine), et dont le bois présente des couches concentriques d’accroissement contrairement à celui du cocotier (photo 4-3).

Fereol

25. Fereol. Ce bois croît à Cayenne, & porte le nom de celui qui l'a découvert ; il se nomme aussi Bois marbré : le fond de ce bois est blanc, & veiné ou tacheté de rouge. Il y a au Cabinet d'Histoire Naturelle du Jardin du Roi, du bois de Fereol dont le grain est très-fin, Se dont le fond est de couleur jaune foncé, avec des raies étroites de couleur brune, tirant sur le violet ; c'est peut-être une nuance dans l'espece : au reste, ce bois est beau, & se travaille très-bien.

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Commentaires de Pierre Détienne

Le nom de ferréol a été utilisé en Guyane française pour désigner le bois brun rougeâtre, finement ramagé, de Swartzia panacoco Cowan, et plus particulièrement de sa variété polyanthera Cowan (= Swartzia tomentosa DC.) de la famille des caesalpiniacées (photo 3-3).

Fert

26. Fert est un arbre qui croît dans les Isles de l'Amérique de la grosseur d'un homme par le tronc ; son bois est extrémement dur, d'une couleur fauve, brune tirant sur le noir, sur-tout au cœur du bois, qui est extraordinairement dur, & où cependant les couches concentriques se distinguent fort aisément, quoique son grain soit, pour le moins, aussi serré qu'à l'Ebene noire : la couleur de ce bois est généralement triste, & on ne peut guère l'employer en Marqueterie que pour représenter des Terrasses, ou d'autres objets auxquels sa couleur soit convenable.

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Commentaires de Pierre Détienne

Le bois de fer, ainsi nommé aujourd’hui aux Antilles et à Haïti, Krugiodendron ferreum Urb. (rhamnacées), ressemble bien à cette description, mieux que les bois extrêmement durs et lourds de Swartia (nom accepté : Swartzia) ou de Bocoa (caesalpiniacées) inconnus dans les îles.

Fuset

27. Fuset. C'est un arbrisseau qui vient à la Jamaïque & au Midi de la France ; son bois est d'un beau jaune veiné ; mais il est peu solide.

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Commentaires de Pierre Détienne

L’arbuste au bois jaune présent sur les deux continents pourrait être à la fois l’européen et asiatique Rhus cotinus L. (anacardiacées) (nom accepté : Cotinus coggygria) et son cousin du Mississippi (non pas de la Jamaïque) Rhus cotinoides Nutt. (nom accepté : Cotinus obovatus). Cette hypothèse est peu vraisemblable, même en sachant que de tels arbres peuvent dépasser 20 cm de diamètre en Inde (orientale). Une hypothèse plus sérieuse conduirait vers le moral (qui fut appelé fustic), Maclura tinctoria Steud. (moracées), arbre pouvant devenir grand et poussant dans toutes les îles des Caraïbes, ainsi que dans de nombreuses régions d’Amérique centrale et méridionale (photo 3-2). Ce moral était bien connu autrefois, essentiellement pour ses propriétés tinctoriales.
Erreur pour Fustet ? MC.

Gayac

28. Gayac ou Bois-Saint, croît en Amérique, aux Isles S. Domingue & du Port de la Paix ; son bois est solide, compact & résineux, d'une couleur verte, & rayé suivant les couches concentriques, qui sont alternativement vertes, pâles ou jaunes, & noires foncées de plus en plus, à mesure qu'elles approchent du centre : il ne peut se fendre que parallélement aux couches concentriques, qui quelquefois se séparent d'elles-mêmes ; & les fibres ligneuses de ces dernières, sont tellement mêlées entr'elles, qu'on ne peut les séparer qu'avec la scie. Lorsqu'on travaille ce bois, il rend une odeur forte, qui n'est cependant pas désagréable. Les bûches de ce bois qu'on apporte en France, pesent jusqu'à 500 livres, & leur coupe transversale n'est point ronde comme à la plupart des autres arbres ; mais elle est allongée en forme de poire.

Il y a encore d'autres especes de Gayac, un peu différentes de celui-ci, entr'autres un qui est aussi dur, mais dont la couleur est jaune, à peu-près comme le Buis, & quelquefois veiné de verd ou de noir : cette dernière espece de Gayac est plus propre à l'Ebénisterie que la première, parce que son bois, quoique très-dur, est plus facile à travailler.

