Meunier (Malouin)

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  • Malouin, Paul-Jacques, 1779. Description et détails des arts du meûnier, du vermicelier et du boulenger, avec une histoire abrégée de la boulengerie et un dictionnaire de ces arts. Nlle édition revue et augmentée par l'auteur. 406 p. 6 pl. Gallica. Réédition : Slatkine, Genève, 1984
  • Malouin, Paul-Jacques, 1767. Descriptions des arts et métiers. Paris, Desaint & Saillant.
  • Partiellement réédité sous le titre L’Art de la boulengerie ou description de toutes les méthodes de pétrir, pour fabriquer les différentes sortes de pastes et de pains. Avec l’explication de leur nature ; & la police, pour la qualité, pour le poids, & pour le prix de cet aliment, le plus commun ou le plus vil, quoique le plus précieux de tous les mets. Paris, Saillant & Noyon. 1779. (J'ignore d'où vient ce titre. MC).


Mouture

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La Mouture rustique.

DANS la mouture rustique, il n'y a qu'un seul bluteau...

La farine la plus fine & la plus blanche passe au travers de la partie supérieure du bluteau. La farine la plus grosse & la plus bise est tamisée par le reste du blutoir dans l'autre extrémité, qui est l'inférieure.

Le son est jetté hors du bluteau par l'ouverture inférieure. Ce son qui contient encore de la grosse farine, est ce qu'on nomme son gras.

On distingue en deux parties la farine qui a passé par le bluteau, & qui est tombée dans la huche L : il y a la premiere farine qui est les deux tiers de la totalité, qu'on nomme ici dans la mouture rustique, la fleur de farine, ou la premiere farine. L'autre tiers est la seconde farine, ou le bis-blanc : ordinairement on mêle ces deux farines, on les prend ensemble.

La mouture rustique est de trois sortes ; sçavoir, la mouture pour le Pauvre, celle pour le Bourgeois, & celle pour le Riche. Les différentes grosseurs des bluteaux qu'on met lorsqu'on moud, font la différence de ces trois sortes de mouture rustique.


Mouture pour le Pauvre.

LORSQUE le bluteau est assez gros pour laisser passer le gruau & la grosse farine avec la fine, il échappe beaucoup de son avec ; c'est la mouture pour le Pauvre, laquelle peut aller par l'extrême grosseur du bluteau, jusqu'à laisser passer presque tout ; il ne reste que du gros son & en petite quantité. Cela peut donner de bon pain si, comme on fait pour le pain de munition, l'on moud bas & doucement, ainsi qu'il va être expliqué.


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Mouture rustique pour le Riche.

QUAND au contraire le bluteau est assez fin pour retenir tout le son, il arrive que le gruau & beaucoup de farine restent avec ce son ; il n'y a que la fine fleur de farine qui passe ; c'est la mouture pour le Riche, auquel on prépare du pain avec cette fine fleur, qu'on fait en moulant haut, pour l'avoir blanche, pour qu'elle ne soit pas mêlée de son fin, comme il arriveroit si l'on mouloit bas, sur-tout si avec cela on mouloit vîte ; le pain qui en résulte est plus blanc, mais il a moins de goût.


Mouture pour le Bourgeois.

POUR la mouture du Bourgeois, le blutoir n'est pas si fin que celui de la mouture du Riche, ni si gros que celui de la mouture du Pauvre ; de sorte que dans la mouture du Bourgeois, il passe du son avec la farine, & il reste de la farine avec le son. On peut retirer cette farine du son ; mais ce n'est plus alors Mouture rustique, c'est Mouture Marchande.

On peut dire que lorsqu'on ne se sert que d'un seul blutoir pour passer la farine, comme l'on fait pour la mouture rustique, on ne parvient jamais à la bien tirer toute ; on ne tire pas tout ce que peut produire le grain, de farine & de pain. On feroit bien de retirer toujours la farine de dedans le son après la mouture du Riche, en tamisant par un sas plus gros ; ce qui donne une bonne farine qu'on nomme du bis-blanc, qui fait de bon pain.

Pour ce qui est de la mouture du Pauvre, il vaudrait mieux se servir d'un bluteau moins gros, & ne pas laisser passer tant de son avec la farine : il faudroit enfuite repasser ce son par un bluteau plus gros & qui fût de deux grosseurs, pour en tirer le gruau & les recoupes, qui sont bons à remoudre ensemble, & qui font avec la premiere farine, un pain beaucoup meilleur que n'est celui qu'on prépare avec la farine faite par la mouture ordinaire du Pauvre.