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Commentaires de Pierre Détienne

Cette description si bien faite s’applique parfaitement au bois de Lignum vitae (que les Français appellent toujours gaïac), Guaiacum officinale L. et Guaiacum sanctum L. (zygophyllacées). Ce bois aux caractéristiques très spéciales fut toujours très recherché, au point, dit-on, qu’un édit du roi Louis XIV en réglementait son exploitation dans les possessions françaises (photo 1-3).

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Gommier blanc

29. Gommier blanc. Cet arbre croît à la Guadaloupe ; son bois est blanc, veiné de gris, tirant quelquefois sur le noir. Ce bois est quelquefois dur & difficile à travailler, & quelquefois tendre & poreux, quoique d'un grain fin & serré.

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Commentaires de Pierre Détienne

Par le nom et la provenance, l’arbre s’identifie à Dacryodes excelsa Vahl (Burséracées). Le bois est blanc rosé, rarement avec de larges veines rougeâtres, mais est sujet au bleuissement, ce qui expliquerait les veines grises vues par Roubo. Ce bois est tendre et léger mais contient beaucoup de silice, ce qui le rend difficile à travailler.

Inde

30. Inde ou Laurier aromatique, appellé communément Bois de Campêche ; c'est le cœur d'un très-gros arbre qui croît en Amérique, dans la Baie de Campêche, d'où il tire son nom; aux Isles de la Jamaïque, de Sainte-Croix, de la Martinique, & de la Grenade. Ce bois est si lourd, qu'il ne surnage pas sur l'eau ; il est compact & d'un grain assez fin ; ses fils s'entremêlent les uns dans les autres, ce qui le rend un peu difficile à travailler, & qui n'empêche cependant pas qu'il ne prenne très-bien le poli : la couleur de ce bois est d'un rouge brillant, & même comme transparent, ou pour mieux dire, glacé d'un jaune foncé ; cette couleur change avec le temps, ou quand ce bois a été trop long-temps dans 1'eau ; alors il devient brun, & quelquefois d'un gris noirâtre, ce qui a trompé plusieurs de ceux qui en ont fait la description, les uns lui ayant donné une couleur rouge, & les autres une brune ou bien une violette. Ce bois a une odeur un peu forte, sans cependant être désagréable, & il sert à la teinture en noir & en violet. Le bois d'Inde ou de Campêche est le même que le Laurier aromatique ou le Poivrier de la Jamaïque, ou arbre qui porte la graine des quatre epices. Le véritable bois de Campêche se connoît par sa coupe, qui est faite à coups de hache par les Espagnols qui en font un très-gros commerce : il y a du bois de Campêche qui est d'un fond brun, tacheté de noir à distance à peu-près égale ; mais il est très-rare à présent.

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Commentaires de Pierre Détienne

Le bois décrit est connu actuellement sous le nom de campèche, Haematoxylon campechianum L. (caesalpiniacées) (nom accepté : Haematoxylum campechianum), nom du principal port mexicain où il était chargé. Cette essence était très recherchée par les teinturiers et, à cause de sa valeur, par les corsaires et les pirates. L’amalgame avec le poivrier de la Jamaïque, Pimenta dioica Merr. (myrtacées), n’est explicable que par le fait qu’une espèce proche de ce « poivrier », Pimenta racemosa J. W. Moore, était appelée bois d’Inde en Guadeloupe. En conséquence, Roubo semble avoir confondu ce bois d’Inde avec le bois d’Inde par excellence, c’est-à-dire le campèche.

Jacaranda

31. Jacaranda, gros arbre qui croît aux Indes Orientales ; il y en a de deux especes, l'une blanche & l'autre noire, & toutes deux marbrées & fort dures ; mais il n'y a que le noir qui soit odorant. Il y a au Cabinet d'Histoire Naturelle du Jardm du Roi du bois de Jacaranda, dont le fond est jaunâtre & rayé de brun, violet, à peu-près comme l'Epi de bled, mais dont le grain est beaucoup plus fin & plus serré ; c'est peut-être une nuance dans l'espece.

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Commentaires de Pierre Détienne

Roubo a pu confondre Indes orientales et Indes occidentales. Néanmoins, il est possible qu’il ait pu voir de véritables palissandres de l’Inde (orientale), Dalbergia latifolia Roxb. (photo 2-3), Dalbergia sisoo Roxb. (nom accepté : Dalbergia sissoo), etc. apportés par les Portugais qui leur auraient donné le nom de jacaranda à cause de leur similitude avec les palissandres poussant dans leurs possessions brésiliennes.

Jaune

32. Jaune. L'arbre qui produit ce bois devient très-gros ; il croît aux Antilles & à l'Isle de Tabago ; on le nomme aussi Fustoc de Clairembourg ; il est plein, sans être absolument dur ni pesant ; il se travaille & se polit bien, quoiqu'il ne laisse pas d'être poreux ; sa couleur est d'un beau jaune foncé, qui approche de celle de l'or ; on appelle aussi ce bois Satiné jaune. Il croît dans l'Amérique Septentrionale, un gros & grand arbre qu'on nomme Arbre à Tulipe, qu'on croît être le même que le bois jaune.

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Commentaires de Pierre Détienne

La couleur de ce bois (jaune vif au sciage mais se ternissant à la lumière), ainsi que le nom « fustoc », incitent à penser qu’il s’agit du moral (voir n° 27 et photo 3-2). L’arbre à tulipe ne peut être que le tulipier de Virginie, Liriodendron tulipifera L. (magnoliacées).

Lapiré

33. Lapiré, grand arbre qui croît à Cayenne, dont le cœur est mêlé de rouge & de jonquille, & qui est de très-bonne odeur.

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Commentaires de Pierre Détienne

Cette brève description n’est pas assez précise pour définir le bois d’une espèce particulière, et le nom de lapire est énigmatique, à moins qu’il soit considéré comme une mauvaise interprétation du nom tapire, utilisé par les Galibis de Guyane pour désigner Tapirira guianensis Aubl. (anacardiacées). Le bois de cette espèce est de couleur blanc rose uniforme. En revanche, des espèces voisines, telles Loxopterygium sagotii Hook. f. ou Thyrsodium guianense Sagot, ont des bois de cœur beige rougeâtre avec des veines à reflets dorés.

Muscadier

34. Muscadier. Cet arbre qui porte le macis & la noix muscade, croît aux Indes Orientales de la hauteur d'un Poirier ; son bois est moëleux, & son écorce cendrée : il n'est pas d'un fort grand usage, quoiqu'assez bon à travailler.

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Commentaires de Pierre Détienne

Avec si peu d’informations, il faut admettre qu’il s’agit bien du muscadier, Myristica fragrans Houtt. (myristicacées), originaire des Moluques.

Œil de Perdrix

35. Œil de Perdrix ou Bois de Perdrix. Je ne sai d'où vient ce bois ; c'est


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peut-être une espece de bois de Fert, qui croît à la Chine, & qui est si dur, qu'on s'en sert pour faire des ancres de vaisseaux. Le bois de Perdrix est très-dur & très-lourd ; sa couleur est plus obscure que celle du bois de Fert ; & quoique très-compact, on apperçoit le long de ses fibres longitudinales, des pores très-fins remplis d'une cendre ou gomme blanchâtre, qui ne paroît à bois debout que comme de petits points blancs, presqu'imperceptibles : son usage est à peu-près le même que celui du bois de Fert.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il aurait été impossible de trouver quel était ce bois si le nom bois de perdrix n’avait pas été encore utilisé au début du XXe siècle pour désigner, dans le commerce, le ferréol (voir bois n° 25 et photo 3-3).

Olivier

36. Olivier. Cet arbre est originaire de Syrie, & croît au midi de l'Europe ; il est dur, ou pour mieux dire, ferme, résineux & en général peu solide & tortueux ; sa couleur est jaunâtre, rayée de brun en suivant les couches concentriques, ce qui fait qu'il est ondé ou veiné sur ses faces verticales, selon qu'il a été débité sur les couches ou sur la maille. Quoi qu'il en soit, ce bois est plus beau employé à bois de bout qu'autrement ; ses loupes ou excroissances sont aussi fort recherchées par la variété des figures qu'elles représentent. Ce bois a le défaut de se rouler, c'est-à-dire, que les couches annulaires ou concentriques se détachent les unes des autres, ce qui fait qu'on ne peut souvent l'employer qu'en petites parties.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il s’agit bien de l’olivier méditerranéen, Olea europaea L. (oléacées).

Oranger

37. Oranger. Arbre de moyenne grosseur, originaire de la Chine, d'où les Portugais l'apporterent en graine : son bois est assez compact, de couleur jaune, & blanc vers le cœur.