La mouture pour le Riche est condamnable, parce qu'elle est préjudiciable au Public, & par conséquent aux Riches même. Il ne suffiroit pas pour autoriser une mouture dommageable, de pouvoir dire que le Riche pour qui on la fait, est en état d'en supporter la perte ; parce que dans ces choses qui intéressent le Public, il ne doit pas être permis d'occasionner de perte, puisque c'est ici une perte de l'espece même qui appartient à la société : on doit éviter une consommation préjudiciable au bien général.

...


[33]

La Mouture Marchande.

Quand on blute pour la Mouture Marchande, on emploie ordinairement quatre bluteaux, chacun desquels est composé de plusieurs étamines de diverses grosseurs. La premiere farine dite de blé, & la seconde farine de blé passent par le premier des bluteaux, & la farine dite bis-blanc est tamisée


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par le second. Voyez le Dictionnaire, au mot Mouture-en-grosse proprement dite, ou Mouture marchande.

Le blé concassé qui n'est pas réduit en farine assez fine, est ce qu'on nomme du Gruau dans la mouture septentrionale, chez les Meûniers & chez les Boulengers ; ailleurs, c'est-à-dire, chez les Marchands, chez les Vermiceliers & chez les amateurs des Pâtes, ce gruau purifié est connu sous le nom de Semoule. Voyez l'article du Gruau, dans l'Art du Vermicelier.

Par le troisieme bluteau, qui est composé de trois étamines différentes, passent d'abord le gruau blanc, eneuite le gruau gris, & enfin le gruau bis.

Le quatrieme blutoir, qui est beaucoup plus gros que tous les autres, sépare les recoupettes & les recoupes du gros son, qui est le son sec, le son maigre. Les recoupes & les recoupettes sont nommées aussi Petits-Sons.

Les gruaux qu'on sépare & qu'on reprend, soit pour les employer tels qu'ils sont, soit pour les remoudre, sont ce qu'on nomme Reprises, ou Reprins, ou Gresillon, & Repasse en Languedoc.

Ce qui reste, ce qui sort des moutures après la farine, est ce qu'on nomme les issues : les sons, les recoupes & les recoupettes sont les issues de la mouture du grain.

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[35]

De la Mouture économique.

Cette grosse farine séparée du son, & qu'on nomme gruau, peut être employée en semoule ; on peut l'employer sans la moudre ; ainsi c'est improprement qu'on emploie l'épithete économique pour la mouture de cette grosse farine, qui est dûe à la bluterie. La mouture économique, comparée aux autres moutures, donne plus de farine. de la même quantité de grain, & non pas plus de pain de la même quantité de farine, comme on l'a dit.

...

Il y a deux bluteaux dans la mouture économique. Par le premier de ces bluteaux passe la premiere farine, dite vulgairement farine de blé, pour la distinguer de la farine de gruau remoulu, qu'on n'a que par la mouture économique. On nomme aussi cette farine du premier bluteau, du blanc simplement ; ainsi farine de blé & du blanc sont synonymes dans le langage ordinaire en Meûnerie.

...


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La farine qu'on tire du premier gruau est nommée premiere farine de gruau, ou farine de Bourgeois, ou communément du blanc Bourgeois : premiere farine de gruau, farine de Bourgeois, & du blanc Bourgeois sont synonymes.


[37]

Ce que l'on nomme la premiere farine de blé, est la partie la plus tendre, la plus douce du grain ; elle vient plus de l'intérieur du blé lorsqu'il est sec.

Le second gruau qui est moins blanc, par la seconde écorce du blé, qui y est attachée, & par un peu de germe, auquel il est mêlé, vient encore moins du centre du grain, que le premier gruau, que le gruau blanc, qui ne participe plus à l'écorce du grain, & qui en est comme l'amande.

...


[38]

Quelques Boulengers, au lieu de faire remoudre & de tamiser le son gras, le mirent à tremper avec de l'eau dans des tines, pour, par ce moyen, en ôter le plus gros & le plus léger son, qui surnâgeoit.

Ensuite ils prenoient le gruau amolli, & après avoir délayé les levains, ils le pêtrissoient, en y ajoûtant de la farine, & ils en faisoient du pain. Le pain provenant du gruau ainsi trempé chez quelques Boulengers, ou tamisé & remoulu par d'autres, étoit le pain de gruau, qu'on nommoit vulgairement, en parlant de pain, le Gruau. On fait encore actuellement de ce pain de gruau en Bretagne ; on le nomme aujourd'hui Pain moussaut, dans ce pays.

C'étoit le pain le plus gros & le plus bis ; mais malgré le préjugé, & la mauvaise fabrication de ce pain, il n'étoit pas le plus mauvais qu'il y eût, parce que le gruau qu'il contenait lui donnait du goût.

Gruau

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Le Gruau. On peut faire des pâtes avec toutes les fortes de farines, dont on est dans l'usage de faire du pain : les meilleurs farines & les plus ordinaires de toutes pour composer des pâtes, comme pour faire du pain, sont celles de froment ; c'est avec le gruau de froment qu'on fait la semoule ; & c'est avec la semoule qu'on fait les véritables ou les meilleures pâtes, proprement dites.

Les Boulengers réduisent ordinairement le gruau en farine pour en faire du pain, & les Vermiceliers convertissent le gruau en semoule pour en faire des pâtes.

En général, le gruau est un grain concassé & dépouillé de son écorce, comme est le gruau de Bretagne : il y a gruau d'avoine, gruau d'orge, gruau d'espeautre & gruau de froment. [1] Gruau est un mot générique

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  1. Les Grecs ont nommé le gruau Χόνδρος, Espeautre, Zea, parce que dans ces temps là le gruau le plus ordinaire, étoit celui du blé espeautre, comme c'est aujourd'hui celui d'avoine qui est le plus en usage.
    On a nommé de même l’Alica, Χόνδρος, parce que c'étoit le plus souvent avec ce grain ou avec son gruau qu'on faisoit l'Alica. On a encore donné à ce grain même, mondé, le nom d’Alica, pour dire qu'il est nourrissant par excellence.
    C'est ce qui a donné lieu à une grande différence de sentiments au sujet de ce qu'on doit entendre par Alica : les uns ont dit que ce n'est qu'un grain, fondés sur ce qu’Oribase dit que l'alica est un blé, & sur ce que Pline, de même que Galien, le mettent aussi au nombre des blés ; & enfin parce que Celse parle de l'alica mondé ; ce qui désigne un grain, & non pas une composition.
    Les autres ont nié que l'alica fût simplement un grain : ils ont soutenu que c'est un aliment composé ; & que Paul Æginete n'est pas en contradiction avec lui-même, comme on l'a cru, lorsqu'il a distingué les propriétés du grain espeautre, de celle de l'alica qui en est composé.
    Il y avoit dès le temps de Pline l. XIII. c. XI. trois sortes de gruaux qu'on préparoit en deux temps pour composer l'alica: on piloit d'abord légérement l'espeautre dans des mortiers, & avec des pilons de bois garnis de clous par le gros bout, pour en ôter la peau, pour le monder seulement. Ensuite on rebroyoit cet espeautre mondé, après en avoir séparé quelque farine qui s'y étoit faite en pilant ; & par le blutage on le séparoit en trois sortes de gruaux, différents par leur finesse ; & avec chacun desquels on composoit trois sortes d'Alica, savoir la Petite, la Moyenne, & la Grande Alica.
    La grande alica étoit nommée Aphærema, qui étoit du gruau le plus pur ; on nommoit Alicula celle qui étoit faite avec le petit gruau. On disoit petite Alica, comme on dit petit Orgeat. Martial dit quelque part : Mittebat Umber aliculam mihi pauper.
    L'alica est un breuvage si nourrissant, que de cette qualité il tiroit son nom Alica, ab alendo. Cette nourriture étoit fort en usage du temps des premiers Empereurs Romains, plus en usage encore que ne le sont aujoud'hui les crêmes de riz, ou d'orge, ou de gruau, avec lesquels l'alica avoit quelque ressemblance.
    Il y avoit des Vendeurs d'alica, comme il y a des Vendeurs d'orgeat ; on les nommoit Alicarii ; & on appelloit Alicariæ meretrices, les filles qui rôdoient autour de ces especes de cafés, où les hommes venoient prendre l'alica ; ce qui prouve que cette nourriture étoit communément alors bien en usage, & que le monde est toujours à peu-près le même.
    L'alica est de l'invention des Latins, comme la tisanne, πτισσάνη, est de l'invention des Grecs. La tisanne n'étoit pas du temps des Grecs comme elle est aujourd'hui, seulement la boisson des malades ; c'étoit aussi leur nourriture, comme l'est de nos jours le bouillon, dont elle tenoit lieu. Les Grecs faisoient la tisanne avec l'orge, qui est moins nourrissante que l'espeautre & que le froment, avec lesquels les Latins composoient l'alica ; en Italie on faisoit la tisanne avec le riz : Italici maximé quidem oryzâ gaudent, ex quâ ptisanam conficiunt, quam reliqui mortales ex hordeo. P1ine, l. XVIII. c. VII.
    Selon Ga1ien, l'alica nourrissoit plus & plus long-temps que la tisanne des Grecs ; mais l'alica nourrissant fortement & lentement, il embarrassoit les vaisseaux des visceres dans certains tempéraments. Ce Médecin conseilloit L. XIII. de sa Méthode, de ne pas employer dans ces cas des détersifs irritants, comme est le vinaigre ; ni de trop doux, comme est le miel : il leur préféroit l'oxymel, ou la décoction d'orge.
    Dans son dixieme Liv. il enseigne à ceux qui ont l'estomac bilieux, l'usage de l'alica avec des grains de grenade dans de l'eau chaude, parce que la grenade fortifie, & l'alica restant long-temps ainsi dans le corps sans se corrompre, se digere insensiblement sans aigrir & sans floter dans l'estomac, comme y sont sujets ces sortes de breuvages.
    Ce qui faisoit que l'alica n'étoit pas si sujette à aigrir, qu'y sont sujets les autres farineux, c'est sur~tout la terre absorbante qu'on emp1oyoit dans sa composition, en assez grande quantité.
    Suivant Dioscoride, l. II. c. 8. suivant Galien, des Simples, l. v. & suivant Pline, l. XVIII. l'espeautre est de nature moyenne entre le froment & l'orge : les Italiens le nommoient spelta ; on a donné encore en Italie à l'espeautre 1e nom général semen, semence ou grain. En Toscane, on l'a nommé Biada, blé ; en Lombardie Alga, qui vient du nom Alica. Je me souviens qu'Homere loue souvent l'espeautre, ζειὰ.