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Commentaires de Pierre Détienne

Cette courte description peut s’appliquer au bois de Citrus aurantium L. (rutacées). Il est possible que l’auteur en parle à titre de curiosité exotique, et non comme d’un bois réellement utilisé.
L'oranger que les Portugais ont apporté de Chine est l'oranger doux Citrus sinensis. MC.

Plane

38. Plane ou Platane, arbre qui vient de l'Asie & de l'Amérique Septentrionale ; son bois est blanc, assez compact, liant, d'un tissu serré ; il ressemble assez au bois de Hêtre ; il tient le milieu entre ce dernier & l'Erable, dans l'espece duquel il peut être compris : il peut s'employer en Ebénisterie dans sa couleur naturelle, mais encore teint en diverses couleurs. (Voy. ci-après, Art. Erable).

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Commentaires de Pierre Détienne

Indubitablement, il s’agit du platane à la double origine : Platanus occidentalis L. et Platanus orientalis L. (platanacées), communément planté depuis en Europe (photo 5-3).
Le platane d'Occident a été introduit vers 1640, et c'est son hybride avec le platane d'Orient qui s'est répandu partout. Le fait que Roubo le cite parmi les "arbres des Indes" montre qu'il devait être rare à son époque. MC.

Puant

39. Puant. Arbre à peu-près de la grandeur du Chêne, qui croît au Cap de Bonne-Espérance ; il est d'un beau grain nuancé, & quoiqu'il sente fort mauvais, on en fait usage, parce qu'il perd sa mauvaise odeur avec le temps : ce bois est peu d'usage en France.

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Commentaires de Pierre Détienne

L’appellation de ce bois permet de l’identifier : il ne peut s’agir que d’un arbre de l’île Maurice qu’en 1788 Lamark nomma, à cause de l’odeur du bois, Foetidia mauritiana (lécythidacées). Malgré son odeur fétide, ce bois fut très utilisé, si bien que l’espèce est en voie de disparition.

Rhode

41. Rhode. Les Anciens ne sont point d'accord sur la nature de ce bois, comme je l'ai dit en parlant de l'Asphalate ; ils ont aussi nommé ce bois, Bois de Candie, apparemment parce qu'il croissoit dans cette Isle. On connoît à présent deux especes de bois de Rhode ou de Rose ; l'une qui nous vient de la Jamaïque, & l'autre des Isles Antilles.

La première espece vient de la grosseur de la cuisse d'un homme ; son écorce est rude & brune, & garnie d'épines ; son bois est solide, blanc, a beaucoup de moële, & est d'une odeur très-pénétrante.

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Commentaires de Pierre Détienne

Cette première espèce pourrait être un petit arbre au tronc épineux appartenant au genre Zanthoxylum (rutacées).

Bois de Rose

41. La seconde espece de bois de Rhode est la plus commune, & celle qu'on connoît sous le nom de bois de Rose ou Bois marbré. Cet arbre vient haut & droit ; son bois est ferme, sans être dur ; sa couleur est celle de feuille morte, ou pour mieux dite, elle est mêlée de jaune & de rousseâtre, & d'un rouge violet,


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disposé par tranches à peu-près égales, lesquelles suivent les couches concentriques de l'arbre, de sorte qu'en refendant ce bois sur différents sens, il est rayé, veiné, ou même marbré pour peu qu'il se trouve quelque sinuosité dans son fil, ce qui lui a fait donner le nom de Bois marbré ; aussi est-ce un des plus beaux bois qui nous viennent des Indes, & un de ceux dont on fait le plus d'usage. Ce bois est sujet à être carié dans le cœur, & perd avec le temps le vif de sa couleur rouge qui devient pâle, & cela par l'évaporation de la substance résineuse qui est plus abondante dans les veines rouges que dans les jaunes, ce qui est le contraire du bois violet, qui noircit à l'air, parce que la substance résineuse est plus abondante dans les couches claires que dans les brunes : cette observation est presque générale pour tous les bois résineux, dont les couleurs sont vives, & qui ont les pores ouverts. Le bois de Rose sent, lorsqu'on le travaille, une petite odeur de rose, & ses nœuds ne sont point préjudiciables à la bonté de l'ouvrage ; au contraire, lorsqu'ils sont employés avec goût, ils en augmentent la beauté.

Il y a au Cabinet d'Histoire Naturelle du Jardin du Roi, du bois de Rose dont la couleur est grise, veiné de brun ; je ne sai si c'est le même que celui dont je viens de faire la description, duquel il ne differe que par la couleur.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il n’est pas nécessaire d’envisager un autre bois que le très célèbre bois de rose du Brésil (photo 1-1), ou palissandre de rose, Dalbergia decipularis Rizz. et Matt. (fabacées).