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en François ; comme l'est Cacha en Polonois ; les Grecs nommoient χόνδρον le gruau, les Arabes Kauder, les Hébreux Mantés, les Latins n'avoient point de nom propre pour signifier le gruau : ils le connoissoient cependant, mais lui donnoient le nom grec Chondron ; & ils nommoient le pain fait de farine de gruau, Chondrités.

Ces noms en ces diverses langues, signifioient littéralement, morceau de grain ou grain en morceaux ; par exemple, le gruau d'orge, est de l'orge mondé & cassé en petits morceaux, comme l'on fait le gruau d'avoine, le poivre.

Le gruau differe de son grain mondé, comme la semoule differe du gruau d'où on la tire ; enfin la semoule est de même moins divisée que la farine. Il est ici traité séparément de chacune de ces choses, en leur lieu.

Presque tous les Auteurs en écrivant, ont confondu ensemble le grain mondé, le gruau, la semoule, & même la farine de gruau, que nous nommons, Blanc-bourgeois : ils ont quelquefois confondu aussi le gruau avec le grain même dont il est fait, comme ils ont confondu l'alica.

...

C'est avancer l'Art que de travailler à débrouiller ce que différents Auteurs en ont dit : ils ont souvent donné le même nom à diverses choses ; & ces différentes choses ont été nommées, chacune différemment par tous les Auteurs dans les différents siécles : ces choses ont des noms différents dans un pays, que dans un autre ; différents dans un siecle, que dans un autre


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temps ; ce qui fait une grande confusion, qui m'a donné bien de la peine.

Le gruau est la partie la plus dure & la plus seche du grain, que les Grecs nommaient Χόνδρον ; c'est sur-tout celle qui logeoit le germe, qui est ferme & blanche comme l'amande, formant le gros bout du blé, la partie par laquelle il est attaché dans l'épi. Le gruau est, dans les années qui ne sont pas humides, la partie du grain la plus prochaine de son écorce, la plus exposée à la fécheresse de l'atmospbere & à la chaleur du soleil : cette portion du grain reste dans la mouture, en gruau. Voyez page 29, n° 1.

C'est sur-tout le second gruau qui est la partie la plus voisine de l'écorce, car il y a (comme il a été expliqué dans l'Art du Meûnier), plusieurs gruaux : il y en a trois sortes ; savoir, le gruau blanc qui est le premier, le gros gruau ou gruau gris qui est le second, & enfin le gruau bis est le troisieme.

Le premier gruau n'a pas d'écorce, ou il en a peu, il est comme l'amande du grain. Le second gruau est couvert en partie, de la seconde écorce du grain, qui le rend gris. Ce second gruau est encore plus sec que le premier, il a plus de goût, il boit plus d'eau, & il est plus recherché par les Pâtissiers.

Le premier gruau est le moins bon pour faire les pâtes ; les Vermiceliers, comme les Pâtissiers, préférent le second gruau au premier ; ils prendroient encore plutôt le troisieme, c'est-à-dire, les derniers gruaux, si ces gruaux bis n' étoient pas tachés.

Les gros gruaux sont sujets à être tachés par du grain étranger qui a été moulu avec le froment, & qui est aussi pesant que lui : ce grain est une espece de vesce que l'on nomme le pois-gras qui eft très-pesant, qui donne du poids au pain, & le rend bis, & qui en pâte ne se leve pas comme fait la bonne farine. La grosse farine de ce grain étranger étant aussi pesante que celle de froment, ne monte point dessus par le mouvement du tamis, au lieu que lorsque le gruau est taché par du Son, ce Son étant plus léger, le Vermicelier peut mieux en sassant, le faire monter sur le gruau, & ensuite l'ôter aisément.

Semoule

La Semoule. SEMOLA en Italien, veut dire Son-de-farine, & en François, Son-gras. La partie blanche, dure & farineuse qui est dans le Son-gras conserve encore après qu'elle en a été séparée, le nom de Semoula, ou Semoule en François [1]. La meilleure semoule est de froment ; c'est, comme nous l'avons déja dit,

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  1. Similago ex tritico fit laudatissima, Pline, l. XVIII. c. X. Les Anciens attribuoient avec raison de grandes qualités à la semoule, & ils en faisoient un grand usage : Nec dotes poteris simila numerare nec usus. Martial, l. XIII.
    Seneque dit, Similagineus panis, pour dire le meilleur pain blanc. Je me souviens d'avoir souvent lu aussi dans Homere σεμιδαλίτης ἄρτος. Ce pain étoit trouvé meilleur encore que le panis siligineus, qui étoit un pain de blé blanc, qui, je crois, est de la même espece, ou est le même que le blé blanc de Flandres.

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celle dont les Vermiceliers se servent pour faire toutes leurs pâtes.

La semoule est la meilleur partie du blé, la plus seche, la plus nourrissante. [1] On en tire plus des blés de Barbarie, qui sont plus glacés, plus pesants, & qui se mettent plus difficilement en poudre que les blés d'Europe ; les blés de Barbarie sont moins blancs, mais ils sont plus substantiels. Ils ont plus de cette substance nourriciere qui est la partie collante du froment, de laquelle il est parlé dans l'Art de la Meûnerie, à l'article de l'analyse de la farine, page 87. n° 22.

A Naples & à Gênes, où se font les pâtes pour toute l'Italie, on fait venir du blé du Levant, de Sicile, de Termini & de Livadie : on y choisit un blé qui est dur & qui contient peu de farine blanche ; il est même intérieurement un peu jaune. En le moulant on le partage en cinq différentes parties ; la premiere est la fleur de farine, la seconde est la farine, la troisieme est la petite semoule semolella ou rarita, la quatrieme est la semoule ou semola, & la cinquieme urenna, qui est le Son, ou autrement semolone.

A Marseille on fait venir, pour composer les pâtes, des blés de Trani & de Cagliari. [2] ; les blés Fançois de Tarascon, d'Uzès & de Tusel y sont bons aussi ; la semoule de ces blés a une belle couleur blanche-jaune tirant sur celle du citron : la farine de ces blés est bise, & elle fait un pain qui est noir ; ces farines sont bonnes pour faire les levains des Boulengers ; c'est leur usage à Marseille, où ils pétrissent les levains avec les pieds.

Les Vermiceliers font moudre-haut ces blés, pour les mettre en gruau, le plus qu'il est possible ; ce qui fait la semoule, c'est la qualité du blé, & la façon de le moudre. Il faut moudre encore plus haut pour les Vermiceliers que pour les Boulengers.