Rouge

42. Rouge ou Bois de sang. C'est un arbre qui croît en Amérique, près du Golfe de Nicaragua ; son bois est dur & d'un très-beau rouge, & sert en teinture.

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Commentaires de Pierre Détienne

L’appellation et la description sont trop vagues pour désigner une espèce particulière parmi celles qui furent exploitées en Amérique centrale pour leurs propriétés tinctoriales : Brasilettia velutina Britt. et Killip. (nom accepté : Coulteria velutina), Haematoxylon campechianum L. (photo 4-2) (nom accepté : Haematoxylum campechianum), Libidibia coriaria Schl., etc. (caesalpiniacées).

Santal

43. Santal ou Sandal : il y a de trois especes de Santal ; savoir, le citrin, le blanc & le rouge. Le jaune ou citrin croît à la Chine, au royaume de Siam, & aux Isles de Solor & de Timor, de la hauteur du Noyer ; son bois est moyennement dur & pesant ; ses fibres sont droites, d'une couleur rousse pâle ou jaunâtre, tirant sur le citron ; son goût est aromatique, un peu amer, qui remplit la bouche sans être désagréable ; il rend une odeur qui approche de celle du musc & de la rose.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il ne peut s’agir que du véritable santal, Santalum album L. (santalacées).

Santal blanc

44. Le Santal blanc croît dans les mêmes Pays, & est en tout semblable au Santal citrin, dont il ne differe que par la couleur ; on croit même que c'est le même arbre dont le cœur est jaune, & les extrémités blanches. L'arbre de Santal est aussi nommé Sarcanda.

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Commentaires de Pierre Détienne

Nous pouvons continuer à le croire, sachant en plus que l’aubier blanchâtre est assez bien différencié du bois de cœur jaune-beige.

Santal rouge

45. Le Santal rouge, aussi nommé Pantagna, croît dans l'isle de Tanasserin, & sur la côte de Coromandel ; son bois est compact & lourd ; ses fils sont tantôt droits, tantôt ondés. On apporte ce bois séparé de son écorce & de l'extrémité ligneuse (c'est-à-dire ; de sa partie extérieure,) & alors il est à l'extérieur d'un rouge brun, presque noir, & à l'intérieur d'un rouge foncé, mêlé d'un peu de jaune. Ce bois n'a pas d'odeur, & on dit que celui de Caliatour est la même chose que celui-ci.

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Commentaires de Pierre Détienne

Ce bois rouge, qui arrive désaubiéré et qui fonce progressivement jusqu’à noircir, à la lumière, est celui des arbres du genre Pterocarpus (fabacées). Il est très plausible qu’il s’agisse de cette espèce que Linné fils a nommée Pterocarpus santalinus en 1781 (photo 3-1).

Satiné

46. Satiné. Cet arbre croît aux Isles Antilles ; son bois est plein, dur, résineux & très-poreux ; ses fibres ligneuses sont remplies d'une cendre ou gomme brillante, qui paroît comme de petits points à bois de bout. Le bois Satiné est plutôt nuancé ou ondé, que rayé ; il y en a de plusieurs couleurs, de


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fond rouge veiné de jaune, de rouge foncé, mêlé de gris olive ; & de quelque couleur que ce soit, ce bois a toujours l'air transparent, ce qui en fait la principale beauté : comme ce bois n'est pas réguliérement veiné à bois de bout, on peut le faire paroître rayé, en le refendant sur la maille, comme au contraire il paroît ondé ou même flambé en le refendant sur les couches concentriques. Ce bois se polit bien, & est fort d'usage à présent.

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Commentaires de Pierre Détienne

Le nom satiné, ou satiné rouge, ou satiné rubané, désigne toujours en Guyane le bois de l’espèce Brosimum rubescens Taub. (moracées) aux couleurs changeantes, conformes à la description de Roubo (photo 5-2). Cependant, il ne faut pas exclure que d’autres bois (comme celui portant le n° 33) aient pu être nommés ainsi.