Il est bien des sortes de semoules, qui sont différentes & par les diverses especes de blés dont on les tire, & par les diverses façons de les moudre, & par les différentes méthodes de les bluter ; en un mot, les semoules sont

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  1. L'expérience m'a appris que la semoule ou le gruau sont d'un bon usage pour ceux qui n'ont pas le temps ou qui ne sont point en situation de prendre leur repas, à la chasse ou en voyage ; elle peut soulager de fa faim, & l'ôter ; elle soutient les forces, & elle est saine ; il suffit d'en mettre de temps-en-temps une pincée dans la bouche, & de la mâcher long-temps avant de l'avaler, quand e1le est dissoute.
    Les Tartares portent des grains rôtis, ou en gruau dans un sac pour se nourrir ainsi dans leurs courses. Numa, Législateur des Romains, établit l'usage de faire brûler le blé, pour le rendre plus sain à manger ; au rapport de Pline, l. XVIII. c. XI. Numa instituit far torrere, quoniam tostum cibo salubrius esset.
    Le Général Bekkii dit dans sa lettre à M. de Jussieu, qu'étant à Ghilan pendant la guerre des Russes avec les Perses, il a su que Tamas-kouli-kam, lorsqu'il vouloit faire quelqu'expédition extraordinaire, ordonnoit de rôtir du blé ou du millet ; ce qu'on exécutoit dans des fours ou dans des pots de terre. Chaque soldat en remplissoit un petit sac qu'il pendoit à la selle de son cheval, où s'attachent les pistolets, & ils en portoient ainsi pour 15 jours. Il ajoute que ce Général ne se servoit pas alors d'autre nourriture ; & que quand il avoit du besoin, il en mettoit dans sa bouche, le mâchoit & l'avaloit : il ne fit pas d'autres provisions de vivres pendant son expédition contre les Tartares Gorski, qu'il a domptés. C'est ainsi que les peuples barbares ont vaincu avec encore plus de facilité les Nations policées chez lesquelles le luxe & la mollesse avoient amoli le courage.
  2. Cagliari est la capitale de la Sardaigne, qui doit son origine & son soutien au commerce considérable qu'on y fait de cailles, que l'on y fait préparer pour en faire des envois, comme l'on fait préparer les grenouilles a Compiegne, & au Maine de même les cuisses d'oye.

Dictionnaire

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GRUAU, c'est le grain concassé en grosse farine, 34, 36, 37, 38, 39, 120.

GRUAU bis, ou gros Gruau, c'est le troisieme gruau, qui contient beaucoup du germe du grain avec de la seconde écorce du blé, qui est comme de la pelure d'oignon ; c'est ce qui fait que la farine de ce gruau n'est pas si blanche, & qu'elle a plus de goût, 29, 35, 37.

Son produit, 45, 80.

GRUAU blanc, ou Gruau fin ; c'est le premier gruau qui sort du dodinage ; c'est la partie la plus blanche & la plus ferme du blé qui est autour du germe : la partie la plus tendre & comme moëlleuse est dans les années ordinaires qui ne sont pas humides, le cœur du grain, d'où sort la première farine de blé, 29.


[383]

GRUAU gris, ou second Gruau, est la partie la plus prochaine de l'écorce du blé & la plus séche, qui se mettant difficilement en farine, & dans le même temps que le germe se réduit aussi en poudre, se trouve mêlé avec du germe , qui le rend gris. 29, 35, 37.

Son produit, 45, 74.


[396]

SEMOLA en Italien, veut dire Son de Farine, & en François, Son gras. La partie blanche, dure & farineuse du son gras conserve, après qu'elle en a été séparée, le nom de Semola, ou Semoule en François. 122.

SEMOLETTA, ou Semola rarita, est la Semoule la plus fine, 123, 136.

SEMOULE, est un Gruau de froment ; c'est un gruau, purifié en le passant par plusieurs tamis, sas & cribles de différentes finesses. C'est avec ces semoules de diverses finesses ou passées, que les Vermiceliers fabriquent toutes les pâtes.

La simple semoule n'est point intimement atténuée, comme elle l'est après avoir été briée quand on en fait les pâtes, ni comme la farine l'est lorsqu'on la pêtrit pour faire le pain ; c'est pourquoi la semoule qu'on a mangée sans apprêt, reste plus long-temps dans le corps avant que d'y avoir subi toutes les digestions; & c'est ce qui fait qu'elle sustente en quelque sorte plus long-temps, & qu'elle convient dans les cas où l'on est habituellement exténué par le besoin de prendre de la nourriture.