Violet

47. Violet. Ce bois vient des Indes Orientales, d'où les Hollandois l'apportent. Il est presque semblable au bois de Rose, du moins pour la forme & la disposition de ses couches concentriques : sa couleur dominante est le brun violet presque noir, rayé de blanc vineux, qui se ternit avec le temps pour les raisons que j'ai dites en parlant du bois de Rose, qui est aussi plus compact que le violet : ce dernier a le défaut d'être souvent carié au cœur, d'avoir des nœuds vicieux, & d'être assez difficile à travailler, parce que les fils de ses couches concentriques ont différentes directions. Ce bois est d'une bonne odeur de violette, ce qui, joint à sa couleur, lui a fait donner le nom de Violet : quoique je soupçonne qu'on pourroit le mettre au nombre des Jacaranda, ce qui est d'autant plus vraisemblable, que le bois de Palixandre, espece de bois violet, est nommé dans différents Auteurs Jacaranda.

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Commentaires de Pierre Détienne

En supposant la provenance orientale exacte, nous retrouvons ici le palissandre de l’Inde à bonne odeur, Dalbergia latifolia Roxb. (rosewood en anglais), évoqué au n° 31 (photo 2-3).

Palissandre

48. Il y a une autre espece de Bois violet, nommé Palissandre ou Palixandre, lequel vient des Indes Occidentales en grosses bûches de 7 à 8 pieds de long, sur 12 à 15 pouces de diametre. Ce bois est moins beau que le violet, plus poreux, d'un grain presqu'aussi gros que le Chêne ordinaire ; sa couleur est d'un gris foncé, plutôt brun que violet, semé de quelques veines d'un blanc roux, toujours disposées suivant les couches concentriques ; celui qui a davantage de ces veines est le plus recherché ; mais en général, la couleur de ce bois est triste & désagréable. Le bois de Palissandre rend une très-bonne odeur, plus forte que celle du bois de Violette, & plus il est échauffé, plus il sent bon, ce qui est très-naturel, parce que ce bois étant très-résineux ; la gomme odorante dont les pores sont remplis, s'évapore d'autant plus aisément par l'action du frottement, que ces pores sont plus ouverts, tant à bois de fil, qu'à bois de bout.

Le bois de Palissandre est aussi nommé Bois de Sainte-Lucie ; je ne sai si c'est parce qu'il croît de ce bois à l'Isle de Sainte-Lucie ou Sainte-Alouzie, l'une des Isles Antilles, ou bien si c'est parce que l'odeur du bois de Palissandre est à peu-près semblable à celle du bois de Sainte-Lucie, proprement dit, arbre qui croît en Lorraine, & qui est du genre du Cerisier.

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Commentaires de Pierre Détienne

Il est difficile de prendre à la lettre ces descriptions pour des palissandres américains, même en admettant qu’un palissandre du Guatemala-Honduras, Dalbergia tucurensis Donn. Sm. (fabacées) puisse avoir un grain plutôt grossier. Les palissandres d’Amérique centrale, comme ceux du Brésil (et en particulier le « Rio », Dalbergia nigra Fr. Allem.), ont généralement été plus prisés que ceux de l’Inde. L’odeur qu’ils dégagent au sciage et au rabotage est tout aussi agréable que celle des palissandres asiatiques ou que celle, plus discrète, du prunier de Sainte-Lucie européen, Prunus mahaleb L. (rosacées).


Voilà, à peu de chose près, le détail de tous les Bois des Indes, relativement à l'Ebénisterie ; & j'ai tâché de les décrire le mieux qu'il m'a été possible, afin qu'on puisse, avec connoissance de cause, faire choix des uns ou des autres, selon qu'on le jugera à propos : cependant il est bon de faire attention que comme il ne m'a pas été possible de voir tous ces bois à divers degrés d'âge, ni même d'en voir de gros morceaux de plusieurs, il se pourroit très-bien faire, que ma


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description ne fût pas aussi exacte qu'on pourroit le désirer, & que je le souhaiterois moi-même. Les mêmes sujets différent quelquefois dans leurs différentes parties, ce qui a sûrement fait donner plusieurs noms à des bois qui peut-être viennent d'une même espece d'arbre, comme je l'ai fait entrevoir plus haut. Il faut aussi faire attention que les bois changent de couleur, non-seulement en vieillissant, mais encore en les travaillant, & que le poli les brunit beaucoup, du moins pour la plupart : c'est pourquoi, avant de mettre en œuvre les bois dont on veut assortir la couleur, soit entr'eux, soit à une couleur donnée, il faut en travailler & brunir des échantillons, afin de ne point être trompé sur leurs véritables couleurs, du moins sur celle qui doit leur rester.